Chapitre 49


Jimin s’étirait lentement dans son lit sculpté.

Le soleil était déjà haut dans le ciel, il lui fallait se dépêcher s’il ne voulait pas perdre sa journée.

La veille, il s’était endormi si tard.

Durant de longues heures, il avait lutté à appeler Hypnos, à tenter d’enfin se perdre dans le sommeil et dans l’oubli.

En vain.

Ses pensées tourbillonnaient tant qu’elles rendaient impossible tout abandon, tout relâchement des muscles et de l’esprit qui auraient permis son accueil et la chute dans une nuit sans nuage.

Jimin pensait, beaucoup trop.

Comme souvent.

Comme pire, ces derniers temps.

Il pensait à la boxe, à ces Jeux d’Olympie qui commençaient à le faire rêver. Yoongi avait dit et redit qu’il pouvait le faire, qu’il aurait le niveau.

Jimin voulait le croire.

Jimin voulait ne plus avoir peur, espérer encore une victoire qui lui apporterait… quoi ?

La citoyenneté ? Était-ce encore ce qu’il voulait ?

Ses pensées déviaient alors invariablement vers lui.

Vers Périclès. Son père.

Père.

Le mot lui avait échappé l’autre jour, lors d’une de leurs rencontres que Jimin attendait maintenant avec tant d’impatience qu’il ne pouvait en dormir la veille.

“Père, pensez-vous que…” avait-il commencé à dire, avant de s’interrompre brusquement, levant des yeux perdus vers celui qui le regardait alors fixement, une joie indicible au visage et des larmes, oui des larmes, emplissant peu à peu ses yeux.

— Oui, mon fils ? avait finalement demandé Périclès, alors que Jimin semblait incapable de continuer sa phrase.

Jimin avait secoué la tête, ancré ses yeux au sol et n’avait pu que rester silencieux de longues minutes, alors que les pensées les plus contradictoires s’affrontaient en lui.

Périclès avait respecté ce trouble, avait simplement posé son bras sur le sien pour l’inciter à continuer leur marche. Ils avaient terminé le tour du jardin, et la magie des lieux avait fait son œuvre. Jimin avait pu se reprendre et recommencer à converser après quelque temps.

Il avait aimé que Périclès n’insiste pas, ne reparle pas de ce “Père” échappé.

Mais, dans sa tête, Jimin apprenait petit à petit à apprivoiser le mot.

— Père, Père, Père, répétait-il parfois comme une litanie, à forcer le mot pour mieux le comprendre.

Les nuits étaient longues.

Car Périclès restait toujours si complexe à saisir. Tour à tour rassurant puis strict, bienveillant avec Jimin mais sans pitié dans son positionnement politique, il suivait un chemin que Jimin ne comprenait pas, auquel il ne pouvait donner du sens.

Aspasie, sa mère, n’aidait pas. Elle semblait avoir simplement accepté l’homme dans ses contradictions, sans plus se poser de questions. Sagesse ou faiblesse ?

Sa mère aussi hantait ses nuits.

Et puis…

Et puis Jimin passait du temps, bien trop de temps, à tenter de comprendre ce qui arrivait à son cœur.

A tenter de prendre la mesure du bonheur, à tenter d’accepter que, oui, ce Yoongi tendre, ce Yoongi souriant et attentif était bien réel. Qu’il était là, chaque jour à l’entraîner. Qu’il était là, les nuits où Jimin restait.

Jimin découvrait le bonheur d’aimer et d’être aimé. La simplicité de ces mots jamais plus prononcés, mais tellement montrés par la moindre attention, par la moindre intonation de voix dès qu’ils se trouvaient seuls, que Jimin ne doutait plus, qu’il acceptait simplement le miracle : Yoongi l’aimait. Yoongi l’acceptait, tel qu’il était.

Et Yoongi acceptait son coeur en échange.

Jimin avait l’impression qu’il ne s’était jamais senti aussi bien, aussi à sa place que lorsqu’il passait ces longues heures chez Yoongi, à ne rien faire de plus que vivre le quotidien des repas et des entraînements, des rires et des soupirs de plaisir. C’était si simple, si routinier mais pourtant si rassurant, que Jimin ne pouvait imaginer que cela s’arrête un jour.

Yoongi était celui qui savait le calmer.

Yoongi était celui qui pouvait stopper ses pensées et ses doutes, rassurer son coeur et le laisser grand ouvert au bonheur.

Yoongi était tout.

Tout comme Jimin sentait qu’il était lui-même tout pour Yoongi.

Amour partagé.

Il tendit la main, tâtonna et finit par attraper ce qu’il cherchait, sur le meuble à côté de sa tête de lit. Lorsqu’il rapporta l’objet sous ses yeux pour le contempler à loisir, Jimin ne put s’empêcher de sourire de contentement : le bracelet que Yoongi lui avait offert était tellement magnifique.

Il avait l’impression de ne jamais avoir reçu un tel présent.

Ce n’était pas tant le prix que l’intention, le sens glissé derrière le cadeau. Un bracelet pour des mots. Et Jimin pouvait sans peine imaginer ces mots,  chaque fois quil regardait les émeraudes.

Il sourit, pleinement satisfait, pleinement épanoui comme à chaque fois qu’il pensait à Yoongi.

Yoongi qui, lui, n’allait pas s’évaporer.

Mais ce fut le coup de poignard, tout à coup, à cette pensée fugace qui venait de le traverser, à cette certitude qui en cachait une autre, une douloureuse, une que Jimin tentait d’oublier mais qui s’entêtait à revenir.

La certitude de l’absence.

Le trou béant à la poitrine chaque fois qu’il y pensait.

Chaque fois qu’il pensait à lui.

À Jungkook.

Jungkook.

Jungkook.

Jimin agrippa le drap, le serra à s’en faire mal.

Il tenta de chasser le nom de son esprit, de refouler l’image du sourire, de ces yeux noirs incandescents, les sensations qui revenaient si rapides dès qu’il pensait à lui.

Ses bras autour de lui. Son corps, si différent de celui de Yoongi, qui savait lui aussi le faire se sentir bien, si bien.

Les cestes, qu’il avait voulu lui offrir. Les mots cachés sous l’acte.

Jimin sentit les larmes affluer sous ses paupières fermées, il se tendit, tordit le drap sous ses doigts.

Il fallait cesser. Il devait se lever. Avancer, oublier ces pensées-cauchemars.

Jungkook était parti.

Jungkook ne reviendrait plus.

Et c’était Jimin qui l’avait décidé.

Il fallait tenir, ne jamais lâcher.

Oui, Jimin devait tenir.

Même s’il passait ses nuits à regretter.

Même si Lion, en ces instants, lui paraissait si insignifiant. Mettre fin au plaisir présent par crainte du passé. Quel idiot Jimin avait été.

Il s’était volontairement coupé du bonheur.

De son autre bonheur.

D’un bonheur qui lui semblait aujourd’hui si nécessaire qu’il ternissait même, parfois, le paradis d'avec Yoongi. Ce simple nom, Jungkook, suffisait alors à réveiller une douleur si envahissante qu’elle le saisissait à la gorge, qu’elle semait des larmes dans ses yeux.

Jimin sentait alors le regard inquiet de Yoongi sur lui, même s’il restait muet sur le sujet.

Il se dépêchait de répondre d’un rire, d’un sourire, d’une pirouette enjôleuse.
 
Reléguait le manque à la nuit, aux heures blanches sans sommeil.

Yoongi le jour, Jungkook la nuit.

Le bonheur et le vide.

Chaque jour.

***

Jimin achevait de s’habiller lorsqu’une servante vint frapper à la porte.

— Un visiteur pour vous, Monsieur.

Il fut surpris.

Yoongi avait à faire l’après-midi, ils ne devaient pas se voir avant le lendemain.

Tae, quant à lui, ne se faisait jamais annoncer. Il arrivait, simplement, et s’installait sans demander sur le lit de Jimin ou dans un fauteuil. Comme avant. Jimin n’aurait jamais cru qu’il aimerait autant retrouver ces manies qui le faisaient tiquer, avant. Qui l’enchantaient presque, maintenant.

Que c’était bon d’avoir retrouvé Taehyung. Que c’était bon, même, d’avoir retrouvé un ami plus ouvert, plus tolérant, un ami qui s’était excusé et tentait maintenant de comprendre Jimin, d’accepter ce qu’il ne pouvait encore totalement concevoir.

Mais Taehyung ne s’annonçait jamais, et ils s’étaient vus la veille.

Alors qui donc… ?

Jimin acheva de mettre son diadème, le bracelet de Yoongi, puis de s’orner des autres bracelets et broches. Enfin, il quitta ses appartements et longea le patio jusqu’au petit vestibule ombragé où on faisait généralement attendre les visiteurs.

Arrivé là, son souffle se coupa.

Cette silhouette, qu'il aurait repérée entre mille.

Jungkook était là.

Jimin l'avait immédiatement reconnu, de dos, alors même que la légèreté de son pas n'avait pas alerté Jungkook, que celui-ci restait assis à contempler le citronnier qui s’étalait dans un coin. Le dos légèrement voûté, les mains jointes devant lui à se triturer les ongles.

Que se passait-il ?

Où était le fier Jungkook, celui qui crachait de mépris, celui qui se fichait des convenances, se fichait de qui était debout face à lui ?

Ici, dans la magnificence de la villa, Jungkook paraissait presque petit.

Jimin eut l’envie soudaine de le prendre dans ses bras. Ou de s’approcher sans bruit, de le surprendre et de s'amuser à le faire basculer sous l’eau de la fontaine juste à côté.

Il était là, Jungkook était là !

Mais Jimin s’immobilisa,  alors que la raison reprenait peu à peu possession de lui.

Il était là, mais ils étaient brouillés.

Séparés.

Redevenus des étrangers l’un pour l’autre.

— Bonjour Jungkook, prononça-t-il avec peine.

Jungkook se raidit à sa voix, sauta immédiatement sur ses pieds et se retourna, l'œil un peu perdu.

Il ne répondit rien.

Il resta simplement là, à contempler Jimin, à faire peser sur lui ce regard noir, lourd soudain sous le silence du vestibule.

— Tu… Tu vas bien ? tenta Jimin, déstabilisé par ce qu’il sentait dans ce regard, par ce qu’il sentait se réveiller au fond de lui.

Jungkook était là.

— Oui.

Jimin hocha la tête.

Mais, très vite, Jungkook eut un rire étrange, secoua la tête comme pour lui-même et se corrigea :

— Oui, tout devrait aller bien. Mais en fait rien ne va,  c'est comme ça. Et toi ?

Jimin hésita. Devait-il lui parler du bonheur ? Devait-il lui parler de ce vide ? De ce vide de lui ?

— Ça… Ça va.

— Je suis venu m’excuser, coupa presque Jungkook.

Jimin ouvrit des grands yeux.

— Pour Lion. Pour l’autre jour. Je ne me suis pas occupé de ce que ça te faisait. Pas sur le moment. J’étais… content de trouver Lion, là-bas. Je le suis toujours.

Jimin se raidit.

— Il t’a fait des choses horribles. Il est con, vaniteux, terriblement bête parfois. Mais là-bas…

Jimin vit la main de Jungkook se serrer et devenir poing, il sentit la tension qui envahissait son corps à la mention de ce là-bas.

Le Lykeion était-il si horrible ?

— Là-bas je n’ai que lui. Avec Yoongi. Lion, c’est le seul qui ne soit pas hypocrite. Il est con parfois, mais direct. Très brutal mais aussi chaleureux. Finalement, en le connaissant un peu mieux, je…

— Est-ce qu’on peut arrêter de parler de lui ?

Jimin avait l’impression de sentir la bile dans sa gorge, l’horreur du combat qui remontait à parler de Lion.

— Oui, pardon.

Jungkook se tut, confus.

Tant de pardons dans la bouche de Jungkook. Tant d’excuses. C’était nouveau, déroutant.

Jungkook semblait bien moins sûr de lui qu’avant, au Soleil d’Or. Presque fragile.

Jimin eut à nouveau cette envie de le prendre dans ses bras et de le serrer fort.

Il fit un pas sans même s’en rendre compte.

— Je voudrais aussi m’excuser.

C’était tellement plus simple de ne pas penser. Tellement plus simple de laisser les mots sortir seuls, mus par leur propre vie, leur propre besoin.

Jungkook le fixait.

— Pardonne-moi de t’avoir dit ça ce jour-là, Jungkook. D’avoir décidé d’un coup de tout arrêter, sans même qu’on en discute.

Jungkook hocha la tête.

Jimin se demanda ce qu’il avait ressenti, à ce moment-là. Comment il avait vécu les dernières semaines, les derniers mois.

Avait-il souffert, lui aussi ?

Mais non, c’était idiot. Jungkook, lui, était tellement indépendant. Jamais il ne s’attacherait.

— Pardonne-moi aussi pour Yoongi.

Jimin rougit un peu en convoquant ici cette figure tant aimée.

— Ça continue entre vous, n’est-ce pas ?

Il hocha la tête, rougissant de plus belle. Jungkook s’était légèrement détourné, observant à nouveau le citronnier. Les sourcils froncés. Les poings serrés. De la colère, encore ? Même après tout ce temps ? Jimin n’aimait pas ça. Il n’aimait pas que Jungkook ne soit pas bien à cause de lui.

— Comment ça se passe au Lykeion ? L’entraînement, je veux dire.

— Ça va. Il dit que je fais des progrès. On prépare les Jeux d’Olympie.

La voix de Jungkook était plus allègre soudain, il regardait Jimin du coin de l'œil, souriait presque.

Il aime vraiment la boxe.

Jimin sourit, ne put s’empêcher de s’avancer à nouveau vers Jungkook.

— Je suis content que ça se passe bien.

— Et toi ? Tout va bien au Soleil d’Or ?

Jimin se raidit.

— Je n’y suis toujours pas retourné.

— Tu n’as pas repris la boxe ?! Depuis tout ce temps ?

Jungkook s’était retourné vers lui, le regardait avec des yeux presque horrifiés.

Jimin se mit à rire.

— Si ! J’ai repris mais… pas au Soleil d’Or.

— Ah.

Jungkook parut désabusé.

— Chez lui ?

— Oui.

Il y eut un silence, un flottement alors que Jungkook regardait à nouveau le sol, semblait s'abîmer dans la contemplation des dalles. Avant de reprendre, d’une voix où perçait la déception :

— Donc on ne combattra plus ensemble.

— Ça te manque tant que ça de te faire écraser ?

Jungkook sourit à la provocation, ouvrit la bouche pour répondre, mais la referma finalement.

— Parle, vas-y, poussa Jimin, les yeux rieurs. Dis ce que tu voulais dire. Reconnais que c’est la vérité.

Il riait, s’accrochait à ce retour à leur normalité.

— J’allais dire que, généralement, c’est moi qui t’écrase. Mais pas sur le sable.

Jimin sentit le feu sur ses joues alors qu’il donnait une tape à Jungkook, déclenchait un rire sous une fausse esquive.

— On s’affrontera peut-être quand même, rassure-toi. Parce que Yoongi m’a parlé des Jeux d’Olympie, à moi aussi.

Il leva des yeux inquiets vers Jungkook.
Allait-il mal le prendre ? Allait-il être jaloux que Yoongi lui ait dit la même chose ?

Mais la joie qu’il rencontra dans le regard de Jungkook affirmait tout le contraire.

— C’est vrai ? Putain, c’est parfait ! On va se retrouver là-bas alors.

— Si je suis sélectionné. Tu sais que pour moi c’est toujours compliqué.

— Ça va passer. Comme aux Jeux d’Athènes. Et puis maintenant tu peux dire que tu es arrivé en demi-finale, ça compte.

— Oui. J’espère.

Une servante passa derrière eux, venant des cuisines et portant une corbeille de fruits. Une autre la suivit, portant un plateau de boissons. Elles se dirigeaient vers les appartements de sa mère. Et, tout à coup, la réalité frappa Jimin : on était jeudi. Périclès allait arriver.

Il ne fallait pas qu’il voie Jungkook ici.

Avec un peu de chance, les servantes ne parleraient pas. Avec un peu de chance, Jimin n’aurait pas à affronter une discussion. Il n’aurait pas à répéter qu’il ne voyait plus Jungkook, qu’il avait perdu l’intérêt pour sa compagnie. Il n’aurait pas à mentir. Encore.

Il reporta les yeux sur Jungkook, rencontra ses prunelles noires qui l’observaient attentivement.

— Pardon Jungkook, tu disais quelque chose ?

— Je vais y aller.

Non !

Jimin avait failli crier. Il s'était approché de Jungkook, ses doigts à frôler sa tunique.

— Tu es sûr ?

Mais en même temps il le fallait. Il le fallait, sinon son père verrait Jungkook.

— Oui.

Jungkook fit quelques pas vers la lourde porte d’entrée, la déverrouilla. Puis il resta quelques instants ainsi, la main sur le bois, sans bouger.

Jimin attendait.

Il observait la silhouette de Jungkook, cette tunique bien plus luxueuse qu’avant, ce dos toujours aussi large. Ces cheveux bouclés qu’il n’avait pas touchés depuis si longtemps, un peu longs dans la nuque. Il s’approcha, se plaça juste derrière Jungkook. Il suffisait qu’il penche un peu la tête et il pourrait respirer son odeur. Il pourrait poser son front contre son épaule, il pourrait…

— Tu veux venir faire un tour ?

Jungkook ne s’était pas retourné, seule sa voix avait résonné, claire.

— Oui.

Jimin avait murmuré, son souffle caressant la nuque de Jungkook.

Jungkook avait frissonné.

***

Ils marchaient dans les rues d’Athènes depuis une bonne heure déjà.

À pas lents, sans but précis, à se sourire et à se parler. À hésiter. À laisser les silences parler pour eux, lorsque la fierté ou la honte pesaient trop lourd. Lorsque Yoongi ou Lion prenaient trop de place entre eux.

Des silences pour des mots. Des silences pour se rapprocher.

Des silences pour espérer.

Jimin ne savait pas bien ce qu’il faisait. Mais il ne voulait pas y penser, ni analyser. Il se contentait de marcher,  avec Jungkook.

De savourer la présence revenue.

Au long des pas additionnés, il détaillait Jungkook autant qu’il le pouvait, se plongeant dans ses yeux à la moindre occasion, se gorgeant de sa voix et de ses mimiques retrouvées.

Il sentait le regard de Jungkook sur lui, en écho.

Peu à peu, Jungkook avait raconté.

Le Lykeion, l’entraînement. Les autres, les fêtes, l’impression de factice. Sa famille et sa nouvelle chambre, aussi, où il habitait seul, dans un meilleur quartier de la ville.

Jimin avait perçu la douleur à l’évocation de son père, que Jungkook disait n’avoir pas vu depuis des semaines.

— Tu n’as pas envie d’aller le voir ? D’aller prendre des nouvelles de ta famille ?

— Si.

Jungkook n’avait pas continué, était resté silencieux. Puis il avait dérivé sur autre chose.

Jimin, lui, avait parlé de la boxe. De son corps. De cette confiance qu’il retrouvait peu à peu, de cette envie de combattre, à nouveau, en lui.

Il avait parlé de son père,  lui aussi. Avait dit qu’il était revenu dans sa vie. Que c’était étrange et déroutant. Que c’était merveilleux.

Il n’avait pas donné de nom.

Et puis, Jungkook avait osé.

Il avait osé aborder ce que Jimin savait, mais qu’il avait enterré dans un coin de son esprit, qu’il avait toujours refusé de voir en face.

Taehyung.

— Je pense que tu le sais mais… j’ai complètement merdé avec ton ami. Taehyung.

Jimin avait accusé le coup.

Il avait hoché la tête, trop mal à l’aise pour parler.

Depuis longtemps, il savait.

Il aurait dû détester Jungkook pour cela. Il aurait dû refuser de le voir dès qu’il avait appris. Jungkook avait brusqué Taehyung. Touché Taehyung sans que celui-ci ne le veuille, sans que celui-ci  ne puisse réagir.

Jungkook avait fait souffrir Taehyung.

Jimin aurait dû réagir comme Hoseok, chasser Jungkook de sa vie.

Mais Jimin n’avait pas pu.

Jimin était trop en colère contre Taehyung, à l’époque. Jimin avait trop besoin de Jungkook dans sa vie, à l’époque. Alors il avait simplement omis cette information, et avait continué comme si de rien n’était.

S'était quand même régulièrement enquis auprès d'Hoseok de l'état de Tae.

Il en avait honte, maintenant. Il avait eu tout le loisir d’y penser et d’y repenser, pendant ses longues nuits d’insomnie.

Il avait eu peur de perdre Jungkook, à l'époque, mais, maintenant qu’il l’avait vraiment perdu, et volontairement, il s’apercevait de ce que ce choix avait eu de lâche. D’aveugle. D’égoïste et méchant. De dangereux aussi.

Il l’avait avoué à Taehyung, un jour, après leur réconciliation. Taehyung en avait été blessé, très blessé. Il lui avait fallu quelques jours pour pardonner.

Puis il avait dit à Jimin qu’il n’en voulait plus vraiment à Jungkook. Que Jungkook s’était excusé. Qu’il l’avait soutenu pendant le spectacle.

Et que c’était plus facile de pardonner que de porter la rancune. Alors Taehyung avait pardonné à Jungkook, tout comme il pardonnait à Jimin.

Jimin avait admiré la sagesse de son ami.

Et il s’était trouvé soulagé de savoir que Jungkook avait compris son erreur. Qu’il pouvait continuer à le porter dans son cœur sans culpabilité. Qu’il pouvait continuer à chérir l’absent.

Seule restait la honte de ses propres actes. Le pardon de Taehyung permettait la normalité, mais n’étouffait pas le passé.

Jimin devrait continuer avec cette tâche à l’âme. Comme Jungkook.

Alors, lorsque Jungkook avait parlé de Taehyung, lorsqu’il avait raconté l’affaire, raconté les excuses et la suite, Jimin était resté silencieux. Honteux. Il avait simplement hoché la tête, à plusieurs reprises, avait lâché un “tant mieux” à l’annonce que Taehyung semblait avoir accepté ses excuses et que Jungkook faisait plus attention désormais.

Jungkook s’en était contenté.

Et Jimin s’était senti heureux, une fois le sujet passé, une fois la gêne disparue, de cette complicité retrouvée avec Jungkook. De cette confiance qui permettait les confidences.

Il avait eu envie de lui dire qui était son père.

C’était si difficile de porter ça tout seul. Personne ne savait, pas même Tae. Pas même Yoongi.

Il s’était retenu au dernier moment, par peur des conséquences. Peut-être Jungkook n’aurait-il plus voulu le revoir ? Ou peut-être aurait-il trop voulu le revoir, au point que Jimin n’aurait plus su si c’était lui ou la célébrité qu’il recherchait.

Alors Jimin s’était tu et ils avaient continué en silence, en sourires et en envies, jusqu’à ce qu’il s’aperçoive que leurs pas les avaient portés à la périphérie des faubourgs ouest.

A l’entrée de l’ancien quartier de Jungkook.

Jungkook semblait s’en être aperçu lui aussi, il s’immobilisa, regarda autour de lui, un peu hésitant.

— Tu as envie d’aller les voir ? avait demandé Jimin d’une voix douce.

— Je ne sais pas.

Jungkook semblait statufié.

— Je pense que ce serait une bonne idée, tu disais qu’ils te manquaient. Je peux te laisser ici et rentrer, et toi tu…

— Viens avec moi.

— Pardon ?

— Viens avec moi, Jimin. Accompagne-moi jusque là-bas. S’il te plaît.

Jimin hésita. Il repensa aux paroles échangées avec son père, à ce “vous ne vous promenez pas dans son quartier j’espère ?” qui lui avait paru si irréaliste à l’époque.

Jungkook lui demandait cela maintenant.

Mais Jimin voulait aider Jungkook.

Aussi, peut-être, ne voulait-il pas le quitter maintenant.

— D’accord Jungkook, on y va.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top