Chapitre 36


L'urgence.

L'urgence d'aller chez lui, l'urgence de le revoir.

De voir Yoongi.

Malgré ce baiser délicieux et intime avec Jungkook, malgré les cestes déposées ensemble. Malgré ses yeux tristes lorsqu'il l'avait laissé.

Cette urgence.

La boxe était plus forte. Yoongi était plus fort.

Jimin pressait le pas, se faufilait entre la foule, les commerçants, les gamins qui couraient, les femmes chargées revenant du marché.

Il ne connaissait pas le chemin mais c'était comme s'il l'avait toujours su.

"Tu prends la longue rue qui descend à droite du théâtre de Dionysos et tu la suis jusqu'au marché couvert. Là, tu tournes à gauche, une rue animée, et tu prendras la quatrième sur ta droite. C'est dans la cour en face de la fontaine."

Hoseok avait été précis, ses mots l'avaient guidé sans hésitation et maintenant Jimin était là, à l'entrée de cette cour, à contempler les bâtiments.

"Deuxième porte à droite"

La porte de chez Yoongi. Fermée. Une porte bleue passé, flanquée d'une fenêtre de la même couleur. Fermée, elle aussi.

Yoongi allait-il le renvoyer ?

Allait-il se fâcher de le voir débarquer ainsi ?

Mais il y avait cette urgence à le voir, cette urgence à lui parler. Une pulsion qui l'attirait et lui faisait faire les quelques pas sans plus penser à rien, juste le voir, juste croiser ses yeux, sentir cette présence qui savait tout apaiser en lui.

Jimin s'arrêta devant la porte bleue.

Toqua.

Trois coups.

Le silence. Puis un raclement de chaise, peut-être, des pas lents.

Et la porte qui s'entrouvrait.

— Jimin ?

La surprise sur son visage pâle, la surprise mais pas de colère, pas de rejet, alors que la porte s'ouvrait plus, légèrement plus, qu'elle laissait le buste de Yoongi apparaître dans l'embrasure.

— Bonjour Yoongi.

C'était à lui de parler, à lui d'expliquer, mais Jimin ne pouvait que rester là, à contempler ces yeux plissés par l'incompréhension, cette bouche en attente, cette main longue posée sur le bleu écaillé de la porte.

Un mouvement du corps, infime, à peine un pas qui tendait vers l'avant, qui tendait vers lui, Yoongi.

Yoongi le vit, se crispa légèrement. Il fixa Jimin un court instant, sourcils froncés, puis finalement recula en soupirant, ouvrant plus largement la porte.

— Entre.

Il s'éloignait déjà, disparaissait dans l'obscurité de l'intérieur, et Jimin sentit ce besoin impérieux de le rejoindre, de se retrouver près de lui, tout de suite, immédiatement, comme si Yoongi pouvait s'enfuir et Jimin se retrouver vide à nouveau.

Yoongi était celui qui le portait, depuis son combat contre Lion.

Par ses visites régulières et ses conseils, pendant la convalescence de Jimin. Puis, ces derniers jours, par sa silhouette qui peuplait ses pensées à peine Jimin se retrouvait-il seul, par le timbre chaud de sa voix qui l'accompagnait et emplissait le vide de la nuit, le vide de sens.

C'était dur, de continuer chaque jour, encore. Dur de savoir pourquoi il se levait le matin.

Bien sûr il y avait Seokjin, Hoseok, sa mère et... lui. Cet homme nouveau dans la vie de Jimin qu'il ne pouvait encore appeler père.

Bien sûr il y avait Jungkook.

Oui, Jungkook, beaucoup, fort, à envahir corps et pensées par vagues, à brûler de sa présence. À faire battre le cœur plus vite. Par à coups.

Mais ce n'était pas suffisant.

Manquait Tae.

Manquait la boxe.

Manquait le but.

Alors Yoongi. Yoongi et la chaleur tiède de sa présence, même lorsqu'il n'était pas là.

Alors Jimin ici.

— Tu n'entres pas ?

La voix de Yoongi l'avait appelé de l'intérieur, brisant le cercle des mots ressassés. Elle fit gravir à Jimin les deux marches de l'entrée et le tira dans l'obscurité du logement.

Une pièce, simple, où il fallait presque se courber. Sombre malgré la fenêtre, exiguë. Une table, une chaise. Un lit dans un coin. Des planches de bois pour étagères. Et les murs, nus, vides.

La pièce d'une vie tapie à attendre.

— Pardon de vous déranger.

Yoongi le contempla puis lui fit signe de prendre la chaise près de la fenêtre, alors qu'il se dirigeait vers une étagère.

— Du vin ? Du lait ?

— Du vin oui, merci.

Il en aurait besoin.

Yoongi posa un gobelet sur la table, y versa le contenu d'un pichet. Poussa le gobelet vers Jimin.

— Bois.

— Et vous ?

— Plus tard.

Jimin obéit, but le vin d'une traite. Yoongi ébaucha un sourire, le resservit puis ouvrit la fenêtre, avant d'aller s'asseoir sur le lit. La pièce parut plus lumineuse, tout à coup.

— Pardon d'être venu sans prévenir, osa finalement Jimin. C'est Hoseok qui m'a dit où vous habitiez.

— Ça ne pouvait pas attendre qu'on se voie au gymnase ?

Jimin baissa la tête. Si, ça pouvait attendre. Mais non. Est-ce que Yoongi pourrait comprendre ?

Il regretta, soudain, regretta sa venue impulsive, regretta d'avoir cédé à ce besoin indicible de voir Yoongi, de venir chercher de l'aide auprès de lui.

— Je ne sais pas si je veux revenir au gymnase, lâcha-t-il sans plus réfléchir. Je ne sais pas comment y retourner. Je ne sais pas pourquoi y retourner. Je ne sais plus rien. Vous m'aviez dit que je devais d'abord guérir et que ça viendrait ensuite. C'est fait, j'ai guéri. Mon bras va mieux, je peux faire les choses normalement. Bientôt je pourrai reprendre les activités sportives. Mais je continue à être perdu.

— Est-ce que tu veux encore boxer ?

Jimin resta silencieux. Cette question, il se l'était déjà posée mille fois.

Après tout, il avait commencé la boxe pour Athènes. Pour être reconnu par Athènes. Et il avait échoué. Lamentablement. Là où Jungkook, lui, avait réussi.

Et puis, maintenant, il y avait cet homme. Périclès.

Tout était si compliqué. C'était tellement plus simple de frapper le sac sans relâche, d'enchaîner les mouvements, sans réfléchir.

— Je ne sais plus. Je crois, oui. J'aime la boxe. J'aime m'entraîner.

— Mais ?

— Mais... Je ne sais pas. Reprendre comme avant, ça semble impossible. Je n'arrive pas à faire comme si rien ne s'était passé.

Il y eut ce petit rire qui fit relever la tête à Jimin. Yoongi semblait légèrement amusé, mais sa voix fut douce lorsqu'il parla.

— Bien sûr que tu ne peux pas. C'est en toi maintenant, dans ton corps et dans ton esprit. Pour toujours. Il faudra faire avec, et avancer avec ça.

Jimin passa instinctivement la main sur la cicatrice de sa joue. Oui, le combat resterait à tout jamais gravé dans son corps. Comme Yoongi.

— C'est en vous encore ? Ce combat que vous avez... fait.

— Celui que j'ai perdu ? Tu peux dire le mot, c'est la réalité.

Yoongi se tut un instant, regarda par la fenêtre. Jimin suivit son regard, se perdit dans les maisons, de l'autre côté de la cour, dans le ciel bleu sans nuage.

— Oui, reprit finalement Yoongi, la voix plus sourde. Oui, c'est toujours en moi. Et ça le sera toujours. Ne serait-ce que par les cicatrices, lâcha-t-il d'un ton soudain amer.

Les cicatrices...

Jimin laissa son regard courir sur la silhouette de Yoongi qui s'était levé, prenait un autre gobelet sur l'étagère, s'approchait. Le vin gicla un peu sur la table lorsqu'il se servit. Il porta le gobelet à ses lèvres d'une main légèrement tremblante, but à longues gorgées.

Le manteau que Yoongi avait passé dès l'arrivée de Jimin glissa un peu, dévoilant la peau de son bras. Une trace rosée, qui fuyait sous le tissu, attirait l'œil.

— Montrez-moi.

Yoongi haussa les sourcils par-dessus le gobelet.

— Vos cicatrices. Montrez-les moi.

Le regard de Yoongi vacilla. Son corps se tendit, sa main chercha un appui sur la table.

— Non Jimin, ce n'est pas...

Yoongi avait murmuré, se détournait.

— Ce n'est pas quoi ?

Jimin devinait la souffrance au ton de Yoongi, savait sa demande injuste, son insistance déplacée. Mais pourtant il avait ce besoin de voir, maintenant, de comprendre ses blessures. Comme si voir les blessures de Yoongi allaient lui permettre de dépasser les siennes. Comme s'il lui fallait une preuve de ce qu'ils avaient en commun.

— Ce n'est pas beau.

Jimin resta muet un instant.

Beau. Ce mot qui lui était, à lui, si important. Voilà qu'il arrivait ainsi, dans la bouche de Yoongi, et qu'il lui semblait si futile tout à coup.

Bien sûr que des cicatrices n'étaient pas belles. Bien sûr qu'elles étaient même hideuses, comme celle que lui-même avait désormais dans le pli du coude et qu'il s'efforçait de cacher d'un large bracelet. Ou comme celle de sa joue.

Mais que Yoongi s'en fasse pour ça ? Lui qui était si...

— Je vous trouve magnifique.

Les mots avaient fusé, abrupts, francs. Un aveu que Jimin n'avait pu retenir.

Voir Yoongi ainsi, si fragile soudain, à douter pour une question de beauté. C'était impossible, cela ne pouvait pas être. Il fallait rétablir l'équilibre, rétablir la vérité. "Vous êtes beau, vous êtes très beau, bien plus que vos cicatrices", voilà ce qu'il fallait crier.

Alors la bouche de Jimin l'avait fait, avant qu'il ne puisse même douter.

Yoongi parut choqué de cette phrase pourtant si sincère. Instantanément, son visage se ferma, il fusilla Jimin du regard, avant de lâcher, acerbe :

— Vraiment, Jimin ? Tu as besoin de dire des bêtises pareilles ?

— Mais ce ne sont pas...

— Tu veux voir toutes mes cicatrices ? Tu veux voir ce que c'est que la laideur ?! Tu vas les voir ! Et après tu ravaleras tes mots !

— Mais...

Yoongi le fit taire d'un geste vif, avant de fermer les yeux. Il tremblait. Jimin vit ses doigts s'agripper à la table de toutes ses forces, tandis que Yoongi tentait de retrouver son calme, d'apaiser son halètement. Puis, lentement, il rouvrit des yeux dans lesquels ne se lisait plus que de la douleur. Il eut un faible sourire.

— Pardonne-moi.

Les mots résonnèrent dans la poitrine de Jimin, à en faire mal.

— Non, c'est moi, excusez-moi de vous avoir demandé ça, je ne voulais pas...

— Je vais le faire.

La voix était redevenue douce.


***


— Vous êtes sûr ?

Jimin semblait inquiet, désolé même.

Yoongi hocha lentement la tête puis, à moitié inconscient de ses gestes, il fit glisser son lourd manteau et le déposa sur le lit. Le soleil venu de la fenêtre frappa la peau de ses bras, celle de son torse à travers la fine étoffe. Il voulut d'instinct se replier sur lui-même, d'instinct cacher les premières cicatrices visibles.

Mais les yeux de Jimin restaient, exigeaient presque. Portaient.

La main de Yoongi monta jusqu'à son épaule, commença à dégrafer la première attache de sa tunique. Puis la deuxième. Elle fit de même sur l'autre épaule.

Et le tissu coula contre lui, faisant frissonner sa peau.

Les yeux de Jimin s'écarquillèrent. Ils dérivèrent sur son ventre, sa poitrine, revinrent aux bras que Yoongi gardait le long du corps, figés. Rempart inutile désormais.

Il sentait le léger souffle du vent sur sa peau par la fenêtre ouverte, la chaleur du soleil venu du dehors. Comme ce jour-là, au gymnase, avec Jungkook.

Mais aujourd'hui, c'était si différent. Aujourd'hui il se sentait totalement nu.

Nu devant Jimin.

Nu de honte.

Nu sous ces yeux sérieux qui détaillaient maintenant chaque cicatrice, chaque boursouflure. Chaque marque du passé, gravée en lui.

Jimin eut un geste de la main, comme une invitation, et Yoongi ne put qu'obéir, approcher au plus près.

Il sentit la main se poser, hésitante, sur son flanc, se raidit soudain.

Jimin releva la tête, l'interrogea du regard.

Il acquiesça. Aller jusqu'au bout, descendre au plus profond de la douleur, de la peur. De la honte.

Jimin touchait son corps, en cet instant. Ce corps honni, que Yoongi avait tant de fois voulu quitter, qu'il n'avait pu qu'éteindre.

Il baissa les yeux pour admirer la main de Jimin sur sa peau, suivre le léger toucher qui découvrait, qui explorait. Ils cheminèrent ensemble, longtemps, le long de chaque ligne, de chaque trace rouge, Yoongi oubliant tout peu à peu, se laissant aller aux doigts de Jimin, si concentré maintenant, si concentré sur lui.

Lorsque la caresse cessa, que Jimin se recula dans le fond de la chaise, Yoongi resta un instant interdit, perdu. Il faisait froid tout à coup, il faisait peur à nouveau.

Qu'allait-il dire ?

Yoongi attrapa fébrilement les pans de sa tunique restée suspendue à sa taille, la releva pour l'accrocher, se couvrit à nouveau de son manteau.

Puis, enfin, il respira.

Enfin, il rencontra les yeux de Jimin, posés sans hâte sur lui.

— Vous avez mal ?

Il déglutit.

— Chaque jour.

— Je vous admire.

Le souffle de Yoongi se coupa.

— Pourquoi ? fut tout ce qu'il put demander.

— Pour tout. Depuis toujours. Pour ça, aussi.

Et Yoongi sentait encore le regard de Jimin sur son corps, à transpercer les étoffes. Jimin, désormais, le verrait toujours nu.

Mais, étrangement, ce regard faisait un peu moins peur maintenant.

— Aidez-moi.

La fragilité à nouveau, dans la voix de Jimin, revenue si soudainement.

— À quoi ? Tu vois bien que...

— À reprendre la boxe.

Yoongi sourit.

— D'accord, on ira au Soleil d'Or et...

— Non.

La voix de Jimin était plus ferme.

— Non, pas là-bas. Pas tout de suite. Je ne peux pas, je crois.

— Alors où ?

— Je ne sais pas.

Yoongi réfléchit, contempla la cour de terre battue par la fenêtre ouverte.

— Vous m'aviez promis de vous battre avec moi après les Jeux, reprit soudain Jimin.

Comme une lueur de malice dans ses yeux en cet instant.

Yoongi soupira. Il n'oubliait rien.

— Oui.

— On pourra le faire ?

Nouveau soupir. Mais, après tout, il avait vu ses cicatrices, maintenant. Il les avait même touchées. Yoongi frissonna.

— Tu veux toujours te battre avec moi malgré ce que tu as vu ?

— Qu'est-ce que ça change ?

L'interrogation dans les yeux de Jimin était sincère.

Yoongi eut un rire désabusé. Bien sûr, qu'est-ce que ça changeait ? Jimin ne voyait pas son corps comme lui voyait le sien. Le corps d'un homme. Beau, désirable. Jimin ne le considérait que comme un entraîneur. C'était logique.

C'était douloureux.

— Rien.

— Alors on va le faire ?

Jimin souriait comme un enfant.

— Oui.

— Mais pas au gymnase.

— Non. Ici.

— Ici ?

Jimin regarda autour de lui d'un œil circonspect.

— Dans la cour. Ça fera l'affaire jusqu'à ce que tu te sentes prêt à retourner au Soleil d'Or.

— D'accord, c'est parfait !

Il semblait radieux à présent.

Yoongi ne put empêcher un soupçon d'allégresse, en lui aussi.

— Merci Yoongi. Pour tout... Tout ce que vous faites pour moi.

— Je t'en prie. Maintenant, file. Tu m'as assez dérangé pour aujourd'hui.

Puis, alors que Jimin s'exécutait, sourire aux lèvres :

— Reviens demain, à la même heure. 


***


J'espère que ce chapitre vous a plu !

On commence à entrer dans le vif du sujet du polyamour avec l'attirance de Jimin à la fois pour Yoongi et pour Jungkook. 

Est-ce que vous comprenez son point de vue ? Ou est-ce que ça vous semble impossible d'être autant attiré par deux personnes en même temps ?

Promis, dans le prochain chapitre vous saurez enfin ce qui s'est passé pour Jungkook au gymnase ^^

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