Troisième partie
Durant tout le week-end où Gemma était avec nous, j'étais comme absent. J'étais là avec eux, ma mère, mon père, ma grande sœur, mais je n'étais pas réellement présent. Mon esprit était occupé ailleurs, il pensait à Louis et à sa maladie. Je ne connaissais pas la leucémie, seulement de nom, je savais que c'était un cancer du sang et que la chimiothérapie en était le traitement, mais j'ignorais ce que c'était exactement. J'avais envie de savoir ce qui n'allait pas dans le corps de Louis, j'avais besoin de comprendre. J'aurais pu regarder sur Internet mais Gemma était là et je savais qu'elle me répondrait mieux que si je cherchais sur le net. J'aurais pu demander à mon père mais il risquait de s'interroger et je n'en avais pas envie. Alors j'ai été voir ma soeur. Le dimanche après midi, pendant qu'elle refaisait sa valise à peine défaite, je me suis allongé sur son lit et je la regardais plier ses vêtements en lui posant des questions.
Elle m'a expliqué qu'une leucémie était un cancer de la moelle osseuse et que la moelle osseuse était ce qui créait nos cellules sanguines. Les globules rouges qui transportent l'oxygène dans notre corps, les globules blancs qui combattent les maladies et les infections, puis les plaquettes que je n'ai pas bien comprises. Elle m'a expliqué que quelqu'un qui était atteint d'une leucémie avait un nombre trop élevé de globules blancs et pas assez de globules rouges. Elle m'a expliqué pleins d'autres choses sur la maladie mais je ne l'ai pas réellement écouté. Pas entièrement. J'avais compris que quelque chose empoisonnait le sang de Louis et détruisait petit à petit chacun de ses organes, c'était suffisant. Je me rappelle ne pas avoir beaucoup dormi cette nuit-là. Je regardais les veines de mon poignet et je me demandais ce que l'on devait ressentir quand notre sang était empoisonné. Est-ce que Louis sentait le sang malade dans ses veines ? Est-ce que ça lui faisait mal ? Je me suis mis à penser à sa mort, à comment il allait mourir, puis je me suis mis à penser à ma propre mort, à la façon dont j'aimerais mourir et j'ai su que je ne voulais pas que ce soit comme ça. Je ne voulais pas mourir rongé de l'intérieur comme Louis et pour la première fois je me suis senti triste pour lui, parce que lui n'avait pas le choix.
Je lui avais dit que je viendrais alors je suis venu. La fois suivante, j'étais là. J'étais en retard, quand je suis arrivé il y avait une dame qui attendait dans la salle d'attente mais pas Louis, il était déjà dans le bureau. Je me suis assis sur une chaise et j'ai attendu moi aussi, je ne savais pas vraiment pourquoi j'étais venu, mais j'étais là. Il est sorti peu de temps après, seul encore une fois, ses parents discutaient encore avec mon père. Quand il m'a vu, la première chose qu'il m'a dit c'était qu'il ne pensait pas que j'allais venir. Je lui ai répondu que je tenais toujours mes promesses, il m'a répondu qu'il ne m'avait rien fait promettre. C'était tellement vexant que j'ai eu envie de partir, mais je ne l'ai pas fait, je suis resté. Il portait le même bonnet que les deux premières fois où je l'avais vu. Je me rappelle encore à quel point je me suis senti mal à l'aise quand j'ai réalisé de quelle façon la dame regardait Louis. Assise un peu plus loin, un magazine entre les mains, elle le fixait presque avec pitié et je crois que ça m'a fait mal pour lui. Je me souviens m'être dit que je ne supporterais pas qu'on me regarde comme ça. Mais pas Louis. Il l'avait vu lui aussi et sans prévenir il a retiré son bonnet et l'a salué comme on le fait avec un chapeau, avant de le remettre.
Ça l'amusait de faire ça, il faisait souvent ce genre de choses, c'était sa façon à lui de passer au dessus de la pitié des gens. Il était provocateur, c'était en lui, c'était plus fort que lui, il adorait provoquer. Il avait cette façon de faire, ce regard qui faisait que face à lui vous perdiez toute confiance, il déstabilisait les gens et il aimait ça. Seulement moi ce jour-là je n'étais pas prêt. Je n'étais pas prêt à ce qu'il retire son bonnet aussi brusquement. Je savais qu'il n'avait plus de cheveux, vu qu'il n'avait plus de cils, ni de sourcils, puis même sous le tissu épais cela se voyait, mais je n'étais pas préparé. C'était trop dur de voir son crâne lisse, j'en avais mal au ventre et il s'en est rendu compte parce que quand il a posé ses yeux sur moi, il a perdu son sourire. Il semblait tellement en colère que je n'ai plus osé parler, je n'ai plus rien dit. On est resté un long moment silencieux, il avait l'air de m'en vouloir et je ne comprenais pas pourquoi.
Quand mon père et les parents de Louis sont sortis du bureau, mon père était tellement surpris de me voir là que j'ai dû inventer une excuse vraiment nulle pour justifier ma présence. Je ne me rappelle pas ce que je lui ai dit, mais je me souviens qu'il ne m'a pas cru, même s'il n'a rien dit. Louis est parti sans un regard pour moi et je me suis senti en colère contre la dame derrière moi. C'était de sa faute tout ça, de sa faute à elle et à sa pitié.
Ce jour-là je me suis promis de ne jamais avoir pitié de Louis.
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