Chapitre 41



Cette faiblesse dans les jambes, dans les membres.

Cette faiblesse du corps tout entier.

Hoseok tentait de s'asseoir sur son lit, de reprendre une position plus propice au travail mais cela semblait si difficile... Si difficile qu'il se sentait prêt à abandonner, prêt à se laisser aller à nouveau sur les oreillers et à dormir encore un peu.

Il soupira longuement, ferma les yeux puis...

Non.

Hoseok se raidit dans son lit.

Il fallait se secouer, ne serait-ce que pour remplir les registres et tenir les comptes. Déjà deux jours de repos forcé, le gymnase n'allait pas tenir à ce rythme.

Il se fit violence, poussa sur ses bras pour se redresser totalement. Bien, il était assis. Ne manquait plus que sortir les jambes du lit et faire les cinq ou six pas jusqu'à la table, où l'attendaient les rouleaux qu'il avait fait récupérer dans son bureau. C'était possible, la distance était ridiculement petite.

Mais il y avait cette fatigue. 

Cette fatigue immense qui recouvrait toute volonté, ce souffle court et ces doigts qui tremblaient encore en s'appuyant sur le fin matelas. Les cinq pas semblaient insurmontables. Le fait de se mettre debout, même, semblait insurmontable.

Hoseok soupira à nouveau, se donna un instant pour s'affermir.

Ce n'était pourtant pas le moment que son corps flanche car le Soleil d'Or était en mauvaise posture. La victoire de Jungkook, qui aurait dû leur apporter la gloire, avait finalement été leur glas.

Par sa faute.

Parce que Hoseok, contrairement à son habitude, avait pris une décision dans l'instant, sans réfléchir aux conséquences. Parce qu'il avait laissé sa colère parler, ses émotions contrôler sa raison.

Parce que le regard de Taehyung en cet instant avait tant remué son coeur qu'il avait su que c'était fini.

Que l'époque de sa vie bien réglée, à se consacrer uniquement au sport des autres et à faire vivre le Soleil d'Or était révolue, malgré lui.

Face à Taehyung, son cœur se rappelait à la vie. Face à Taehyung, Hoseok se sentait pousser des ailes, à vouloir se gorger de sa présence, à vouloir lui parler, l'écouter.

Le protéger.

Alors quand il avait vu cette souffrance dans ses yeux, ce cri muet et son corps bien trop collé à celui de Jungkook, son sang n'avait fait qu'un tour. Il n'avait pas réfléchi, pas considéré les conséquences de sa décision. Il avait juste fait ce que son coeur lui criait de faire : punir Jungkook. Lui faire comprendre le poids de ses actes. L'éloigner de Taehyung.

En un instant, toute l'amitié qu'il avait pour le garçon avait fondu. Les repas partagés, le souci qu'il s'était fait à le voir combattre, à souhaiter sa victoire... Oui, Jungkook la méritait cette victoire, il avait sacrément bien travaillé. Et il était doué.

Mais un instant avait suffi pour effacer.

Ne restait que la rancune des actes de Jungkook.

Ne restait que le regret de ses propres actes.

Peut-être aurait-il pu simplement le mettre à pied pendant quelques semaines. Peut-être aurait-il pu exiger une réparation envers Taehyung. Des excuses sincères. Un acte de service. Quelque chose qui favorise la réflexion de Jungkook, le changement d'attitude, plutôt que la colère et le déni que sa sanction radicale avait dû susciter chez lui. Maintenant, Hoseok pouvait imaginer ce genre de réactions.

Mais il avait été incapable de penser correctement en cet instant, et les faits étaient là : Jungkook n'était plus au Soleil d'Or.

Le champion d'Athènes s'entraînait au Lykeion, désormais.

Et Hoseok ne parvenait même pas à en vouloir à Yoongi, qui était très vite venu lui expliquer sa démarche. Bien sûr que Jungkook devait continuer à combattre, bien sûr que les Jeux d'Olympie étaient faits pour lui. Hoseok n'était pas aveuglé par ses sentiments au point de ne pas savoir qu'un champion comme Jungkook était rare, qu'il fallait le pousser, l'encourager.

Le faire pour la beauté du sport. Pour la gloire d'Athènes.

Lui-même n'avait jamais accordé la moindre importance à la gloire et à la renommée du Soleil d'Or, n'est-ce pas ?

Hoseok eut un rire désabusé en s'appuyant sur la tête de lit et en tentant de se lever.

La gloire, non, mais les finances, si. Pour permettre au gymnase de continuer à fonctionner.

Il réussit finalement à se mettre debout mais tout se mit soudain à tourner dans la chambre. Hoseok tenta de respirer profondément, de calmer ce cœur, ce fichu cœur qui battait bien trop fort, bien trop vite sous le minuscule effort. 

Ou sous l'amertume.

Plusieurs élèves de la section boxe avaient très vite préféré rejoindre le Lykeion, "pour suivre Jungkook". Il y avait donc moins d'élèves, moins de cotisations, moins d'argent pour le gymnase. Pourtant, à eux non plus, Hoseok ne pouvait leur en vouloir. C'était un mouvement naturel, il avait même compté sur le mouvement inverse pour le Soleil d'Or, juste après la finale : que des boxeurs d'autres gymnases décident de s'entraîner ici, pour suivre le champion.

Ironie du sort.

Hoseok ravala le goût amer, se redressa et se déplaça à petits pas jusqu'à la table. Les différents registres étaient là. Aurait-il la force de les consulter et de les remplir assis à la table ? Ou fallait-il rejoindre le lit ? 

Hoseok en était encore à réfléchir, appuyé des deux mains sur le dossier du fauteuil, lorsqu'un léger toquement à la porte le surprit.

Ils étaient peu nombreux à connaître ce petit logement de fonction qu'il habitait, juste dans la ruelle du gymnase.

— Entrez.

La porte s'ouvrit lentement et le cœur d'Hoseok fit un bond lorsqu'il reconnut Taehyung.

— Bonjour... Je ne vous dérange pas ?

La voix était hésitante, la silhouette en tunique longue restait figée sur le pas de la porte.

Hoseok se secoua, fit un pas dans sa direction sans lâcher le fauteuil.

— Non, non, entre. Installe-toi sur ce fauteuil, je vais faire un thé et...

— Non, je vais le faire. Vous, asseyez-vous.

La voix de Taehyung s'était faite assurée, tout à coup. Hoseok fut surpris, il ne put qu'obéir. Son corps accepta le fauteuil avec bonheur, il poussa un soupir qu'il pensait inaudible mais qui fit se retourner Taehyung, déjà parti récupérer les ustensiles posés sur un meuble.

Hoseok sentit son regard qui l'auscultait, qui fouillait chaque partie de lui en tentant de comprendre.

— Je suis venu pour courir mais vous n'étiez pas là.

Courir... on devait être mercredi, leur jour habituel. Hoseok avait perdu toute notion du temps depuis son malaise.

— Pardonne-moi, j'ai eu un empêchement et j'ai oublié de te faire prévenir.

— Oui, on m'a dit que vous ne vous sentiez pas bien. J'étais... inquiet. Alors l'entraîneur de Jimin m'a dit où vous trouver.

Bien sûr, Seokjin... C'était bien le genre à donner son adresse à n'importe qui. À moins que Seokjin n'ait compris l'affection qu'il portait à Taehyung ? Hoseok se sentit presque rougir à l'idée d'être percé à jour. Pourtant Seokjin n'avait fait aucune remarque, aucune pique bien placée, contrairement à son habitude.

— Je suis désolé, je n'aurais peut-être pas dû venir comme ça chez vous...

Taehyung semblait soudain aux abois, Hoseok le sentit prêt à quitter la pièce d'un instant à l'autre.

— Non, ne t'inquiète pas. Je suis très content de te voir.

Taehyung se détendit un peu. Il se saisit de la théière, sembla chercher le thé.

— Dans la petite boîte rouge.

— Merci. Vous n'en avez qu'une sorte ? C'est ...

Taehyung était en train de humer le contenu de la boîte.

— C'est de l'hibiscus, comme la dernière fois ? Vous aimez vraiment ça.

— On ne peut pas vraiment dire que j'aime ça...

Taehyung le regarda d'un air interrogateur.

— Disons qu'il m'est fortement conseillé de boire beaucoup de thé à l'hibiscus. Pour ma santé.

Hoseok se demandait jusqu'à quel point il pouvait se livrer. Jusqu'à quel point il pouvait lui parler de ça sans le charger. Jusqu'à quel point sa vie intéressait Taehyung.

— C'est la même chose qui fait que vous ne vous sentez pas bien et que vous devez vous reposer ?

— Oui.

Taehyung hocha la tête, versa l'eau d'une jarre dans la bouilloire qu'il alla poser sur le feu à l'extérieur.

En revenant, il s'assit face à Hoseok et lui demanda :

— Vous voulez m'expliquer ?

— T'expliquer quoi ?

— Ce que vous avez.

Hoseok sourit, touché malgré lui.

— Si tu veux. Mais seulement si tu arrêtes de me vouvoyer !

Taehyung le considéra un instant puis eut ce petit rire adorable, avant de redemander :

— Tu veux m'expliquer ?

Hoseok hocha la tête pour marquer sa satisfaction. Puis il se lança :

— J'ai... un cœur faible, c'est ce que les médecins disent. Il ne bat pas normalement. Donc je ne dois pas faire d'efforts trop importants, pas de compétitions sportives. Et parfois je me sens subitement faible. Voilà, c'est tout. Rien de grave.

Il valait mieux édulcorer les choses.

Taehyung avait froncé les sourcils, il semblait réfléchir.

— Vous avez... Tu as lu le traité d'Hippocrate ? Fait des offrandes à Asclépios et...

— J'ai tout fait Taehyung, ne t'inquiète pas. C'est juste mon destin. Peut-être ai-je fait quelque chose pour mériter cela.

— N'importe quoi !

Hoseok fut surpris de la véhémence de Taehyung.

— Tu as ce problème au cœur depuis que tu es enfant, n'est-ce pas ?

— Oui.

— Alors ce n'est pas ça. Les Dieux ne chargeraient pas un enfant de fautes qu'il n'a pas encore commises.

— Les Dieux savent être cruels, Taehyung. Mais ce n'est pas grave.

Ils restèrent un instant en silence, sans qu'aucun d'eux ne ressente le besoin de le rompre. Hoseok observait le beau visage de Taehyung, les sourcils froncés dans ce qui semblait être une intense réflexion, la main qui triturait la lèvre.

Taehyung, toujours écartelé entre ses lectures et sa propre réflexion. Entre l'opinion des autres et la sienne. Ses avis étaient vifs, tranchés, mais il lui manquait souvent le recul d'une réflexion approfondie, libérée de l'influence des grands penseurs. Cela viendrait, avec le temps.

Pour l'instant, Hoseok prenait plaisir à le titiller et à le faire réfléchir, le mercredi lors de leurs courses.

— En tout cas, je vois avec plaisir que tu ne t'étais pas défilé aujourd'hui non plus pour nos tours de palestre. Je commence à croire que tu prends plaisir à la course, Taehyung.

Il s'attendait à une rebuffade immédiate sous la taquinerie mais, à la place, Taehyung se mit à rougir et détourna le regard. Hoseok s'en voulut de l'avoir mis mal à l'aise.

— Pardon Taehyung. Je te taquine, c'est tout. J'aime beaucoup courir avec toi.

— Moi aussi. J'aime courir avec v... toi. Et j'aime discuter avec toi.

Taehyung se leva brusquement et sortit d'un pas vif. Il revint en portant avec précaution la bouilloire frémissante, en versa le contenu dans la théière puis se rassit face à lui.

— Merci.

Hoseok sourit à Taehyung.

— Merci d'être venu me voir. Et merci de me faire suffisamment confiance pour courir avec moi.

— Je te fais confiance, oui.

Les mots lui réchauffèrent le cœur.

— Et je ne t'ai jamais remercié pour ce que tu as fait ce jour-là. Quand Jungkook...

Hoseok fut surpris que Taehyung aborde le sujet. Ils n'en avaient jamais reparlé. Taehyung s'était contenté de revenir la semaine suivante pour courir, puis celle d'après encore. Mais Hoseok ne l'avait plus jamais laissé seul sur la palestre.

— Je suis désolé pour ce qui s'est passé. C'est ma faute, je n'aurais jamais dû m'absenter et...

— Non, ce n'est pas de ta faute. C'est moi qui suis un peu... spécial peut-être.

Taehyung semblait songeur.

— J'ai réfléchi, je me suis demandé pourquoi ça m'avait mis dans cet état.

— Ce n'est pas de ta faute, Taehyung. C'est de la faute de Jungkook qui a fait ça sans te demander si tu étais d'accord.

Hoseok s'était renseigné, après, il avait eu le descriptif détaillé des faits par un athlète qui avait vu toute la scène.

— Je l'ai revu.

— Qui ? Jungkook ?

Hoseok était horrifié. Qu'avait-il encore fait ?

— Oui. Devant le gymnase. La semaine dernière, avant notre rencontre. Il m'a parlé. Il m'a dit "Pardon pour ce que j'ai fait". Et puis il est parti presque en courant !

Et Taehyung éclata de rire.

Hoseok resta un instant interdit devant ce rire. Un rire décalé, bien trop fort, qui collait si peu avec l'image qu'il avait de Taehyung. Il avait envie de prendre Taehyung dans ses bras, de lui dire que tout allait bien se passer désormais. Il tendit le bras, posa sa main sur celle de Taehyung, très légèrement.

Taehyung cessa graduellement de rire, le regarda. Puis il retourna sa main.

Et referma ses doigts sur ceux d'Hoseok.  



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