Chapitre 9

— Quelqu'un va venir nous aider.

Seokjin l'avait annoncé tranquillement, alors que Jimin le saluait avant de quitter le gymnase.

— Nous aider ? Qui?

— Tu verras demain. C'est un ami, très compétent. Il a accepté de t'entraîner sur le temps du midi, pour que tu sois prêt pour les jeux de la cité.

— D'accord. C'est toujours bon à prendre, murmura Jimin en observant Jungkook qui avalait les marches du gymnase.

— Oui, et puis ça lui fera du bien à lui aussi.

Jimin lui jeta un coup d'œil, s'attendant à des explications, mais Seokjin s'était brusquement détourné, légèrement fébrile. Il comprit lorsque la voix de Namjoon se fit entendre:

— Toujours à traîner ici Seokjin? Tu veux encore regarder mon entraînement? Viens, je t'en prie, tu dois apprendre.

— Qu'est-ce que tu racontes? Je n'ai rien à apprendre de quelqu'un qui...

Seokjin avait bondi mais maintenant il hésitait, un peu rouge soudain.

— Quelqu'un qui? Je t'en prie, continue.

— J'étais chez Dimitrios l'autre soir, marmonna-t-il.

Jimin fut surpris de voir Namjoon perdre contenance puis, sans un mot, partir en entraînant Jungkook. Seokjin les observa s'éloigner.

— A demain, Jimin.

Et son entraîneur était finalement parti lui aussi, perdu dans ses pensées.

Toujours aussi bizarres, ces deux-là. Mais ce n'était pas son problème.

Son problème à lui, c'était de gagner les jeux d'Athènes. Et d'abord, d'être sûr que Jungkook ne serait pas un obstacle.

Il avait hâte de rencontrer ce nouvel entraîneur.



Mais jamais Jimin ne se serait attendu à ça.

Il était là, ce fameux nouvel entraîneur, posé à côté de Seokjin tel une ombre.

La tunique blanche, longue et ample, le châle qui achevait de couvrir le corps. Les cheveux presque longs, masquant le visage. Et muet depuis son arrivée.

Mais c'était lui, sans aucun doute, Jimin l'aurait reconnu entre mille. Malgré l'apparence si différente, malgré les trois années passées, malgré l'aura éteinte, c'était lui, et Jimin pouvait à peine respirer.

Il boxait pourtant, ou tentait de le faire, mais plus rien n'était contrôlé. Les coups partaient seuls, automatiques, faibles. Mauvais, si mauvais. Jimin avait honte, honte de ne montrer que cela à cet homme qu'il admirait tant.

Mais celui-ci, loin de n'être qu'une ombre, était si lourd en fait, si présent sous le préau de la palestre, que Jimin ne pouvait que prendre acte de ses propres gestes engourdis, de son esprit perdu.

L'ombre regardait trop.

Et Jimin, une fois de plus, ressentait par tous ses pores son imperfection, ses membres trop fins, son torse trop menu. Ses coups trop gauches, son jeu de jambes hésitant, ses...

— Je ne comprends pas, il n'est pas comme ça d'habitude, je te promets. Je ne sais pas ce qui lui arrive.

Seokjin en était au point de s'excuser.

Et Jimin sentait ses joues chauffer, comme elles n'avaient jamais chauffé auparavant.

— Dis-lui de venir.

La voix, rauque, nouvelle, que Jimin n'avait jamais entendue.

Il cessa de boxer, s'épongea le front avec son poignet et acquiesça simplement lorsque Seokjin, le visage inquiet, s'approcha de lui.

— Tu es sûr que ça va Jimin?

Oui, il allait bien. Il aurait dû aller bien, parfaitement bien même. Crier de joie, hurler sa chance d'être entraîné par lui, celui qui avait, sans le savoir, tout lancé.

Mais la surprise lui avait fait perdre pied, et Jimin luttait maintenant pour retrouver la stabilité.

Il s'approcha de l'ombre blanche, s'inclina profondément lorsque Seokjin le présenta.

— Voilà Jimin, mon meilleur élève.

L'autre en face ne disait rien, se contentant de le regarder dans les yeux lorsque Jimin se redressa.

— Jimin, voici ton deuxième entraîneur, il viendra tous les midis. Tu dois en avoir entendu parler, c'est...

— C'est le grand boxeur Min Yoongi. Le gagnant des Jeux d'Olympie!

La voix de Jimin n'avait pas tremblée, elle ne tremblait plus. L'admiration, le respect avaient remplacé l'incertitude, et Jimin n'était plus que joie de rencontrer cet homme si important pour lui.

En face, il y avait eu une ébauche de sourire à l'enthousiasme de la voix. Pourtant vite effacée, alors que le dénommé Yoongi corrigeait brutalement:

— Ancien boxeur.

Jimin ne sut que dire, la voix n'appelait aucune contradiction.

A la place il s'inclina à nouveau, plus profondément encore.

— Merci de m'entraîner, c'est un grand honneur pour moi. Vous êtes...

— Tu parles trop, pour quelqu'un qui boxe si mal.

Jimin perdit un instant la voix, tandis que Seokjin éclatait de rire.

— J'aurais dû te prévenir. Il est direct.

Les mots blessaient. Des mots-pierres, une fois de plus.

Mais Jimin se ressaisit: ce n'étaient que des mots, rien de pire que d'habitude, n'est-ce pas? Il fallait juste tenter de les oublier, comme toujours.

— Excusez-moi, j'ai un peu perdu mes moyens quand je vous ai reconnu tout à l'heure. Je suis meilleur que ça.

— J'espère.

Jimin l'observa, ce corps ramassé sur lui-même, enveloppé dans son châle malgré la chaleur, la peau des mains, du visage, si blanche maintenant.

Elle était dorée à l'époque.

Lorsqu'il avait vu Yoongi combattre à Olympie. Lorsque Taehyung, pour obéir à son père et tenter de s'intéresser au sport, avait obtenu d'emmener Jimin avec lui assister aux Jeux les plus célèbres de toute la Grèce.

Pour le plus grand ennui de Taehyung et la plus grande joie de Jimin.

C'est là qu'il avait compris, alors que, pris dans l'euphorie, il scandait le nom du vainqueur avec les autres: les boxeurs étaient adulés, bien plus que les coureurs.

Et cet homme, sur le terrain, qui avait subjugué Jimin par son combat, par les coups qu'il avait assénés, et surtout par ceux qu'il avait parés, au point de mettre à terre l'adversaire, autant d'épuisement que de chocs. Les mains en sang sous les lanières, l'arcade ouverte, la lèvre fendue, mais le visage intact dans sa beauté. Et le sourire, gigantesque, malgré les jambes flageolantes. Un instant, le boxeur avait fermé les yeux, semblé se noyer sous les cris de la foule. Et Jimin l'avait imité, avait fermé les yeux lui aussi, avait ressenti cette vague bruyante, ces "Yoongi!" titanesques le submerger. Il était là-bas, sur le sable, à côté de lui.

Alors, peu de temps après, Jimin avait décidé de devenir boxeur.

Longtemps, les cris l'avaient accompagné, ce nom scandé, ce sang sur les doigts. Des souvenirs qui faisaient tenir.

Et ce sourire si joli, qui changeait le rythme du cœur.

Trois ans à choyer une image, trois ans à s'accrocher à quelques secondes.

Pour qu'aujourd'hui, l'image se trouble de réel.

Le vrai Yoongi avait perdu sourire.

A la place, un rictus fermé, ce front qu'on devinait plissé sous les mèches envahissantes. Les yeux à peine visibles, mais durs sur lui.

— Qu'est-ce que tu regardes? Retourne frapper. Sans sac. Comme le débutant que tu es.



Une semaine déjà, de ce nouvel entraînement.

Une semaine de souffrances, de muscles chauffés et de mains meurtries, une semaine du corps qui faisait si mal, le soir. Les massages des servantes n'apaisaient qu'à peine, la viande rouge engloutie n'empêchait plus la faiblesse en rentrant.

Jimin se sentait effectivement redevenu débutant.

Comme Jungkook.

Yoongi remettait tout en cause, défaisait tout pour mieux reconstruire, disait-il, pierre après pierre.

C'était dur, oui. Dur de prendre conscience qu'on avait tout à refaire, pour avoir ne serait-ce qu'une chance de gagner réellement. Dur de se voir rabaissé régulièrement, sans la douceur que Seokjin mettait dans ses critiques.

Yoongi, lui, était incisif, sans fioritures. Ils n'avaient pas le temps, répondait-il à Seokjin qui lui disait d'être un peu moins cassant.

— S'il ne tient pas à mes mots, il ne tiendra pas à leurs coups.

Alors Jimin tenait, se mordait lèvres et joues pour ne pas craquer devant le mot de trop, la froideur du regard, les "non" claquants et les "recommence" exaspérants.

Il aurait dû haïr, détester cet homme qui, à peine débarqué, le brusquait, chamboulait trop ses jours.

Et pourtant...

Pourtant son cœur continuait perturbé, battant plus fort le matin à l'arrivée au gymnase, à savoir ce qui l'attendait. Battait encore plus fort quand arrivait l'heure, quand les autres partaient, le laissaient seul sur la palestre. En solitude, Jimin soignait ses coups, ses pas, son maintien aussi, instinctivement.

Jusqu'à ce qu'il sente ce regard sur lui, cette ombre froide qui le faisait frissonner un bref instant.

Il était là.

Et intérieurement le sourire venait. Jimin était heureux, heureux de sa chance, heureux de cette présence même blessante.

Heureux de Yoongi.

Il se retournait, souriait joyeusement, moins timide désormais.

Se prenait le mur glacé des yeux, le rejet des lèvres plissées.

Il osait saluer, toutefois, un "Bonjour Yoongi! Vous allez bien?" qui ne pouvait laisser ignorer le bonheur qu'il ressentait à le savoir ici, avec lui.

A être l'objet de son attention, exclusive, pour quelques heures.

Malgré la sévérité, malgré la dureté et l'acharnement, même.

Un bonheur douloureux, qui s'étiolait en minutes, un peu plus à chaque coup, à chaque mot blessant.

Pour laisser un Jimin épuisé physiquement et émotionnellement, une fois l'entraînement achevé.

Il rentrait alors, ignorait sa mère, s'enfermait et se jetait sur sa couche, pour laisser le sommeil faire son œuvre.

La fatigue s'effaçait, le corps se régénérait, bien plus alerte après quelques heures.

Restait cette déception, cette amertume. Cette honte, que cet homme qu'il admirait tant pense si bas de lui.

— Il est encore loin d'avoir le niveau, avait ce jour-là répondu Yoongi à Seokjin, qui s'enquérait de ses progrès.

Puis, après un regard éloquent à Jimin, il avait poursuivi:

— Pas sûr qu'il réussisse.

Jimin avait baissé la tête, avait achevé la leçon et avait fui, des larmes au bord des yeux.

Le regard de Yoongi avait pesé jusqu'à sa sortie du gymnase.

Et encore tard dans la nuit, toute la nuit.

Jimin avait repassé tous les mots, tous les gestes et regards reçus depuis cette arrivée. Il avait pleuré sa faiblesse, son corps, un sourire disparu.

Et, finalement, il s'en était voulu d'être si dépendant des mots d'une seule personne, comme s'ils pesaient plus lourds que ceux de Seokjin, plus lourds que ceux de toute la cité. Il s'était trouvé ridicule, s'était promis de changer, de ne plus s'importer de Yoongi, seulement de ses progrès. Seulement de la boxe.

Jimin s'était réveillé paisible, la volonté ferme et le corps prêt.

Il avait boxé comme jamais, le matin, s'attirant les louanges de Seokjin et les lamentations de ceux qu'il avait mis à terre.

S'était senti beau, fort, fier, alors qu'il boxait seul contre le sac, plus tard, à attendre Yoongi.

Avait regretté, un peu, cette autre présence, sombre celle-ci, irritante mais exaltante, qui ne lui faisait plus l'honneur de ses visites, et à laquelle il n'avait plus pensé depuis plusieurs jours. S'était dit qu'il irait jeter un œil à l'entraînement de Jungkook, après, voir si lui avait progressé.

Il avait soudain entendu les pas qu'il attendait, le corps qui s'asseyait. Avait senti le silence.

Il avait senti, surtout, son cœur se dérégler à nouveau devant cette ombre blanche, battre vite, si vite devant Yoongi. Et son sourire renaître, là, en lui.

Comment pouvait-il se sentir si heureux juste avant d'être blessé?


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