Chapitre 43
Il y avait les autres, et puis il y avait ce que le cœur de Jimin lui disait.
Il y avait Seokjin, qui lui avait fait la leçon la veille, d'un ton étrangement automatique : On ne peut pas avoir de relations sexuelles régulières. Surtout avec un athlète d'un autre gymnase. C'est mauvais pour le corps et pour l'énergie. C'est mauvais pour l'esprit. C'est mauvais pour toi. Arrête.
Il y avait son père, qui était encore revenu sur le sujet : Tu dois cesser de côtoyer aussi souvent ce Jungkook, de te montrer avec une personne du peuple. Ton statut va en pâtir. Tu es mon fils, pas celui d'un va-nu-pieds.
Il y avait ces rumeurs sur Jungkook, entendues d'un domestique qui lui-même le tenait d'un commerçant du quartier : il serait une mauvaise personne, aurait renié ses parents et son quartier, détruit la statue du Dieu d'un temple, aurait même violenté quelqu'un, on ne sait comment exactement.
Et puis il y avait ce que son coeur lui disait.
Il te manque. Va le voir.
Alors Jimin était là, à moitié caché dans l'ombre d'un olivier, à attendre que Jungkook sorte du Lykeion.
Il ne pouvait s'empêcher de sourire à l'ironie de la situation : avant c'était Taehyung qui l'attendait devant le Soleil d'Or, incapable d'entrer. Maintenant c'était lui, pour Jungkook, devant le Lykeion.
Ridicule.
Mais nécessaire.
Déjà trois jours qu'ils ne s'étaient pas vus, et Jimin commençait à ressentir le besoin de voir Jungkook. Un besoin physique, animal. Un besoin de corps et d'âme.
Quelque chose qui faisait son cœur battre plus fort quand il pensait à lui, à son sourire, à ses yeux qui pétillaient quand il lui lançait une pique ou prenait faussement la mouche. Quelque chose qui l'emplissait de douceur quand il se remémorait la pudeur de Jungkook à lui prendre la main, sans oser le regarder, et à la garder longtemps, très longtemps dans la sienne. Quelque chose qui l'avait fait se tourner et se retourner sans cesse dans son lit la veille. Un désir, un appel du corps brûlant, à ce que Jungkook vienne et le désaltère.
Jimin voulait voir Jungkook, Jimin voulait Jungkook.
Aujourd'hui. Maintenant.
C'était si compliqué depuis qu'ils ne s'entraînaient plus ensemble au Soleil d'Or.
Quand, avec beaucoup de retard, Jimin avait découvert que Jungkook avait rejoint le Lykeion, cela avait été un choc. Tous étaient restés vagues sur les raisons et Jimin n'avait pas cherché à en savoir plus.
De toute manière, lui-même n'était plus au Soleil d'Or maintenant.
Alors il faisait les cent pas derrière son olivier, à envoyer au diable toutes celles et ceux qui tentaient de les séparer, à se dire et se répéter qu'ils ne faisaient rien de mal, qu'ils se rendaient simplement heureux.
Car c'était vrai, Jungkook le rendait heureux.
Tout comme Yoongi.
Et Jimin s'immobilisa tout à coup, traversé par l'image de Yoongi, par le goût de sa bouche sur la sienne, par la chaleur de ses bras autour de lui. Comme un souvenir si improbable qu'il faut sans cesse se le rappeler pour qu'il continue d'exister.
Mais Yoongi, là, au milieu de ces milliers de Jungkook qui avaient envahi son corps et son esprit ?
Jimin s'arrêta, interdit.
Que faisait son esprit pour divaguer ainsi ?
Mais pourtant...
Oui.
Yoongi, là, au milieu du besoin de Jungkook.
Parce que Yoongi était toujours là, maintenant. Cet élan vers lui, cette connexion et cette intimité entre eux, presque, tout cela ne pouvait plus être réprimé, tout cela devait exister. En Jimin.
Tout comme Jungkook existait en Jimin.
Et c'était si perturbant, si déroutant, ce même élan vers l'un et vers l'autre, que Jimin se prit la tête dans les mains, se demanda s'il devenait fou.
Il avait tenté de ne pas réfléchir, cette dernière semaine. De ne pas réfléchir à ce que le fait d'avoir embrassé Yoongi impliquait. À ce que le fait que Yoongi réponde à son baiser et le tienne serré fort contre lui impliquait. Il avait tenté de ne pas réfléchir, alors même que les images, les sensations ne le quittaient plus, revenaient, exigeantes, entêtantes.
Avoir besoin de l'un, tout comme de l'autre, était-ce possible ?
Était-ce surtout possible pour quelqu'un comme l'était Jimin, habitué à ne s'attendre à rien de la part des autres ?
Et plus Jimin y pensait, concentré à faire ses cent pas derrière son olivier, plus tout cela l'effrayait : ce n'était pas normal, d'avoir ainsi besoin d'eux. Ce n'était pas normal, d'avoir besoin de deux personnes.
Et même, ce n'était pas normal, ce n'était pas bon pour lui, d'avoir besoin de qui que ce soit, en fait.
Jimin tentait d'ignorer cette pensée qui revenait, insidieuse, qui tentait de gâcher sa joie à attendre Jungkook. Cette pensée qui lui disait si souvent de ne pas faire confiance, de ne rien attendre des autres.
Il avait été si souvent déçu. Il avait été si souvent meurtri par des mots, des regards.
Alors s'ouvrir ainsi à Jungkook, et maintenant à Yoongi...
Pourtant, le cœur de Jimin fit un bond dans sa poitrine, un immense bond de joie, et le para d'une allégresse immédiate dès que la voix de Jungkook se fit entendre, là-haut, sur les marches du gymnase. Jimin ne pouvait pas encore l'apercevoir, ne pouvait que se délecter de ce rire qui parvenait jusqu'à lui, de cette joie contagieuse dans les mots de Jungkook.
— Je te jure, je comprenais plus rien ! Il reculait, reculait, et je me disais, mais pourquoi il se bat pas ?! Il a peur ou quoi ?!
Le rire de Jungkook, mêlé à celui des autres.
Son rire, là où leur dernière rencontre, à peine quelques jours auparavant, n'avait été que violence contenue. Les yeux durs, le corps dur, aussi, sa bouche, ses muscles, tout en Jungkook s'était fait âpre, exigeant, à vouloir dominer Jimin d'une manière qu'il ne lui avait jamais vue. Pas de violence, non, juste quelque chose en lui que Jimin n'avait pas compris, une colère, une rage peut-être, qui n'était pas sortie mais avait rendu leurs ébats enflammés. Jimin avait été profondément excité de découvrir un nouveau Jungkook, à mille lieues des gestes et regards attentionnés qu'il recevait d'habitude.
Alors il avait répondu. Il s'était mis en accord avec cette brusquerie, avait imposé, lui aussi. Une lutte de désirs qui les avait laissés étourdis de la rapidité de leurs orgasmes, calmés par l'intensité du plaisir. Ils s'étaient souris, avaient ri, même, de cette embardée partagée. Leurs yeux s'étaient promis de recommencer.
Mais en cet instant devant le Lykeion, Jungkook sonnait si détendu que Jimin se réjouissait d'avance de retrouver la langueur de ses gestes, la montée minutieuse du désir, la lenteur calculée que Jungkook savait parfois imposer.
Les voix se faisaient plus proches. Jimin n'y tint plus, il sortit de l'ombre, avide de voir le visage de Jungkook, avide de cueillir ses yeux, sa bouche contre la sienne, avide de lui, Jungkook.
Jungkook était là, à quelques pas, les yeux rieurs, à discuter avec deux autres athlètes.
Le souffle de Jimin se coupa.
Lion.
Il y avait Lion.
Jungkook discutait avec Lion.
Jungkook riait avec Lion.
Jimin sentit que tout vacillait autour de lui, il dut s'appuyer à l'écorce de l'olivier pour ne pas s'effondrer. Soudain la douleur revint, dans son bras droit, sur son visage, comme si les cicatrices brûlaient des souvenirs qui ressurgissaient.
Ni Jungkook ni les autres ne l'avaient vu, ils continuèrent leur discussion quelques instants, puis se séparèrent.
Jimin rassembla ses forces, se mit à suivre Jungkook qui se dirigeait vers le centre-ville.
— Jungkook !
Il avait réussi à crier, il avait réussi à stopper le temps, les événements qui lui échappaient.
Jungkook se retourna, son visage s'éclaira d'un coup en voyant Jimin. L'étreinte qu'il lui donna fut forte, enveloppante. Elle dura jusqu'à ce que Jimin se détende, jusqu'à ce qu'il réussisse à passer à son tour ses mains autour de sa taille, à poser son front sur son épaule.
C'était si bon de sentir à nouveau Jungkook contre lui. Si bon de le revoir.
Mais si douloureux en même temps.
L'image de Lion lui traversa l'esprit. Jimin se redressa, se dégagea de l'étreinte. Jungkook le regardait en souriant.
— Je suis content de te voir.
— Moi aussi.
C'était vrai.
Mais faux en même temps.
Jimin voulait hurler, secouer Jungkook pour exiger des explications. Lui demander comment il pouvait lui faire ça, comment il pouvait être devenu ami avec celui qui avait failli le tuer, lui, Jimin ?!
Mais il ne dit rien.
On ne dit plus rien quand on a reçu trop de mots-pierres. La force manque.
Et parler, ce serait reconnaître la trahison. Lui donner une réalité.
Mieux vaut rêver encore un peu.
— J'ai quelque chose à te donner.
Jungkook avait un air que Jimin ne lui avait jamais vu. A la fois taquin, fier de lui et un peu timide, soudain. Jimin se fit curieux malgré lui.
— Qu'est-ce que c'est ?
Jungkook sourit plus largement et lui attrapa la main.
— Viens. On va à la chambre ? Je te le donnerai là-bas.
Jimin ne put que le suivre. Après tout, il avait besoin de sentir le corps de Jungkook contre lui, de sentir leurs peaux s'épouser, se retrouver. Ils parleraient après. Peut-être Jungkook avait-il ses raisons après tout ? Et il semblait si enthousiaste maintenant, son pas sautillait presque. Jimin sourit. Cette bulle dans sa poitrine, cet élan qui lui fit serrer plus fort sa main. Jungkook sentit la pression, il se retourna en souriant.
— J'allais au Soleil d'Or, j'espérais t'y trouver.
— Je n'y suis pas encore retourné.
— Ah ? Toujours pas ? Mais tu as repris la boxe, non ? Ces marques sur tes doigts.
— Oui. Avec Yoongi. Mais pas au gymnase. Là-bas c'est... plus difficile.
Jungkook ne répondit rien. Jimin aurait juré qu'à la seule mention de Yoongi son visage s'était fermé. Il avait même lâché sa main, triturait la lanière de sa besace.
Soudain il s'arrêta et se mit à dévisager Jimin.
Jimin lui sourit, en attente. Un sourire un peu fragile, un sourire un peu blessé. Et ces yeux de Jungkook, insondables maintenant.
Jungkook ouvrit sa besace, en sortit un petit paquet soigneusement enveloppé dans un linge, qu'il lui tendit brusquement. Sans plus le regarder.
Jimin sourit.
Un cadeau, pour lui. De la part de Jungkook.
La vie était imprévisible.
Son cœur battait plus fort lorsqu'il déplia soigneusement le linge.
A l'intérieur, des cestes.
Neuves.
Magnifiques.
Les plus belles cestes que Jimin ait jamais vues.
Les tons du cuir étaient si chauds, leur toucher si agréable sous le doigt. Elles avaient dû coûter une fortune. Il leva la tête vers Jungkook, lui aussi plongé dans l'admiration des lanières. En avait-il même d'aussi belles pour lui ?
Leurs doigts se rejoignirent sur le cuir, leurs yeux se rencontrèrent. Ils se sourirent, les mots inutiles.
Mais...
— Je cherchais comment te remercier. Pour tout ce que tu as fait pour moi. Alors j'ai pensé à ça. Des cestes. Comme celles que tu m'as données, que tu m'as mises pour mon combat contre Lion.
Jungkook souriait toujours, heureux, fier de lui, mais le nom fut comme une gifle pour Jimin.
Lion.
Entre eux, à nouveau.
Lion face à Jimin, face à son corps meurtri, à cette peur immense de mourir qui l'avait étreint sur le sable, ce jour-là. Le jour de son combat à lui contre Lion.
Il tendit le bras, tendit le paquet à Jungkook, sans pouvoir le regarder.
— Merci Jungkook. Mais je ne peux pas accepter.
— Quoi ? Mais pourquoi ?
La blessure, dans la voix de Jungkook.
Jimin tenta de se reprendre, de refouler les larmes qui menaçaient de couler.
— Je t'ai vu, tout à l'heure, avec Lion.
Sa voix n'était qu'un murmure.
Seul le silence lui répondit. Les bras de Jungkook tombèrent le long de son corps, une lanière se détacha, se déroula contre la jambe de Jungkook, traîna jusqu'au sol.
Les cestes les plus douloureuses que Jimin ait jamais vues.
Les plus idiotes, aussi.
Et la colère, la douleur, enflammèrent soudain l'esprit de Jimin.
— Qu'est-ce que tu pensais, Jungkook ?
Sa voix était forte, soudain, ses yeux plein de larmes n'avaient plus peur de fixer Jungkook qui restait là, interloqué, vaguement rouge et les bras ballants.
— Ce type m'a presque tué ! Je le hais du plus profond de mon âme ! J'ai peur de lui, encore, j'en fais des cauchemars régulièrement, j'ai l'impression qu'il a pris une partie de ma vie. Mais toi, tout ça tu t'en fous ! Tu fais ami-ami avec lui, mais en plus tu as le culot de m'offrir des cestes ! Comme si celles que je t'avais données n'avaient pas été pour que tu gagnes mais aussi et surtout pour que tu gagnes contre Lion ! Que tu me venges ! Que tu m'aides à survivre...
Jimin manqua s'effondrer, ses jambes faibles tout à coup. Jungkook eut un geste pour le soutenir, le stabiliser mais il le chassa d'un mouvement du bras.
Non. Pas d'aide. Plus d'aide de la part d'un...
— Je me sens tellement trahi, Jungkook.
Ses yeux s'étaient faits durs, attendaient la réponse, les excuses, attendaient les explications pour mieux les démonter, pour mieux les écraser.
— Et moi ? Tu penses que je me sens pas trahi ?
Jimin haussa les sourcils. Jungkook avait serré les poings, le regardait fixement lui aussi, de la colère au fond des yeux.
— Et pourquoi donc tu te sentirais trahi ?
C'était le comble ! Cette manie d'inverser les reproches, cette...
— Je t'ai vu embrasser Yoongi !
Le ciel s'abattit sur la tête de Jimin.
Il resta à regarder Jungkook, sans plus pouvoir penser à rien, la colère retombée.
Avec juste le vide.
Et ces mots.
Je t'ai vu embrasser Yoongi.
Et maintenant la colère grandissait en Jungkook, une colère qui l'avait fait s'approcher, agripper la tunique de Jimin puis respirer profondément pour se calmer. Finalement il posa sa main à plat sur son torse, la laissa là.
Jimin sentait son coeur battre absurdement vite dans sa poitrine, se réverbérer dans la main de Jungkook.
Ils laissèrent passer quelques secondes, presque des minutes, ainsi, crispés, blessés. Leurs yeux s'étaient cherchés, s'étaient trouvés, mais les mots ne parvenaient plus à sortir, les pensées peinaient à s'organiser.
Pourtant, le corps de Jimin savourait. Savourait le contact de cette main sur sa tunique légère, savourait l'odeur du souffle de Jungkook sur son visage.
Savourait les derniers instants.
Avant la fin du rêve.
Jimin posa sa main sur celle de Jungkook, la prit pour la retirer, avant de la laisser retomber.
— C'est mieux qu'on arrête de se voir.
Les mots avaient résonné entre eux, lourds de leur sens, lourds de la décision de Jimin.
Les yeux de Jungkook s'écarquillèrent. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais la colère fut plus prompte, Jimin la vit briller en lui. Il referma la bouche, fit quelques pas en arrière.
— D'accord.
Jungkook réunit les cestes, les fourra rageusement dans sa besace.
Puis il se retourna et s'éloigna d'un pas rapide, en martelant le sol de ses talons.
Jimin resta un long moment immobile, à regarder la silhouette s'éloigner, puis à regarder la vie de la rue qui avait recouvert Jungkook.
Seokjin, son père et les autres avaient donc raison ?
Jimin restait seul.
Encore seul.
Mais d'une solitude si pesante cette fois qu'elle en semblait nouvelle.
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