Chapitre 47



Hoseok jeta un dernier coup d'œil inquisiteur à la palestre.

Tout semblait en ordre.

Les lutteurs s'affairaient sur le sable, dans le bruit lourd de leurs corps heurtant le sol. Sous les colonnes, les coureurs enchaînaient les tours. Bientôt ce serait l'heure du pugilat, puis du pancrace, en fin d'après-midi.

Hoseok serait peut-être rentré d'ici là. Ce serait mieux, oui.

Il se força à avancer, à rejoindre le vestibule du Soleil d'Or. À ignorer sa poitrine étouffée.

Pourquoi cette inquiétude, sans cesse, maintenant ? Cette impression physique que le gymnase était en sursis, que tout pouvait arriver ? Cette peur de l'effondrement ?

Dans le vestibule, quelques jeunes discutaient, assis ou debout, à se reposer avant de rentrer chez eux ou d'aller vaquer à d'autres activités, profitant encore un peu de l'ombre des colonnes avant de rejoindre la chaleur de l'après-midi.

Seokjin trônait au milieu, majestueux, faisait son spectacle, distribuait rires et conseils, écoutait les inquiétudes des uns, les peines de cœur des autres. Répondait d'une phrase bien sentie, d'une lourde tape sur l'épaule, avant d'envoyer le désespéré s'entraîner. Ou simplement disparaître de sa vue.

Hoseok sourit.

Tout irait bien.

Tout irait bien, Seokjin veillait sur le gymnase.

Pourtant, il ne pouvait empêcher cette appréhension, désormais, chaque fois qu'il quittait le Soleil d'Or. Comme si tout pouvait arriver pendant son absence.

Il y avait toujours eu ce sentiment diffus, ce besoin compulsif de vérifier la perfection de chaque détail avant de partir, de s'éloigner du gymnase. Une fois, deux fois... Mais les quelques vérifications habituelles s'étaient multipliées ces derniers temps, devenant presque incalculables. Irrationnelles.

Tout était tellement plus fort maintenant, envahissant. À étouffer sa plénitude, à créer un monstre en lui, un monstre tiède et discret, mais un monstre qui ne dormait jamais : l'inquiétude restait là, toujours.

Toujours, depuis...

Depuis ce jour où il avait viré Jungkook.

Hoseok frissonna à ce souvenir.

Il descendit pourtant les marches, rejoignit le soleil de la ruelle.

Ne pas y penser...

Penser à Taehyung, plutôt, qu'il allait retrouver.

Taehyung...

Le sentiment naquit en lui en lumière douce, se répandit lentement dans sa poitrine, faisant taire l'inquiétude pour un temps.

Taehyung.

Combien Hoseok aimait retrouver Taehyung. Combien il aimait passer du temps avec lui, l'observer, lui parler. Le regarder réfléchir, débattre, rire. S'épanouir. Le regarder se détendre peu à peu à ses côtés, accepter sa présence.

Ils se voyaient de plus en plus souvent maintenant.

C'étaient leurs séances de course chaque semaine au gymnase, qui avaient repris maintenant qu'Hoseok se sentait mieux. Ces séances que Taehyung ne cherchait plus à fuir. Habillé, toujours, mais présent et motivé.

C'étaient aussi les rencontres comme aujourd'hui, où Hoseok trouvait un prétexte pour emmener Taehyung se promener, pour passer plus de temps avec lui.

Aujourd'hui c'était pour choisir de nouvelles tentures pour le vestibule du Soleil d'Or. Tentures qui n'avaient nul besoin d'être changées. Et que Seokjin aurait bien mieux su conseiller.

Mais Taehyung ne s'était pas posé de questions, avait tout de suite accepté.

— Pas trop longtemps, avait-il tout de même précisé, je suis invité chez Jimin le soir.

Hoseok avait acquiescé, s'était réjoui intérieurement que Taehyung considère une possibilité le fait de passer la soirée avec lui. Il avait exprimé sa joie de les voir réconciliés, lui et Jimin. Taehyung avait hoché la tête, sourire aux lèvres.

Il semblait tellement plus heureux depuis la représentation de sa pièce au théâtre de Dionysos, depuis qu'il reparlait à Jimin. Heureux et apaisé. Hoseok aimait voir cela. Le bonheur seyait bien à Taehyung.

Hoseok avait encore en mémoire le parfum de ses cheveux, la forme de son corps lorsque, de manière incompréhensible, Taehyung lui avait sauté dans les bras ce jour-là au théâtre. Un geste spontané au goût de sacré lorsque Hoseok avait rendu l'étreinte, s'était laissé aller à fermer les yeux pour profiter pleinement de l'instant.

Il savait que ces moments seraient rares, avec Taehyung.

Il le savait, tout comme il savait qu'il n'y aurait peut-être jamais plus, entre eux, qu'une amitié un peu particulière.

Mais cela lui suffisait.

Le cœur a parfois des choix bien étranges.

Hoseok n'avait jamais eu peur de cela. Jamais eu peur de l'inhabituel. Peut-être était-ce son cœur, un peu cassé, un peu particulier lui aussi, qui lui donnait ce regard sur le monde.

Alors Hoseok suivait son coeur.

Son cœur qui avait choisi Taehyung.



Lorsqu'il arriva en vue des portiques qui marquaient l'entrée de l'Agora, Hoseok souriait. Envolée, l'inquiétude absurde pour le Soleil d'Or. Envolé le sentiment d'avoir tout gâché pour tout le monde, en réagissant sous le coup de la colère contre Jungkook. Envolés les regrets, les arguments ressassés à tenter de définir si, oui ou non, il avait fait une erreur en chassant Jungkook. Envolée la volonté de changer le passé. De redonner au Soleil d'Or sa notoriété fugace.

Taehyung était là.

Hoseok sourit, son pas s'accéléra.

Taehyung était là, assis tranquillement au sein d'un petit groupe d'hommes plus âgés, à discuter avec animation. Ses mains bougeaient vivement devant lui alors qu'il semblait lancé dans une grande explication, ses yeux brillaient d'un éclat qu'Hoseok leur voyait trop rarement. Autour de Taehyung, les autres hommes écoutaient, intéressés, lui répondaient. Hoseok reconnut Socrate et d'autres intellectuels d'Athènes. Il reconnut également Aspasie.

Depuis que Taehyung avait joué sa pièce aux Dionysies, il semblait avoir gagné le droit de participer aux débats intellectuels et artistiques de l'Agora malgré son jeune âge.

Aspasie aperçut Hoseok alors qu'il approchait, elle le salua.

Taehyung se retourna, son visage s'illumina.

— Hoseok ! C'est déjà l'heure ? Je n'ai pas vu le temps passer.

Hoseok se mit à rire.

— Tu peux rester à discuter, si tu préfères. Je ne veux pas te forcer.

— Qu'est-ce que tu racontes ? Il faut qu'on aille acheter ces tentures, c'est important.

Aspasie sembla vouloir dire quelque chose. Elle se ravisa et regarda simplement Hoseok, les yeux rieurs.

— Alors dépêche-toi si c'est important, Taehyung, dit-elle simplement. On se voit ce soir pour le dîner.

Taehyung acquiesça, salua respectueusement les membres du groupe puis rejoignit Hoseok et lui prit spontanément le bras alors qu'ils se dirigeaient vers les portiques sud.

— C'était génial, Hoseok ! On a discuté de l'univers, de la place du soleil, de la lune... Du lien entre les Dieux et certains phénomènes. C'est passionnant !

Hoseok hocha la tête en souriant, la tête un peu chamboulée de ces doigts contre son bras, de ce corps qui le frôlait à chaque pas sans que Taehyung semble gêné le moins du monde.

C'était si bon de le voir agir naturellement avec lui. Un peu comme il le faisait avec Jimin. Hoseok frémit de contentement, se dit que ce serait merveilleux de gagner une confiance équivalente à celle que Taehyung avait pour Jimin.

Taehung le regarda d'un air interrogateur et ralentit la marche.

— Tout va bien Hoseok ?

Hoseok sourit plus large, hocha la tête vigoureusement.

— Oui. Je suis juste très heureux d'être comme ça, avec toi.

Au rougissement subit qui colora les joues de Taehyung, il se dit qu'il était allé trop loin. Les doigts sur sa peau se crispèrent, Hoseok se prépara déjà au vide qu'ils allaient laisser. Taehyung regardait furtivement ses deux mains sur le bras d'Hoseok, il semblait avoir pris conscience de son geste. Puis, finalement, il retira une main, l'abaissa gauchement le long de son corps, à triturer sa tunique.

Il laissa l'autre.

Hoseok expira lentement, tenta d'intérioriser la joie qui gonflait sa poitrine, la joie qui voulait sortir et crier, exprimer son amour pour Taehyung.

Taehyung, qui laissait volontairement sa main sur son bras.

Hoseok toussota, s'éclaircit la gorge.

— C'est dans une boutique vers la sortie de la cité, ça ira ? Il faut un peu marcher.

— Ça ira, répondit Taehyung, soudain beaucoup plus timide.

Les yeux fixés droit devant lui, il n'osait plus regarder Hoseok. Ses joues restaient légèrement roses.

— Tu as faim ? Tu as déjà mangé ? On peut s'arrêter dans une échoppe si tu veux. J'en connais une délicieuse, sur la route, ils font du poisson grillé succulent et...

Hoseok s'interrompit, conscient qu'il parlait trop, trop vite, à tenter de chasser la gêne entre eux.

Taehyung le regarda en coin et sourit, amusé.

— Ça ira.

— D'accord.

Hoseok se tut, se concentra sur la rue, sur le sol qui défilait sous ses pas.

— Mais j'aurai peut-être faim en arrivant là-bas. Après les tentures.

Taehyung souriait plus largement, osait le regarder à nouveau.

— D'accord. Il y a une bonne petite gargotte là-bas aussi.

Ils se sourirent, plus détendus. Les doigts de Taehyung s'ajustèrent sur son bras, Hoseok releva un peu le coude pour permettre une meilleure prise.

Le reste du chemin passa rapidement, à savourer les silences, à savourer les quelques échanges qui se frayaient un chemin entre eux.

Comme s'ils avaient tous deux pris conscience de la signification de cet après-midi passé ensemble.



Le choix de la tenture fut rapide, Taehyung se révélant intraitable quant à la couleur.

— Bleu.

— Pourquoi ? se plut quand même à demander Hoseok, bien qu'il ait déjà une petite idée.

— C'est... une jolie couleur.

Une couleur qui n'avait rien à voir avec le Soleil d'Or. Mais tout à voir avec l'homme pour qui Taehyung avait toujours cette admiration sans bornes.

— Mmm... Ce n'est pas plutôt parce que c'est la couleur officielle du stratège Périclès ? continua Hoseok, taquin.

Taehyung rougit, ne répondit rien. Il caressait l'épais tissu du bout des doigts.

Puis il eut un soupir silencieux et s'apprêtait à quitter le tissu à regrets pour se diriger vers un autre lorsque Hoseok posa une main légère sur son épaule.

— C'est vrai que c'est une jolie couleur.

Taehyung leva vers lui des yeux interrogateurs.

— Et puis, doré ça serait trop commun, trop attendu. Tu as raison, on va prendre bleu.

Hoseok fit signe au commerçant, lui indiqua le métrage qu'il désirait.

Les yeux de Taehyung brillaient.

— Et peut-être que, comme ça, tu auras plus envie de venir au gymnase, Taehyung.

— J'ai pas besoin d'une tenture bleue pour avoir envie de venir.

La réponse avait fusé, laissant Taehyung lui-même visiblement surpris.

— Je veux dire... J'aime venir au gymnase, maintenant, tenta-t-il maladroitement d'expliquer. Même si Jimin n'a pas l'air de vouloir reprendre l'entraînement là-bas.

— Non.

Hoseok n'avait pu cacher la légère amertume dans sa voix.

Jungkook, et puis maintenant Jimin.

Jimin qui leur avait annoncé la veille, à lui et à Seokjin, qu'il ne reprendrait peut-être pas l'entraînement collectif au gymnase. Qu'il s'entraînait seul avec Yoongi. Chez Yoongi.

Il avait paru tellement gêné sur ces derniers mots que Seokjin avait éclaté de rire, oubliant toute colère.

— Oui, on voit bien en quoi consistent vos entraînements, Jimin !

Hoseok lui-même n'avait pu s'empêcher de sourire. Mais le point à la poitrine s'était fait plus aigu.

Jimin aussi désertait.

Il sentit soudain la chaleur d'une main sur son poignet qui le rappelait à la réalité. Taehyung le regardait, caressant doucement sa peau du bout des doigts.

— Tu as d'autres athlètes qui aiment venir au gymnase, Hoseok. Qui aiment s'entraîner, travailler leur corps. Il n'y a pas que Jimin... Et pas que Jungkook...

Taehyung avait baissé la tête. Pourtant, il ne lâchait pas sa prise enveloppante.

— Je suis désolé Hoseok. C'est de ma faute si Jungkook n'est plus là, lui non plus.

— Qu'est-ce que tu racontes ? C'est de sa faute. Et de la mienne, j'ai réagi trop brusquement, peut-être. Mais ce n'est absolument pas de ta faute.

Il paya, dicta l'adresse au commerçant pour qu'il lui fasse livrer le tissu. Glissa ses doigts dans ceux de Taehyung, avant de quitter la boutique.

— On va manger ?

Taehyung acquiesça, le regard morne. Il semblait perdu dans ses pensées à son tour.

— Pourquoi penses-tu que c'est de ta faute, Taehyung ? reprit Hoseok une fois qu'il furent installés dans l'arrière-cour de la gargotte.

La patronne était venue prendre leur commande, leur apporter un pichet de vin puis avait disparu en cuisine.

Les arbres donnaient une fraîcheur agréable, Hoseok se sentait bien, à l'abri du monde et de la rue. Ils avaient l'arrière-cour pour eux en cet après-midi déjà bien avancé.

— Je ne sais pas... J'ai... J'ai certainement réagi de manière trop exagérée, ce jour-là au gymnase.

Hoseok fronça les sourcils.

Taehyung passait et repassait l'ongle de son pouce dans le bois de la table, comme s'il voulait y graver sa marque. Il avait répondu sans le regarder.

— Je veux dire... On ne réagit pas comme ça, d'habitude.

— Qui, "on" ?

— Jimin. Les autres garçons au gymnase. Ou dans la rue. Je le vois bien. Les gens ont l'habitude de... d'être proches physiquement les uns des autres. Ça n'a pas l'air de les gêner. Ils ont même plutôt l'air d'aimer ça. Jimin aime ça, en tout cas. Il me l'a dit. Il en a envie. Et on nous dit toujours qu'on ne doit pas... forniquer. Que c'est mauvais pour nous, notre esprit. On nous a appris ça depuis toujours. Mais en fait les gens aiment ça. J'ai observé comment ils sont les uns avec les autres, dans la rue ou ailleurs. Comment ils parlent de ça. Et Jimin m'a expliqué... des choses. Et j'ai compris maintenant.

Il eut une hésitation.

— J'ai compris que... si on en a envie, peut-être que ce n'est pas un si gros problème ?

Hoseok hocha la tête.

— Si les deux personnes en ont envie, non, ce n'est pas du tout un problème.

— Mais du coup, ce que je ne comprends pas c'est...

Taehyung continuait, toujours sans le regarder, toujours en gravant la table du pouce.

— Je ne comprends pas pourquoi moi je n'en ai pas envie. Pourquoi ça me dégoute quand j'imagine ce que Jimin et Jungkook font. Pourquoi ça ne m'a rien fait quand Jungkook était collé contre moi. Pourquoi, au contraire, ça m'a fait ça.

— Ça quoi ?

— Ça. Je voulais juste qu'il arrête. Pourquoi ça ne m'a pas fait comme à Jimin ? Ou comme ça fait à d'autres ? Je le vois dans leurs yeux, ils aiment se... "frotter" les uns aux autres, ils en ont envie. Pourquoi je n'étais pas content qu'il fasse ça ? Même à l'intérieur de moi, même caché des autres. Pourquoi je déteste ça ?

— Tu sais que Jungkook n'aurait pas dû faire ce qu'il a fait, n'est-ce pas ?

Hoseok était soucieux. Il lui semblait que Taehyung inversait tout, qu'il se blâmait d'une réaction qui n'aurait dû, de base, jamais être provoquée.

— Mmm.

— Taehyung.

Taehyung gardait les yeux fixés sur la table.

— Regarde-moi.

Taehyung releva lentement les yeux, tenta de les garder plongés dans ceux d'Hoseok. Allait à nouveau baisser le regard lorsque Hoseok se pencha en avant et posa sa main sur la sienne, interrompant le jeu de l'ongle dans le bois :

— Ce n'est pas ta faute, tout ce qui est arrivé. De base, Jungkook, ou qui que ce soit d'autre, n'a pas à venir se coller à toi comme ça. Personne n'a à venir te toucher sans que tu sois d'accord et que tu en aies envie. Même si tu ne comprends pas ta réaction. Ce sont deux choses complètement différentes.

Il pressa doucement la main de Taehyung, qui hocha la tête avant de s'abîmer à nouveau dans la contemplation de la table.

Il semblait tellement perdu...

La tenancière surgit soudain, lança un bruyant "chaud devant !" qui les fit se redresser, s'éloigner légèrement de la table. Les yeux de Taehyung brillèrent devant l'assiette appétissante qui atterrit devant lui, il se jeta sur la nourriture à peine la femme partie.

— J'avais tellement faim ! lança-t-il après quelques instants, la bouche pleine.

Hoseok se mit à rire. Taehyung changeait d'humeur si vite, c'était parfois déroutant. Mais attendrissant. Et il se doutait que ces rires et yeux pétillants cachaient une détresse qui ne s'éteignait pas si facilement.

— Tu sais, reprit-il après quelques instants passés à manger dans un silence agréable, tu as peut-être simplement réagi comme ça parce que ce n'était pas une personne spéciale pour toi.

Taehyung leva des yeux interrogateurs.

— Ce que je veux dire, c'est que Jungkook n'est certainement pas la bonne personne pour toi. Indépendamment de la manière dont il t'a approché. On n'a pas envie d'être proche de tout le monde, tu sais Taehyung. Je suppose que ton cœur n'a jamais battu plus fort lorsque tu le voyais ?

Taehyung cessa de manger, sembla réfléchir.

— Si, avoua-t-il finalement en se remettant à manger.

Hoseok ne put empêcher son cœur de se serrer. Alors Taehyung éprouvait tout de même quelque chose pour Jungkook ?

— Vraiment ? demanda-t-il en essayant d'empêcher sa voix de trembler de déception.

— Oui.

L'assurance de Taehyung était si cruelle à entendre en cet instant.

— Oui, mon coeur battait toujours plus vite, tellement il m'énervait. Depuis que je l'avais vu... faire des choses avec Jimin. J'avais juste envie de le frapper et de le faire disparaître de la surface de la terre dès que je le voyais.

Hoseok manqua de s'étrangler.

— "Le faire disparaître de la surface de la terre", rien que ça, Taehyung ?!

Il riait.

Taehyung rougit, avant de rire à son tour devant le fou-rire qui prenait Hoseok.

Le cœur de Taehyung battait pour Jungkook. Mais de colère.

Le soulagement était si intense qu'il semblait à Hoseok que le soleil brillait à nouveau après un orage, que le monde était beau à nouveau.

— Je ne parlais pas de battements de cœur d'énervement, tenta-t-il d'expliquer entre deux rires.

— Ah ?

Hoseok se demandait si Taehyung était vraiment si ingénu ou s'il ne se moquait pas un peu de lui. Il avait bien compris qu'il ne semblait pas ressentir d'attirance sexuelle. Mais comment était-il possible qu'il ne connaisse absolument rien des sentiments ? Des émotions amoureuses ?

— Tu vois, je pense que le cœur de Jimin battait plus vite quand il voyait Jungkook, avant même la scène que tu dis avoir vu. Pas d'énervement. Enfin si, d'énervement certainement aussi, se reprit-il en repensant aux longs mois d'inimitié entre les deux à l'arrivée de Jungkook au Soleil d'Or.

Comme tout cela paraissait loin maintenant...

Hoseok chassa la nostalgie, reprit ses explications.

— Le cœur de Jimin devait certainement battre plus vite quand il voyait Jungkook, pas seulement parce qu'il l'énervait. Mais parce qu'il était troublé de le voir. Tu pourras lui demander. Simplement parce qu'il le trouvait beau, peut-être, ou parce qu'il avait envie d'être avec lui. Le cœur bat de joie, parfois, il bat de cette envie d'être avec la personne. Elle est vraiment spéciale pour nous. C'est quelque chose de différent de quand tu es heureux de voir tes amis, Jimin par exemple.

— Toi, tu as ton cœur qui bat comme ça ?

— Pas pour Jungkook, non, pas du tout. Mais...

Hoseok hésita.

— Mais oui. J'ai mon cœur qui bat comme ça pour quelqu'un. Il y a quelqu'un qui est spécial pour moi.

— C'est quelqu'un que tu es heureux de voir ?

Taehyung semblait un peu triste, soudain.

— Oui.

— Et tu aimes être avec cette personne ?

— Oui, beaucoup.

— Proche de cette personne ? Être collé à cette personne ?

Hoseok repensa à l'étreinte après le spectacle.

Il hocha la tête, articula un "oui".

— Tu aimerais... faire des choses avec cette personne ? Comme Jungkook et Jimin font ?

Hoseok resta un instant interdit.

— Oui, osa-t-il répondre. Si cette personne était d'accord, oui, j'en aurais envie. Mais ce n'est pas le plus important, c'est...

— Mon cœur bat plus fort quand je te vois, parfois. Ce n'est pas du tout comme quand je vois Jimin, ou les autres.

Le ton de Taehyung était presque rageur.

Le cœur d'Hoseok se mit à battre vite, beaucoup plus vite.

Mais l'ongle s'enfonçait plus fort dans la table, les yeux de Taehyung ne quittaient pas le bois.

Hoseok posa à nouveau sa main sur celle de Taehyung, qui s'immobilisa.

— Je suis content quand je te vois, Hoseok, poursuivit-il sans retirer sa main. Parfois je suis même très impatient de venir te voir. Et quand tu arrives... c'est une fête en moi. C'était une grande fête tout à l'heure, quand je t'ai vu sur l'Agora.

Hoseok pressa doucement la main, tenta d'entrelacer légèrement leurs doigts. Taehyung contemplait la manœuvre, un peu absent.

— Ça ne me gêne pas quand tu me touches. Là, par exemple. Ça ne me gêne plus. Ça ne m'a pas gêné quand... quand j'étais dans tes bras, le jour du spectacle. Je crois que j'ai beaucoup aimé ça.

Taehyung s'interrompit, sembla plus soucieux.

— Mais par exemple je ne... je ne sais pas si j'aimerais faire des choses avec toi. Je n'arrive pas à m'imaginer ça. C'est comme un grand blanc dans ma tête et...

— Tu n'as pas besoin de penser à ça, Taehyung. Tu n'as pas besoin de te forcer à penser à ça. Il n'y a aucune obligation, ni de le faire, ni d'y penser.

Taehyung hocha la tête, puis eut un rictus :

— Oui. Et puis, tu m'as dit que tu avais quelqu'un d'autre pour qui ton cœur bat et avec qui tu veux faire ces choses, alors je n'ai même pas besoin de me poser la question...

Le rire sonna forcé, étouffé. Les mèches cachaient maintenant les yeux de Taehyung qui avait baissé la tête, qui semblait vouloir dégager sa main de celle d'Hoseok.

Hoseok resta interdit. Est-ce que Taehyung n'avait pas du tout compris ? Est-ce que sa main sur la sienne, à caresser légèrement sa peau, n'était pas suffisamment claire ?

Mais Taehyung semblait ne posséder aucun code des relations amoureuses. Hoseok obéit à la demande muette, retira sa main.

— Je parlais de toi, Taehyung.

Il masqua le trouble de l'aveu en terminant les quelques bouchées qui restaient dans son assiette, sauça soigneusement d'un bout de pain, puis s'adossa à sa chaise.

Enfin, seulement, il releva la tête vers Taehyung.

Et rencontra des larmes, prisonnières des grands yeux noisette.

Son coeur tressaillit, encore.

— Taehyung... Pourquoi pleures-tu ?

— Tu parlais de moi ?

— Oui, bien sûr. De qui d'autre ?

— Ton cœur bat plus vite quand tu me vois ?

— Oui.

Hoseok sourit.

— Quand je viens te retrouver, ou dans des moments spéciaux. Maintenant par exemple.

Taehyung ouvrit de grands yeux.

Puis il porta la main à son cœur, pressa le tissu de sa tunique.

— Moi aussi, il...

Taehyung s'interrompit, ses yeux semblèrent s'emplir de panique.

— Hey, Taehyung, souffla Hoseok, inquiet. Tout va bien. D'accord ?

Taehyung hocha fébrilement la tête, ferma les yeux un instant.

A quoi pensait-il ? Qu'est-ce qui se passait dans sa petite tête en cet instant ? Il aurait dû être heureux, tout comme Hoseok l'était de s'apercevoir que ses sentiments, ce bonheur à être avec Taehyung était partagé. Et pourtant il semblait...

— Taehyung, reprit soudain Hoseok dans un éclair de lucidité, ne t'inquiète pas. J'ai dit que j'aurais envie de... J'ai parlé de faire des choses avec cette personne, avec toi, mais j'ai bien dit seulement si cette personne en avait envie, non ?

Taehyung hocha la tête, les yeux toujours fermés, comme s'il essayait de ne plus être là.

— Alors si tu n'en as jamais envie, on ne le fera jamais. On n'est pas Jimin et Jungkook ! tenta-t-il pour détendre l'atmosphère.

Une esquisse de sourire apparut sur les lèvres de Taehyung.

— Ce n'est pas important tout ça, Taehyung. Je m'en fiche de... de coucher avec toi. Je m'en fiche même de t'embrasser, si tu ne le veux pas. Continuer comme ça, comme on fait déjà, c'est déjà juste... merveilleux.

Taehyung avait rouvert les yeux, le regardait maintenant.

Et Hoseok sentit soudain à nouveau cette grande bouffée de bonheur l'envahir, à se souvenir des mots de Taehyung, de son cœur qui battait fort comme le sien, aux mêmes moments. A l'Agora, ou maintenant...

Les mots franchirent ses lèvres avant qu'il ne pense à les retenir.

— Je suis très amoureux de toi, Taehyung.

Les yeux de Taehyung s'écarquillèrent.

— De toi, de la manière dont tu es. Pas d'un toi imaginaire, qui serais comme les autres. Du toi réel, celui qui es devant moi en ce moment...

Il s'interrompit. Observa, surpris, Taehyung qui s'était levé, avait fait le tour de la table pour le rejoindre. Taehyung qui le surplombait maintenant, qui l'observait, le visage indéchiffrable, en triturant le pan de sa tunique qu'il serrait fort entre ses doigts.

— Je voudrais que tu me prennes dans tes bras, murmura finalement Taehyung d'une voix presque inaudible.

— Que je te... D'accord.

Hoseok se leva d'un bond, se tint gauchement devant Taehung. Puis, face à ce visage plein d'attentes, il s'approcha d'un pas et passa un bras autour de la taille de Taehyung, l'autre autour de ses épaules, l'attirant lentement contre lui.

Le corps de Taehyung vint s'échouer contre le sien, un peu raide.

C'était doux, presque irréel dans le calme de cette cour.

Taehyung avait posé ses mains sur sa taille, laissait sa tête frôler la sienne. Hoseok entendait sa respiration contre son oreille, sentait les restes du souffle toucher la peau de sa nuque. Surtout, il sentait leurs deux cœurs battre, fort, dans un désordre pour la première fois rassurant.

Il resserra un peu ses bras, sentit Taehyung se détendre peu à peu, jusqu'à appuyer sa tête contre la sienne. Hoseok pressa à son tour, légèrement.

Il restèrent là, de longues minutes, le souffle redevenu régulier, jusqu'à ce que Taehyung redresse la tête, jusqu'à ce qu'il semble desserrer légèrement son étreinte.

Hoseok fit à son tour ses bras plus légers autour de lui, recula un peu pour observer son visage. Taehyung répondit à son sourire, ne bougea pas.

— Est-ce que je peux embrasser tes cheveux ? demanda Hoseok, un peu hésitant.

Était-ce trop ? Taehyung parut surpris, il baissa les yeux un instant.

— Oui.

Ce ne fut qu'un murmure. Hoseok sourit. Il allait s'exécuter lorsque Taehyung continua, le regard toujours fixé sur le sol entre eux :

— Tu peux aussi m'embrasser si tu veux.

Le cœur d'Hoseok rata un battement.

— Tu es sûr ? demanda-t-il.

Cela semblait impossible.

Taehyung hocha fermement la tête.

— Oui. J'en ai envie. Je crois.

— D'accord.

— Si toi aussi tu en as envie.

Hoseok rit légèrement.

— J'en ai envie.

Il posa avec précautions sa main sous le menton de Taehyung, lui redressa doucement le visage. Leurs yeux se rencontrèrent, ceux de Taehyung grands, si grands face à lui.

— Tu peux arrêter, tu peux changer d'avis. Toujours, se sentit-il obligé de préciser.

Le moindre acte face à Taehyung semblait si fragile.

Le premier baiser fut pour sa tempe, là où les cheveux sont si fins.

Taehyung avait fermé les yeux, Hoseok le sentit parcouru d'un frisson. Il laissa ses lèvres reposer, passa sa main derrière la tête de Taehyung pour faciliter la légère pression. Les cheveux de Taehyung étaient doux, ils lui chatouillaient le nez, à donner envie d'y enfouir son visage.

Puis Hoseok décolla ses lèvres, pivota légèrement la tête de Taehyung pour l'amener face à lui. Il lui caressa les cheveux, prit le temps d'observer ce visage qu'il n'avait jamais vu d'aussi près.

La peau naturellement tannée. Les longs cils. Les mèches brunes devant ces yeux toujours fermés. Hoseok dégagea une mèche, caressa la pointe de l'œil, y essuyant des larmes imaginaires. Taehyung rouvrit un peu les yeux. Hoseok lui sourit, avec toute la tendresse qu'il voulait lui offrir. Taehyung répondit d'un sourire un peu hésitant, plongea ses yeux dans les siens.

Hoseok sentit soudain l'envie urgente de l'embrasser, de poser ses lèvres sur cette bouche un peu entrouverte, qui l'attendait.

Il le pouvait, Taehyung le voulait.

Paradis.

Pourtant ce fut Taehyung qui s'avança le premier, ce fut Taehyung qui combla les quelques centimètres qui les séparaient.

Ses lèvres se posèrent sur celles d'Hoseok, un peu brutalement, un peu maladroitement. Restèrent là, indécises, sans plus savoir quoi faire.

Hoseok sentit la tête lui tourner, il s'arrima à Taehyung, à ses boucles entre ses doigts. Pressa à son tour ses lèvres contre celles de Taehyung, doucement, embrassant l'une puis l'autre lèvre dans une lenteur presque sacrée. Il sentit Taehyung répondre au baiser, sa bouche s'entrouvrir pour mieux recevoir la sienne. Il sentit le sourire, aussi, sur ses lèvres, le vit dans les yeux de Taehyung, toujours accrochés aux siens.

Pressa un peu plus le corps de Taehyung contre lui, sentit ses bras qui le serraient en retour.

Et plongea avec précaution dans la fragilité du bonheur. 



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