Épilogue
Musique : Ron Pope - A Drop In The Ocean
Louis nous a quitté il y a cinq ans maintenant, pourtant il ne se passe pas une seule journée sans que je ne pense à lui. Il fait parti de moi, j'ai grandi à travers lui et à travers son souvenir. J'avais seize ans à l'époque où je l'ai rencontré, à ce moment-là j'étais loin d'imaginer tout l'impact qu'il allait avoir sur ma vie.
Sa perte a été l'épreuve la plus douloureuse que j'ai eu à traverser et j'ai longtemps cru que je ne m'en relèverais jamais. J'étais malheureux et le manque que j'avais de lui était si fort qu'il me détruisait de l'intérieur. J'ai conscience qu'il n'y a pas d'âge pour être en deuil, mais j'étais trop jeune, je ne comprenais pas toutes ces émotions que je ressentais et qui me faisaient mal. Je n'arrivais pas à accepter son départ, je n'acceptais pas qu'il ne soit plus là. J'en voulais à la terre entière car si seize ans était trop jeune pour être en deuil, dix-sept ans l'était bien plus encore pour mourir. Je voulais qu'il revienne, qu'on me le rende. Louis me manquait et je ne savais pas comment surmonter ça.
Tous ces moments restent assez flous dans ma mémoire, je crois que mon esprit ne voulait pas en garder trop de souvenirs pour me préserver et me protéger. Mais je me souviens que durant cette période je ne voulais plus de ma vie, je ne voulais plus être moi. Je savais qu'il y avait des gens plus malheureux que moi dans le monde, mais si je l'avais pu, j'aurais échangé ma place avec n'importe qui d'autre pour ne plus ressentir ce que je ressentais. J'aurais donné tout ce que j'avais pour ne plus souffrir. C'était trop dur, je n'arrivais pas à supporter cette douleur.
Je me sentais tellement en colère, tout le temps, que ça m'étouffait. Parfois le soir, allongé dans mon lit, j'avais le sentiment de ne plus pouvoir respirer, j'essayais de toutes mes forces, mais l'air refusait de rentrer dans mes poumons. Quand Louis était vivant, j'en voulais à la terre entière de lui faire subir toute cette souffrance, mais ce n'était rien comparé à ce que j'ai ressenti après son départ.
Louis ne voulait pas mourir et je n'avais rien pu faire pour l'aider. Savoir que j'avais été impuissant, savoir qu'il n'était plus là pour vivre alors que c'est ce qu'il souhaitait de tout son être, m'opprimait la poitrine. Je ressentais une frustration étouffante dont j'étais incapable de me débarrasser. J'avais le sentiment de vivre une injustice, une injustice que m'avait imposée la vie.
J'étais anéanti.
Pendant un an je me suis totalement refermé sur moi-même. Je n'exprimais jamais ma colère, ni ma peine, ni tout ce que je ressentais. Je pleurais uniquement quand j'étais seul, je ne m'énervais jamais, je n'étais pas violent, je gardais tout à l'intérieur de moi, j'enfouissais tout. Même si j'avais le sentiment d'imploser, je ne parlais pas, je ne disais rien, je pensais que personne ne pouvait comprendre ce que je ressentais car je ne le comprenais pas moi-même.
Je réalise aujourd'hui que si j'avais réussi à me confier avant, j'aurais peut être souffert un peu moins fort et un peu moins longtemps.
À ce moment-là j'avais l'impression que ma vie était finie, qu'elle s'était éteinte en même temps que celle de Louis. Je m'en voulais de ressentir ce que je ressentais. Je pensais à ses parents, ils devaient souffrir bien plus que moi, pourtant ils restaient forts, ils continuaient de vivre, du moins ils essayaient du mieux qu'ils le pouvaient. Je ne voulais pas être malheureux comme je l'étais, je ne m'enfermais pas dans ma tristesse volontairement. Je m'en voulais d'être comme ça. Je n'avais pas connu Louis longtemps, son passage dans ma vie avait été court, seulement quelques mois, j'avais le sentiment que ce que je ressentais n'était pas légitime, que je n'étais pas censé souffrir autant et pendant aussi longtemps.
C'était dur, car en plus de tout ce que j'éprouvais, je me sentais coupable. Je culpabilisais d'être malheureux et ça me rendait encore plus malheureux. J'avais l'impression d'être enfermé dans un cercle vicieux et je ne savais pas comment m'en sortir.
Un an c'est vraiment très long quand on est malheureux.
Avant de partir Louis m'avait fait promettre de ne pas me servir de sa mort comme d'une excuse pour ne plus vivre. C'est en me rappelant ces mots que j'ai réalisé que c'est exactement ce que je faisais, sans le vouloir bien sûr. Inconsciemment, après son départ j'ai cessé de vivre. Ce n'était pas bien, j'avais le droit d'être malheureux, mais je n'avais pas le droit de baisser les bras comme je le faisais.
Me rappeler de cette promesse, m'a fait prendre conscience que je ne pouvais pas continuer comme ça. Il fallait que je me reprenne, que je sorte de cette dépression dans laquelle j'étais tombé et dont je n'avais pas conscience à cette époque là. Si Louis n'était plus là, la vie, elle, continuait, la mienne devait continuer aussi.
Ce sont les derniers mots de Louis qui m'ont donné la force de vouloir m'en sortir.
« Je ne veux pas mourir. »
Louis ne voulait pas mourir et moi j'étais encore vivant, je me devais de vivre pour lui. Ça avait du sens pour moi, un sens auquel je me suis raccroché pour sortir de ma peine. Je voulais vivre la vie dont Louis avait été injustement privé, je le lui devais. Pendant longtemps penser à lui était une souffrance pour moi, de lui, de nous, de tout ce que l'on avait vécu, je n'en gardais que la tristesse et la peine de l'avoir perdu. Je voulais que cela change, il m'avait tant apporté que je refusais de ternir sa mémoire en ne gardant en souvenir que la douleur de son départ. Louis méritait mieux que ça.
Mes parents, ma sœur et mon psychologue m'ont beaucoup aidé. Ma famille était présente et leur soutien a vraiment compté pour moi. Mon psychologue m'avait conseillé de m'inscrire dans un groupe de parole. Si au début j'étais réticent, je dois reconnaître qu'écouter des gens raconter leur histoire m'a fait du bien. Nous traversions tous des situations à peu près similaires et ça m'a aidé de savoir que je n'étais pas seul à ressentir tout ce que je ressentais.
J'ai commencé à aller mieux à partir du moment où j'ai pris conscience que j'avais besoin d'aide, que je ne pouvais pas m'en sortir tout seul. J'ai eu besoin de temps, tout ne s'est pas arrangé du jour au lendemain, mais lentement j'ai réussi à me relever, à sortir de ma dépression et de mon deuil. J'étais toujours triste bien sûr, et je savais que cette tristesse ferait toujours partie de moi, mais au fil des séances avec mon psychologue et grâce aux diverses expériences des personnes de mon groupe de soutien, j'ai compris que je devais apprendre à vivre avec l'absence de Louis.
Pendant une année entière je m'étais trop enfermé dans ma peine, je m'étais trop isolé pour entendre quand mes proches me disaient qu'avec le temps, la douleur que je ressentais allait s'atténuer. Je ne sais pas si l'on peut vraiment accepter la perte d'une personne qu'on a aimée, je ne crois pas que le temps ait réellement le pouvoir de guérir les blessures, mais ils avaient raison, grâce à lui le manque que j'avais de Louis est devenu un peu plus supportable. Il était toujours là bien entendu, mais il était moins douloureux, moins étouffant et quand je pensais à lui, j'arrivais à respirer.
Quand Louis est parti il a emporté une part de moi avec lui. Quand je lui ai dit au-revoir ce soir-là, chez ses parents, dans son sous-sol, j'ai senti quelque chose se briser en moi, cinq ans après cette fissure est toujours là et je sais qu'elle ne disparaîtra jamais. Une partie de moi appartient à Louis et lui appartiendra toute ma vie.
Il a été présent dans chacune des étapes que j'ai eu à franchir, dans chaque moment important, également dans ceux qui pouvaient sembler insignifiants mais qui comptaient pour moi. Il était dans mon cœur et dans mes souvenirs. Ses parents étaient là eux aussi. Après son départ, papa et maman sont restés proches d'eux, ils les ont beaucoup soutenu. Je sais que ça aurait compté pour Louis de savoir qu'ils n'étaient pas seuls pour traverser cette épreuve, en dehors du soutient de leur famille.
Moi aussi j'aurais aimé pouvoir les soutenir, mais au début je n'en étais pas capable. Quand j'étais à leurs côtés j'avais le sentiment de leur faire de la peine. J'avais conscience que je représentais tout ce qu'ils avaient perdu, j'avais presque le même âge que Louis. Quand j'ai passé mon diplôme, quand j'ai eu mon permis de conduire, ou encore à chacun de mes anniversaires, je savais qu'ils voyaient leur fils à travers moi et que c'était difficile pour eux. Louis aussi aurait dû avoir la chance de pouvoir passer son diplôme, son permis de conduire, avoir dix-huit ans un jour. Ses parents auraient dû voir leur fils grandir, mais la vie, le cancer, leur avait cruellement enlevé ça. Je ne voulais pas leur imposer ma présence, je ne voulais pas qu'ils souffrent encore plus à cause de moi. Je me rappelle de leurs regards le soir où j'ai dit au-revoir à Louis, je me souviens avoir pensé que je n'avais jamais vu des yeux aussi malheureux de toute ma vie. Même après toutes ces années, leurs regards ont toujours la même tristesse. Je ne voulais pas leur faire plus de mal. Je crois que la mère de Louis avait compris ce que je ressentais car un soir, alors qu'ils dînaient à la maison, elle est venue me voir dans ma chambre. Elle m'a dit tous les mots que j'avais besoin d'entendre, elle a su me rassurer. C'était une mère extraordinaire, qui trouvait toujours les mots justes, des mots de maman. Je comprenais pourquoi Louis l'aimait autant et moi j'étais heureux qu'elle fasse partie de ma vie, son père aussi, qu'ils fassent tous les deux partie de ma vie.
J'ai vingt-et-un an aujourd'hui, j'ai grandi à travers le souvenir de Louis, grâce à lui. Le perdre a été très dur et cela m'a rendu vraiment malheureux, mais je préfère ça que de ne jamais l'avoir connu. Je ne sais pas si Louis était mon âme sœur, je ne sais pas si les âmes sœurs existent réellement, mais je crois du plus profond de mon être que ma rencontre avec lui n'était pas un hasard. Il y a des personnes qui changent le cours de notre vie à tout jamais, c'est ce qu'il a fait pour moi sans le savoir, Louis a changé ma vie, il l'a entièrement bouleversé.
L'avoir rencontré était la plus belle chose qu'il pouvait m'arriver. À travers sa mort, Louis m'a appris à aimer la vie. Avant de le connaître je n'avais pas réalisé la chance que j'avais de pouvoir vivre sans avoir peur du lendemain. Avec le recul, je réalise aujourd'hui que j'étais un adolescent renfermé et seul, je ne détestais pas la vie, je ne l'aimais pas non plus, je vivais simplement parce que j'étais là et que c'était ce que je devais faire. Par moment j'avais juste le sentiment de subir ma présence dans ce monde, Louis a changé ça.
Je ne sais pas s'il a donné un but à ma vie, mais il lui a donné un sens et surtout il m'a appris à l'aimer. Louis aimait la vie, et je me disais que si lui l'aimer autant, alors moi aussi je pouvais apprendre à l'aimer. D'une certaine façon, il a fait de moi la personne que je suis aujourd'hui, il m'a aidé à me construire.
Louis me manque encore souvent. Parfois quand je ferme les yeux très fort, j'arrive à sentir sa présence, à sentir sa main qui tient la mienne, ses doigts qui enlacent les miens. J'ai conscience que tout cela peut sembler triste, mais ce n'est pas le cas. Louis est une partie de moi que j'ai appris à chérir comme quelque chose de précieux.
Chaque jour de ma vie j'avance, chaque jour je grandis et chaque jour je deviens plus fort. J'ignore si c'est à cause de Louis ou grâce à lui, mais il m'a permis de trouver ma voie. J'ai décidé de devenir psychologue. Après avoir tant souffert, j'ai réalisé que je voulais aider les autres comme moi j'ai été aidé. Je veux devenir quelqu'un de bien, je veux être une bonne personne, mais surtout je veux que mon passage dans ce monde ait un sens.
Même s'il ne me l'a jamais dit, je savais que Louis avait peur de l'oubli, il avait peur qu'en quittant ce monde, il disparaisse de nos esprits et de nos vies, comme s'il n'avait jamais existé. Je crois qu'il n'avait pas conscience qu'il était le genre de personne qu'on ne peut pas oublier. Jamais.
Je ne sais pas s'il peut me voir de l'endroit où il se trouve, mais je sais qu'il veille sur moi de là-haut. Tous les mercredis après-midi je mange une glace, c'est un moment que je partage avec lui même s'il n'est plus là. J'espère qu'il est fier de moi, et fier de voir que j'essaie de tenir toutes les promesses que je lui ai faites.
Il avait raison, tant que je vivrai une part de lui vivra à tout jamais à travers moi.
Winston Churchill a dit un jour : "Si vous traversez l'enfer, continuez d'avancer." Je ne sais pas si je peux dire que j'ai réellement traversé l'enfer, mais je continue d'avancer chaque jour. La vie est un chemin, court pour certaines personnes, comme Louis, long pour d'autres. Je ne sais pas quand le mien s'arrêtera, je ne sais pas de quoi ma vie sera faite, mais mon destin est entre mes mains et grâce à Louis j'ai pris conscience que j'avais envie de vivre. Pour lui, pour moi.
À dans très longtemps Louis, je te l'ai promis.
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