Chapitre 50



Jungkook avait attrapé la main de Jimin pour le guider à travers le dédale des ruelles, se faufilant habilement entre les étals des commerçants, les charrettes à bras qui déboulaient sans crier gare, les restes de boue de la dernière pluie et les enfants accroupis sur le sol.

Jimin peinait à suivre. Il glissait, se rattrapait à la main solide et chaude qui enveloppait la sienne, au sourire qui semblait si sincère maintenant.

Il n'arrivait pas à croire qu'il était ici, dans ces faubourgs malfamés, dans ce qu'on qualifiait de lieux perdus de pauvreté et de débauche. La lie de la cité, disait-on même. Personne de son entourage n'aurait aimé se retrouver ici à la tombée de la nuit, personne de son entourage n'était même jamais venu ici, il l'aurait juré.

Que penserait Taehyung ? Seokjin ? Que dirait sa mère ? Que dirait son père ?

"Vous ne vous promenez pas dans son quartier j'espère ?"

Jimin frissonna, s'agrippa plus fermement à la main rassurante.

Il était là pour aider Jungkook.

Pour l'accompagner voir sa famille, pas pour se perdre dans les ruelles toute la nuit. Dès que Jungkook aurait passé le seuil de la porte, Jimin rentrerait chez lui. Il faudrait certainement qu'il demande son chemin mais il y arriverait, n'est-ce pas ?

Et puis, si jamais il devait même rapidement saluer les parents de Jungkook, ce n'était pas bien grave. Il avait déjà rencontré le père de Jungkook le jour des élections, certainement parlé à sa mère à la fabrique, même s'il ne savait pas bien laquelle des employées elle était. Ce ne serait pas si différent.

En fait, les gens n'étaient pas si différents.

Les sourires des gamins, dans la rue, étaient les mêmes que par chez lui.

Les apostrophes des commerçants étaient les mêmes.

La hâte de la foule, la rudesse de certains, était la même.

Seuls les vêtements différaient, seule la saleté sur le sol et les maisons délabrées.

La pauvreté.

Voilà ce qui marquait le quartier.

Jimin sentit son coeur se serrer à remarquer les joues creuses de certains enfants, la maigreur des femmes portant leurs ballots. Le regard des hommes était fier, pourtant, un peu intimidant lorsqu'ils le suivaient du regard.

Il serrait fort la main de Jungkook.

Tout à coup la finesse de l'étoffe de sa tunique lui pesait, il aurait voulu retirer son diadème, retirer tous ses bijoux pour en masquer la brillance. Il posa une main sur son propre bras, cacha les pierres du bracelet de Yoongi.

Avait-il peur d'être volé ? Non, Jungkook était là, on ne lui ferait rien.

Car on reconnaissait Jungkook, partout. On saluait avec joie le champion d'Athènes, on l'arrêtait pour lui parler. Jimin patientait alors à côté, intimidé, accroché à la main de Jungkook.

Un sentiment désagréable au fond de lui.

Il avait soudain honte de sa richesse. Honte de son insouciance.

Honte de n'avoir rien fait pour mériter un sort plus favorable que celui de ces gens.

Mais, alors que Jungkook discutait, alors qu'ils se faisaient chaque fois alpaguer par les passants et ne progressaient plus qu'à pas de fourmi, Jimin finit par se secouer et se concentra peu à peu. Il commença à observer autour de lui d'un regard neuf.

Qu'y avait-il à faire pour aider, même de manière infime ?

Donner quelques écus aux enfants qui le regardaient d'un air curieux ? Donner aux femmes, aux hommes ? Peut-être acheter aux commerçants ?

Il jeta un coup d'œil discret à l'intérieur de sa bourse de cuir. Il n'avait emporté que peu d'argent, mais ce peu, ici, pouvait faire tellement.

Il acheta de petits gâteaux à un marchand, se dit qu'il les ramènerait chez lui, pour les faire goûter à sa mère. Ou bien les donnerait à Jungkook, pour qu'il n'arrive pas chez ses parents les mains vides.

Il y avait aussi ce marchand de couleurs, un peu plus loin.

Jimin fit signe à Jungkook qu'il s'éloignait. On le regardait avec curiosité, mais l'intérêt était surtout porté sur Jungkook. Tant mieux. Jimin aimait voir Jungkook au cœur de l'attention, jouir de ce prestige que la victoire aux Jeux lui avait donné. Il aimait le voir interagir avec les gens, rire de ce rire qu'il n'avait pas entendu depuis si longtemps, partager sa gouaille avec d'autres, ses gestes brusques parfois, un peu brouillons, ces mèches qui lui tombaient toujours dans les yeux. Et puis ces yeux noirs, qui revenaient régulièrement se poser sur Jimin, qui ne le lâchaient pas, un peu inquiets peut-être de le voir s'éloigner autant.

Mais il y avait ce vieux marchand de couleurs, et cette idée qui avait germé en Jimin.

— Bonjour.

Le vieil homme le regardait avec curiosité.

— Je voudrais voir pour de l'ocre.

— Oui, il vous faut quelle quantité ?

— Quelle quantité pouvez-vous fournir ?

— Eh bien, j'ai ce stock, ici.

Il montrait une étagère chargée.

— Mais je peux en fournir d'autre pour demain ou pour les jours suivants, si jamais.

— Alors je prends déjà ce que vous avez aujourd'hui.

— Tout ?

L'homme paraissait surpris.

— Oui.

— Vous aimez peindre ?

— Pas du tout. C'est pour la fabrique Milêtos.

— La fabrique Milêtos ? Mais ils travaillent avec...

— Oui, je sais avec qui ils travaillent d'habitude.

Le plus gros fournisseur de la ville. Jimin avait retenu cette partie de l'enseignement forcé de sa mère.

Sa mère... Se fâcherait-elle de ce qu'il faisait ? Mais elle disait toujours qu'il devait s'investir dans la fabrique. C'était ce qu'il faisait.

Il hésita. Devait-il dire à l'homme de livrer demain aussi ?

Mais peut-être fallait-il prendre son temps, faire les choses avec soin. Mettre en place quelque chose de plus pérenne qui soit sûr d'assurer un revenu régulier à cet homme.

— Vous ferez livrer votre stock à la fabrique, demanderez à parler au contremaître. Et vous lui donnerez ceci, pour qu'il vous paye. Avez-vous de quoi écrire ?

Après quelques minutes à faire le tour des commerçants, l'homme revint avec un morceau de rouleau, un calame et un peu d'encre.

Quelques personnes s'étaient attroupées, curieuses, et Jungkook lui-même finit par les rejoindre.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Ce que je peux.

Penché à écrire, Jimin ne se sentait pas à l'aise. Faisait-il bien ? Jungkook comprendrait-il ? Peut-être était-ce une erreur. Peut-être allait-il trop vite, sans bien comprendre le fonctionnement du quartier. Peut-être n'était-ce pas la bonne chose à faire, peut-être...

Il sentit la main de Jungkook sur son épaule, le vit sourire.

— Tu peux beaucoup.

— Pas assez.

Mais la pression sur son épaule s'accentua.

— C'est déjà ça.

Jimin se sentit un peu soulagé. Alors Jungkook comprenait. Il ne se moquait pas de lui.

Il acheva d'écrire, roula le parchemin et le donna au vieil homme.

— Dites que vous venez de ma part. Jimin, le fils d'Aspasie.

Et, peut-être pour la première fois, il ne ressentit pas de honte à prononcer ces mots.

Les yeux du vieil homme s'éclairèrent et il s'inclina légèrement. Jimin sourit et reprit :

— Pourriez-vous fournir cette même quantité chaque semaine ? Ou même un peu plus ?

— Oui, ça doit être possible.

— Alors faisons ça. Vous livrerez chaque semaine la même quantité qu'aujourd'hui, pour commencer.

Lorsqu'il eut terminé la transaction, Jimin salua et se retourna vers Jungkook, qui l'attendait en discutant.

— On y va ? Tu as fini ton affaire ?

Jimin le suivit à nouveau entre les ruelles, plus tranquille désormais. Il observait tout minutieusement, à la recherche d'autres fournisseurs éventuels. Jungkook, quant à lui, semblait bien plus à l'aise qu'à son arrivée dans le quartier.

— C'est bien ce que tu fais.

— Quoi ?

— Ça. Faire travailler les gens d'ici. On travaille aussi bien que les autres, seulement on n'a pas accès aux mêmes clients. Donc on reste bloqués dans le petit et le médiocre. On reste pauvre. Ce que tu as fait, c'est un peu ce que Hoseok a fait avec moi. Me donner la possibilité de montrer ce que je vaux.

Jimin hocha la tête.

— Je vais tout faire pour qu'il puisse nous fournir en couleurs le plus possible. Et n'hésite pas à me dire si tu as d'autres idées.

Jungkook sourit, alla pour lui saisir la main. Se retint finalement, un voile sur les yeux.

Jimin sentit le manque.

Mais il n'y avait plus rien entre eux, plus rien sauf une amitié qui tentait de survivre. Des gestes comme ceux-là n'avaient plus lieu d'être, c'était normal.

Il se sentit un peu triste tout à coup.

Jungkook resta silencieux, perdu dans ses pensées lui aussi.

Puis finalement il stoppa devant une petite cour, pas si différente de celle de chez Yoongi.

— C'est ici.

Le regard de Jungkook était incertain.

— D'accord.

Jungkook s'avança de quelques pas dans la cour. Jimin se pressa, le rejoignit et murmura :

— Ça va bien se passer.

Il sentit une pression brève sur ses doigts, lu la gratitude dans les yeux de Jungkook.

— Oui. Je rentre juste à la maison.

Un peu en retrait, Jimin observa la maison alors que Jungkook s'approchait, frappait brièvement puis ouvrait la porte.

Ce n'était pas si différent de la maison de Yoongi, juste plus grand, et un peu plus beau. La cour était ornée de fleurs, la peinture des murs semblait refaite de frais.

Jungkook fit un pas à l'intérieur alors qu'une exclamation se faisait entendre, que Jimin voyait une femme l'étreindre. Elle n'était pas grande, plutôt frêle, mais serrait si fort Jungkook qu'il devait se pencher en riant. Jimin reconnut une des employées de la fabrique. C'était donc elle, la mère de Jungkook ? Comment s'appelait-elle déjà ?

Il pesta en se demandant pourquoi il n'avait pas le don de sa mère de se souvenir du prénom de toutes les personnes qu'elle rencontrait même brièvement. À moins que ce ne soit Jimin qui ne porte pas attention à ces choses là. Il eut un peu honte tout à coup, se dit qu'il faudrait qu'il fasse un effort.

Il s'apprêtait à repartir, se demandait déjà comment il allait s'y retrouver dans les ruelles, lorsque Jungkook se retourna vers lui et lui attrapa le bras.

— Entre, Jimin. Je te présente ma mère. Maman, c'est...

— Oui, je sais qui c'est bien sûr. Bonjour Monsieur.

La mère de Jungkook semblait complètement déstabilisée, elle tentait d'ôter son tablier tâché, tentait d'arranger sa coiffure.

— Je suis désolée, je ne savais pas du tout que vous veniez, je ne vous aurais pas accueilli comme ça sinon.

Jimin se sentit peiné pour elle tout à coup. Il n'aurait pas dû venir, pas même s'approcher, il la mettait mal à l'aise. Sa présence gênait, il allait gâcher les retrouvailles de Jungkook avec sa famille. Et puis, pourquoi Jungkook lui disait-il d'entrer ?

— Non, ce n'est pas grave, c'est moi qui vient sans m'annoncer, pardonnez-moi. Je passais juste déposer Jungkook, je m'en vais.

Il s'inclina, afficha un sourire engageant et tenta de se dégager de la poigne de Jungkook.

— C'est moi qui l'ai forcé à venir, Maman, je voulais qu'il vous rencontre.

— Qu'il nous rencontre ? Mais...

La mère de Jungkook était aussi perdue que Jimin en cet instant. Jungkook avait dit avoir besoin de soutien pour venir jusqu'ici, pas qu'il faudrait entrer, encore moins rencontrer sa famille !

— Tu vas laisser notre invité et notre fils sur le seuil ?

Tous se retournèrent vers la voix grave qui venait d'intervenir.

C'était le père de Jungkook, s'appuyant avec peine sur un mur, un léger sourire aux lèvres mais les yeux perçants qui sondaient Jimin, qui sondaient Jungkook.

Jimin se souvenait bien de lui. Il se souvenait bien de ce jour des élections, sur la colline de la Pnyx. La situation était si différente aujourd'hui. Il avait l'impression de passer un test, d'être jugé sur... quoi exactement ? Il ne savait pas bien, ce qui ajoutait encore à son inconfort.

Il maudit Jungkook. Et se maudit surtout lui-même d'avoir faibli devant ses yeux implorants.

Non seulement il était dans le pire quartier de la ville, mais en plus il se sentait comme un petit enfant devant le père de Jungkook. Que faisait-il ici ?

Jimin voulut se tourner vers Jungkook, lui faire comprendre qu'il ne voulait pas rester ici, mais la mère les poussait déjà vers le salon en souriant. Elle leur intimait de s'asseoir, qu'elle allait leur apporter à boire.

— Vous devez être fatigués, il fait chaud aujourd'hui.

Jimin la vit virevolter vers la cuisine, un grand sourire aux lèvres. Peut-être était-elle contente finalement ? Il jeta un coup d'œil à Jungkook, l'aperçut tellement mal à l'aise sous le regard de son père venu s'asseoir face à eux, qu'il en oublia un peu sa rancune.

— Comment vas-tu mon fils ?

— Je vais bien, Père.

— Comment se passe l'entraînement ?

— Bien. Je progresse, mon entraîneur est fier de moi. Il m'a confirmé que je serais prêt pour les Jeux d'Olympie.

Jimin décela de la fierté dans les yeux du père de Jungkook, s'aperçut qu'il ressentait la même chose.

Jungkook avait tellement progressé. Il était certainement le meilleur pugiliste d'Athènes aujourd'hui.

Inconsciemment, Jimin posa les yeux sur lui, observa son profil en souriant. Le nez droit, les yeux respectueusement baissés mais butés. La bouche un peu pincée. Il réprima un rire.

Jungkook ne changeait pas, sur le fond. Tout au plus s'adoucissait-il un peu.

Et Jimin s'aperçut qu'il aimait cela. Que Jungkook reste égal à lui-même, alors que tout avait tellement changé après les Jeux d'Athènes. Il se demanda ce que les parents de Jungkook en pensaient.

Lorsqu'il détourna les yeux de ce profil qu'il retrouvait avec tant de bonheur, le père de Jungkook était en train de l'observer, sourcils froncés.

— Qu'en pensez-vous, Jimin ? Pensez-vous que Jungkook puisse participer aux Jeux d'Olympie ?

Jimin fut surpris de la question, plus encore de ce regard qui restait si perçant.

— Oui, bien sûr. Il a gagné les Jeux d'Athènes en à peine quelques mois d'entraînement. Passer la sélection d'Olympie sera un jeu d'enfant pour lui, il s'entraîne avec le meilleur entraîneur de la ville.

Yoongi.

Oui, Yoongi était à l'heure actuelle le meilleur entraîneur de la ville. Jimin ne put empêcher une douce chaleur de l'envahir. Il allait le retrouver le lendemain pour leur entraînement, il resterait certainement dormir. La pensée le fit sourire.

— Voilà, de la bière et du vin.

La mère de Jungkook était revenue, chargée de petites amphores et de trois beaux gobelets en terre cuite. Lorsqu'il releva la tête pour l'observer, Jimin rencontra les yeux de Jungkook posés sur lui, songeurs. Et ceux du père, bien plus précis.

— Jungkook, sers-nous.

Jungkook s'exécuta. Il servit d'abord son père, puis Jimin, qui le remercia d'un sourire. Jungkook esquissa un sourire en retour, avant de se servir lui-même et de se rasseoir. La mère avait à nouveau disparu dans la cuisine.

Ils se perdirent quelques minutes dans la boisson, avant que le père de Jungkook ne rompe le silence.

— Et vous, Jimin ?

— Moi ?

— Oui. Vous boxez vous aussi, n'est-ce pas ?

— Oui.

— Vous participerez aux Jeux d'Olympie vous aussi ?

— Je ne sais pas. Si je peux, oui, peut-être...

Mais Jungkook l'interrompit avec enthousiasme :

— Bien sûr que tu vas pouvoir participer ! Père, vous ne l'avez pas vu se battre, mais il est excellent ! Il combat d'une manière un peu différente et, du coup, tout le monde est déstabilisé, c'est drôle à voir !

— Merci mais je préférerais que tu dises que je suis dangereux plutôt que drôle, rétorqua Jimin, amusé.

— Mais dangereux tu l'es ! Mon menton et ma joue s'en souviennent... Tu te souviens de ce premier uppercut que tu m'avais donné ce jour-là au Soleil d'Or ? Et de ce crochet ?

Jungkook massait exagérément sa joue droite en grimaçant.

Jimin éclata de rire. Il n'arrivait pas à croire que Jungkook se souvienne de chacun des coups de leur premier combat. De leur seul et unique combat.

Combien il aimerait affronter à nouveau Jungkook... Comme il le faisait avec Yoongi. Pour s'entraîner. Pour s'amuser, partager.

— On pourra remettre ça un jour si tu veux.

— J'attends que ça, Jimin.

Les yeux de Jungkook s'étaient faits si limpides tout à coup. Jimin pouvait y lire son envie. Toutes ses envies.

Jimin détourna le regard pour ne pas rougir.

— Vous ne ressemblez pas à des adversaires.

Le père de Jungkook esquissait un léger sourire. Il tendit son gobelet à Jungkook pour qu'il le serve à nouveau.

— Pourtant vous ne boxez plus pour le même gymnase, n'est-ce pas ?

— Non, répondit Jimin, vaguement troublé par ce sourire.

Le père hocha la tête, but le vin.

Puis il reposa le gobelet sur la table.

— Pourquoi es-tu ici, Jungkook ?

Jungkook sembla déstabilisé.

— Pour vous voir. Pour...

Il baissa la tête.

— Pour m'excuser. D'avoir été absent. D'avoir... dit des choses.

Ce hochement de tête, à nouveau, plus stressant que n'importe quelle parole.

— Le temps t'a été bénéfique ?

— Oui. J'ai compris certaines choses.

Jimin assistait à l'échange sans bien comprendre. Il avait l'impression d'être un intrus, de ne pas devoir être là. Il fallait se lever, prendre congé.

— Et Jimin ? Pourquoi est-il là ?

Jimin se figea.

Jungkook hésita. Puis Jimin le vit relever la tête, une détermination nouvelle dans le regard.

— Parce que, si moi j'ai compris certaines choses, j'aimerais que vous-même en compreniez d'autres, Père. Certaines choses sont vraies, je m'en suis rendu compte. Difficilement. Mais tout ne fonctionne pas pareil. Tout le monde n'est pas pareil.

Jungkook se tourna vers Jimin, s'accrocha à ses yeux.

— Jimin n'est pas pareil. En tout cas je veux le croire.

— Je pensais que vous vous étiez disputé ?

C'était la mère de Jungkook qui était intervenue, le corps à peine sorti de la cuisine.

Jungkook se troubla. Jimin baissa les yeux, se sentit rougir.

— C'était pour... autre chose. Et ça ne change rien. Je lui fais confiance.

— Donc vous êtes amis.

— Oui.

Jungkook hocha vigoureusement la tête. Jimin sourit. C'était étrangement satisfaisant de savoir que Jungkook le considérait comme un ami. Il répondit lui-même d'un hochement de tête au regard interrogateur du père de Jungkook, perçut l'air soulagé de Jungkook à ses côtés.

— Oui, on est amis, reprit Jungkook.

Puis, après un instant d'hésitation :

— Entre autres.

Jimin sentit ses joues devenir feu.

La mère de Jungkook eut un petit rire. Elle repartit dans sa cuisine en lançant :

— Je ne veux pas en savoir plus !

En face, le père de Jungkook leva les yeux au ciel. Puis il toussota, attrapa une boîte derrière lui. Il en sortit un plateau de petteia.

— Qui veut m'affronter, en attendant que le repas soit prêt ?

Il souriait.


***


Les trois parties furent perdues par Jimin, puis Jungkook. À croire que c'était une spécialité paternelle d'écraser les plus jeunes.

Le dîner fut dévoré. Jimin remercia maintes fois, complimenta maintes fois. C'était bon, cela lui rappelait ce qu'il mangeait chez sa nourrice, en plus élaboré. La mère de Jungkook s'était pliée en quatre.

Lorsqu'il voulut prendre congé, ce fut un concert de protestations. Il était trop tard, la nuit était déjà tombée depuis longtemps. Les rues n'étaient pas sûres par ici la nuit, ce que Jungkook confirma d'un hochement de tête, en regardant la tenue luxueuse de Jimin d'un air éloquent.

— Tu vas te faire voler ton beau diadème et tes bracelets.

— C'est vrai, acquiesça le père de Jungkook, qui était jusqu'alors resté silencieux.

Jimin baissa la tête, gêné. Il s'était rendu compte à plusieurs reprises combien il était décalé, ici. Combien les règles qui prévalaient dans son monde semblaient inutiles ou inadaptées. En cet instant, il aurait voulu avoir le dépouillement de la tenue de Jungkook. Et ne pas avoir choisi ces magnifiques sandales, pas du tout adaptées pour une nouvelle marche longue. Il avait déjà les pieds en sang, que la mère de Jungkook avait insisté pour soigner, à sa grande honte.

Il regarda les sandales de Jungkook, plus simples mais surtout plus robustes, qui prenaient bien le corps du pied d'un cuir large, sans pour autant serpenter le long du mollet comme les siennes.

— Reste, et on ira t'acheter le même genre de sandales que les miennes demain matin, ça sera plus facile pour rentrer. Désolé de ne pas avoir de palanquin à disposition, ajouta Jungkook avec un clin d'œil.

— J'aime marcher ! protesta Jimin.

— Je sais. C'est la faute de tes sandales. Et de tes bijoux. Et du tissu de ta tunique.

Jimin leva les yeux au ciel et tourna ostensiblement le dos, tandis que Jungkook se levait pour aller chercher plus de vin. Jimin ne comptait même plus les amphores déjà vidées, il se sentait pris dans une douce euphorie. Finalement, on était bien dans la famille de Jungkook. Le père avait même fait quelques petites blagues, et il restait maintenant là à bailler. Jimin aurait aimé avoir un père aussi présent, aussi accessible.

— Pas que je n'aime pas le cuir de tes sandales le long de tes jambes, Jimin. Ou t'enlever moi-même tous tes bijoux. Ou même soulever délicatement ta tunique.

Le souffle de Jungkook fut soudain brûlant contre sa nuque, alors que Jimin sentait ses doigts effleurer le bas de son dos, le faisant longuement frissonner. Il se retourna mais Jungkook avait déjà disparu dans la cuisine.

Lorsqu'il revint, l'amphore pleine, les joues de Jimin étaient toujours rouges.

Jungkook se rassit lourdement sur la banquette, se glissant jusqu'à Jimin. La pression de sa cuisse était bien plus forte que nécessaire contre sa jambe. Jimin surprenait des regards lourds sur lui, sur la partie apparente de ses cuisses, sur ses bras, son dos. Des regards qui embrasaient son corps, lui rappelaient certains mots, certaines caresses. Lourds sur sa nuque, lourds sur ses cheveux. La main de Jungkook effleura son diadème, comme pour le lui prendre.

— Au lit les jeunes.

Jungkook et Jimin se figèrent à la voix forte, osèrent un regard vers le père qui se levait avec peine, appelait sa femme.

— Je dors ici cette nuit, avec toi et la petite. Prépare la couche, je te prie, je suis fatigué. Les deux garçons prendront la chambre.

Jungkook et Jimin se récrièrent de concert, Jimin tentant encore d'expliquer qu'il pouvait rentrer chez lui.

— Tu tiens à peine debout et vous êtes chauds comme les braises tous les deux, alors au lit, dans la chambre. Tout de suite. Mais je ne veux pas vous entendre.

Jimin resta sidéré. Avait-il bien compris ? Ou l'expression avait-elle un sens différent ici ? La couleur pivoine de Jungkook, alors qu'il baissait la tête et l'attrapait par le bras pour rejoindre la petite pièce attenante, lui confirma que non. C'était presque drôle, il voyait si peu Jungkook rougir.

La porte se referma et ils se retrouvèrent tous les deux, à la lueur vacillante d'une bougie. On entendait à côté les meubles poussés, les chuchotements étouffés.

— Ça te va de dormir ici ? Désolé, c'est pas confortable, la paillasse du lit est fine. J'ai pas réfléchi, tu vas passer une nuit affreuse.

Jimin sourit. Il se souciait tellement peu de l'épaisseur de la paillasse en cet instant.

Il s'approcha d'un pas, posa sa main sur la poitrine de Jungkook. Sentit les vagues de son souffle qui la balançaient, qui apportaient l'odeur jusqu'à lui.

Cette odeur qui lui avait tant manqué.

L'odeur de Jungkook.

Il tituba sous le parfum, sous l'alcool aussi peut-être.

Une bonne raison pour excuser les actes.

— Jimin...

— Oui ?

Jimin se perdit dans les yeux sombres de Jungkook, dans la chaleur de sa main qui s'était refermée sur la sienne, l'emprisonnant contre son torse.

— Si je t'offrais à nouveau les cestes, tu les accepterais ?

Oh.

Il ne les avait pas jetées. Pas utilisées pour autre chose.

— Tu les as gardées ?

— Bien sûr.

Jungkook se détacha de Jimin, fit quelques pas vers un coffre, duquel il sortit le même petit paquet enveloppé dans un linge par un ruban rouge.

Il revint vers Jimin, presque à tâtons dans la pénombre, et lui tendit le paquet.

— Si tu refuses encore, je te tue. Ou je me tue, je sais pas. Ça sera trop de honte d'un coup.

Jimin se mit à rire.

— Je crois que je n'ai pas le choix. Je ne veux ni mourir, ni te voir mourir, ajouta-t-il malicieusement.

Il posa sa main sur le paquet, allait le prendre mais...

— Jungkook.

— Quoi ? Putain, tu vas prendre ces cestes, oui ou non ?!

Il n'aurait jamais pensé entendre un jour une telle détresse dans la voix de Jungkook.

— Oui, je vais les prendre. Mais tu sais que je vais continuer à... voir Yoongi.

— Je sais. On reste libres, tous les deux.

Jungkook souriait. Un sourire fragile.

— Tu fais ce que tu veux, avec qui tu veux. Mais on peut éviter de parler de lui maintenant ? Je vois déjà beaucoup trop sa tête au Lykeion, il va me rendre fou !

Jimin se mit à rire. Il ne croyait nullement en cette animosité de Jungkook envers Yoongi. Jungkook était jaloux, oui, mais la manière dont il regardait Yoongi...

Il prit finalement le petit paquet, ce petit paquet qui signifiait tant. Et le serra contre son cœur, sous le regard attentif de Jungkook.

Jungkook, qui se détendit enfin. Qui se mit à sourire de ce grand sourire qu'il aimait tant.

Jimin s'avança plus près encore. Butta contre le corps de Jungkook.

Enroula ses bras autour de la nuque face à lui, sentit les mains de Jungkook qui le saisissaient par les hanches, qui le plaquaient contre lui.

Alors il voulait vraiment lui aussi ?

Jimin ouvrit légèrement les lèvres, le cœur battant à tout rompre. Et rejoignit les lèvres de Jungkook.

Tout simplement.

Silencieusement.

Comme s'ils ne s'étaient jamais quittés.


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