Chapitre 13
Point de vue Jek :
Ce soir y'a le feu qui grésille, y'a les flammes qui dansent dans le baril. Le soleil il est bas ; bientôt il fera nuit ; ça nous dérange pas. On se réchauffe comme on peut, ça prend pas longtemps ; je dis on, parce qu'on est nombreux, à être là, les chaussures qui traînent au sol et qui tapent contre les cailloux, le cul appuyé contre le capot des bagnoles garées mais prêtes à démarrer. On peut pas s'empêcher de sourire, pourtant on est pas tous heureux ici, mais on sourit parce que si on sourit pas, on aura plus rien à faire, j'crois. J'ai chaud, dans la peau ; y'a l'ambiance dont je raffole. Les pupilles sont déjà dilatés, les rires euphoriques. Ils chavirent tous, moi avec, le souffle court, le regard fou : l'excitation. On s'amasse tous autour d'un seul et même point. Le point de départ. Là où y'a les trois coups de klaxonnes qui retentissent ; le début de la course. Le début de tout.
Je jette un regard autour, je regarde, mains dans les poches. Y'en a pas un ou une sans tatouages ou sans piercings, le sourire qui fait voir les dents en or, on est là en communauté, celle un peu rejetée, la communauté diffamée. On s'en tape. On est bien ici, à emmerder les lois, à danser, à penser qu'à ça. Je remarque ceux qui sont là pour essayer, ceux là pour gagner. En fait y'a pas grand chose à gagner, au final, seulement de la notoriété et une bouteille de whisky à vider sur qui tu voudras. Mais pour beaucoup y'a rien de mieux que ça ; la notoriété, entendre les gens dirent « C'est lui qui a gagné », se dire « ouais c'est moi », voir les regards se tourner vers soi, faire comme si ça touchait pas ; peu importe, mais non, au fond pas peu importe, au fond t'es là, tu te sens puissant, tu te sens bien ; t'es le roi.
Quand je suis arrivée avec Jelena, on a été rejoindre Harry. Y'avait Sun ; on a pas tous comprit. Je crois que même elle, elle comprenait pas. Elle était dans un état de psychose intense et de paranoïa. On a rit ; j'ai ris peut-être plus que les autres. On a eu le droit à des centaines de questions affolées du genre « Mais la police peut arriver à tout moment, non ? » « Elle est au courant ? » « Je crois avoir vu quelque part que les courses de voitures clandestines sont interdites ».
J'ai répondu en riant que c'était pour ça qu'on appelait ça des courses clandestines ; elle a un peu sourit de sa connerie puis plus rien dit. Harry ça l'agaçait, il lui disait « la ferme Sun » au moins trois fois par minute, la regardait l'air de dire « tu casses les couilles ». Mais dans son regard d'habitude si noir, y'avait un truc qui sonnait comme de différent ; pas beaucoup, juste un brin, un brin de moquerie ; ça m'a étonné. Je me suis demandé si elle s'était incrustée, si c'est Jelena qui l'avait inventé, ou Harry. Mais je m'y suis pas attardé ; ça pouvait pas être Harry. Il invite pas, personne, jamais. Que ça soit chez lui ou n'importe où. Harry se fait inviter, mais invite jamais. Sauf que c'est vrai qu'elle est marrante, Sun, pas banale, complètement à coté de la plaque. Je crois qu'on pourrait même pas compter les années qui nous sépare ; des années lumières. On est tous un peu loin les uns des autres, mais elle, elle y est encore plus.
Jelena, ici, elle est plus dans son élément que n'importe qui. Autant que moi. Avant ça l'était pas. C'est parfait ici, y'a tout : le danger la surprise, la peur ; l'incertitude. Tout. Y'en a plus d'une à qui ça foutrait la trouille, ça ferait pas dormir. Jelena c'est pas ça qui l'empêche de fermer les yeux, bien au contraire. Jey', c'est Jey, elle est faite comme ça ; de rouille, de fer, de c蘉ur qui palpite, elle changera pas. Sombre fille aux buts bien fixés.
-On embarque, mon capitaine ?
La casquette noire de Jelena (à la base la mienne) se retrouve posée sur mon crâne, une clope se glisse entre mes lèvres et ses bras autour de mon cou. Je sens son corps frêle se presser contre mon dos. Je souris quand elle pose le menton sur mon épaule, briquet à la main, qu'elle allume la cigarette pour moi. Y'a ses cheveux qui se viennent frôler ma propre nuque, je frissonne, je sais que ça lui plaît, je lui devine ce si beau sourire sur son visage. Celui de l'enfant gâté. Ses mains elles tremblent, trois ongles sur dix rongés, les autres recouverts d'un vernis lissé. C'est encore des indices laissés ici et là sur son corps, en plus des piqûres dans ses bras, pas bien nombreuses, moins qu'avant ; j'lui ai dis d'arrêter.
Je hoche la tête l'air de dire ouais on y va beauté, quand Sun lui demande si elle va monter dans la voiture avec moi, les sourcils froncés. Ça me fait sourire, bizarre aussi ; son ton calme, posé, différent de celui de Jey', j'en ai pas l'habitude ; celui que j'entends dès la première heure, que j'entendrais jusqu'à la dernière, je lui ai juré.
-Bah ouais, pas toi ?
Ça lui semble évident qu'elle va rouler avec moi, Jelena. Ça fait des années qu'elle le fait ; la première fois elle avait rien que quatorze ans et des yeux émerveillés d'en découvrir encore et encore. Moi j'essayais juste d'éviter qu'elle aille déjà à droite et à gauche, j'voulais éviter le moment fatidique qui de toute façon était déjà venu. J'voulais éviter l'inévitable, et j'savais pas comment m'y prendre quand elle promettait d'arrêter les conneries en échange d'un petit bout de plus du monde, même de la Lune. Au final elle a pas arrêtée, peut-être parce que la Lune je lui ai toujours pas décroché. Elle la trouvée ailleurs, dans les trucs qui lui faisaient tourner la tête et tomber. Mais elle disait que même la joue écrasée contre le goudron des milieux de routes désertées, jamais elle avait été aussi proche du ciel, et que du ciel elle pouvait tout voir, tout le monde, la mer, les grattes ciels, les volcans et les coups de tonnerres.
La plupart des filles ici, dans les courses de voitures clandestines, elles se contentent de danser, de tenir le drapeau, de le lever quand il est temps et de vider la pompe à bière quand nous on est sur la piste à tout jouer, les dés relancés, la première place à gagner, rien que sa propre survie à assurer, on sait jamais. Elles montent pas souvent, et quand elles le font, ou qu'elles le peuvent, elles y remontent plus. Jelena elle, c'est comme si elle y était jamais descendue.
-Euh... C'est à dire que...
Sun regarde autour d'elle, observe la foule, tente de peser le pour et le contre : c'était pas prévu, faut qu'elle choisisse vite : pas facile. Harry roule un peu des yeux, sourire en coin, il s'en doutait. Moi je laisse un peu la clope se consumer toute seule en attendant. Jelena râle, prend la fin entre ses doigts, la lâche que quand ça commence à vraiment brûler. Sun a toujours pas décidée.
-Bon bouge toi !
Jelena s'impatiente, nous en avance vers nos bagnoles, elles sur les talons.
-On va se marrer, tu vas voir. Puis arrête de faire ta coincée alors que tu t'es faite léchée sur un canapé.
Mes yeux s'agrandissent, ceux de Sun aussi. On tourne la tête avec Harry. Impossible de croiser son regard, elle se contente de rougir, de balbutier. H fait que de la fixer, s'amuse à l'ébranler, les yeux plus curieux, plus intéressés qu'en début de soirée. Sa gorge vibre sous un rire, moi je me retiens, essaye de pas en rajouter. Elle attrape une poignée de ses cheveux de devant dans sa main, les tires en arrière, ça dégage son visage, je la regarde. Elle dit plus grand chose, essaye même pas de se défendre, laisse juste la honte et la colère prendre place, sans même luter. Jelena lui donne un petit coup d'épaule gentil, continue son chemin. J'enfonce mes mains dans mes poches, tête tournée vers Sun, lui affirme avant de rejoindre Jey', on sait jamais :
-C'était pas méchant ce qu'elle a dit, tu sais ? Elle déconnait.
-Non, non je sais. Ne t'inquiète pas, tout vas bien.
Elle sourit légèrement. Je lève un peu les épaules l'air de dire d'accord alors, puis je vais à ma voiture. Je la vois monter dans celle d'Harry du coin de l'蘉il. Je l'ai vu scanner l'endroit ; elle a pas confiance ; les gens ont bu, elle les connaît pas, n'est jamais venue.
J'ouvre la portière, m'installe sur le cuir blanc, m'attache, pose les mains sur le volant, savoure un peu avant de la faire ronronner : une Spyder 550, blanche, un modèle d'époque. Elle m'a coûtée un bras, mais c'est la consécration d'une passion, alors j'regrette pas, surtout pas. Y'a même pas de toit, alors c'est l'idéal pour prendre l'air, comme on le dit avec Jey'. Je lui boucle sa ceinture, pose une paire de lunettes sur mon nez histoire de diminuer mes chances de me prendre un truc dans l'oeil en pleine route, démarre pour me garer cinq cent mètres plus loin : la ligne de départ. Mon c蘉ur palpite. Y'a pas que le mien. Je souris et descends pour vérifier une dernière fois que tout est à sa place, que tout est bon. Ça le fait alors je remonte. Harry nous rejoint sur la place à coté, descend sa vitre ; Sun est mortifiée sur le siège passager, j'pense pas qu'il fasse quoi que ce soit pour la rassurer.
-Essaye de pas arriver dernier cette fois.
-J'sais même pas pourquoi j'ai ouvert cette vitre, enculé.
Il me fait un fuck, la referme, moi je ris. J'suis toujours dans les premiers, pas Harry. Chacun son truc, moi c'est les voitures, y'a pas.
Le moteur ronronne sous mes pieds ; je l'entends. Alors y'a tout qui commence à s'effacer. Y'a plus que moi, Jelena, la route, la vitesse, le vent, la liberté : c'est le moment de vivre vite ; mon préféré. C'est l'abaissement du drapeau à damier, je calme la pulsion qui me dit d'appuyer sur l'accélérateur et de le lâcher rien qu'à l'arrivée, tant pis si y'a la mort en route qui viendra me ramasser. Je me retiens le temps que Jey récupère sa casquette, la mette sur ses cheveux blonds déjà emmêlés. Après je me lâche, en même temps que les crissements de pneus, des bruits assourdissants, des oreilles bourdonnantes. Je me lâche même si elle est là, parce que si non jamais je pourrais me laisser aller. J'ignore le danger, j'me dis qu'elle aime ça autant que moi. Que si y'a un accident, au moins on sera ensemble, pas l'un sans l'autre, jamais.
J'ai mis les pieds ici bien avant Jelena, bien avant tout. Je perds lentement les souvenirs, mais pour l'instant c'est encore gravé dans un petit coin de mon esprit. C'était avant tout, avant le déclenchement et tout le reste. Mon père m'emmenait ici quelques fois, pas à chaque courses, mais y'en avait auxquelles j'assistais. J'étais gosse, innocent, je devais pas avoir huit ans. Les voitures paraissaient grandes, imposantes, puissantes. Elles brillaient, je pouvais y voir mon reflet ; la tignasse lisse et blonde, la sucette à la bouche, les yeux ouverts, grands ouverts, l'envie de dormir loin derrière. Mon père, tout le monde venait lui serrer la main, il abordait son visage fermé et son air sévère, celui qu'on lui a plus jamais revu après.
Mais à cette époque il était supérieur, haut dessus de tous ; c'était mon père. Les gens étaient tout aussi agités et fiévreux d'excitation qu'aujourd'hui, peut-être bien que c'est ça qui m'est resté. À l'époque déjà ça empestait l'alcool, la drogue et le sexe. Y'avait des meufs ici et là qui se faisaient baisées, sur les capots des voitures un peu éloignés, contre des arbres plus loin. Moi mes yeux ils allaient partout, ils loupaient rien. Je détournais le regard, j'étais gosse, gêné, puis je respectais, aussi. Maman répétait tout le temps que le respect envers les autres c'était important. Mais Papa il pensait pas trop pareil, alors quand on était là tous les deux, il demandait t'es un homme Jek ? Je disais oui ; je voulais être grand, qu'il soit content, alors je tenais ma sucette comme les hommes, les vrais, tenaient leurs clopes.
Il me tournait alors la tête, disait alors regarde et apprends, et je faisais, même si au début j'avais des hauts de c蘉urs. Après le fameux déclenchement il a vite changé de disque, Papa. Lui c'est juste qu'il avait toujours baigné dans le milieu, l'interdit et le risque c'était ce qui le résumait. Après le risque s'en est allé. Pendant ces soirées, une fois, il a promit qu'un jour il m'achèterait une voiture de course plus tard, quand mes pieds seraient en mesure de toucher les pédales. J'avais demandé si ça pourrait être une Porsche 550. Il avait rit. J'en voulais une parce que c'était la voiture de James Dean, et qu'aussi loin que je me souvienne, maman adorait James Dean. Papa il était jaloux, souvent, et maman faisait exprès d'en rajouter, et des fois elle se penchait à mon oreille comme pour confesser un secret, disait tout bas, tu vois Jek, j'adore énerver ton papa, ça le rend amusant, tu trouves pas ?
Maman c'était la seule qui trouvait papa amusant. Elle avait acheté une veste harrington à l'identique de l'originale du film La Fureur de Vivre. Aujourd'hui je sais pas où cette veste est passée, mais La Fureur de Vivre, j'ai voulu en hériter. J'crois bien que Jelena m'a dépassé. En tout cas, même si cette voiture je l'ai bêtement et longtemps attendue comme cadeau de pardon, je lui ai jamais vu pointer le bout de son nez. J'ai pris les devants. C'était une résolution parmi tant d'autres : prendre les devants.
Maintenant, comme aucun des deux n'est plus là, je me suis emparé de James Dean, j'ai invité Jey. Elle en a un peint un portrait, c'était un cadeau d'anniversaire, ça représentait pas pareil pour elle que pour moi, évidemment elle comprenait pas, mais j'ai pas pris la peine de lui expliquer parce que maintenant c'était à nous. Un truc à nous. On a accroché le portrait dans le couloir qui mène à la chambre à coucher.
On a visionnés les films, A l'est d'Éden, Géant, aussi. Enfin plutôt moi ; Jelena elle s'endormait à chaque fois. Je voulais être James Dean. La réalité c'est que j'avais de lui que la passion des voitures, et Jelena tout le reste. Parce que James Dean c'était le symbole de la jeunesse éternelle, que Jelena, peu importe les heures qui défilent, elle a toujours cette étincelle de pureté d'enfant qui brille dans le regard, même si elle salit tout, son corps et son âme. C'est une enfant perdue trop tôt. Et James Dean, c'était irrémédiablement celui qui s'était donné à tous, sans jamais appartenir à personne. Jelena, à elle aussi c'était son cas, même si j'aimais penser que j'étais l'exception près, qu'à moi elle m'appartenait.
Je regarde les plots qui définissent le parcours devant moi, les graviers voler. On essaye de me doubler, je reprends bien contact avec la réalité, accélère, pédale enfoncée. Je resserre la main autour du volant, frissonne d'adrénaline sûrement ; plaisir ardant. Jelena lâche un cri, exprime ce que moi je ressens et que je montre pas, là tout de suite, lève son bras libre : l'autre main appuyée sur sa casquette pour pas qu'elle s'envole. C'est le moment à savourer le plus. Celui qui donne l'impression d'être éternels. De dominer le monde.
-On domine tout bordel !
Je lâche un rire rauque en l'entendant, prend un tournant brusque qui fait sortir du parcours deux autres voitures.
-Exactement Jey'.
-C'est pour ça que je vis putain.
Ça j'le sais que trop bien, et putain, c'est le cas de le dire.
Je jette un coup d'oeil dans le rétro en entendant le bruit d'un choc. Y'a de la fumée ; c'est pas trop bon. Personne ne courra vers eux tant que la course ne sera pas terminée, ils auront bien le temps de crever d'ici là si leur vie est en danger. Je tente de me re-focaliser sur mon propre chemin. Sauf que quand je pense que le calme revient, le chaos surgit.
-J'crois que y'a les flics, Jek.
Jelena rit, s'est retournée pour voir derrière. Maintenant j'entends les gyrophares, les imagines clignoter au loin. J'inspire, elle tape dans ses mains.
-Putain, manquait plus qu'eux. Bon aller on se casse.
Je cherche rapidement la voiture d'Harry en un coup d'蘉il, mais pas de trace de lui. Je décide de partir seul. Tout vas plus vite, après.
Je quitte le circuit brusquement, ralentis un peu la cadence pour pas me prendre de murs, plus l'idée de semer ces merdes que de gagner, maintenant. Je pense quand même au frein quand Jelena se lève, qu'elle penche le haut du corps au dessus de la portière, que ses cheveux se rabattent en coup de vent sur son visage d'ange, celui derrière lequel se cache l'enfer. Tout s'envole en même temps que son rire léger, il semblerait. Une vraie plume. Mais j'attrape quand même la poche arrière de son jean, la tient comme ça, les doigts serrés. Je l'empêcherais pas de vivre ça, j'lui assure juste de continuer à le vivre, justement. Le vent fait des coups de traîtres, souvent ; il emporte avant même la demande de la deuxième chance. Elle lève son majeur juste au moment où je commence à perdre les flics. Elle revient vers moi ; on en revient toujours à l'autre.
-Je t'aime, Jek.
Sa tête se pose sur mon épaule, je continue ma course folle.
-Je t'aime aussi, bébé.
Parce que dans le fond c'est vrai, Jelena c'est de loin un bébé, un bébé tout court ouais, mais un bébé auquel je suis lié.
Point de vue Sun :
Le rideau noir de la nuit est tombé. Plus de nuages, même pas d'étoiles, juste une forme compact obscure qui flotte au dessus des têtes ; une menace ou une couverture, personne ne sait jamais. Si moi je me suis toujours plus senti en sécurité dans la lumière, je crois que le noir c'était la survie de tous ceux qui étaient ici, et qui roulaient. C'était palpable, dans cette nuit au ciel noir, que le danger n'était pas loin, à deux doigts de nous toucher. Les doigts de la mort viennent toujours frôler en coup de vent avant d'attraper.
J'enfonce mes ongles dans le cuir des deux cotés de mon siège. Je m'accroche là, le corps qui balle d'un coté, puis de l'autre, l'épaule qui cogne contre la portière, l'épaule qui cogne contre celle d'Harry. Je ferme brièvement les yeux, secouée, par la vitesse, la peur, l'envie de rendre les armes et de se garer sur le coté, mais aussi d'accélérer et de rouler jusqu'à l'aube, sans jamais savoir quel coté choisir ; le bon ou le mauvais. Harry jette quelques regards dans ses rétros, moi je me retourne pour voir. On voit la sirène de police tourner dans le noir ; un point lumineux qui clignote : attention danger, danger, danger : on devrait s'arrêter.
Je pose les paumes de mes mains sur mes yeux : la même technique que celle de mes huit ans. Je pensais que cela me rendrait invisible, que je pourrais disparaître, rien qu'une minute, qu'on laisse Sun tranquille, pour une fois. Ça n'a jamais marché. Je les retires, essaye d'ignorer leur tremblement, les coinces entre mes cuisses. Je ne veux pas trembler. Harry n'a pas l'air inquiet, de son coté. Il n'y a que ses sourcils gravement froncés, langue coincé entre les dents de devant, mâchoire en avant. Il est concentré, prend les tournants à une vitesse affolante qui me font voir les murs toujours de plus en plus près.
-On peut pas se faire arrêter !
-Sans blague.
J'inspire, le c蘉ur qui se soulève, à me demander ce qu'il se passerait. Je le sais bien, ce qu'il se passerait. Je préférerais mourir là, dans un accident, Harry à coté, pas loin, je serais pas toute seule. Il y aurait eu de la peur avant c'est vrai, mais au moins il y aurait eu quelque chose, des sentiments, des trucs que je pensais inexistants. Il n'y aurait pas autant d'ignorance, et le vide aurait l'air moins vide, que là, à genoux devant la poutre de ma chambre, la peau tailladé par les autres, par eux, les parents.
Je lâche un léger cri quand la route devient trop étroite, que les murs semblent vouloir garder la voiture prisonnière. Je ne veux pas qu'on soit prisonniers. J'entends les portières grincer, Harry lâche un « putain fait chier ma bagnole ». Mon corps s'enfonce dans le siège. C'est seulement là que je m'aperçois qu'on est que deux voitures ici. Nous et la police. Pas de Jek, ni de Jelena, ni d'autres voitures bleus. Je tourne brusquement la tête vers Harry, mon cou craque, fait bouger l'écharpe et réveille la douleur dans ma poitrine.
-Jek et Jelena ne sont plus derrière ! Oh mon dieu, c'est pas vrai !
Ce n'est pas un jeu. C'est brutal, de se dire que tout se joue en une soirée, comme ça, un claquement de doigts et peut-être demain matin plus de vie, plus de meilleure amie, plus d'ami, plus d'Harry, plus de peau.
-Ils ont dû prendre un autre chemin pour séparer les flics, ferme la maintenant !
Je pince mes lèvres entre elles, et dans un geste désespéré attrape la croix autour de mon cou, celle que j'ai toujours. Impossible de l'enlever. Mais ce n'est pas tellement grave, je me dis qu'elle me protège quand même un peu, que sans elle cela serait pire. On m'a apprit qu'on pouvait toujours faire pire. Le bois s'enfonce dans la paume de ma main quand je serre plus fort ; je n'arrive plus à assimiler correctement les tracés de la route, et la vitesse à laquelle on roule semble pouvoir être celle d'un avion en plein vol.
Je voudrais bien voler avec Harry, mais ce n'est pas ce qu'on fait, coincés dans l'habitacle, semblable à ma cage ; ne jamais pouvoir déplier ses ailes. Tout vas beaucoup trop vite. Tout vas toujours trop vite pour moi. Un pic de panique me traverse quand on se rapproche trop, que je n'arrive plus à distinguer s'il y a plusieurs portes qui défilent ou une seule et toujours la même qui bouge en rythme. Je me penche, sans réfléchir, le corps qui n'obéit plus ; le corps n'obéit jamais vraiment. Je tourne brusquement le volant d'Harry, cri un « Fait attention ! », je crois nous éviter le pire, mais sans doute que ce n'est pas le cas.
La voiture semble se retourner violemment, comme si l'on faisait du deux roues. La grande main baguée d'Harry me propulse contre la portière, fort, et je grimace. Il se met à lancer tout un tas d'injures qui me parviennent à peine ; trop concentrée à essayer de retrouver un semblant de bonne conscience, de bonne figure, de bonne pensées ; tout vas bien se passer maintenant. Mais j'écarquille les yeux quand on débouche sur une ruelle. Une ruelle sans issues.
-Bordel de ta race, Sun ! Tu fais vraiment putain de chier !
Son poing se serre, je me fais plus petite, me demande s'il serait capable de l'envoyer, me dit que non, sûrement pas, mais pourquoi pas ? Harry me connaît plus que moi je ne le connais. Mon ventre se noue. Je voudrais bien lui dire à Harry, que j'ai peur. Je voudrais qu'il le sache, que je suis terrifiée. De tout. J'aimerais que tous arrêtent de fermer les yeux sur ça.
Il recule, mais le derrière de la voiture bute contre quelque chose. Nos corps se tendent à l'unisson quand la boîte de vitesse grince. Une poubelle en fer, tombée. Il inspire, a à peine le temps de vouloir forcer ou la contourner que la sirène de police se fait plus prononcé, et une voiture se gare un peu après. Mes yeux s'agrandissent, je lance un regard à Harry l'air de dire comment on va faire pour s'en sortir ? Mais lui ne me regarde pas, il a simplement l'air de se mettre en position d'attaque, le corps tendu, une main qui se glisse sous son tee-shirt, qui le soulève un peu, se pose sur une arme coincée entre son jean et sa peau. Je manque de respirer. Tout s'agite en moi : le sang qui ne fait qu'un tour, tape contre les temps, fait voir rouge. Je voudrais ouvrir la bouche et demander, demander un tas de choses, c'est quoi ça ? Comment cela se fait que tu aies une arme ? Pourquoi ? Depuis quand ? Tu t'en es déjà servis ? Et je voudrais qu'aucune des réponses me pétrifie.
Ou peut-être bien que si. Peut-être qu'au final, tordu ou pas, Harry avec une arme, c'est sexy. C'est ce que Jelena dirait, ce que Jelena penserait. Moi je pense entre les deux, entre ma peur et l'excitation qu'elle m'a apprise. Je reste pétrifier sur le siège de voiture, le corps immobile, l'envie de dire viens on s'enfuie, on sort et on court, on prend la fuite, mais on reste là, même quand le policier sort de sa voiture, rejoint la notre, pas rapide, pas pressé, arme à la ceinture, lui aussi. Je me dis que cela va forcément mal finir. L'index d'Harry appuie sur un bouton sur la portière, la vitre se baisse ; pourquoi tu lui ouvres ? J'essaye de regarder autre chose que son arme, celle qu'il tient fermement, prêt à enlever la sécurité ; celle qu'il me faut, dont j'ai besoin, pour ne pas le trahir. Le policier s'arrête à notre hauteur, enlève sa casquette de service, et je le reconnais immédiatement, celui à qui je suis promise.
-Gabriel ?
-Sun ?
Les voix qui se mélangent, un échange de regards ahurit. Je pose une main sur le poignet d'Harry, silencieux moyen de lui dire Harry seigneur range cette arme, je le connais et il ne fera rien. Il tourne la tête vers moi ; je crois que je préfère ses yeux à ceux de Gabriel. Ce n'est pas le moment Sun, me chuchote une petite voix. Non ce n'est pas le moment, mais c'est vrai. Je préfère le regard trouble au regard clairvoyant. Doucement, je fais un signe de tête, affirme oui à chacune de ses questions silencieuses que pourtant je devine à peine. Je reviens à Gabriel, à ses yeux bleus ciels qui font cloche dans une telle nuit. Moi les miens doivent avoir l'air hystériques, sûrement, un regard qu'il ne m'a jamais vu, parce que l'hystérie n'y est jamais quand je suis à la maison ou avec lui.
-Est-ce que pour l'amour de Dieu, Sun, je peux savoir ce que tu fiches ici ? Dans un tel endroit avec une telle...compagnie ?
Harry arque un sourcil à la fin de sa phrase, j'ai l'impression qu'il réprimande un sourire moqueur. Je me dis c'est dingue, qu'il change encore d'humeur. Mais il a sans doute comprit qu'il n'y avait pas de danger, que ce soir au moins on s'en sortirait sans problèmes, qu'on pourrait continuer les sorties nocturnes. Et étrangement, son humeur semble jouer sur la mienne, parce qu'il me prend l'envie de sourire. Une telle compagnie, c'est comme cela alors qu'on qualifie Harry chez moi, chez Gabriel, dans ce milieu là. J'aime bien. Je voudrais que tous me voit avec Harry, soudainement. Qu'on voit ses tatouages, partout ; je voudrais qu'il en fasse plus, encore. Je voudrais me promener avec lui, qu'ils se retournent sur nous, qu'ils chuchotent sur notre passage. Je serais fière, de me promener en cette compagnie là, moi.
-Je t'en supplie, dis moi que tu ne diras rien.
J'essaye de capter son regard, comme ce premier soir dans ma chambre, là où je l'ai embrassé, là où il a promit qu'il ne dirait rien. Il n'a rien dit. Je veux qu'il continue à ne rien dire. Je soupire un peu de soulagement quand du coin de l'oeil, je vois le tee-shirt d'Harry retomber sur l'arme, désormais cachée. Gabriel semble s'adoucir un peu, lui qui retrouve son habit d'ange. Il fait quand même le tour de la voiture, regarde la plaque d'immatriculation ; quelques graffitis ; pas de numéros, pas de lettres ; clandestins jusqu'au bout. Je m'inquiète ; des graffitis c'est plus simple à retenir. Mais Harry reste détendu ; pas de soucis. Il doit en avoir des dizaines, sans doute, de plaques d'immatriculation.
-On en discute plus tard, Sun.
Je souris un peu, dis oui de la tête, le remercie infiniment. Harry réenclenche le contact ; il a dû comprendre qu'on y resterait pas tard.
-Dépêchez-vous de partir.
Gabriel semble quand même vouloir le mot de la fin, l'air de dire c'est moi qui décide si tu dois partir. Mais on le sait tous, que c'est Harry, rien qu'Harry, qui prend les décisions, ici. On le comprend assez vite.
Harry remonte la vitre, Gabriel remonte dans sa voiture et recule pour nous laisser passer. Je jette un coup d'oeil à la marque de la croix dans ma paume de main, me dis que j'ai bien fait de prier ; on a eu de la chance, on s'en sort facilement. Je lui fais un léger signe de main quand Harry passe près de lui et on repart à toute vitesse ; provocation discrète. Mes épaules douloureuses se détendent, je souffle un bon coup, rassurée. L'ongle de mon pouce se glisse entre mes dents, je resserre mes lèvres autour et réfléchis. A ce soir, à l'arme, à la peur, à combien après coup, c'était bon d'avoir peur, en fait. C'était se sentir vivant, c'était sentir qu'on a un c蘉ur. Mes lèvres se retroussent immanquablement, au même moment où Harry lâche un rire amusé.
-Putain ils engagent vraiment n'importe quel abruti maintenant dans la police.
Les cheveux qui retombent sur une épaule, je lui lance un regard, à ce mystère ambulant, à ce trésor caché, à ce code impossible à déchiffrer.
-C'est pas vraiment un abruti.
-Alors comme ça, t'as des relations avec les flics toi ? C'est que t'es utile des fois.
Je sais qu'il n'est pas sérieux ; il n'a pas besoin de moi, loin de là. Son pied lâche un peu l'accélérateur quand on a rejoint la belle route. Il reprend sa conduite rapide, mais plus calme et mois risquée.
-Je vais devoir me marier avec lui.
Je rajoute devoir pour qu'il comprenne, un appel silencieux au secours ; viens les empêcher de me condamner. Mais il ne fait pas attention, fronce simplement les sourcils sans se débarrasser de son sourire.
-Ah c'est ton mec, ça ? Et il sait ce qu'on a fait, tous les deux, cochonne ?
Son rire rauque résonne encore une fois, finit de me rassurer, et je me dis que c'est tant mieux, qu'il ne remarque pas. On a eu notre dose de sérieux pour ce soir. Ses paroles me réchauffent la poitrine, le bas ventre, aussi. Je n'arrête pas d'y repenser, à sa tête entre mes cuisses. Je me cale contre la portière après lui avoir donné une tape sur l'épaule, lui avoir dit arrête, avoir souri.
-Allez, j'te ramène.
Le jour suivant, on est de sorties, avec Victoire et Lucie. Elles se sont vêtues de leurs beaux sourires hypocrites et de leur liste de répliques polies. On y est, la parfaite petite famille de sortie dans les rues de Londres ; parfaitement accommodée, grands sourires, politesse, hochements de tête, bonjour à vous également. Et puis derrière les poumons qui s'étouffent ; trop de rouges à lèvres ingurgités dans la salle de bain plus tôt, trop appuyé, trop étalé, trop frotté, le c蘉ur qui ralentit dangereusement en ce genre de temps, cheveux et maquillages absolument disposés de manière soignée. Tout y est.
« Victoire, chérie, ma barrette est-elle bien mise ? Je ne voudrais pas avoir l'air d'une dévergondée. » Un regard en ma direction, plutôt vers ma mèche lâché au devant de mon visage ; elle tirait. Puis on continue de marcher, d'arpenter ; on impose le mensonge comme la vérité. La cloche du magasin sonne quand on entre, maman et Victoire faussement toutes excitées. Elles discutent vite avec Madame Mullins, gentille Madame Mullins. Vieille aussi, trop pour comprendre, mais vraiment gentille, et contente pour moi, pour la grande nouvelle ; mon mariage : « mon dieu Sun tu as grandis tellement vite ma petite », mais je n'ai encore que 18 ans et je n'ai encore rien découvert du monde.
Je la connais bien, Madame Mullins, depuis que je suis toute petite ; une vieille amie de grand-mère ; le monde est petit, il paraîtrait. Elle m'a toujours offert des bonbons et des chocolats en cachette derrière le dos de mes parents, et je souris quand elle me tend encore un caramel dès que Lucie et Victoire se tournent vers les robes. Je refuse gentiment ; pas très faim mais merci beaucoup. Oh tant pis, dis moi si tu changes d'avis, et elle le range. Tous les jours on allaient à l'église, tous les jours elle se trouvait là, au premier rang, Madame Mullins, les mains croisées, entrain de prier pour son mari décédé. Je crois qu'elle a toujours tenue cette boutique de mariée ; passionnée de ce qu'elle fait. Et elle m'a toujours connue, aussi, et c'est peut-être pour cela que j'espérais au fond de moi, qu'elle remarque, rien qu'un petit peu, que quelque chose n'allait pas.
Ça n'aurait rien changé, mais au moins quelqu'un aurait vu, quelqu'un ne se serait pas laissé berné. Une futur mariée c'est heureuse, ça sourit. Moi, aujourd'hui, je semblais être en phase terminale d'une vieille maladie qu'on appelait la famille. Alors non, la gentille Madame Mullins s'est contentée d'être heureuse pour moi, pour nous, les Hopkins, même pour Gabriel qu'elle ne connaissait pas. Elle m'a félicitée un milliard de fois, et je n'ai pas souris, rien dis, pas même remercié, même si au fond je m'en voulais. Je me suis pris un coup de coude de la part de ma mère. Quant à elle, ma mère, a fait faire sa robe de mariage ici sur mesure, ainsi que Victoire.
Aujourd'hui, c'est à mon tour. Elles ont choisies des robes, simples, bien sûr, et des robes qui remontent jusqu'au cou, sans dentelle , pour cacher les marques, les cicatrices, tout ce qui n'est pas censé être là, se voir et se savoir. Je sors de la cabine d'essayage après ma mère, la mine frustrée, colérique, décidée à ne faire aucun effort aujourd'hui ; pas envie, de toute façon, effort ou pas, cela tombe, alors autant attendre patiemment sans faire semblant. Madame Mullins a été étonnée quand ma mère lui a dit non pour rentrer, pour m'aider à enfiler cette fichue robe blanche, celle qui représente la pureté, fichue virginité. Mais elle ne devait pas voir, évidemment qu'elle ne devait pas voir, on garde tout secret, et heureusement, sinon qu'est-ce que tous diraient ? Le rideau s'est fermé devant le visage de la vieille femme, aussi brusquement que la nuit était tombée hier soir.
-Cette robe te vas parfaitement, elle est magnifique.
Un bout de tissus blanc. Rien que cela, un bout de tissus blanc, droit, pas d'allure, rien, qu'un drap.
-Je n'aime pas du tout.
Je hausse les épaules, remue la tête en me tournant devant le miroir.
-Non, je ne l'aime pas. J'en aime aucune.
Lucie s'impatiente, je le vois au talon de sa chaussure qui s'enfonce dans le beau tapis sur le sol. Mais elle ne prête pas vraiment attention à ce que je dis ; pourquoi commencer aujourd'hui, après tout ? Elle fait un signe à Victoire qui s'approche avec le voile, le fait passer derrière ma tête, passe derrière moi pour s'assurer que cela est bien mit, mais non. Alors elle réajuste, et je plonge mon regard dans le sien, dans le reflet du miroir, quand je sens les picots du voile s'enfoncer douloureusement dans mon crâne. Je serre les dents, l'impression de ma mâchoire qui part en avant comme Harry hier soir, peut-être l'envie inconsciente de lui ressembler, juste d'avoir son courage.
Ma mère ne prête aucune attention à cela, sourit presque de façon attendrit en regardant, en regardant Victoire, surtout. Je remonte ma main jusqu'à celle de ma s꼱ur, mais regarde à présent mes propres yeux dans le miroir. Je voudrais être la panthère noire. Déformer son sourire hypocrite et rayer son regard mauvais, ceux que les autres voient comme étant tout son charme, je crois que Victoire n'a jamais vraiment eu beaucoup de charme. Mes ongles se pressent tout à coup dans sa peau, et je sens ses phalanges s'écraser contre mes ongles.Je lui fais comprendre discrètement : ça commence à suffire Victoire maintenant. Je reporte mon attention sur son visage, la voit grimacer, souris de façon satisfaite.
Elle lâche un pleurnichement ; Lucie s'approche et je la lâche. Je me décale, enlève moi-même le voile, m'arrache quelques cheveux en même temps ; ce n'est pas grave. Je le pose fermement sur une petite table qui se trouve à disposition des clients. Je passe mes mains dans mes cheveux sous leurs regards menaçants, comme pour les décoiffer, les remettre comme je les aimes, moi. Victoire est furieuse, quand je me retourne, mais je rejoins ma cabine, lâche un « je n'aime pas cette robe et je ne la mettrais pas ». Je ferme sèchement les rideaux, moyen de mettre un peu de distance entre eux et moi, réalise cruellement à quel point cette journée me coûtera. J'entends quand même ma mère dire à Madame Mullins qu'on prend cette robe, Madame Mullins balbutier sans vraiment rien dire et s'éloigner vers la caisse. Eh oui, Madame Mullins, la vérité ne serait-elle pas compliquée à accepter ?
-Dépêche toi de te rhabiller, Sun. Il faut encore distribuer les faire-parts.
Je déchire presque le tissus de la robe en l'enlevant, retrouve ma respiration quand le corset ne me comprime plus la poitrine, douloureuse poitrine. Je prends une grosse bouffée d'air, mais l'air est chaud et étouffant dans cette cabine. Je me rhabille, me regarde un instant, repense à ces ridicules faire-parts qui feront de ce mariage quelque chose d'officiel et inévitable. « Les familles Hopkins et Hill ont l'honneur de vous convier au mariage de leurs enfants ; Sun Hopkins et Gabriel Hill afin qu'ils s'unissent devant Dieu entourés des personnes les aimants » ou quelque chose comme cela, enfin : blablabla. J'inspire, pose mon front contre le miroir froid.
Une petite tâche de buée commence à se former dessus, et je me dis que j'aurai préféré qu'elle se forme hier soir, dans la voiture, à cause d'une respiration saccadée sous les baisers d'Harry, sous sa bouche charnue. J'aurai préféré que les mains s'écrasent sur les vitres, qu'on perde la notion du temps, qu'on s'abandonne tout simplement. J'aurai préféré sentir ses cheveux bouclés sous mon touché plutôt que de l'imaginer. Je m'écarte légèrement du miroir ; ne surtout pas y penser. Ça viendra, Sun. Ça viendra forcément.
« Quelle que soit la raison ou la peur, il faudra la surmonter »
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