Chapitre 29
Alors qu'Adrien prend une profonde inspiration pour tenter de mieux contrôler cette sensation de malaise qui lui retourne lentement l'estomac, Gabriel poursuit son discours.
Son récit est clair et concis alors qu'il omet volontairement de décrire avec trop de précision les douloureux évènements de cette terrible journée. Cette froideur clinique et ces détails qu'il passe sous silence ne font que rendre son histoire plus terrifiante encore, mais nul dans son auditoire ne songe à l'interrompre pour lui en faire la remarque.
D'une voix qu'il peine à contrôler à présent, l'ancien héros décrit ce combat aux allures de guerre fratricide.
La violence.
Les coups.
Les corps projetés sur plusieurs mètres par des attaques déployées avec une force surhumaine, les bâtiments fragilisés par des chocs d'une intensité folle.
Et, finalement, l'irréparable.
Cette vie à laquelle il tenait plus que la sienne et qui lui a été arrachée en une fraction de seconde à peine.
« C'était un accident », lâche Gabriel dans un souffle tout juste audible. « Alexandre voulait les miraculous du Chat Noir et de la Coccinelle, mais jamais il n'a eu l'intention de faire quoi que ce soit à Émilie, j'en suis sûr. Il l'estimait beaucoup. Mais quand ce pont s'est écroulé... »
Incapable de poursuivre, le styliste s'interrompt brusquement.
Figé d'horreur, Adrien peine encore à réaliser pleinement ce qu'il vient de découvrir. Son cerveau reste paralysé, comme prisonnier d'une terrifiante transe, tant son esprit répugne encore à prendre toute la mesure de l'atrocité de la situation.
Il avait beau s'attendre à une issue tragique, cette terrible révélation lui fait l'effet d'un coup de poing dans l'estomac.
Sa gorge se noue d'émotion, sa respiration se fait laborieuse et ses doigts se serrent mécaniquement autour de ceux de sa coéquipière. Mais malgré tout, rien ne saurait le détourner du récit de son père, aussi difficile à entendre soit-il.
Dans le silence horrifié qui plane dans la pièce, Gabriel résume brièvement la fin de cet affrontement cauchemardesque.
Émilie morte, lui-même grièvement blessé au dos, impossible d'empêcher Alexandre de fuir le lieu de l'affrontement – en emportant avec lui le miraculous du Papillon, arraché à sa porteuse légitime dans les dernières secondes avant le drame, souligne le styliste avec amertume.
Pour Gabriel, l'issue du combat n'aurait pas pu être plus cruelle.
Certes, par leur intervention, Émilie et lui ont permit à Maître Fu de fuir son ancien protégé, et ainsi évité qu'Alexandre ne mette la main sur ce pouvoir absolu après lequel il court toujours aujourd'hui.
Mais jamais il n'aurait été prêt à payer un pareil prix pour ce qu'il considère encore comme la plus atroce défaite de toute son existence.
Jamais.
La voix de Gabriel se fait froide et clinique alors que ce dernier refoule ses émotions un peu plus loin encore.
Ce jour funeste a sonné le glas de sa vie d'époux, poursuit-il avec un détachement presque effrayant, et ouvert un nouveau chapitre de secrets et de mensonges.
Mensonges, dont le premier était et est encore aujourd'hui le plus cruel de tous à ses yeux.
Privé de la possibilité d'expliquer au monde les réelles circonstances du décès de la femme extraordinaire qu'était Émilie, Gabriel s'est vu contraint de travestir la vérité et de trahir la mémoire de celle qu'il aimait tant. Alors que son univers s'écroulait autour de lui, alors que tout n'était plus qu'horreur et douleur, alors qu'il aurait voulu que chacun sache qu'Émilie était tombée en se battant pour ce en quoi elle croyait tant, le célèbre styliste explique ne pas avoir eu d'autre choix que de mentir.
Pour protéger les miraculous.
Pour rester fidèle à sa mission.
Pour rendre un ultime hommage à Émilie, qui, il le sait, n'aurait pas voulu qu'il agisse différemment.
Alors, faisant fi de son besoin viscéral de hurler au monde ô combien Émilie méritait mille hommages pour l'abnégation et le courage dont elle a fait preuve dans les derniers instants, Gabriel s'est tu. Il raconte à son auditoire mi-fasciné mi-horrifié s'être inventé un dramatique accident de voiture, lequel justifie depuis lors la tragique disparition de son épouse et ces terribles blessures qui l'ont lui-même laissé la colonne vertébrale brisée.
Une prétendue fin on ne peut plus banale pour une héroïne de l'ombre qui aurait plus que quiconque mérité un monument érigé à sa gloire, glisse-t-il sans réussir à s'empêcher de laisser transparaître un indéniable mélange d'aigreur et de chagrin.
Ce jour funeste a sonné le glas de sa vie d'époux, reprend-il rapidement, manifestement peu désireux de s'attarder plus longtemps sur ces tragiques évènements, mais aussi celui de sa vie de héros.
Désormais, pour lui, plus de coéquipiers.
Plus d'envie de retourner un jour sur le champ de bataille.
Et surtout, plus de corps capable de supporter toutes les contraintes auxquelles un porteur de miraculous se doit de faire face.
En effet, si ces terribles blessures dont il subit encore les séquelles aujourd'hui ne l'handicapent pas trop au quotidien, elles l'empêchent définitivement& de pouvoir un jour endosser de nouveau son rôle de protecteur de Paris.
« J'ai eu la colonne vertébrale brisée en plusieurs endroits », énumère froidement Gabriel, ravivant dans la mémoire d'Adrien le souvenir de la longue période de convalescence qui a effectivement cloué son père de longues semaines dans un lit d'hôpital. « Des côtes cassées, un poumon perforé... Après ça, difficile de continuer à jouer les héros », conclut-il d'un ton sec.
L'illustre styliste marque une légère pause puis, pour la première fois depuis de longues minutes, s'éloigne enfin de la fenêtre pour se tourner vers ses invités. Il laisse courir son regard sur la pièce, sans paraître troublé par l'horreur et la compassion qui se lisent désormais sur les traits de son fils, de Marinette, de Tom et de Sabine.
« Alexandre ne s'est pas non plus sorti indemne de notre affrontement », reprend-il platement. « J'imagine qu'il lui a fallu un moment pour se remettre de ses blessures et pour pouvoir tenter de s'en prendre de nouveau à Maître Fu. Quant au fait qu'il ait décidé d'utiliser le miraculous du Papillon plutôt que son propre miraculous... »
Le regard de Gabriel croise brièvement celui de Maître Fu, avant de se poser sur Adrien et Marinette.
« Sur ce dernier point, je ne peux que faire des suppositions », leur annonce-t-il d'emblée, « mais je ne pense pas être loin de la vérité. »
Alors que, suspendus à ses lèvres, les deux héros hochent machinalement la tête en signe d'assentiment, Gabriel poursuit ses explications.
« Avec sa maladie, le temps est le plus grand ennemi d'Alexandre », continue-t-il sans laisser transparaître le moindre sentiment. « Ses capacités physiques commençaient déjà à décliner à l'époque de notre dernier affrontement. Je suppose qu'ensuite, il est rapidement devenu trop faible pour pouvoir se battre correctement lui-même. »
« D'où le miraculous du Papillon », laisse échapper Marinette dans un murmure, échouant à ne pas formuler à voix haute la conclusion qui se dessine d'elle-même dans son esprit. « Avec les akumas, plus besoin de combattre en personne. »
« Exactement », approuve Gabriel en lui jetant un coup d'œil incisif.
Puis, ses explications manifestement terminées, le célèbre styliste resserre ses lèvres en une fine ligne et laisse le silence s'installer de de nouveau dans le salon.
Seul le doux murmure du trafic parisien s'élève dans la pièce alors qu'Adrien et Marinette, toujours sous le choc, tentent désespérément de rassembler leurs pensées.
Si l'effroyable récit de Gabriel a bouleversé la jeune femme, l'effet a été plus dévastateur encore chez son coéquipier.
Le teint livide et le regard effaré, le jeune homme se passe machinalement une main tremblante sur le visage.
Il ignore ce à quoi il s'attendait suite à la convocation impromptue de son père. À des menaces ? À des ordres ? À une injonction à regagner sur-le-champ le domicile familial et à abandonner son rôle de héros ?
Peut-être.
Mais en tout cas, certainement pas à d'aussi dramatiques révélations sur le passé de ses parents.
La découverte des terribles évènements qui ont entraîné la disparition de sa mère secoue Adrien jusqu'au plus profond des os, laissant son corps parcouru de frissons incontrôlables. Il tremble, tremble, tremble encore, comme s'il n'allait jamais s'arrêter.
Instinctivement, le jeune homme cherche la présence de Marinette. Il se raccroche à ses doigts comme un naufragé à sa bouée de sauvetage, serrant encore et encore pour mieux s'empêcher de sombrer.
La jeune femme n'hésite pas une fraction de seconde avant de répondre au geste de son compagnon. Elle resserre à son tour sa main autour de la sienne, en une promesse muette de ne jamais l'abandonner.
Les deux coéquipiers restent ainsi durant de longues minutes, plongés dans le silence autant que dans leurs pensées, alors que leurs cerveaux tentent péniblement d'intégrer ces pièces qu'ils viennent de découvrir à leurs conceptions de leur univers.
Mais si ce puzzle qui se dessine devant eux s'est enrichi d'inestimables éléments, il n'en manque pas moins d'autre parties tout aussi cruciales à leurs yeux. De nombreuses zones d'ombres demandent encore à être éclairées et l'une d'entre elles, en particulier, cristallise toute l'attention de Marinette.
À la lueur des récentes révélation dont vient de leur faire part le père d'Adrien, il est désormais évident que Maître Fu en savait bien plus sur le Papillon que ce qu'il leur laissait entendre jusque-là.
Comment, comment ce vieil homme qu'ils tenaient jusque-là comme l'un de leurs plus fidèles alliés a-t-il pu ainsi leur dissimuler l'identité de leur ennemi ?
Détachant son attention d'Adrien, Marinette se tourne vers le Grand Gardien pour plonger son regard abasourdi dans le sien.
« Et donc vous savez qui est le Papillon depuis le début ? », s'exclame-t-elle, incapable de contenir son indignation plus longtemps.
La voix scandalisée de sa coéquipière tire Adrien des réflexions dans lesquelles il était resté perdu jusque-là. Ses yeux verts auparavant perdus dans le vague se font soudain aussi acérés qu'une lame, et se rivent à la silhouette du Grand Gardien en une fraction de seconde.
Les quelques mots que vient de prononcer sa Lady font sans conteste écho à l'une des innombrables questions qui le hantent.
« Pourquoi ? », articule-t-il avec incrédulité, rebondissant instinctivement sur les paroles de Marinette. « Pourquoi est-ce que vous ne nous avez rien dit ? »
Pour les deux héros, le choc de cette découverte est indicible.
Que Gabriel ne leur ait jamais confié cet énorme secret, passe encore. Jusqu'à ce jour, hormis quelques interventions pour le protéger d'une attaque de super-vilain, jamais ils n'ont réellement été en contact avec lui sous leurs identités de héros et jamais ils n'ont vu de raison de discuter avec lui des détails de leur mission.
Mais Maître Fu ?
Leur allié ? Leur mentor ?
À la surprise s'ajoute un cruel sentiment de trahison, qui leur laisse à tous deux un goût amer dans la bouche.
« Il ne vous était pas utile de connaître son identité », se justifie le vieil homme en ignorant royalement le rictus réprobateur qui déforme les traits de Gabriel. « Vous en avez le parfait exemple avec Volpina. L'important n'est pas de savoir qui est votre ennemi », conclut-il sentencieusement, « mais où il se trouve. »
En dépit du ton convaincu du Grand Gardien, Adrien et Marinette ne peuvent s'empêcher d'échanger un regard sceptique.
Certes, cette explication ne manque pas de logique et certes, savoir que Lila Rossi se cache derrière le masque d'un de leurs adversaires ne leur a jusque-là guère été d'une grande aide.
Mais tout de même...
« Volpina est peut-être une super-vilaine », reprend Marinette, suivant le fil de ses pensées, « mais ce que le Papillon... Ce qu'Alexandre a fait... »
La jeune femme jette un bref coup d'œil au visage toujours bien trop pâle de son coéquipier et s'interrompt brusquement, refusant d'entrer plus dans les détails.
« Ce qu'il a fait, c'est... vraiment grave », souffle-t-elle dans un doux euphémisme au regard de l'atrocité des évènements. « Vous n'êtes pas allés le dénoncer à la police ? », finit-elle en levant un regard interrogateur sur les deux hommes.
« Impossible », réplique sèchement Gabriel. « Officiellement, Alexandre est décédé il y a déjà plusieurs années. »
Alors que Marinette et Adrien le fixent avec stupéfaction, Maître Fu prend à son tour la parole.
« Des dizaines de témoins l'ont vu sauter d'un pont », précise-t-il à l'attention des deux jeunes gens. « Son corps n'a jamais été retrouvé mais au vu de la configuration des lieux, les autorités ont estimé qu'il était impossible qu'il ait survécu. Il a été déclaré mort peu de temps après. »
« Une illusion... », lâche Marinette dans un murmure à peine audible, mais qui semble résonner comme un cri dans le silence qui accompagne la déclaration du Grand Gardien.
« Oui », approuve le vieil homme avec une grimace attristée. « Alexandre a utilisé son pouvoir pour feindre sa disparition, et il a parfaitement réussi son coup. Il nous est impossible de passer par les voies officielles pour le retrouver. »
« J'ai toujours craint qu'il ne revienne un jour pour finir ce qu'il a commencé », poursuit Gabriel d'un ton lugubre. « Avec la mort d'Émilie, il a franchi le point de non-retour. J'ai pris soin de transformer ma maison en véritable forteresse, au cas où il veuille s'en prendre à moi. Ou à mon fils », conclut-il en posant sur Adrien un regard lourd de sous-entendus.
Le jeune homme hoche mécaniquement la tête, légèrement sous le choc d'entendre son père admettre aussi ouvertement à quel point il s'inquiète pour sa sécurité.
Oh, bien sûr, ce n'est pas la première fois que son illustre géniteur affirme ne vouloir que son bien pour justifier ses tentatives de l'enfermer dans une cage dorée. Mais jusqu'à ce jour, Adrien gardait toujours le doute, perfide et insidieux, que cet homme sévère soit motivé plus par un besoin maladif de contrôler son existence que par une réelle affection à son égard.
Découvrir la menace qui planait sur lui à son insu lui fait à présent reconsidérer bien des choses, à commencer par ce qu'il avait jusque-là toujours prit par une paranoïa étouffante.
Mais malgré tout, la surprise n'est pas suffisante pour étouffer les nouvelles questions qui jaillissent dans l'esprit d'Adrien. Des jours et des jours de vigilance pour déjouer les intrigues de Volpina ont laissé leurs marques et instaurés en lui une perpétuelle méfiance quant aux capacités de la jeune femme.
« Mais est-ce que le système de sécurité de la maison est suffisant pour nous protéger d'Alexandre ? Ou de Volpina ? », ne peut-il s'empêcher de demander à son illustre géniteur. « Avec leurs pouvoirs, est-ce qu'ils ne pourraient pas entrer ici comme ils veulent ? »
« Le miraculous du Paon peut me permettre de voir à travers les illusions », rétorque Gabriel sans se démonter. « C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Paon et le Renard sont si souvent associés. Et même sans ça, je connais les pouvoirs du miraculous du Renard », ajoute-t-il platement. « Je sais comment faire pour déjouer ses tours. »
Un étrange rictus déforme les traits de Gabriel, curieux mélange d'amertume et de chagrin.
« Je... Je connais aussi les pouvoirs du miraculous du Papillon », poursuit-il d'une voix dont il échoue un bref instant à dissimuler complètement la tristesse, avant que son ton ne devienne à nouveau dur comme de l'acier. « Je sais ce qu'il peut permettre de faire s'il tombe entre de mauvaises mains. C'est la raison pour laquelle j'ai toujours tant insisté pour que tu apprennes à contrôler parfaitement tes émotions », précise-t-il en braquant un regard inflexible sur son fils.
Bouche bée, Adrien fixe son père comme s'il venait de lui pousser une seconde tête.
Décidément, chaque fois qu'il pense que rien ne pourrait le surprendre, un nouvel évènement vient bousculer ses certitudes.
Bien sûr, il n'avait pas manqué de remarquer que le caractère déjà rigide de son père avait redoublé de sévérité après la disparition de sa mère, mais de là à penser que ce changement était motivé par autre chose qu'un deuil déchirant ? Que certaines de ses exigences apparemment surréalistes n'avaient en réalité pour ambition que de lui éviter une akumatisation forcée ?
Non, ça, il en était loin.
Très, très loin.
Alors qu'abasourdi, le jeune héros s'efforce d'assimiler cette stupéfiante information, Marinette se repasse en mémoire les quelques paroles que Gabriel Agreste a laissé échapper un peu plus tôt.
« Quand vous disiez que le miraculous du Paon vous permettait de voir à travers les illusions d'Alexandre », ose-t-elle finalement lui demander, « vous... vous voulez dire que vous l'avez toujours avec vous ? Après toutes ces années ? »
« J'ai autorisé Gabriel à le garder avec lui, au cas où », confirme Maître Fu avec un hochement de tête approbateur. « Juste par précaution. »
« De toute manière, je ne suis plus capable de me battre », ajoute le célèbre styliste en affichant un détachement presque inhumain, comme s'il parlait là d'un inconnu plutôt que de lui-même. « Je n'étais même pas sensé intervenir directement dans les affaires de Chat Noir et Ladybug », précise-t-il ensuite. « C'est le rôle du Grand Gardien. Mais je ... »
Abandonnant un instant son impeccable stoïcisme, le célèbre styliste s'interrompt et secoue la tête d'un air désabusé. Il laisse échapper un profond soupir, puis se tourne franchement vers son fils.
« Mais jamais je n'aurai cru que Maître Fu te choisirait comme Chat Noir », complète-t-il enfin. « Et encore moins sans me consulter », précise-t-il en fusillant le vieil homme du regard.
La mine sévère, Gabriel laisse une moue réprobatrice tordre ses lèvres avant de rapidement reporter son attention sur Adrien.
« J'ai reconnu ta bague et j'ai reconnu les boucles d'oreille de mademoiselle Dupain-Cheng », poursuit-il comme si de rien n'était. « J'ai passé trop de temps à étudier le grimoire pour ne pas avoir des soupçons dès que je les ai aperçus. Je pensais avoir découvert qui était Ladybug, mais pour toi... je ne voulais pas y croire », confie-t-il dans un nouveau soupir. « Je sais ce qu'implique d'être un héros. Je sais quel est le prix à payer. Je sais... Je sais que je pouvais te perdre. »
« Père... », laisse échapper Adrien dans un souffle.
Mais visiblement peu désireux de s'étendre plus longtemps sur ses états d'âme, Gabriel poursuit son discours sans permettre à son fils de placer ne serait-ce qu'un mot de plus.
« Je dois reconnaître que tu as été très habile pour dissimuler ta double identité », lui annonce-t-il d'une voix sèche, qui laisse Adrien bien incapable de dire si son père le réprimande ou le complimente. « Malgré mes soupçons, j'ai eu des doutes pendant des années. Et ce d'autant plus que Maître Fu a longtemps refusé de me confirmer quoi que ce soit, aussi bien à ton sujet qu'à celui de mademoiselle Dupain-Cheng », ajoute-t-il avec un mécontentement évident.
Une fois de plus, le célèbre styliste gratifie le Grand Gardien d'un bref coup d'œil exaspéré avant de replonger son regard dans celui de son fils.
« Quand j'ai finalement eu la certitude que tu étais Chat Noir, tu... tu n'étais plus un adolescent », poursuit-il, sourcils froncés de contrariété. « Tu étais un jeune homme mûr et indépendant, et un grand héros depuis plusieurs années. Je ne me suis pas sentit le droit d'intervenir », confie-t-il d'un ton lourd de regrets.
« Donc vous saviez, depuis tout ce temps ? », murmure Adrien, abasourdi.
« Pas depuis si longtemps que ça », rétorque rudement Gabriel. « Sinon, tu peux me croire, je n'aurai jamais laissé une pareille folie se produire. »
Le célèbre styliste promène son regard sévère sur la salle, comme pour défier quiconque de sous-entendre qu'il pourrait laisser son héritier s'exposer à une pareille vie de danger sans avoir son mot à dire.
« J'ai accepté de rester en retrait uniquement parce que Maître Fu m'a affirmé que vous maîtrisiez parfaitement les choses », ajoute-t-il d'un ton pincé. « Et ce malgré l'arrivée de Volpina et le fait que j'aie appris par le Grand Gardien à quel point votre situation était... délicate », complète-t-il dans un doux euphémisme. « Mais lors de votre dernier combat, j'ai découvert que vous aviez étés rejoints par la Guêpe. Par nouvelle héroïne. C'est le signe que le Papillon prend le dessus. Je ne pouvais pas rester sans rien faire, n'en déplaise à ce vieux cachottier qui nous sert de Grand Gardien », conclut-il dans un ultime reproche à l'attention du vieil homme.
« Ton manque de confiance en moi me désole », rétorque Maître Fu avec un sourire amusé qui contredit complètement ses paroles.
« Vous vous en remettez », riposte Gabriel d'un ton acide.
Visiblement plus qu'exaspéré par l'attitude désinvolte affichée par son invité, le styliste se pince l'arête du nez et pousse un nouveau soupir.
« Je n'en reviens toujours pas que vous ayez osé confier la bague du Chat Noir à mon propre fils », lâche-t-il en jetant un regard courroucé au vieil homme.
« Adrien est un excellent Chat Noir », réplique immédiatement Maître Fu, tout son sérieux retrouvé. « Il l'a toujours été. Je ne regrette pas mon choix une seule seconde. »
« C'était un adolescent ! », rétorque vertement Gabriel. « Il était tout juste en troisième lorsque vous lui avez donné cette maudite bague ! Il ne vous est pas venu à l'esprit que c'était beaucoup trop de danger et de responsabilités pour un garçon de son âge ? »
Une brève quinte de toux interrompt soudain cet embryon de dispute.
Gabriel et Maître Fu se tournent vers l'origine du bruit avec un magnifique ensemble, pour poser leurs yeux sur la silhouette massive de Tom. Leurs yeux s'écarquillent légèrement de surprise, les deux hommes ayant visiblement complètement oublié la présence des parents de Marinette durant leur petite altercation.
« Donc... », commence Tom à l'attention du Grand Gardien, « si j'ai bien suivi, c'est vous qui avez décidé de faire en sorte qu'Adrien soit Chat Noir ? »
« Et c'est aussi vous qui avez choisi Marinette ? », renchérit Sabine en braquant un regard inquisiteur sur le vieil homme.
Nullement décontenancé, Maître Fu hoche doucement la tête.
« C'est moi, effectivement », confirme-t-il sans la moindre hésitation.
Une expression de vive désapprobation se peint aussitôt sur les traits des parents de Marinette.
« Je suis d'accord avec Mr. Agreste », assène impitoyablement Sabine, tout en croisant les bras sur son torse pour mieux marquer son désaccord. « Comment avez-vous pu oser confier des pouvoirs pareils à des adolescents ? Ils étaient beaucoup trop jeunes pour pouvoir courir de pareils risques ! »
« C'est complètement irresponsable de votre part ! », ajoute Tom d'une voix forte.
« Je m'en suis plutôt bien sortie... », proteste Marinette, incapable de lutter contre l'impression irrationnelle qu'au-delà des décisions contestables du Grand Gardien, ce sont ses propres capacités que l'on remet ainsi en question.
« Oh, ma chérie... », la rassure Tom en posant sa main sur son épaule dans un geste de réconfort. « Tu sais, ta mère et moi sommes fiers de toi. Nous ne remettons pas en cause tout ce que tu as fait. Tu es une héroïne extraordinaire », martèle-t-il en affichant une conviction inébranlable.
« C'est juste que... Ce n'est pas facile pour nous », poursuit Sabine avec un sourire triste. « Maintenant que nous sommes au courant, nous n'allons pas pouvoir nous empêcher de nous inquiéter pour toi et pour Adrien. À juste titre. »
Marinette ouvre la bouche pour protester mais avant qu'elle n'ait le temps d'émettre le moindre son, Sabine l'interrompt d'un petit geste de la main.
« Mais quoi qu'il en soit, tu es une adulte à présent », déclare-t-elle en plongeant son regard dans le sien. « Nous pouvons nous inquiéter pour toi, mais si c'est la voie que tu choisis de suivre, alors nous ne feront rien pour te dissuader. Tu as tout notre soutien. »
Les larmes aux yeux, Marinette se précipite vers ses parents pour les serrer de toutes ses forces dans ses bras. Alors que les membres de la famille Dupain-Cheng s'étreignent affectueusement, Maître Fu se racle légèrement la gorge.
« Je maintiens ce que j'ai dit », lance-t-il à la cantonade, tout en jetant un regard appuyé à Gabriel. « Marinette et Adrien étaient peut-être adolescents lorsque je leur ai confié leur mission, mais ils se sont toujours montrés à la hauteur de leur tâche. Ce sont des héros extraordinaires. »
Ignorant le coup d'œil furibond de Gabriel et les expressions dubitatives de Tom et Sabine, qui s'écartent de leur fille pour mieux se tourner vers lui, le vieil homme relève fièrement le menton.
« Je n'aurai pas pu choisir mieux », conclut-il d'une voix ferme. « Et rien ne me fera changer d'avis. »
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