Seizième partie
Plus l'état de Louis se dégradait, plus il s'inquiétait pour moi. Je le comprenais, si j'avais été à sa place, moi aussi je me serais bien plus inquiété pour les gens que j'aimais, que pour moi-même. Mais si lui était inquiet pour moi, moi je ne voulais pas qu'il meurt, je ne voulais pas faire parti d'un monde où il ne serait plus là.
Je me suis souvent demandé, est-ce que j'aurais aimé Louis aussi fort s'il n'allait pas mourir ? S'il n'était pas malade, est-ce que nous serions tombés amoureux, ou est-ce que nous serions tout simplement devenus amis ? Si Louis n'avait pas eu son cancer nous ne nous serions jamais rencontrés. Je n'aurais jamais les réponses à toutes mes questions, mais ça n'a pas d'importance, j'ai rencontré Louis et je l'ai aimé.
Avant de partir Louis m'a fait faire tellement de promesses que je n'aurais pas assez d'une vie pour toutes les tenir. Il voulait s'assurer que je continue de vivre une fois qu'il serait parti. Même s'il ne me l'a jamais dit, je savais qu'il avait peur que je fasse une bêtise qui me permettrait de le rejoindre. Je mentirais si je disais que ça ne m'a jamais traversé l'esprit. Après son départ j'étais tellement malheureux que je n'avais plus envie d'être sur terre moi non plus, mais mon psychologue et ma famille m'ont aidé à franchir cette étape et surmonter cette épreuve.
J'ai promis des centaines de choses à Louis, certaines sans importance et d'autres qui comptaient vraiment. Je les ai toutes notées dans un carnet, tout comme nos messages, j'avais besoin de garder tout ce que je pouvais de lui.
Contre toute attente, Louis a eu droit à son dernier Noël, il respirait encore, il vivait encore. À partir du jour où j'ai appris que le Père Noël n'existait pas, j'avais cessé de croire en la magie des fêtes de fin d'année, mais Louis était vivant et c'était un miracle inespéré, je devais l'avouer. Il a pu passer cette soirée entouré de ses parents et de sa famille.
Les derniers jours sont arrivés très vite, trop vite. Son état s'est vraiment détérioré entre Noël et le Nouvel An. Personne ne pensait qu'il tiendrait jusqu'à la nouvelle année, mais Louis aimait nous donner tort. Nous étions le deux janvier, c'était un mardi, je m'en souviens parce qu'il neigeait ce jour-là pour la première fois de l'année. Les parents de Louis ont téléphoné à mes parents. Louis allait mal depuis plusieurs jours déjà, mais il m'avait promis de ne pas partir sans m'avoir dit au-revoir. J'étais dans ma chambre, j'essayais de le dessiner, je voulais avoir un souvenir visuel de lui, je ne voulais pas oublier son visage, je ne voulais pas oublier un jour qu'il avait existé. Par la suite, j'ai dessiné des centaines de portraits de Louis, de son visage, de ses mains, de tout ce dont je me souvenais de lui et que je ne voulais jamais effacer de ma mémoire. J'ai entendu le téléphone de la maison sonner, je me rappelle avoir regardé l'heure, 21h31 et avoir serré fort mon crayon dans ma main. J'ai écouté les pas de mon père se rapprocher de ma chambre, je les reconnaissais, ils étaient plus lourds que ceux de maman. Quand la porte s'est ouverte, j'avais peur de ce qu'il allait m'annoncer, j'avais peur que Louis ne soit plus là, qu'il n'ait pas réussi à m'attendre.
"Tu veux lui dire au-revoir ?"
Je savais qu'il essayait de rester fort devant moi, pour moi, mais je ne pourrais jamais oublier ce que j'ai vu dans ses yeux, c'était le regard d'un père qui se sentait totalement démuni face à la souffrance de son fils. Papa savait depuis le début que j'allais être malheureux et pour la première fois de sa vie, il n'avait pas le pouvoir de me soigner ou réconforter. J'ai hoché la tête, puis nous sommes partis. Pendant le trajet en voiture, je savais que maman retenait ses larmes. Moi je n'avais pas envie de pleurer, j'allais revoir Louis, je ne voulais pas réaliser que c'était pour la dernière fois.
Quand nous sommes arrivés, ses parents nous attendaient. À ce moment-là j'ai pensé que je ne pourrais jamais revoir des regards plus malheureux que les leurs de toute ma vie. Je suis descendu au sous-sol, seul, je me rappelle que j'avais mal au ventre en descendant les marches. Par moment j'ai l'impression que cette boule dans mon estomac que j'ai ressenti ce soir-là, n'est jamais partie, qu'elle ne m'a jamais quitté, qu'elle est toujours en moi. Louis était allongé dans le lit, il a souri quand il m'a vu.
"Tu vois, je t'ai attendu."
Contrairement à lui, je n'étais pas capable de sourire, ni même de parler, c'était trop douloureux. Je ne voulais pas que Louis fasse semblant d'être fort ce soir-là. Il allait mourir, pas dans deux mois, pas dans trois mois, pas dans cinq mois, maintenant, dans peu de temps. Il n'avait plus à faire semblant que tout allait bien, car rien dans notre monde à tous les deux, ne pouvait aller plus mal. Il a tendu sa main vers moi, je l'ai prise dans la mienne, elle était faible, autant que lui l'était.
"Viens..."
Je me suis allongé contre lui, j'avais peur de lui faire mal, mais je crois qu'il était tellement submergé par la douleur, qu'il ne la ressentait plus, les médecins le soulageaient autant qu'ils le pouvaient. Il a passé une main dans mes cheveux et joué avec l'une de mes boucles.
"Je t'en aurais voulu si tu l'avais fait."
Je savais de quoi il parlait. Un jour j'avais voulu me raser la tête. Je voulais comprendre ce que ressentais Louis face au regard des gens, face à lui-même, je voulais me sentir plus proche de lui, son cancer nous séparait, je ne voulais pas qu'il nous éloigne. C'était stupide, je le réalise maintenant, ne plus avoir de cheveux ne m'aurait pas permis de comprendre ce qu'il pouvait ressentir. Je n'étais pas malade, je n'allais pas mourir, je ne pouvais pas ressentir la même chose que lui.
Ce jour-là nous devions passer l'après-midi tous les deux, ses parents l'avaient déposé à la maison un peu plus tôt que prévu. Il était rentré dans la salle bain quand j'étais en train d'allumer la tondeuse.
"Mais qu'est-ce que tu fous ???"
Il me l'avait arraché des mains sans douceur. Je n'avais pas osé lui répondre, j'avais bien trop honte de lui avouer que je voulais vivre ce qu'il vivait. Il l'avait compris et j'avais vu dans ses yeux à quel point c'était idiot.
Louis ne voulait pas partager son cancer avec moi.
Il aimait savoir que j'avais toute la vie devant moi, il aimait savoir que je n'avais rien dans mon sang qui m'empoisonnait lentement. Il m'avait dit une fois que la vie était injuste pour lui, mais que je ne devais pas la laisser l'être pour moi. Louis aimait la vie, et il voulait que je l'aime moi aussi. Il disait que tant que je vivrai, une partie de lui vivra à tout jamais à travers moi. C'était dur à accepter car je ne voulais pas vivre pour nous deux, je voulais vivre avec lui.
Je me rappelle avoir chassé ce souvenir de mon esprit, je ne voulais pas perdre une seule seconde de mes derniers instants avec Louis. J'ai relevé les yeux vers lui, il y avait tellement de choses que j'aurais aimé lui dire, que j'aurais aimé lui avouer. J'avais tellement de choses sur le cœur que ça m'opprimait la poitrine, pourtant j'étais incapable de parler. C'était la dernière fois que je le voyais et tous les mots étaient coincés en moi.
Il l'avait compris, Louis me comprenait seulement à travers mon regard.
Nous sommes restés silencieux un long moment, je réalise maintenant que c'était notre façon à nous de nous dire au-revoir, être auprès l'un de l'autre, sans mots. Qu'est-ce que nous aurions pu dire ? Tout en moi lui hurlait de ne pas mourir et tout en lui hurlait qu'il ne voulait pas partir.
Je suis resté blotti dans ses bras, ma joue posée sur sa poitrine, à écouter son cœur. Je savais que bientôt il ne battrait plus. Je m'étais interdit de pleurer, je ne voulais pas que Louis sache à quel point j'avais mal, à quel point je souffrais. Il avait toujours été plus fort que moi face à tout ça, pourtant ce soir-là c'est lui qui a craqué. Il a fondu en larmes, il a murmuré qu'il ne voulait pas mourir. J'ai senti mon cœur se briser. Ce n'était pas une image, à l'intérieur de moi quelque chose s'est réellement fendu et à ce moment-là j'ai su que rien, ni personne au monde, ne pourrait réparer ça.
"Je ne veux pas mourir."
Cette phrase, la détresse dans sa voix quand il a prononcé ces mots, ils étaient étouffé par les larmes, je ne pourrais jamais oublier. Il y avait tellement de souffrance dans ses pleurs, que j'ai eu l'impression qu'un gouffre s'ouvrait tout autour de nous, un gouffre de tristesse tellement grand qu'il nous avalait tous les deux. Il s'est raccroché à moi aussi fort qu'il le pouvait, comme s'il cherchait à se raccrocher la vie.
Je ne pouvais rien faire pour l'aider, je ne pouvais rien dire pour l'apaiser. Je l'ai serré contre moi, moi aussi, je ne voulais plus le lâcher car je savais que quand je le ferai, il disparaitrait pour toujours.
Ce soir-là c'était la première fois que je voyais Louis pleurer, c'était vraiment difficile. Louis avait toujours été fort, j'avais conscience que ce n'était qu'une façade car personne ne peut rester fort quand il sait qu'il va mourir. Mais à ce moment précis, j'ai vu tous les murs qu'il avait construit pour se protéger, s'effondrer un à un.
Si je l'avais pu, j'aurais tout fait pour sauver Louis.
Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés tous les deux allongés dans ce lit, le soleil commençait à se lever. Louis ne pleurait plus, mais il était épuisé, ses yeux peinaient à rester ouverts.
"Je vais y aller..."
Je ne voulais pas partir et je savais qu'il ne me dirait jamais de le faire car lui non plus ne voulait pas que je m'en aille, mais il avait besoin de se reposer. Il avait besoin de force pour rester encore un peu auprès de ses parents, pour pouvoir leur dire au-revoir à eux aussi. Il a hoché la tête, je me suis redressé, je tenais toujours sa main dans la mienne. Je me rappelle encore de ma voix tremblante quand j'ai murmuré :
"À demain ?..."
Il a secoué la tête.
"Non Harry, à dans très longtemps."
Je venais de dire à dieu à Louis, la douleur que je ressentais à l'intérieur de moi était si forte que j'avais le sentiment d'être en train de mourir moi aussi.
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