Chapitre 55


Non.

Non, non, non et non.

Les mots criaient en boucle dans la tête de Jimin, bourdonnaient à ses tempes, emplissaient son cœur d'une fureur inhabituelle qui le rendait fort, presque orgueilleux.

Non.

C'était si simple.

Non.

C'était ce qu'il fallait dire.

C'était ce qu'il faudrait dire, dès que son père ouvrirait la bouche, dès qu'il aborderait le sujet, une fois de plus.

"J'espère que tu as cessé de voir ce Jungkook ?"

Non.

"J'espère que tu n'as que des fréquentations dignes de ton rang maintenant ?"

Non.

Non, et c'était comme ça. Ce serait comme ça désormais.

Jimin voulait continuer à voir Jungkook.

Même si son père désapprouvait qui il était.

Jimin voulait continuer à voir Yoongi.

Même si son père avait déjà fait observer qu'il passait trop de temps chez lui, qu'il devrait se contenter du gymnase. Yoongi ne pouvait donc pas l'entraîner là-bas ? Déjà que le Soleil d'Or était indigne de son fils, qu'il aurait préféré qu'il s'entraîne au Lykeion par exemple ?

Non.

Il faudrait dire non.

Et une part de Jimin riait, au milieu de la détermination et de l'inquiétude, à imaginer ce que son père dirait s'il savait qu'elle était la vraie teneur de sa relation avec Yoongi. Et avec Jungkook.

Et s'il savait qu'il avait une relation avec les deux.

Serait-il déçu ? Evidemment.

Le renierait-il ? Peut-être.

Et le cœur de Jimin se serrait alors à imaginer cela.

À imaginer ce père disparaître à nouveau.

À imaginer ce que serait cette nouvelle absence, mais cette fois en sachant qui il était, qui était son père.

Une sorte de présence vide.

Et surtout, la conscience de ce qu'on a perdu.

Pourtant...

Non.

Le mot serait dit.

Crié s'il le fallait.

Car Jimin avait décidé qu'à 20 ans il pouvait choisir. Il pouvait savoir ce qu'il voulait.

Et l'imposer, en en affrontant les conséquences.

Alors ce serait ce non, psalmodié en lui comme une formule magique, alors qu'il faisait les cent pas dans le jardin, incapable cette fois d'en voir la beauté, incapable d'en recevoir les senteurs, incapable d'y trouver l'apaisement.

Ce non, et l'attente.



Lorsque Périclès arriva enfin pour leur rencontre hebdomadaire, une heure plus tard, Jimin n'en pouvait plus.

À force de déborder, le non avait refloué, s'était à nouveau perdu au plus profond du coeur, redevenu timide et hésitant.

Jimin observa ce père qu'il avait tant appelé de ses vœux, enfant, reçut le sourire chaleureux, la joie réelle à le retrouver présente dans les yeux bleus. Sentit la vague de bonheur déferler sur lui, recouvrir tout d'une tiédeur heureuse.

C'était si bon de le voir.

Si bon d'être vu par lui, de se sentir aimé.

C'était si bon d'avoir un père.

— Comment vas-tu, fils ? Es-tu prêt pour demain ?

Demain...

Le départ pour Olympie.

Jimin l'aurait presque oublié.

Pourtant tout était prêt. Ses bagages, les adieux faits aux camarades du Soleil d'Or, à Hoseok, à Seokjin qui ne viendrait pas. Les adieux émouvants à sa nourrice, le matin même, qui l'avaient laissé faible et inquiet, apeuré à l'idée de ne jamais la revoir, peut-être.

Car le long voyage, car les combats...

Tant de dangers pour... quoi ? La gloire ? Une citoyenneté utopique ? L'amour de la boxe ?

Tant de dangers pour, cette fois, vivre les Jeux d'Olympie, y participer et non plus simplement les voir dans le public ? Se prouver qu'il existait, qu'il avait réussi ?

Ou simplement pour lui montrer à lui, Yoongi, qu'il avait réussi, que Jimin se sentait fort maintenant, fort au point d'aller, lui aussi, à ces Jeux d'Olympie.

Avec Jungkook.

Avec Yoongi.

Alors le voyage avait ce goût de peur, oui, ce goût de destin inéluctable qui se mettait en place.

Mais il avait aussi le goût du bonheur, celui d'être avec ceux qu'on aime, celui de pouvoir enfin être libre de toute entrave, libre de tout jugement, sans père ni morale à l'horizon.

Le non ressurgit, fort, battant dans sa poitrine.

Comme tapi dans l'ombre à attendre son heure.

Entre temps, Jimin souriait, répondait.

— Oui, tout est prêt.

Appréciait que Périclès lui attrape le bras, qu'ils commencent à cheminer à travers le jardin. Leur rituel malgré tout, malgré ces non plein la tête, malgré le départ du lendemain, malgré le risque qui revenait à l'esprit, insidieux, l'idée qu'il le voyait peut-être pour la dernière fois lui aussi.

Combien de Lion y aurait-il, là-bas ?

Alors peut-être fallait-il juste savourer le temps passé ensemble, ne voir que le positif de la situation. Profiter de cette silhouette à ses côtés, à la fois écrasante de cette autorité qu'elle dégageait mais aussi si simple, si bienveillante envers lui.

Périclès, son père.

Un père qui l'aimait.

Ses yeux le disaient si souvent, emplissant le cœur de Jimin de joie.

Un père que Jimin aimait, aussi.

Enfin il pouvait se le dire.

Il aimait son père, c'était sûr.

Jimin ouvrit de grands yeux à cette certitude maintenant si évidente, stoppant instinctivement sa marche.

Périclès s'arrêta également, le regarda curieusement.

— Tout va bien ?

Jimin hocha la tête, tenta de reprendre contenance.

C'était difficile, déjà les mots débordaient, déjà le corps voulait entourer cet homme de ses bras, le serrer contre lui pour lui montrer l'affection, comme il le faisait avec Tae.

Mais c'était Périclès.

Pouvait-on dire à Périclès qu'on l'aimait ? Même en tant que fils ?

Jimin allait ouvrir la bouche et prononcer les mots qui ne demandaient qu'à sortir, lorsque son père reprit sa marche, l'incitant à le suivre.

— Tu pars demain, tu as certainement des préparatifs à terminer. Hâtons-nous. Je t'ai fait préparer un coffre avec des douceurs pour le voyage.

— Merci Père.

Pourquoi ce goût d'instant manqué ?

— Qui t'accompagne ? Ta mère m'a dit que ton entraîneur ne faisait plus le voyage.

— Non, Seokjin ne vient plus, une affaire familiale qui le retient ici. Mais je ne serai pas seul. Yoongi, mon autre entraîneur, m'accompagne, et aussi...

Jimin s'interrompit, se mordit la lèvre.

Fallait-il gâcher le moment ?

Son père le fit pour lui.

— Je suppose que ce Jungkook voyage avec toi ? demanda-t-il, sourcils froncés.

— Oui...

Périclès resta silencieux un instant, alors qu'ils continuaient leur tour, qu'ils arrivaient maintenant à la fontaine au centre du jardin. Cette même fontaine où...

— Cela m'embête.

— Pardon ?

Jimin s'arracha à ses pensées et se tourna vers lui.

— Cela m'embête que tu voyages avec lui. Le financement de ses dépenses par l'Assemblée lui permet de participer aux Jeux d'Olympie et c'est très bien, à la fois pour la Cité et pour lui. Qu'il réussisse, qu'il devienne un grand sportif, il le mérite. Mais qu'il reste loin de toi, loin de mon fils. Je ne sais pas ce qu'il fait sans cesse avec toi, il ne sait pas où est sa place ? Et toi, fils, quand donc comprendras-tu ?

— Et vous, Père ?

La voix de Jimin tremblait. Les non refaisaient surface, l'éblouissaient, l'étourdissaient.

— Quand donc comprendrez-vous que je veux être avec Jungkook ? Que j'aime être avec lui ? Que sa présence me rend heureux ? Quand donc comprendrez-vous que si je vous obéis je souffre ?! Que Jungkook est une bonne personne !

— Je ne dis pas le contraire...

Jimin le coupa :

— Et qu'il ne mérite pas d'être traité comme vous le faites ! Qu'il a gagné par sa force et par son courage le droit d'aller à Olympie, avec les autres, comme les autres. Alors non, Père, avec tout le respect que j'ai pour vous, je ne voyagerai pas séparé de lui, je resterai avec lui pendant le voyage, puis là-bas sur place et, si les Dieux font que je revienne, encore ici à mon retour.

Périclès restait muet à présent, il contemplait Jimin, le visage fermé.

— Jungkook est important pour moi, Père, c'est... c'est un ami très cher. Je suis désolé si cela vous blesse ou vous inquiète, mais ça ne changera pas.

— Ton amour pour lui t'aveugle.

Jimin rougit fortement, il baissa les yeux devant les mots. Était-ce si visible ?

Mais, très vite, la colère revint. L'amour... Comment son père pouvait-il se permettre de parler d'amour ?

— Je préfère être aveuglé par l'amour que lui tourner le dos !

Il avait crié, poings serrés et rage à la bouche, le cœur qui battait si vite.

— Je préfère être heureux avec la personne que j'aime plutôt que de m'occuper de ce qu'il "faudrait faire". Je préfère rendre heureux les personnes que j'aime, plutôt que d'agir pendant 19 ans comme si elles n'existaient pas ! Je préfère être présent et là, avec lui, avec eux deux chaque jour, plutôt qu'absent pendant toute leur vie, et revenir ensuite comme une fleur, à vouloir leur dicter ce qu'ils doivent faire !

Périclès avait blêmi.

— Fils...

— Ah oui, maintenant je suis votre fils ! 19 ans après ! Et encore ! Seulement ici, seulement chez ma mère ! Pour l'extérieur je n'existe pas ! Pour l'extérieur, je ne suis ni votre fils, ni même digne d'être un Athénien ! Alors que je suis né ici et que je suis issu de vous ! Vous avez vous-même fait voter les lois qui me mettent au ban de la cité, Père ! Vous avez fait voter des lois qui sont ma douleur quotidienne ! Alors comment osez vous me dire ce que je dois faire, lorsque vous même ne m'avez apporté que douleur et malheur par vos actes ?! Par votre lâcheté !

Jimin pleurait à présent.

— Tout à l'heure je voulais vous dire que je vous aimais, était-ce être aveugle ? Est-ce être aveugle que d'aimer un père qui vous a ignoré si longtemps ? Qui continue à vous montrer chaque jour que vous n'êtes pas digne de lui puisqu'il vous cache ?! Alors, s'il vous plaît, ne me parlez pas d'amour, et ne me dites plus jamais ce que je dois faire ! Et si ces mots doivent me coûter votre amour ou votre présence, et bien qu'il en soit ainsi. J'ai vécu 19 ans sans vous, je peux continuer de la même manière...

Jimin se tut, à bout de souffle, à bout de mots.

Il regarda son père, aperçut sa silhouette rigide à travers ses larmes, les bras croisés sur la poitrine.

— Jimin.

Et ce Jimin fut comme une claque.

Il prit conscience de ce qu'il venait de dire, de ce qu'il venait de faire. Il prit conscience des mots qu'il avait jetés à Périclès, l'homme le plus puissant d'Athènes, l'homme qui se disait son père.

L'homme qui venait de l'appeler "Jimin" et non plus "fils".

Jimin sentit sa poitrine se serrer, la douleur le submerger tout entier.

C'était fini, il venait de perdre son père.


***


Jimin parvint chez Taehyung comme dans un rêve.

Il ne se souvenait pas bien comment il avait pris congé de Périclès, comment il avait fui sa propre maison, incapable de mots désormais, incapable de croiser ce regard bleu qui tentait d'attraper le sien, incapable de se laisser retenir par cette main qui cherchait son épaule, par ces syllabes qui tentaient d'accrocher son esprit.

Le "Jimin" avait tout recouvert, nouveau "non" qui s'était déversé en lui et refaisait boucle.

Lorsqu'il parvint chez Taehyung, qu'on l'introduisit dans sa chambre, il trouva Taehyung occupé à écrire, comme souvent, afficha un vague sourire malgré les pensées vides, ou trop pleines, soulagé tout de même d'être ici et non plus là-bas, avec lui.

Ici, il y avait Taehyung.

Ici, il y avait son ami, le seul à comprendre, le seul qui avait fait cet effort suffisant sur lui-même pour revenir, pour tenter de se mettre à sa place, même s'il n'y arrivait pas.

Le seul qui faisait ce qu'un frère, un père devrait faire.

Taehyung, bien plus que Périclès.

Mais...

Soudain les yeux eurent mal, soudain la gorge se serra à nouveau.

Mais Périclès, partout, ici aussi.

Jimin avait oublié, n'était pas revenu ici depuis des mois. ils se rencontraient ailleurs ces temps-ci.

Alors Périclès partout, parce que l'admiration sans borne de Taehyung envers lui.

Périclès en pièces de monnaies étalées sur une étagère, Périclès en buste coûteux fait sculpter sur mesure, Périclès dans des citations soigneusement recopiées au calame, fixées au mur tant bien que mal.

Périclès, que Taehyung ignorait encore être le père de Jimin.

Car Jimin n'avait pas osé, encore, annoncer l'heureuse nouvelle : il avait maintenant un père. Ce père était l'idole de son ami, comment celui-ci réagirait-il à cette soudaine apparition ?

Jimin n'avait pas avoué le bonheur, mais les larmes soudaines qui se mirent à couler, inquiétant Taehyung, forcèrent à avouer le malheur.

Peut-être pouvait-il, maintenant ?

— Tu sais, Taehyung, hoqueta Jimin, tentant encore de retenir les sanglots, tu sais, j'avais retrouvé mon père.

Ils s'étaient tous deux assis, Taehyung le bras ferme autour de ses épaules, Jimin petit, si petit dans ses bras.

Peur et tristesse mêlées.

Il avait perdu son père, allait-il aussi perdre son ami à l'aveu trop longtemps repoussé ?

— Comment ?!

Taehyung avait crié, ravi et inquiet à la fois. Jimin avait dit "j'avais".

— Depuis quand ? Comment ? C'est qui ? Et pourquoi tu parles au passé ? Dis-moi Jimin !

Les mains qui agrippaient ses épaules maintenant, le forçaient à se plonger dans les yeux inquiets de Taehyung.

— Depuis plusieurs mois. Depuis les Jeux d'Athènes.

Le visage de Taehyung se ferma, ses mains retombèrent abattues sur ses genoux.

— Tout ce temps... dit-il simplement.

Oui, tout ce temps. Jimin avait si honte maintenant.

— Je n'ai pas osé te le dire, tenta-t-il. D'abord on s'était brouillés, et puis ensuite...

— Ensuite quoi ? J'aurais été tellement heureux de le savoir Jimin !

— Ensuite c'était si compliqué. J'avais peur que tu m'en veuilles, murmura Jimin.

Ses craintes semblaient tellement sottes maintenant.

— T'en vouloir ? Mais pourquoi ?

Le visage de Taehyung s'éclaira soudain.

— C'est parce qu'on est frères, c'est ça ?! Parce que ton père c'est mon père ? Je sais qu'il a des maîtresses, je dois avoir une multitude de frères et sœurs parsemés à travers la cité, débita-t-il, songeur mais sans sembler le moins du monde gêné à l'idée.

Jimin ne put que rire.

— Non Tae, c'est pas ça !

L'air déçu de Taehyung ne dura qu'un instant.

— Alors c'est qui si ce n'est pas mon père ?

— Périclès...

— Comment ?

Jimin avait murmuré si bas que Taehyung n'avait sincèrement rien entendu.

— C'est Périclès, osa-t-il un peu plus fort.

A ses côtés, Taehyung se figea. Jimin le vit chercher son regard, s'y plonger comme pour vérifier l'information.

Puis Taehyung s'adossa à son siège, comme abattu.

— C'est Périclès, répéta-t-il, absent.

Puis :

— Mais c'est génial !

Taehyung était debout maintenant, il avait crié d'enthousiasme.

— Jimin, ton père est Périclès ! Le grand Périclès ! L'homme le plus extraordinaire de la cité, de la Grèce tout entière ! Ton père est Périclès, Jimin !!!

— Je sais, répondit Jimin sans pouvoir empêcher un sourire d'éclore sur ses lèvres.

La joie de Taehyung effaçait toutes ses craintes. Non, il n'allait pas le renier pour cela, non, il ne semblait pas jaloux.

— Tu m'expliqueras après comment c'est possible, mais d'abord : il est comment comme père ? demanda Taehyung en se rasseyant et en se penchant avidement vers Jimin.

— Il est...

Le cœur de Jimin se serra.

— Il était... tenta-t-il de rectifier sous le souvenir de la scène d'il y a quelques heures.

Taehyung haussa un sourcil.

Gentil. Patient. Fort en petteia. De bon conseil. Passionnant quand il racontait. Bienveillant quand il écoutait. Sauf quand...

— Il était un bon père, je pense, murmura Jimin.

Il venait de tout perdre. Tout cela.

Pour Jungkook.

Pour sa liberté à vivre comme il l'entendait.

Cela en valait-il la peine ?

De nouveau les larmes perlèrent aux paupières, l'obligeant à baisser la tête, dans une vaine tentative d'échapper à Taehyung.

— Jimin...

Ce dernier l'entoura à nouveau de ses bras.

— Est-ce qu'il est... mort ?

Le sanglot dans sa voix, à lui aussi, les bras crispés autour de lui.

Jimin ne put empêcher un nouveau rire.

— Non Tae, ne t'inquiète pas, il va très bien.

— Ouf... Mais alors ?

— Je me suis disputé avec lui tout à l'heure. Et il m'a appelé "Jimin".

Taehyung se recula, le regarda attentivement.

— Vous vous êtes disputés et il t'a appelé Jimin ? C'est pour ça que tu parles de lui au passé ?

L'incrédulité se lisait dans ses yeux.

— Oui.

Jimin se sentait honteux à présent. Peut-être exagérait-il un peu.

— D'habitude il m'appelle "fils", expliqua-t-il dans un souffle. Et là, je lui ai dit des choses terribles, et juste après il m'a appelé "Jimin".

— Et après ce "Jimin", il t'a dit quoi ?

— Je ne sais pas. Je suis parti.

Il sentit distinctement Tae lever les yeux au ciel à ses côtés.

— D'accord. Et toi, tu lui avais dit quoi avant ?

— Tout.

Jimin sentit un sanglot se former dans sa gorge.

— Qu'il était lâche.

Le mot lui brûla les lèvres.

— Lâche ? Périclès, lâche ?

— Oui, tenta d'expliquer Jimin. Lâche de m'avoir renié pendant 19 ans, de ne rien m'avoir dit. Lâche de ne rien vouloir dire aux autres encore aujourd'hui.

Il soupira.

— Taehyung, continua-t-il finalement en levant la tête, on ne sort jamais de chez ma mère ! On se voit là-bas chaque semaine depuis des mois, on discute, on se promène dans le jardin, il m'enseigne des choses, on joue... Mais jamais on ne sort ! Et jamais on ne sortira de là ! Il veut continuer à venir me voir chaque semaine toute sa vie, comme il l'a fait avec ma mère. Mais c'est tout. Je suis un secret inavouable pour lui !

Cela faisait si mal de le dire.

Taehyung semblait choqué. Il resta silencieux un instant puis il s'approcha plus près, posa son front sur celui de Jimin, lui prenant les mains.

— Je comprends Jimin, murmura-t-il doucement. Il a tort. Et il est lâche, oui, tu as raison. Tu n'as pas à rester caché. Tu es merveilleux, il devrait être tellement fier de toi !

— Le pire c'est que je crois qu'il l'est...

Jimin repensa au regard de Périclès, plusieurs fois posé sur lui. À ses mots la fois où Jimin s'était excusé d'avoir perdu les Jeux d'Athènes. Oui, Périclès disait être fier de lui. Mais maintenant, avec ce que Jimin lui avait lancé au visage, il ne devait même plus jamais avoir envie de revenir le voir...

— Je lui ai dit tout ça parce qu'il m'interdisait de voir Jungkook. Parce qu'il n'aimait pas qu'on voyage ensemble pour Olympie.

Jimin releva des yeux un peu inquiet vers Taehyung. Pouvait-il lui parler de Jungkook normalement ? Comme si Taehyung ne l'avait jamais détesté ? Comme s'il n'avait pas eu, finalement, de bonnes raisons de le faire ? Taehyung avait pardonné, oui, à Jungkook et même à Jimin sa lâcheté à l'époque, mais le sujet devait rester sensible, il n'aurait pas dû...

— Pardon Tae, je n'aurais pas dû te parler de lui, souffla-t-il en prenant la tête de son ami entre ses mains pour plonger son regard dans le sien.

Mais le regard de Taehyung était clair face à lui, il souriait.

— Ne t'inquiète pas. On peut en parler, il est important pour toi.

— Mais avec ce qu'il t'a fait...

— C'est du passé Jimin. Comme je t'ai dit, il s'est excusé. Il m'a soutenu pour ma pièce, m'avait même fait livrer une corbeille de fruits.

Jimin le regarda d'un air sceptique.

— Jungkook ? Il a fait ça ?

— Oui, moi aussi j'ai eu du mal à le croire...

Taehyung se mit à rire.

Il semblait si détendu, si différent du Taehyung d'il y a 6 mois. Si heureux, malgré ce qui s'était passé avec Jungkook.

— Et puis Jungkook te rend heureux. Et ça c'est le plus important. Je ne comprends pas comment il fait, vous avez des critères... différents des miens. Mais tu es heureux avec lui, et pour ça je le remercie.

Jimin sentit les larmes monter à nouveau.

Oui, Taehyung était si différent.

Peut-être même comprendrait-il...

— J'aime beaucoup Jungkook, oui. Comme tu dis, il me rend heureux. J'aime être avec lui.

C'était étrange de dire ça à haute voix.

— Mais... J'aime aussi être avec Yoongi. Lui aussi me rend heureux.

Jimin jeta un œil à Taehyung. Il l'écoutait attentivement.

— Un peu comme Jungkook mais... différent en même temps. Et lui aussi je l'aime beaucoup. Je les aime tous les deux. Beaucoup.

Jimin se sentait devenu rouge pivoine maintenant, il osait à peine regarder Taehyung.

Le silence s'installa un instant, puis Taehyung se racla la gorge.

— D'a... D'accord. Et eux ? Ils tiennent aussi à toi ?

— Oui. Je crois.

— Ils savent tous les deux qu'ils... qu'ils ne sont pas tous seuls ?

Jimin ne put s'empêcher de rire à la formulation.

— Maintenant oui.

— Et ils l'acceptent ?

— Ils l'acceptent.

— Alors, où est le problème ?

Jimin leva les yeux. Taehyung lui souriait.

— Il n'y a pas de problème...

Sa voix se brisa.

— Merci Taehyung. J'avais peur que tu...

— Que je te juge ? Avant, oui. Maintenant j'ai compris que le problème venait de moi. On n'a pas à juger la manière dont les autres aiment ou vivent. Tant qu'ils ne font pas de mal aux autres et qu'ils sont heureux.

Jimin hocha la tête. C'était si vrai.

— Et puis, reprit Taehyung en souriant, je serais mal placé pour te juger.

— Toi ?

La lumière se fit soudain dans l'esprit de Jimin.

— Hoseok ! cria-t-il en se précipitant vers Taehyung. Tu es avec Hoseok, c'est ça ?! Ah je m'en doutais, vous étiez tout bizarres quand je vous ai vus ensemble à ton spectacle !

Taehyung se mit à rire, lui rendant son étreinte.

— Raconte-moi tout, exigea Jimin les yeux brillants, en prenant un coussin pour s'installer confortablement.

Taehyung sembla soudain un peu timide.

— Il n'y a pas grand chose à raconter. On s'aime bien. Il est... très gentil avec moi.

— Et très beau.

Taehyung éclata de rire.

— Oui, très beau aussi. Et drôle. Et courageux.

Jimin buvait ses paroles. Il n'aurait jamais pensé entendre un jour ces mots dans la bouche de son ami. Jamais pensé le voir un jour ainsi, le rose aux joues, les yeux qui brillaient. Et cet air rêveur en parlant de quelqu'un.

Et le meilleur était que c'était d'Hoseok dont il parlait. D'Hoseok dont il était visiblement fou amoureux.

Hoseok, une des meilleures personnes que Jimin connaisse. Quelqu'un en qui il avait une entière confiance.

Face à lui, Taehyung s'était fait sérieux.

— Et très compréhensif aussi, ajouta-t-il après un instant d'hésitation.

— Compréhensif pourquoi ? demanda Jimin d'une voix douce.

Taehyung tortillait le coin d'un coussin, il semblait particulièrement gêné.

— Avec moi. Avec ce que je n'aime pas. Ce que je ne réussis pas à faire.

Jimin tentait de comprendre.

Taehyung dut lire le désarroi dans ses yeux car il compléta dans un souffle :

— Je n'aime pas... faire ces choses que tu fais avec Jungkook, et Yoongi peut-être. Pas du tout. Même avec Hoseok. Je ne veux pas le faire, je n'en ai pas envie.

— D'accord.

Quelque part, cela n'étonnait pas Jimin. Il avait toujours senti Taehyung tellement distant de ces choses là, bien plus que lui.

— On en parle, avec Hoseok. On a même... essayé, un peu. Tout à l'heure.

Les joues de Taehyung étaient rouges vif maintenant.

— Mais non, rien. Ça ne me fait rien. Et à partir d'un certain point ça devient désagréable. Heureusement Hoseok comprend et il n'insiste pas. Il m'a même dit que ça ne le gênait pas qu'on ne fasse jamais ce genre de choses. Qu'il... se débrouillerait. Seul.

— Oui, ne t'inquiète pas Tae, répondit Jimin avec un sourire. S'il t'aime, il se débrouillera. Et il a l'air de beaucoup, beaucoup t'aimer, taquina-t-il.

— Oui, il est tellement merveilleux...

Jimin ne put s'empêcher de rire. Tae amoureux, c'était quelque chose.

— Je suis content pour toi, reprit-il en s'approchant et en prenant son ami contre lui. Hoseok est parfait.

— Je voudrais en dire autant pour toi Jimin... commença Taehyung avec un sourire en coin. Mais Jungkook, vraiment... Tu n'aurais pas pu trouver mieux ? se lamenta-t-il faussement.

Jimin éclata de rire.

— Jungkook est très bien. Et Yoongi aussi. A eux deux, ils sont certainement les personnes qu'il me fallait. Ils se complètent, tu vois ? Jungkook sans Yoongi, c'est comme s'il me manquait quelque chose. Yoongi sans Jungkook, c'est pareil. Mais les deux ensemble... C'est le paradis !

Il s'aperçut que Taehyung le regardait avec des yeux ronds.

— Les... Les deux ensemble ? Tu veux dire...

Jimin s'empourpra.

— Non ! Ce n'est pas ce que je voulais dire ! Je veux dire, aimer les deux, être aimé des deux, c'est le paradis. Non Tae, on n'a pas fait ça tous les trois !

Il rit, un peu nerveusement.

Taehyung se mit à rire à son tour.

— Tu sais Jimin, plus rien ne m'étonne maintenant. Si ça vous fait plaisir, faites ce que vous voulez.

Furtivement l'image des deux corps nus de Jungkook et Yoongi pressés contre le sien passa dans l'esprit de Jimin.

— N'importe quoi.

Mais sa bouche était sèche, son bas-ventre si excité tout à coup que c'en était risible. Pourquoi cette idée saugrenue lui faisait-elle cet effet là ?!

Il se secoua, ajusta sa tunique sous le regard goguenard de Taehyung.

— Arrête de rire ! C'est toi qui me mets des idées absurdes dans la tête.

Taehyung se mit à rire de plus belle.

— On change de sujet. Parle moi encore un peu d'Hoseok ou de tes projets de théâtre, parce que je vais bientôt devoir y aller. Je dois dîner avec ma mère, elle est si inquiète que je parte.

— Ah, ça va pleurer, répondit Taehyung, redevenu brusquement sérieux.

— Oui, beaucoup.

Jimin soupira.

— Ça fait bizarre de partir demain, je n'arrive pas à le croire. Une part de moi à un peu peur de ne jamais revenir. Le long voyage, et puis...

— Et puis les combats ?

— Oui.

Jimin avait murmuré. Il avait tenté de ne pas y penser ces derniers temps, de se faire confiance, de faire confiance au jugement de Yoongi qui lui disait qu'il était plus que prêt, qu'il avait encore progressé depuis les Jeux d'Athènes. Mais la crainte était toujours là.

Réussirait-il même à combattre une fois sur le sable ? Et s'il devait affronter Lion à nouveau ? Et s'il était grièvement blessé à nouveau ? Et si Jungkook était blessé ? Ou si Yoongi vivait mal le fait de revenir à Olympie après ces 4 années ?

— Jimin...

La voix de Taehyung le tira de ses pensées.

— Ça va bien se passer. J'irai porter tous les jours des offrandes aux Dieux pour toi. Yoongi sera là. Même Jungkook. Tout va bien se passer. Seulement, promets-moi...

La voix de Taehyung se brisa.

— Promets moi que, si ça arrive, tu abandonneras dès que tu te sentiras en difficultés. Que tu ne prendras pas de risque. Plus besoin d'être têtu comme la dernière fois, Jimin. Il n'y a plus d'enjeu.

Jimin hocha la tête, glissa ses mains dans celles de Taehyung en tentant de refouler ses larmes.

Vraiment, n'y avait-il plus d'enjeu ?

Il pensa à la citoyenneté. Cela lui semblait à la fois encore très important, et presque futile.

Lorsqu'il s'entraînait, ou lorsqu'il était avec Tae, Hoseok, Seokjin ou même Namjoon, lorsque surtout il était avec Yoongi et Jungkook, il s'en fichait, de cette citoyenneté. Personne ne lui en parlait, personne ne lui rapelait qu'il était métèque. Il se sentait comme tous les autres.

Mais à d'autres moments...

Il pensa furtivement à son père.

À Périclès.

Car pourrait-il un jour l'appeler Père à nouveau ?

Alors, peut-être qu'obtenir la citoyenneté en gagnant ces Jeux d'Olympie était-il encore un peu important. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top