Neuvième partie

SMS à Harry : J'ai envie de te voir.

SMS à Louis : On se voit dans neuf jours.

SMS à Harry : Tu n'as pas compris, je n'ai pas envie d'attendre neuf jours pour te voir.

C'est comme ça que Louis et moi nous avons commencé à nous voir entre ses rendez-vous chez mon père. Parce qu'il en avait envie. Je ne savais pas si moi j'en avais envie, mais je savais qu'il allait mourir et je crois que je voulais profiter de lui avant que cela n'arrive.

Nous étions mi-août, j'allais chez Louis presque tous les jours. Je n'avais pas le droit de monter dans sa chambre, pas parce que c'était une chambre stérilisée ou autre, il n'en était pas encore à ce stade, mais parce qu'il ne voulait pas que je la voie. Il y avait tellement de matériel médical dedans qu'il disait que ce n'était plus sa chambre depuis longtemps, mais seulement l'endroit où il dormait. Ses parents avaient emménagé une partie du sous-sol rien que pour lui, ils l'avaient transformé en une salle de jeux. Il y avait des statues de supers-héros car Louis en était fan depuis toujours, un grand écran avec plusieurs consoles, un billard, un jeu de fléchettes et un canapé pour qu'il puisse s'allonger quand il était fatigué. Nous y passions tout notre temps. Il adorait jouer à Fifa, moi j'étais nul. Il m'a dit qu'avant d'être malade il jouait au foot dans l'équipe de son lycée. Il me parlait rarement de sa vie d'avant, je crois que le football lui manquait.

La mère de Louis ne travaillait pas, elle avait cessé quand il était tombé malade pour s'occuper de lui. Elle était tout le temps sur son dos. Je savais que parfois cela agaçait Louis, je le voyais sur son visage, mais il ne disait jamais rien. Il avait conscience que sa mère avait besoin de prendre soin de lui, c'était sa façon à elle de surmonter ce drame qui touchait son fils, et de lui montrer qu'elle l'aimait.

Louis était malade, je savais qu'il avait un traitement, c'était une évidence. Je savais aussi qu'il faisait ses séances de chimiothérapie chez lui, tout comme je savais que c'était une perfusion. J'avais même entendu le goutte à goutte au téléphone. Mais je ne pensais pas que j'y assisterais un jour. Louis était en bas, dans le sous-sol, allongé sur son canapé, un fil se dirigeait vers son corps, mais je ne voyais rien sur ses bras. Je me rappelle que sur le moment je n'avais pas compris. Je me suis figé au bas des escaliers et je crois que je suis devenu encore plus blanc que lui ne l'était à cause de sa maladie. Écouter ce bruit à travers mon téléphone portable c'était difficile, mais le voir de mes propres yeux était insupportable.

J'ai regardé Louis, il me regardait aussi, c'est à ce moment-là que j'ai réalisé que je tenais à lui. Le voir aussi mal était une épreuve pour moi et pour la première fois j'ai souhaité être à sa place. J'ai souhaité de toutes mes forces que Louis me donne son cancer. C'était tellement dur que je n'avais qu'une envie : partir en courant et oublier son existence. Je ne pouvais pas prendre sa maladie, je ne pouvais rien faire pour lui et je n'avais pas envie de le regarder souffrir, impuissant. Louis a compris dans mon regard que je voulais partir car il a tourné la tête, mais j'avais vu dans ses yeux à quel point ça lui faisait de la peine. Je n'ai pas eu la force de m'en aller. Je me suis approché de lui avant de m'asseoir par terre, juste à côté du pied roulant de la perfusion.

"Fais pas cette tête d'enterrement, c'est juste une perfusion."

Je savais qu'il disait ça pour détendre l'atmosphère, sauf que moi je n'avais pas envie de rire. Je réalisais réellement pour la première fois que Louis était malade. Je savais qu'il l'était bien sûr, mais ce jour-là c'était différent. Tout devenait réel, tout devenait concret. On était en train de lui injecter un produit pour qu'il meurt moins vite. Louis était malade et il allait mourir. Je n'avais pas envie d'entendre ses blagues et son humour douteux à ce moment-là. J'avais envie de pleurer et ça se voyait dans mes yeux, ils étaient remplis de larmes.

"C'est pas drôle Louis."

Il a soupiré, résigné.

"Je sais."

Nous sommes restés un long moment silencieux, puis il a vu que je suivais le fil de la perfusion des yeux, que j'étais perdu. Il a délicatement écarté le col de son t-shirt.

"C'est là."

Je ne voyais pas très bien, car l'aiguille était protégée par un pansement mais je devinais une bosse sous sa peau. Je me rappelle avoir demandé d'une voix hésitante :

"Qu'est-ce que c'est ?...

- Un petit boîtier, pour éviter de me piquer dans les veines à chaque fois.

- Comment ça s'appelle ?

- Tu n'as pas besoin de savoir."

Louis n'aimait pas me parler de tout ce qui entourait sa maladie, il n'aimait pas l'idée que j'apprenne des choses à propos du cancer. Il disait qu'il ne voulait pas que j'ai tous ces mots dans ma tête, il ne voulait pas que je connaisse des termes médicaux qu'il jugeait trop durs. Je n'ai pas insisté, le soir en cherchant sur internet j'ai découvert que cela s'appelait "une chambre implantable". J'ai regardé des photos et même des vidéos, c'était plus fort que moi. Je me rappelle avoir eu mal au ventre, Louis avait raison, moi non plus je n'avais pas envie de connaître tout ça, je n'avais pas envie d'avoir tous ces mots et toutes ces images dans mon esprit. Pourtant je ne pouvais pas m'en empêcher, j'avais besoin de comprendre tout ce qu'il arrivait au corps de Louis.

Je suis resté un long moment à regarder cette petite bosse sous sa peau, puis j'ai murmuré doucement :

"Est-ce-que ça fait mal ?..."

Il a haussé les épaules, je savais que ça voulait dire oui.

"Non."

Et pour la première fois j'ai craqué, assis en tailleur par terre sur son tapis, je me suis à pleurer. Il a tendu sa main vers moi.

"Viens..."

Il m'a attiré à lui, je me suis allongé contre lui très doucement parce que j'avais peur de lui faire mal. J'ai pleuré dans ses bras pendant qu'il me caressait les cheveux en me chuchotant des mots rassurants et réconfortants. Il me disait que tout allait bien se passer, mais il avait tort, rien n'allait bien se passer. Je venais de réaliser que j'avais des sentiments pour lui, des sentiments que je ne comprenais pas et qui m'effrayaient.

Je n'ai jamais voulu tomber amoureux de Louis, c'est arrivé comme ça, comme sa maladie, sans prévenir. Je n'ai pas eu le choix, comme lui n'a pas eu le choix de mourir.

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