Chapitre 14



Point de vue Sun :


Harry a dit que la route ne serait pas longue. J'ai tiqué ; il avait promis de toujours m'emmener plus ou moins loin, mais je n'ai pas relevé. Pourtant je suis encore là, à bouger mon pied de droite à gauche, patiemment, ou presque. J'ai arrêté de compter les arbres qui défilaient devant moi à toute allure ; un mouvement imperceptible et continue d'une ligne verte et de ses feuilles figées.

La quatrième étape.

Je l'ai attendu toute la journée, entre hâte et appréhension, fiévreuse excitation. Mais l'étrange sentiment désagréable au fond de moi s'est accentué quand je l'ai rejoins dans sa Range Rover. Harry n'a pas vraiment l'air en forme ce soir ; mine fermée, traits droits et presque ridés. Il n'a pas bronché quand j'ai claqué la porte pour la refermer, toujours les doigts fermement enroulés autour du volant, les phalanges à en devenir blanches. Et pas une once de sourire, ou de regard moqueur. Il ne m'a même pas dit un mot, pas même répondu à mon hésitant « bonsoir », juste limité à me dire que ça ne serait pas long, mais même là, sa voix était froide. J'ai froncé les sourcils, dit « Est-ce que tu es sûr que ça va ? Tu as l'air bizarre. » Il m'a enfin lancé un regard, mais pas celui que j'attendais. Un regard plus vide, et plus froid. Je me suis tus, parce que c'est ce qu'il m'avait demandé, silencieusement, quand sa mâchoire a tressauté. Après ça, il a continué de rouler. Moi, j'ai continué à me taire.

Ce n'est que quand je m'arrête en haut des marches d'un grand immeuble que je me dis que c'est vrai, c'était moins long que d'habitude. Ce soir on est donc plus proches du danger, mais je m'efforce de l'oublier. Le trajet m'a quand même semblé durer une éternité, une route sans fin qui mène vers le fond, le ciel obscurcit et sans soleil qui reflète dans les flaques creusant le sol ; on aurait dit la profondeur des eaux. Je pensais qu'on y allait, là, dans les abysses des océans, dans le silence le plus complet, personne pour entendre, personne pour aider, le son d'un battement de cœur dans les oreilles, le mien, le sien ou celui de quelqu'un d'autre, on en sait trop rien, qui s'essouffle peu à peu jusqu'à disparaître complètement. Je pensais qu'on y allait, que c'était cela, mais on est là, plantés devant une succession d'appartement, les sens autant en alertes que les klaxonnes des passagers sans patience qui résonnent dans la ville, éclairés par des phares trop puissants qui ont oubliés d'être enlevés.

-Où est-ce qu'on est ?

Il s'arrête devant une porte, sonne, une main -plutôt le poing- dans la poche de son manteau, l'autre appuyé près de l'interphone. Le col maladroitement remonté qui lui cache une partie de la mâchoire, mes doigts me démangent, et je fais un effort pour ne pas lui remettre correctement, misérable excuse pour toucher sa peau qui me manque tellement. On patiente deux minutes sans qu'il ne me réponde, et la serrure finit par faire un déclic. Je pose mon regard sur celle qui ouvre, écarquille soudainement et impoliment les yeux. Si ma mère avait été là, elle m'aurait sûrement attrapé le bras, dit cela n'est pas poli, même très irrespectueux de réagir ainsi Sun devant son hôte. Mais au fond, ses yeux aussi se seraient agrandis, et elle aurait fait pareil, à cracher son venin à l'intérieur de son implacable sourire. Intérieurement je lui dis, ferme la Lucie, arrête de m'accompagner partout.

Harry entre, toujours pas un mot, moi je lâche un petit bonsoir du bout des lèvres, pas très certaine de ce que l'on fait ici. Si on s'arrête juste boire un café avant de filer vers les frissons de l'étape. On traverse le hall, la fille devant, Harry qui la suit, moi derrière, insupportée par le bruit des talons sur le carrelage. Elle finit par nous mener à son appartement, moins luxueux que ce que je pouvais imaginer. Je soupire de soulagement quand les talons deviennent silencieux sur la moquette. Et puis je la regarde elle, sa mini jupe en cuir, ses collants résilles, son corset pas vraiment corset mais plutôt soutient-gorge.

-T'as du maquillage, ou un truc du genre qu'elle pourrait se mettre sur la gueule ?

Harry doit connaître l'endroit, parce qu'il nous plante là, s'engouffre ailleurs, et elle le rejoint, et moi je prends quelques secondes avant d'oser aussi. C'est la cuisine. Il ouvre un placard, prend un verre, en ouvre un autre et prend une bouteille. En même temps il observe son visage, une façon qui me fait secrètement jubilé, je me dis arrête ce n'est pas bien Sun, mais le dégoût marqué dans ses yeux et sur la moue de sa bouche me ravie trop.

-Ouais, t'en as forcément.
-Pourquoi, tu vas à une fête ce soir ?

Elle -la fille rousse- lâche un rire un peu aigu. Je m'apprête à sourire quand Harry roule des yeux et lui lance un « ta gueule » tranchant. Je pince les lèvres quand elle se contente de se racler la gorge.

-Oui, j'en ai. Je reviens.

Elle longe maladroitement un couloir, la chevelure flamboyante qui vacille dans tous les sens. Elle est différente de moi, cela saute aux yeux. Elle revient avec une pochette remplie sans qu'Harry ne m'ait dit quoi que ce soit ou regardé.

-Bien.

Il me fait finalement signe de m'asseoir sur une chaise, la tire avec son pied en arrière, les mains trop occupés à se verser un autre verre de Whisky. Je le regarde faire avant de me décider à m'asseoir. Je ferme les yeux quand on me dit de le faire. La fille devait savoir qu'on allait passer, peut-être qu'Harry l'avait prévenu, parce que sans poser de questions elle se met à me maquiller. J'ouvre un œil quand, quelques minutes après, le pinceau disparaît de mes paupières. Harry boit toujours, je me dis que ce n'est définitivement pas la meilleure étape que je vais passer, si cela continue, mais je me doute qu'il à l'habitude de boire, et que peut-être ça ne lui fait rien. Son regard est porté dans le vide, fixe et figé.

Je voudrais avoir le don de lire dans les pensées. Mais peut-être pas dans celles d'Harry ; ça serait s'approcher des enfers trop près. Le sombre de ses prunelles me fait frissonner, et je devine vite qu'il est énervé. Et ça m'effraie.

Pour la deuxième fois de la soirée, mes yeux doublent de volume quand la fille sans prénom met enfin un miroir rond devant mon visage pour que je puisse voir son travail. Du far à paupières noir remonte quasiment jusqu'à mes sourcils, descend sous mes yeux et les encercle. Mes prunelles marrons sont à peine visible, se fondent dans cette masse d'obscurité, presque comme effacés. Des points noirs tâchent le coin de mon œil et le dessous à cause de mon mouvement de recul, trop surprise, quand elle a glissé le mascara sur le ras de mes cils. Elle frotte son indexe contre sa langue, puis contre ma peau pour effacer les tâches.

Je grimace, repousse sa main et frotte à sa place. Mes sourcils sont exagérément dessinés, mes lèvres beaucoup trop rouges et trop gonflés. Je n'aime pas ça, ça ne me ressemble, on dirait une prostituée. J'entends la voix de ma mère : « Sun la pute ». Mais Sun la pute, non, ce n'est pas moi. Je ne reconnais pas mon regard, entouré par trop de noirceur, cela m'angoisse, et l'once d'humanité, l'once de vie, que je chérie tant devient plus difficile à discerner, traîne par ci par là, sans vraiment persister à un moment donné.

-C'est parfait ouais.

Je pose mon regard sur lui en entendant sa voix lointaine. Parfait ?

-Il faudrait un truc de plus, t'as pas des fringues à lui prêter ? Il continue.
-Euh ouais, je vais chercher ça.

Je me lève.

-Tu m'emmènes dans un cirque ou quelque chose comme cela ?
-Non, dans la jungle chérie, c'est pas pareil.

Il me lance un sourire, mais son sourire est de travers, caché par son verre. Mes sourcils se froncent.


-C'est quoi au juste cette étape ?
-Euh, le ridicule si je me souviens bien, non ?

Il imite mon froncement de sourcils et fourre sa main dans sa poche. Mon cœur manque un battement quand il en ressort un bout de papier froissé et plié en six : ma liste. Je pensais qu'il allait la perdre, sûrement pas qu'il l'emmènerait partout avec lui. Il la déplie, fait mine de la relire, avant de la remettre dans sa poche, en boule cette fois. Et cette fois mon cœur se tord, avec l'impression c'est lui, qu'il fout en boule dans un coin.

-Ouais, c'est bien ça. Le ridicule.

Il fait traîner la dernière syllabe, moqueur.

-Je sais. Je voulais dire, qu'est-ce qu'on va faire ?

J'essaye de garder mes remarques pour moi ; la soirée risque d'être déjà assez déplaisante comme ça.

-Tu vas marcher, c'est tout. On va retourner dans la rue, je vais t'attendre, ou peut-être pas, et tu vas marcher, te promener. Y'aura bien au moins un mec assez défoncé pour t'accoster.

Un sourire que je ne lui connais pas reprend alors place sur son visage d'habitude si attractif, me fait frissonner d'effroi.

-Après ça, ça m'étonnerait que t'aies encore peur d'être ridicule, pas vrai ?

J'ouvre la bouche pour protester, mais la rouquine est de retour, tenue à la main... Je crois qu'on appelle cela une tenue à la Jelena. Parce qu'elle, Jey, elle aime les vêtements excentriques, assez démesurés et mal dimensionnés, où on lui voit la moitié des fesses, parfois ou souvent même. Plusieurs fois elle a essayé de me les faire enfiler, mais mes fesses se voyaient encore plus que les siennes, et elle riait à n'en plus finir devant mon regard exorbité. Ces moments là, Sun dans la peau de Jelena, c'était des moments insouciants, des moments où on se plongeaient dans l'oubli pour deviner qui serait qui, un jeu d'enfant et de déguisement, mais dans la peau de Jelena, je m'y sentais moins bien que ce que j'aurai cru.

Ces moments là, ma place elle aurait été sur le trottoir, les voitures se seraient arrêtés, pendant que Jelena jouerait l'élégante. Parce que Jey, étonnement, elle porte bien ce genre de tenues, peut-être parce que cela lui colle plus à la peau qu'au sens propre. Jelena, dans ses vêtements courts ou en cuirs, elle a un charme fou, un corps de rêve ; une déesse des milles et une nuits scintillante d'un éclat qu'il me manque.

-Tiens, je pense qu'il n'y a pas mieux pour aller avec ton maquillage.
-En effet, je pense que là, c'est la totale...

Je marmonne et remue la tête avant d'attraper les tissus -ou plutôt le manque de tissus- entre mes doigts.

-Est-ce qu'il y a un endroit où je pourrais me changer ?

J'aperçois Harry rouler des yeux dans mon champ de vision et se remplir un autre verre.

-Oui, la salle de bain est au fond du couloir à gauche.
-Merci.

Je m'y dirige, ferme à clé derrière moi, pas un regard autour ; je me dépêche. Je me déshabille, me fige au moment d'enlever mon écharpe, celle que j'ai mise pour cacher les dégâts. Mais le bleu est toujours là, l'écorchure, plutôt crevasse, laide, absolument laide. Et Harry n'est au courant de rien, et Harry ne doit pas être au courant. Je décide de la garder. J'enfile le tout, c'est à dire le pas grand chose, les dents qui grincent devant mes jambes et mes cuisses exposées à tous, le haut de la poitrine remontée et compressée ; cela me rappelle la mauvaise période des essayes de robes et des corsets trop serrés. J'inspire, un peu douloureusement, les poumons contaminés par le cœur nocif. Je m'assure que l'écharpe est correctement mise et glisse mes pieds dans les talons, grimace.

-Putain mais elle fout quoi ?

J'entends ruminer Harry de la cuisine quand il doit sûrement s'adresser à la rousse, puis plus fort :

-Bon tu te bouges oui ou non ?! On a pas toute la nuit, tu te souviens, Cendrillon ?

J'aurai presque souri à l'entente de ce surnom. Je sors de la salle de bain et retourne auprès d'eux, le corps qui vacille, dérobé de tout équilibre, l'air complètement ivre. Pourtant ce n'est pas moi qui ai bu trois verres de whisky. Je m'attrape au bord de la table pour me stabiliser avant de lever le regard vers Harry, qui n'a pas loupé une miette du spectacle. Le sien se baisse et remonte sans arrêt, me dévisage ; un vulgaire morceau de viande qu'on lui agite sous le nez, je dois avoir l'air. Les yeux mauvais, je lui fait comprendre d'arrêter, et ses lèvres se resserrent autour du verre ; un sourire refoulé, peut-être ? Mais me sentir observer et si rare et si bon que mes joues se mettent à rougir, et je remercie la tonne de blush que rouquine m'a mise.

-Tu comptes garde ce... truc ?

D'un geste de la tête, le menton en avant, il désigne mon écharpe.

-Mon écharpe, tu veux dire ? Oui je compte la garder, il fait froid.

Il remue la tête, les cheveux qui se secouent, et d'une main il attrape une pomme et la lance en l'air, sans la rattraper, la laisse se fracasser au sol et rebondir et rouler.

-On y va.

Et il sort en nous laissant comme ça, nous, la pomme écrasée, la rousse sans identité et la moi finit d'être bousillée.

Je lui emboîte le pas, les vêtements fermement à la main, anxieuse de les perdre, de devoir rentrer comme cela, pas vraiment envie que Sun la Pute devienne réelle, plutôt qu'elle reste le lointain souvenir d'une soirée qui devant se passer pour avancer.

-Harry !

Je l'interpelle quand il commence à disparaître au coin de la rue, moi toujours dans les escaliers, coincée avec ces talons ridicules. Il se retourne, éclairé par la lumière orangée d'un lampadaire, les néons lumineux qui l'entourent. Je me dis, et si on se trompait ? Et si Harry n'était pas de ces gens là, les mauvais, mais plutôt de ceux qui auraient dû être sauvés ? Je cligne des yeux quand il revient.

-Tu sais que logiquement, pour marcher, tu dois mettre un pied devant l'autre pas vrai ?
-Merci, oui. Mais je ne peux pas descendre ces escaliers avec ce genre de chaussures ! Je vais me casser la cheville !
-Tu crois pas que je vais te porter non plus ? Dépêche.
-Non mais je pense que le Prince Charmant aurait aidé Cendrillon à descendre quand même, en la prenant par le bras par exemple.
-Sauf que réveille toi Sun, t'es pas Cendrillon, et j'ai rien du Prince Charmant.

Aïe.

Il repart et moi je prends un moment avant d'enlever les talons pour le suivre plus facilement dans les escaliers, de nouvelles miettes d'un cœur presque invisible éparpillées aux pieds à cause d'un « réveille toi » que je redoutais. Je me mets à marcher dans la poussière et la saleté, les pieds qui traînent au sol comme une douce caresse mais écorchés par les frôlements des éclats de verres d'une espérance qui était revenue mais déjà perdue. Pas de « nous », c'est évident.

Les lumières semblent s'éteindre sur notre passage, et le monde semble mourir sous mon touché. L'âme faite de goudron, tout s'obscurcit, se froidit et se durcit, même loin de la maison. Les fleurs ont toutes fanées, loin de moi l'idée de revoir un jour les Lys du jardin de maman qui mourraient. Et si je pensais qu'en tombant, les feuilles sèches des arbres et du printemps m'écorcheraient, elles n'ont fait que virevolter autour de moi sans même me frôler. Je suis là, comme transparente. Je suis là, comme morte. Le ciel est sombre, gris comme le fer, gris laiteux, couleurs de cendres, opaque au dessus des têtes qui restent baissés. Je me dis que ça fait une éternité que je n'ai pas vu le soleil, et que ça me manque, la chaleur des rayons du soleil. J'ai perdu le bronzage auquel je tenais tant, celui qui continuait de faire vivre la poupée beauté des îles à qui Victoire avait finit par arracher la tête.

La rue est plutôt calme, presque déserte pour un samedi soir ; tout le monde est déjà enfermé à l'intérieur, là où les corps se réchauffent. C'est le moment où les jeunes sortent pour oublier les problèmes de la semaine, le lycée, les profs, le travail chargé, ennuyant, déprimant, et où les autres, les un peu plus vieux, viennent chercher ce qu'ils ne trouvent plus dans leur famille étouffante, pessimiste et désastreuse. Je m'attendrais presque à en voir sortir Simon.
Mais j'ai souvent tendance à oublier qu'il y a une partie de la population qui est heureuse, une partie de la population qui a de la chance. On est pas tous comme moi. Oui, heureusement qu'on est pas tous comme moi.

Harry fourre sa main dans la poche de son jean serré, j'ai envie d'y mettre la mienne aussi, et en ressort un paquet de cigarette et un briquet. Je soupire, pas vraiment envie de faire cela, l'étape, l'impression qu'elles se ressemblent toutes, toutes les mêmes, l'impression de commencer à perdre mon temps, de prendre des risques dans le vent. C'est la rue, toujours la rue, mais la rue je la traverse tous les jours pour aller à l'abri de bus. Et je le fais en étant Sun. Sun tout court, Sun la vide mais Sun. Mais cela reste des moments avec Harry, son odeur envoûtante et le souvenir plus proche et plus délicieux de ses doigts me touchant. C'est le faux « nous » dans une bulle secrète que personne ne peut atteindre. Seulement, le lendemain j'ouvre les yeux, et boum, c'est le retour à la réalité. J'ai l'impression de me perdre encore plus, de plus savoir quand je suis moi-même et quand je ne le suis pas, mais peut-être qu'il n'y a simplement pas de moi.

-Vas-y, t'as qu'à te mettre à l'entrée d'une boîte, je vais rester là, moi.

Il tourne légèrement la tête, recrache la fumée sur le coté, la mâchoire délicieusement dessinée et la bouche trop tracée.

-Te casse pas la cheville, au fait.
-Tu es très drôle, Harry, vraiment très drôle.
-Y'aura rien de drôle ce soir Sun.

Ses sourcils se haussent, mais je ne lui donne pas le droit à une réponse. Une rafale de vent froid me pique soudainement à la gorge et me soulève les poumons. Cela faisait longtemps que je n'avais pas autant senti les sensations que procurait un air aussi frais. Lucie me couvre toujours d'un tas de pulls obligatoires, ceux en laine, les vieux de Victoire, ceux qu'elle ne mettait jamais parce qu'ils grattent. Et il gratte vraiment. Tellement qu'une fois, après les avoir portés toute une journée, j'avais la peau rouge vive quand je les ai enlevés. Puis Lucie aime bien jouer à la mère faussement attentionnée, de temps en temps. Surtout sur le perron, quand je rentre de l'école et que les voisins nous voient. Elle demande comment s'est passée ma journée, sourit en faisant comme si je lui donnais une réponse, prend mon sac, et on rentre, et une fois rentrés, elle me le jette à la figure. « Vas te laver maintenant, tu empestes ».

Je traverse lentement le trottoir, un pas devant l'autre, petit, pour ne pas glisser ni tomber. Les escarpins m'écorchent les pieds, sont aussi trop grands, mes orteils s'écrasent contre le devant, provoquent un frottement douloureux, et je suis obligée de les plier pour garder la chaussure au pied, qui reste au sol quand mon talon se soulève.

La musique me parvient facilement aux oreilles quand une porte s'ouvre, laissant sortir quelques personnes qui rigolent. Je tire vers le haut ma robe pour cacher ma poitrine, mais grogne quand elle remonte sur le haut de mes fesses. Je la replace, frotte mes lèvres entre elles comme pour m'assurer que le rouge à lèvres ne dépasse pas et passe frileusement une main sur mon bras.

Mon estomac se soulève soudainement quand j'aperçois Trey, un garçon de mon lycée, adossé à un mur en briques, la tête plongée dans son livre. Je fronce les sourcils, ne m'attendait certainement pas à le voir, lui, là. Je me fais la réflexion qu'il fait tâche, ici, avec son polo rouge et sa chemise avec col rentrée dans son pantalon, le bouquin à la main au lieu d'un verre de vin. Mais je me dis finalement que je ne dois pas avoir l'air mieux, dans une seconde peau qui ne colle pas à la mienne. On me voit alors que j'essaye de me fondre dans la masse, lui est lui-même et passe inaperçu. Un autre garçon qui lui ressemble étrangement vient le rejoindre, et ils échangent quelques mots en se tapant mutuellement l'épaule.

J'en profite pour rapidement faire demi-tour avant qu'il ne me voit. Je rejoins avec précipitation Harry à l'angle de la rue, appuyé contre un lampadaire, mégot qu'il écrase du bout de sa chaussure. Hors de question qu'on reste ici, je veux retourner à la voiture. C'était le deal. Les conditions que j'ai posé au début, avant tout ça. Je le suis, pas de problème je le suis, mais pas si cela implique que mes parents soient amenés à le savoir.

-Je commence vraiment à me demander si t'as quelque chose dans le crâne.
-Il faut qu'on s'en aille.

On parle en même temps, sa voix couvre facilement le chuchotement de la mienne. Il fronce les sourcils sans deviner ce que j'ai dis, alors je répète, toujours aussi doucement, sans faire attention à ce qu'il vient de dire ; j'ai bien compris : Harry n'a rien du Prince Charmant.

-Je connais quelqu'un ici, je ne peux pas risquer qu'il me voit. Il faut partir.
-Qui ça ?

Quelque chose scintille dans son regard, rien de bon, et comme avec étonnement il scrute la rue du regard.

Je reste silencieuse, lèvres pincées, remue doucement la tête.

-Qui ?

Ses yeux reviennent dans les miens, impatient, et je me retourne pour désigner Trey.
J'écarquille les yeux quand sa grande main saisit ma nuque par dessus mes cheveux et mon écharpe sans que je ne m'y attende. Ses doigts s'accrochent à mon cou et y propagent un picotement ; je tressaille, tressaillement qui se noie dans mes frissonnements. Je tente de résister pour ne pas avancer, enfonce difficilement mes talons dans le sol, mais c'est peine perdue.

-Harry ! Mais qu'est-ce que tu fais bon sang ?

Je chuchote toujours, mais plus fort, n'ose pas vraiment oser la voix sans savoir ce qu'il lui prend. Je pose mes mains sur la sienne et essaie de le tirer plus loin, vers là où se trouve la Range Rover, là où n'est pas Trey. Sauf que ses pas se font plus rapides, il me pousse en avant et nous fait traverser l'espace qui nous séparait de la condamnation. En l'espace de deux minutes, on se retrouve coincés au purgatoire, Harry et moi, ou moi plus qu'Harry. Trey relève la tête vers nous et son regard s'agrandit de surprise et d'horreur. C'est moi qui provoque cela. Sun la dégoûtante. Je détourne le regard, le cœur qui se craquelle sous la honte. Je voudrais disparaître. Disparaître pour de bon.

-Tu la connais ?

La voix rauque d'Harry m'oblige à sortir de mon semi coma forcé, à les regarder, à subir ce qu'il voulait que je subisse. Il jubile. Le froid que je ressentais encore il y a à peine deux minutes se transforme soudain en chaleur accablante, et j'entre-ouvre la bouche dans un nuage de fumée. Trey hoche la tête, un petit hochement de tête incertain, honteux et timide. On a l'air bien, là, tous les deux. Les poils de mes bras se dressent quand le rire d'Harry me parvient aux oreilles. Pas le rire d'habitude, qui me surprend, souvent agréablement, moqueur mais pas si méchant.

Son premier rire de l'étape quatre, c'est un rire mauvais, sinistre, dénigreur. Un son plus qu'un rire, que je ne lui avais encore jamais entendu même si un jour, j'avais pu le penser. Un coté noir jaillit de son être et de son âme, un petit côté démoniaque remonté à la surface. Un Harry différent. Un Harry pas tellement Harry. Je tourne la tête pour l'observer attentivement, le souffle court.

-Putain de merde il vient d'où celui-là ?

Il s'adresse à moi. C'est seulement quand il exerce une pression sur ma nuque que je m'en rends compte. « Mon lycée » est tout ce que j'arrive à répondre.

-Y'a vraiment que des trous du cul par chez toi.

Sa main me lâche, ses yeux fixe Trey, sa mâchoire se contracte, prêt à lui sauter d'une seconde à l'autre dessus.

-Que des putains de puceaux.
-Mais merde Harry, il a rien fait, qu'est-ce qu'il te prend ? Arrête !

Ses lèvres se soulèvent, dévoilent la blancheur de ses dents et fait frapper l'odeur de whisky contre mes narines. Il passe ses doigts dans les mèches de mes cheveux qui ont été rapidement lissés par la rouquine sans quitter Trey du regard. Ce touché fait emballer mon cœur, une poussée de vie soudaine, ou peut-être de peur.

-Tu vois, elle dit des trucs pas très beaux maintenant, surtout des gros mots. Tu l'as déjà entendu dire des gros mots ?

Trey continue de remuer la tête, désarçonné.

-Elle est influençable, la petite Sun. C'est facile de la faire changer.

Ses paroles atteignent ma poitrine directement. Double aïe. J'aurai voulu dire que non, je n'avais pas vraiment changé, en réalité. Peut-être que j'étais juste née. Une renaissance. La renaissance d'une Sun qui n'aurait pas dû autrefois être appelé. Ou appelé Rain. Peut-être que la pluie aurait plus convenue que soleil. Parce que le soleil avait complètement disparu depuis l'hiver dernier.

-Elle dit aussi facilement des gros mots qu'elle ouvre les cuisses pour moi, maintenant.

Ma gorge se resserre péniblement et tente de chasser ce stupide sanglot qui s'y loge. Je le regarde longuement, la vue de plus en plus flou, surtout pour éviter Trey. Je voudrais cette fois être réveillée, qu'on me dise que tout cela n'est pas vrai. Ni Harry, ni Trey. Je sursaute fortement et apporte ma main à ma bouche pour étouffer un léger bruit quand sa main se retrouve positionné cette fois sur la nuque de Trey. Il le force à se pencher, et d'un coup de pied dans l'arrière des mollets, le force à se mettre à genoux. A genoux devant moi. Devant nous. On échange un regard ahurit et paniqué, sans ni l'un ni l'autre, n'oser bouger.

-Aller, vas-y dit lui, dit la vérité sur elle, qu'est-ce que tu penses de Sun, hein ?

Sa mâchoire se resserre entre chaque mot et je n'arrive pas à me résoudre de me dire que c'est Harry. Parce que ce type là, ce bouclé aux yeux étrangement noirs, c'est un fou, un malade. Un grand malade.

-Dit lui qu'elle est bonne. Je le vois dans tes yeux que tu la veux.
-Harry ça suffit !

J'attrape fortement le bord de sa veste dans ma main et le tire vers moi, les ongles accrochés au cuir, enfoncés dans le cuir, déchirant le cuir. Je veux l'éloigner. Moi aussi, je veux m'éloigner. Mais il ne bouge pas, devient peut-être encore moins Harry à l'entente de son propre nom. Sa main reste fermement serrée autour de sa proie, mais son corps recule légèrement vers moi, surprit. Une grimace vient déformer mon visage quand sa main de libre agrippe de façon crue, douloureuse et cruelle ma fesse, la pressant avec force. Je vacille sur le coté, vacille toujours, vacille tout le temps, lâche un bruit de douleur. Mes ongles s'enfoncent entre les os de sa main, creusent sa peau si belle, mais il reste là, Harry, impassible.

-C'est ma pute. À plein temps. T'aimerais que ça soit aussi la tienne, hein ?
-Non mais ça va pas ?!

Mon corps se déchaîne contre le sien, lutte acharnée et endiablée mais pas sexuelle. Certainement pas, certainement plus. Aussi fort que je le peux, avec une force qui ne semble même pas être la mienne, je le repousse, défait son emprise sur moi, loin de moi. J'apporte aussitôt ma main à ma fesse, la masse douloureusement comme pour effacer la douleur aiguë ; comme si je n'avais pas assez mal partout ailleurs ; il fallait qu'il s'y mette. Je déglutis quand je le vois, Trey, s'uriner dessus, Trey, baignant dans la flaque humide qui se répand le long de son entrejambe. Je détourne le regard, aussi gênée que lui, me mord l'intérieur de l'intérieur, fort. Je me sens mal, terriblement et atrocement mal, avec la fichue envie de vomir qui me tord l'estomac.

J'appuie ma main contre ma bouche comme pour empêcher tout risque de débordement, dégoûtée. Dégoûtée d'on ne sait vraiment quoi. Harry lui jette un regard plein de dégoût, dégoût de Trey, évidemment, moi je ne sais pas vraiment ce qui me dégoûte le plus. Puis il le jette sans aucune retenue au sol ; simple déchet qui barre le chemin et qu'on pousse hors de route. Je crois que Trey pleure, au point de sangloter, recroquevillé près de son livre un peu plus tôt tombé et maintenant souillé. Un pauvre petit garçon apeuré, on dirait. C'est difficile de se focaliser sur autre chose. J'ai trop honte. Il a réussit, Harry. Il m'a ridiculisée, seulement, pas que moi. Et c'est comme si lui aussi avait prit la ceinture et l'avait abattu en coup de fouet.

Je me sens dépouillée, coupable et dépouillée et encore coupable. Il saisit mon poignet, me tire avec lui ; pas de pitié, c'est ses yeux qui semblent dire cela. Pas de pitié venant du regard qui a tout connu. Et moi je ne connais rien, c'est vrai, mais assez pour savoir que Sun, Sun et juste Sun, n'accepte pas ça. Sun ce soir n'est pas Sun la pute. Ma main s'abat fortement contre son épaule, son épaule grande et imposante. Je me défais fortement et par je ne sais quel miracle, lui jette ce regard qu'il réserve à tout le monde, le calque, sans vraiment l'apprendre, une fade copie d'un regard rempli de haine. Ce soir est trop démesuré, je peux à peine en voir venir les conséquences.

-Ce n'est pas parce que je suis déguisée en pute que j'en suis une !

Je prends une inspiration, les poings de chaque coté du corps, les bras droits, ballants.

-Il est hors de question que je continue comme cela, d'accord ? Parce que ça, ça ne m'aide pas ! C'est juste pour ton plaisir à toi !

Figé par la colère, seule sa bouche bouge quand il me répond.

-Tu le cherchais, tout ça. La violence, la nouveauté, le sexe. -Il articule sur le dernier mot- Tu m'as supplié de te les donner Sun, et maintenant quoi, t'as peur ?
-Je ne sais même pas pourquoi je m'attarde sur ton cas. Tu es exactement pareil que le monde entier. Banal, inexistant, inintéressant. Pire, même ; ignorant. Tu ne comprends pas, ne comprend rien.

Je mens, d'accord je mens, mais je voudrais que ça soit réellement le cas, tout serait plus simple, je pourrais tourner le dos et partir sans soucis. Je pourrais dire « c'est finit Harry » et il aurait pu dire «Non t'en vas pas je vais arrêter les conneries », il aurait menti comme tous les autres, tous les garçons banals, inexistants et inintéressants, ceux qu'on compte un milliard, tous les mêmes, aurait fait semblant de me vouloir moi et pas une autre, bien sûr, mais il aurait tout dit sauf « On peut pas finir un truc qui a pas commencé et qui aurait pas commencé de toute façon» et « Puis je t'ai déjà eu, Sun, je t'ai déjà goûté, et je veux pas plus ». Et l'illusion aurait été plus soutenable. Personne à qui penser, personne avec qui espérer. Un retour au calme et une mort lente au lieu de lancinante.

J'apprends, ce soir-là, ce soir de pleine lune sans aucune étoiles, que le visage humain peut devenir plus fermé que le cœur même. Harry se craque le cou, le regard qui ne me quitte pas, le regard animal, sauvage, fou, doublement et infiniment fou. Un regard qu'on ne voit que dans les films, le regard de ceux qui sont en hôpital psychiatrique. Harry le dangereux. Changé du tout au tour, désormais oublié l'homme que je connaissais ou fréquentais. Mon corps se déshydrate ; la gorge sèche, je me dessèche. Avec le bon sens qu'il me reste, je recule, ne veux pas faire face à lui, cet être agressif et redoutable. Et pour la première fois de ma vie, quelqu'un d'autre que mes parents me fait peur. J'aurai seulement aimé que cela ne soit pas Harry.

Disparue l'excitation qui se montrait quand il parlait les dents serrés, bienvenue envie de fuir. Et il s'approche quand je recule, et bien sûr m'attrape, lui le chasseur. Le froid de ses bagues s'appuyant contre mon visage me coupe de ma respiration quand il enroule ses doigts autour de mon menton. Il me tire vers lui et penche en même temps son visage dur et froid et de marbre vers moi. D'un geste dominant, bestial, qui traduit « j'ai le contrôle et tu es la gazelle, fuis avant que je ne t'attrape », son front s'écrase contre le mien, fait reculer ma tête, et il appuie dessus fort, si fort qu'un mal de tête me gagne. Je grimace, ravale mes larmes, regrette les étapes.

-Tu devrais rentrer à la maison, petite fille. Cours avant qu'il ne soit trop tard.

Sa voix devient un chuchotement, faussement douce ; un conte de fée qui finit mal, l'histoire qui empêchera de fermer les yeux ce soir. Je tressaille quand, le souffle contre l'oreille, il en mord le lobe, ferme les paupières plus fort.

C'est seulement quand la chaleur de son corps me quitte que j'ose ouvrir les yeux, faire demi tour, jeter les talons derrière moi, on y jette tout derrière soi. Cendrillon n'aurait pas dû retrouver sa pantoufle de verre. Elle aurait du la laisser là, dans la rue sale et poisseuse. Elle aurait dû abandonner le prince, le prince banal, inexistant et inintéressant.

Je traverse les rues, les unes après les autres, m'arrête à bout de souffle, le corps frigorifié, les pieds congelés, douloureux, le cœur en morceaux et tout démonté. J'ai du mal à respirer, et c'est en ayant du mal à respirer que j'appelle Jelena. Je ne rentrerais pas comme cela. Je suis loin, à trente minutes de route en voiture, et j'aurai l'air de quoi, à passer le pas de la porte habillée, non justement, quasiment pas habillée ? Ils aimeraient trop, et je ne peux pas leur offrir ma mort sur un plateau. Harry est déjà parti, de toute façon. Il me reste plus que Jelena. Comme au début. Rien que Jelena et moi. Mes doigts tremblent en tenant le téléphone dans ma main pétrifiée. Bip. Bip. Bip. Soit la sonnerie, soit la fin retentit de mon cœur meurtrit. Elle ne répond pas. Jelena ne répond pas.


Et moi je suis coincée là, dans le brouillard de la nuit, là. Alors je l'appelle lui, lui j'espère qu'il répondra. Jek, je n'ai plus que toi. Et c'est en me disant cela que mes yeux abîmés d'horreur retrouvent un peu de réconfort dans les couleurs emmêlés de ballons d'anniversaires accrochés à une porte. Ils disent « 10 ans ». Bon anniversaire, je chuchote, la voix transportée au loin par une rafale de vent qui nous efface, moi et les ballons dégonflés. On reprend vie un peu après, quand j'enlève les cheveux de mon visage, et qu'après les avoir récupérés, je raccroche les ballons là où ils étaient. Parce qu'ils auraient dû y rester.


Point de vue Jelena :


Essayer, encore.
Essayer de marcher droit.
Essayer d'être là.
Essayer d'être la Jelena, la petite Jelena.
Essayer pour Jek, en tout cas.
Parce que moi, jamais je voudrais redevenir la petite Jelena.
Lui il croit qu'on pourrait la réparer, la petite Jelena.
Moi je pense pas. Hunter aussi il pense comme ça.

La soirée a dégénérée. Toutes les soirées dégénèrent. Pourtant ce soir je me sens moins légère. Quelque chose qui se promène quelque part, mauvais pressentiment qui me dit met toi sur tes gardes. Pourtant j'ai quand même des marques de rouge à lèvres dans le cou, dans lèvres féminines qui ont courus un peu partout sur ma peau pendant que je danser au rythme des chansons. J'avais la tête penchée, je voyais pas bien qui c'était, Jek je murmurais tout bas et personne ne m'entendait. Les souffles irréguliers, whisky en haleine, j'ai réalisé qu'il me manquait. Alors je suis sortie, l'épaule dénudée, le mascara qui avait coulé.


Je m'amusais à souffler la fumée du froid dans l'air, et râler quand je pouvais pas l'aspirer de nouveau entre mes lèvres. Mon corps était lourd, et je tombais sans doute, mais sans jamais avoir le sentiment de toucher le sol, totalement en décalage avec la réalité. Ça m'allait. Ça m'a toujours été. J'ai ris, toute seule, senti que lointainement mon téléphone vibrer dans ma poche. Je me suis rappelée des fois où Jek me faisaient danser, tourner, vite, vite, et toujours plus vite. Le monde tournait, le monde n'était plus le monde. Juste son Univers, à lui, à moi. Et quand j'en tombais par le pas de trop il me rattrapait, toujours moi dans ses bras musclés, c'est là que ma place elle était.

Je pousse la porte du bar, d'un geste un peu brusque enlève les cheveux qui me collent à la bouche à cause du gloss. Je descends les escaliers, me tient aux murs de chaque coté. Bientôt on y est. C'est ce que je croyais. Je fronce les sourcils sans voir Jek. Jek nul part. Jek pas là. Jek pas avec moi. Mais elle elle est là. De dos. Je l'ai déjà vu. Je sais que je l'ai déjà vu. Ma mémoire est pas encore touché par les drogues et l'alcool. Puis elle tourne la tête pour regarder l'heure sur l'horloge vintage accrochée au mur au style pierres. Je serre les poings. Évidemment. La salope du verre de vin.

Je tourne la tête de tous les sens. Mais Jek t'es où bordel ? T'as dis que je pouvais passer, t'as dis que tu serais là, putain. Jek ce soir j'ai besoin de toi. Mon cœur bat trop vite. Je crois que plus rien fait effet. Plus rien à part toi. Niall est entrain de nettoyer le bar, je m'approche, les ongles nouvellement manucurés pour mieux lacérer la peau si ce soir Jek est toujours pas rentré, qui glissent sur le marbre froid du comptoir. Il relève la tête vers moi, me questionne du regard : qu'est-ce que tu fais là ?, le rictus quand même en coin. Il le sait Niall.

-Il est où, Jek ?
-Aucune idée, il est juste passé me demander de le remplacer ici jusqu'à ce qu'il revienne. J'en sais pas plus.

Il hausse nonchalamment les épaules. Revenir de où ? Revenir de où, putain ? J'vais lui demander, même le secouer, quand du coin de l'oeil, dans mon champ de vision, je la vois arriver. La satané brune, aux yeux marrons, ceux qui rappellent ceux de Sun. Mais malgré la ressemblance, le look il est pas pareil, la façon dont elle regarde Jek est pas pareil. Ça fait la différence. Puis Sun c'est ma pote. Sun j'ai pas de raison de la mettre au sol, de lui enfoncer mon talon dans l'os. Je tourne la tête, et sa mine calme et souriante reste sans réponse face à la mienne.

-Il a dit qu'il partait, mais qu'il en avait pas pour longtemps. Il m'a demandé si je pouvais l'attendre ici, alors je suppose qu'il ne devrait pas tarder.

Je hausse les sourcils, brusquement, soudainement, l'air de dire tu te fous de ma gueule ou quoi ? Tu te souviens pas de moi ? Je l'observe, sais ce qu'elle veut, avec son sourire aguicheur. Elles l'ont toutes, ce sourire, quand elles voient Jek. Jek ça leur change de leurs mecs. Parce que Jek il est gentil, beaucoup trop gentil, qu'il va sourire, faire des clins d'œil, donner des conseils et dire « bonjour, ça va aujourd'hui ? » même s'il connaît pas. Jek est trop ignorant parfois, mais Jek c'est surtout mon mec. Elles comprennent pas. Et personne pourra jamais comprendre. Y'a que Jek, et pour Jek y'a que moi. C'est l'habitude qu'on a. On raye pas les habitudes de la carte en un claquement de doigts.

Je vais attraper un shoot de vodka, mais j'ai plus envie de me brûler l'estomac, ce soir. Je veux juste rentrer. Me coucher dans les bras de Jek. Et le laisser me bercer, et même sentir ses yeux perler contre ma tempe et mes cheveux. Et si Jek est pas là, ou que tout ça ça suffit pas, je veux prendre le rasoir et tracer des traits, laisser le sang couler pour oublier. Alors je me rapproche d'elle, moi aussi, l'air de dire tu veux faire copine copine, chérie ? J'appuie mon coude contre le bar, lui fait face. Je suis plus grande, comme je suis plus grande que Sun. Elle boit une gorgée de sa boisson en attendant que je parle. Moi j'attends de trouver la bonne phrase.

-Dit, tu le vois beaucoup, Jek ?

Elle sourit. Je rêve de lui arracher les lèvres.

-Oh, non pas vraiment. Mais je viens souvent ici, c'est plutôt cool, niveau ambiance et tout ça je veux dire. On se voit quelques fois, on se croise, quoi.

Mes doigts se mettent à démanger. Je les fait frotter frénétiquement contre le marbre gris du comptoir.

-Il t'aime bien, on dirait.

Ça siffle dans ma bouche, ouais ça m'écorche la gueule de lui dire ça, c'est pathétique et faux, bien sûr que c'est pathétique et faux.

Mais son putain de sourire s'agrandit, un sourire fier, en plus de ça. Comme si c'était la vérité, comme si elle pensait que c'était la vérité. Je sais bien que Jek me ferait pas ça, pas à moi. Pas vrai Jek, hein tu le ferais pas ? Je veux lui dire qu'il me ferait pas ça. Mais j'arrive pas à parler. Je dois juste faire quelque chose pour évacuer. Puis tout se brouille. Ma vue, je vois rouge, noir et gris. C'est pas des belles couleurs, non pas des belles couleurs. D'un geste brusque et rapide, je l'attrape, son visage, dans mes mains. Je la tiens, j'enfonce mes ongles dans son visage, juste sous ses pommettes. Je sens sa chaire remplir le dessous de mes ongles ; ça me fait du bien comme si c'était ma chair qui s'ouvrait. Elle grimace sous mes doigts, je vois le sang ; y'a plus de rouge. Et elle crie.

Jek est à moi.

Je crois hurler mais j'ai la mâchoire crispée. Ensuite elle me pousse, je me sens partir à l'arrière, mais j'enlève pas mes ongles. Je lui secoue même la tête, répète : Jek est à moi, et cette fois j'articule du bout des lèvres. Mais je reçois un truc. Et je crie. Un liquide, celui d'un verre, de l'alcool. Ça me vient dans les yeux. Je la lâche fortement, remonte mes mains sur mon visage, tordue de douleur, frotte et frotte. Le noir s'étale un peu partout, mais je veux juste chasser la brûlure qui tape derrière mon crâne. Je cligne des yeux quand je réussis à les rouvrir. Tout est flou. Le bar paraît flou. Je distingue plus les choses, juste la silhouette noire de Niall devant moi. Il me parle, j'entends pas. Je la cherche encore, mais je reconnais à peine l'endroit. Je finis quand même par deviner qu'elle s'est cassée. Une putain de lâche. Je sais que Jek aimerait pas ça. Mes yeux se referment, la douleur s'atténue que légèrement, les picotements me font pleurer.

Ça brûle. Tout brûle. On brûle tous et on va tous brûler. 


"On détruit tout parce qu'on a peur. Faudrait qu'on arrête d'avoir peur."


Salut les filles !On espère que vous allez bien et que ce chapitre 14 va vous plaire Il est un peu compliqué pour nous, surtout pour Laurine à cause de ses cours de pouvoir écrire comme on aimerait pouvoir le faire, c'est à dire régulièrement. On fait tout ce qui est en notre pouvoir pour sortir un chapitre de qualité, un chapitre qu'on aime et aussi un chapitre qui pourrait vois plaire On vous adores et on espère que vous nous en voulez pas trop Pleins de bisouuus xx

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