Chapitre 28
Aspasie regardait son fils.
Jimin était là, plongé dans un sommeil agité, dans ce lit sculpté qu'elle avait fait faire spécialement pour lui et qu'il aimait tant. Le visage si tuméfié, le corps si abîmé qu'elle l'avait à peine reconnu quand le brancard était passé près d'elle, à la fin du combat.
Elle avait vécu les pires heures de sa vie, ces derniers jours, à chaque fois que Jimin combattait. Jusqu'au bout, elle avait espéré qu'il renonce, qu'il se rende à la raison et ne mette pas ainsi sa vie en danger.
En vain.
Jimin avait combattu, quatre fois, et Aspasie avait avec lui ressenti chaque coup, souffert chaque fois en son cœur.
Et cette loi stupide, qui interdisait l'accès des stades et gymnases aux femmes, qui l'empêchait d'être là pour son fils ! Elle avait dû rester dans la rue, immobile et tendue, à tenter d'interpréter chaque cri, chaque son, chaque réaction de la foule à l'intérieur. Le cœur se serrant chaque fois plus.
Heureusement un domestique venait régulièrement apporter les nouvelles. Elles avaient été bonnes, les combats précédents : les coups de Jimin qui portaient, l'adversaire qui s'épuisait à tenter de le toucher.
Son fils, son trésor. Léger et malicieux, même lorsqu'il combattait. Comme lorsqu'il était enfant.
Elle posa une main douce sur son front, remonta quelques mèches collées de sueur. Du sang y était encore agglutiné, elle le laverait mieux, tout à l'heure. Pour l'instant, qu'il dorme, qu'il guérisse, c'était tout ce qui importait.
Lorsqu'elle avait tenté, vainement, de dissuader Jimin de s'inscrire aux Jeux, c'était pour ça : par crainte de le perdre, par crainte qu'il souffre.
Par crainte de ne rien pouvoir y faire.
L'impuissance, pire des tortures pour une mère.
Heureusement son ancienne nourrice, devenue celle de Jimin, l'avait accompagnée devant le stade, se tordant les mains d'inquiétude, souffrant certainement autant qu'elle. Loin d'être jalouse de cette affection pour Jimin, Aspasie avait toujours été heureuse de ce lien, de l'amour que Jimin lui rendait. Une relation privilégiée, une relation de tendresse pure, comme elle-même avait pu en avoir avec cette femme si enveloppante. Comme elle avait encore avec elle. Combien de fois avait-elle pleuré devant Maîa ? Enfant, jeune fille puis femme et enfin mère. Combien de raisons de pleurer, combien de coups portés par le sort, par les autres.
Maîa comprenait tout, mieux que sa propre mère, cette femme distante qu'elle n'avait pas vue depuis des années, et qui ne lui manquait pas.
Maîa avait compris son besoin de liberté, surtout. Elle l'avait accompagnée ici, à Athènes, lorsqu'Aspasie s'était décidée à fuir Millet, à fuir une famille trop oppressante et une belle-famille trop médisante. Aspasie, à 20 ans, était veuve, déjà, son mari mort quelques mois après leur mariage. On la tenait un peu pour responsable, elle si différente : elle qui aimait tant les livres, elle que son père, par amour pour sa fille unique, avait envoyé recevoir la meilleure éducation, ne pouvait être que responsable de cette mort subite. On chuchotait dans son dos, déjà là-bas.
Alors Aspasie était partie, accompagnée de sa nourrice, retrouver un oncle qui habitait Athènes. Son père lui avait fait don d'une grosse somme pour l'aider car, même s'il ne comprenait pas, même si son départ lui brisait le cœur, il l'aimait, la soutenait. Elle n'avait jamais cessé de lui écrire, souvent, jusqu'à sa mort.
Aspasie était douée en affaires, elle avait monté cette fabrique de céramique seule, s'était empressée de fuir la maison de son oncle, sa tante surtout, qui cherchait tant à l'enfermer, à la faire reprendre mari.
Mais quand on était métèque comme elle, avoir son propre chez-soi signifiait avoir un garant.
Jimin remua dans son sommeil, grimaça de douleur et tenta de se retourner.
Aspasie s'empressa, reprit ses caresses, ses murmures apaisants "là, là, repose-toi, ça va aller".
Elle contempla un instant la grande cicatrice, rouge et hideuse, qui barrait la joue gauche de son fils. Son adversaire, lui avait-on dit, avait délibérément griffé le visage de Jimin au lieu de le frapper du poing, emportant de ses ongles jusqu'à un peu de chair.
Pourquoi ? Pourquoi tant de haine envers lui ? Pourquoi avait-il ainsi tenté de le massacrer ? Le bras droit de son fils était immobilisé, brisé, son visage si tuméfié qu'elle avait pleuré à sa vue. Le médecin craignait aussi pour les organes internes, une hémorragie tardive. "Il faut voir l'évolution", avait-il dit, "rester extrêmement vigilant".
Elle avait passé des heures au chevet de Jimin depuis qu'il avait été ramené la veille. Maîa, venue elle aussi, si inquiète, dormait maintenant dans une pièce attenante. Elle n'était plus si jeune, Aspasie avait insisté pour qu'elle se repose. Maîa avait accepté, sous condition que ce serait ensuite à son tour de dormir. Aspasie avait souri, fait semblant d'acquiescer. Mais elle ne quitterait pas le chevet de son fils, pas tant qu'il ne serait pas réveillé, pas tant qu'il ne serait pas sauvé, définitivement.
Le pire n'était pas de vivre les combats de loin, de craindre un mauvais coup, une blessure.
Le pire était de voir son fils ainsi, de voir ses craintes réalisées. De ne pas savoir si son état n'allait pas empirer.
L'impuissance, toujours.
Jimin espérait tant de ces Jeux.
Il ne le lui avait pas dit mais elle savait, ce rêve inaccessible auquel il s'accrochait. Devenir citoyen. Exister pleinement, ici, ne plus être un "presque". Elle avait pourtant fait tout son possible, lui avait donné la meilleure éducation, les meilleurs vêtements, la vie matérielle la plus opulente.
Mais cela n'avait jamais suffi. Pour les autres. Pour lui surtout.
Aspasie, elle, s'en fichait des autres, de leurs regards toujours suspicieux ou goguenards, de leurs moqueries à voix plus ou moins haute. Elle s'y était habituée, aimait cela, même, choquer, déranger.
Jamais elle ne se sentait si heureuse que lorsqu'elle arpentait l'Agora en débattant avec ses amis, percevant les regards mi-désapprobateurs mi-admiratifs des autres.
Brûlants, aussi.
Car elle suscitait encore le désir. En jouait, parfois, s'amusait à troubler ces hommes si sûrs d'eux au début, qui venaient la provoquer, la chercher. Elle répondait, argumentait, gagnait ces joutes verbales et mentales. Les achevait d'un regard, d'un geste de la main. Faire briller la féminité au cœur du cartésien.
Gagner ces batailles et s'imposer, là, au milieu d'eux.
Quelqu'un toqua doucement à la porte. Aspasie se leva, alla ouvrir sans faire de bruit.
— On vient d'apporter ceci.
Une corbeille chargée de fruits frais et une lettre.
Une fois retournée au chevet de Jimin, Aspasie s'empressa de déplier le rouleau. Elle savait bien qui écrivait. Toujours ces mêmes rubans, qu'elle gardait précieusement. Une habitude qu'elle avait prise, au début, tant d'années auparavant. Qu'elle avait gardée, par superstition. Ou par amour.
Il avait ri en découvrant un jour les boîtes chargées de ces rubans bleu ciel. Elle s'était sentie honteuse, un instant, de cet acte infantile qui la liait ainsi à cet homme, qui montrait sa faiblesse, ses sentiments.
En réponse, il avait fait livrer des caissettes luxueuses, le lendemain, "pour abriter les prochains rubans" était-il écrit. Aspasie avait gardé les caissettes, accumulé plus de rubans.
Un jour, elle les montrerait à Jimin. Lui montrerait ce que le cœur peut faire, lorsqu'il s'attache. Lui montrerait pourquoi, non, il n'était pas un "presque".
Il était un "tout". Son fils. Leur fils.
Elle plia soigneusement le ruban, le posa sur le drap, sur le genou de Jimin.
Lissa la lettre de la main.
Ma Chère,
Je ne peux qu'imaginer combien votre peine est grande, en cet instant, reflet de la mienne mais décuplée au centuple d'avoir porté notre enfant, de vivre jour après jour auprès de lui.
Vous m'écrivez que la nuit s'est bien passée, qu'il continue à dormir. Tant mieux, me voilà un peu rassuré.
Et je peux maintenant prendre le temps de vous conter les événements tels que je les ai vus.
Il s'est bien battu, a tenu jusqu'au bout.
J'avais si peur, si peur, Aspasie, qu'il meure devant mes yeux, d'une frappe mal placée.
L'arbitre était payé, je suppose, je le ferai juger pour ne pas être intervenu comme il le devait.
Heureusement ce jeune homme, l'ami de notre fils, s'est interposé, l'a sauvé alors que l'adversaire allait passer outre son abandon et peut-être l'achever.
Je vous le dis, ma chère, ces instants ont été la pire des batailles pour mon cœur de père.
Je vous fais livrer ces fruits, pour lui, pour vous. Je sais combien vous êtes inquiète, je vous imagine à son chevet en cet instant, là où je souhaiterais tant me trouver moi aussi.
Parfois je hais mon engagement auprès de la Cité, parfois je hais cette vie que je vous impose, surtout, bien plus qu'à moi. A tous les deux.
Pardonnez-moi, Aspasie, encore, toujours.
Je vous aime. J'aime Jimin.
Je le répète, demandez ce dont vous avez besoin pour le soigner, je vous l'obtiendrai. Le médecin est déjà venu, je suppose, je lui ai dit de passer plusieurs fois chaque jour.
Jimin va guérir, ne vous inquiétez pas, je le sais. D'âme et de corps. J'ai vu sa force, j'ai vu ses yeux à certains mots.
J'ose me dire qu'il est peut-être un peu apaisé, que cette défaite ne pèsera que ses blessures.
Faisons-lui confiance.
Tout comme je vous fais confiance pour le soigner, pour lui transmettre mon amour par vos gestes.
Je vous aime, toujours.
Votre très dévoué.
Aspasie posa le rouleau un instant sur le lit, se leva et revint avec la bougie. D'un geste maintes fois répété, elle prit le parchemin et l'approcha de la flamme, la regarda happer un coin, puis s'étendre, grignoter les mots l'un après l'autre.
Bientôt il ne resta plus que quelques cendres. Et un ruban bleu ciel.
Elle inspira profondément, noua le ruban à sa ceinture. Un geste enfantin, encore, un geste de réconfort. Il était là, un peu, avec elle. Comme si ses mains enserrait sa taille, comme si ses gestes l'apaisaient, comme ils savaient si souvent le faire.
Oui, elle haïssait son engagement pour la Cité, elle aussi.
Même si c'était cette puissance et ce soutien qu'elle avait d'abord recherché chez lui, plus de vingt ans auparavant, lorsqu'il n'était qu'un politicien prometteur. Elle était jeune, audacieuse, avait désespérément besoin de ce chez-elle. Lui l'avait admirée, d'abord, l'avait approchée. Elle avait été claire, franche, avait dit les mots, "métèque", "veuve". Avait dit ses besoins. Il avait accepté. Elle savait qu'il l'aimait, déjà.
Elle ne savait pas qu'elle l'aimerait, elle aussi.
Il était beau, compréhensif, audacieux lui aussi. Intelligent. Et surtout, il respectait son intelligence à elle, la recherchait même. Adorait la voir braver les autres pour rejoindre l'Agora. Ses yeux le disaient, lorsqu'ils s'y rencontraient par hasard.
Le hasard, seulement, même provoqué : on ne pouvait les voir ensemble, Athènes ne devait pas savoir.
Lui et elle, une métèque ? Elle, qu'on disait hétaïre ?
Les gens n'aimaient pas voir une femme seule, encore moins la voir réussir. Les rumeurs étaient rapidement arrivées, dès la création de la fabrique. Elle n'avait pas cherché à les démentir. C'était plus simple, ainsi, on cherchait moins.
Et eux continuaient, ensemble.
Et puis Jimin était arrivé, naturellement, et son paradis à elle s'était trouvé immense, tout à coup.
Rien n'avait changé entre eux.
Tacitement, il lui faisait confiance pour Jimin, la laissait gérer seule, décider seule. Rares étaient les fois où il se permettait d'intervenir. Après tout, disait-il, il lui imposait cette vie.
Mais il aimait Jimin, souffrait de ne pouvoir le voir, de ne pouvoir passer du temps avec lui.
Il l'observait pourtant de loin, elle le savait. Il l'avait confirmé dans cette lettre.
Aspasie soupira, posa ses yeux sur le visage de son enfant endormi. Son enfant, son tout petit enfant, devenu si grand maintenant. Devenu un homme, lui aussi.
Elle détailla ses longs cils posés sur ses joues, ses mèches encore humides, ses lèvres entrouvertes, sèches et blessées. Écouta son souffle, comme lorsqu'il était petit, comme lorsqu'elle entrait dans sa chambre pour vérifier qu'il dormait bien.
Jimin souffrait-il, lui aussi ? De cette absence de père ? Il ne lui en parlait jamais, même si elle se doutait. Et quelques mots de sa nourrice, aussi, laissaient entendre que oui.
Aspasie sentit les larmes affluer tout à coup, menacer de se remettre à couler.
C'était si difficile.
Si difficile d'être mère, si difficile de faire les bons choix. Si difficile de ne pas douter. De ne pas regretter.
Aurait-il fallu qu'elle reste à Millet ? Aurait-il fallu qu'elle y retourne une fois Jimin né ? Qu'il puisse mieux connaître sa famille, son grand-père ?
Ici, il n'avait personne.
Elle sentit les larmes commencer à couler, la détresse menacer.
Elle se leva vivement.
Il ne fallait pas que Jimin la voie ainsi. Elle devait être forte, toujours, pour eux deux.
Et d'abord, il fallait ranger ce ruban dans ses propres appartements, éviter les questions, en profiter pour se calmer. Cela prendrait une minute tout au plus, elle n'allait pas réveiller sa nourrice pour si peu.
Aspasie s'approcha silencieusement de la porte, l'entrouvrit.
— Vous partez... Mère...
La voix de Jimin, faible derrière elle, la fit sursauter.
Elle essuya ses larmes de la main, sécha ses yeux. Se retourna avec un large sourire.
— Tu es réveillé !
Il était pâle, si pâle dans ce lit. Les yeux à peine entrouverts, comme surchargés de fatigue, les doigts crispés sur le drap qu'il avait remonté au plus haut possible.
Mais il souriait, d'un petit sourire qui lui réchauffa instantanément le cœur.
Elle s'approcha, se pencha, l'embrassa doucement sur le front. Il avait fermé les yeux sous le baiser, les rouvrit pour la regarder lorsqu'elle se redressa.
— Quel jour sommes-nous ?
— Le lendemain de ton combat. Tu as beaucoup dormi, c'est bien. Comment te sens-tu ?
— Faible. Et douloureux.
Le médecin avait dit que les premières vingt-quatre heures étaient les plus cruciales. Elles s'achevaient. Et Jimin semblait faible, oui, mais mieux que la veille. Aspasie s'autorisa à se sentir rassurée.
Elle s'assit sur le bord du lit, posa à nouveau sa main sur le front de son fils.
— Tu devrais manger un peu, je vais faire apporter de la soupe. Et le médecin a prescrit des breuvages.
Jimin grimaça, ce qui la fit sourire. Depuis tout petit, il n'avait jamais aimé les mixtures concoctées par les médecins, qu'il fallait se forcer à avaler.
— Le médecin va venir tout à l'heure pour vérifier tes plaies et te poser de nouveaux cataplasmes. Ah, et tes amis sont passés prendre de tes nouvelles.
— Qui ? demanda-t-il, les yeux toujours dans le vague.
Il avait longuement regardé son bras droit tout à l'heure, ce bras que le médecin avait immobilisé après l'avoir enfermé dans de solides bandages, la veille.
— Taehyung, plusieurs fois. Seokjin. Le propriétaire du gymnase...
— Hoseok.
— Oui. Et un certain Yoongi.
Elle vit la surprise sur le visage de Jimin, les yeux qui s'ouvraient, incrédules, la bouche qui allait demander quelque chose. Puis, très vite, le visage se ferma, le regard se durcit.
— Je suppose qu'il est venu voir si je mourrais bien.
— Qu'est-ce que tu racontes ? Il avait l'air très inquiet. Qui est-ce ?
Jimin hésita.
— C'est... C'était mon autre entraîneur.
— Oh, cet ami de Seokjin ? Il m'en avait parlé.
Car elle suivait, malgré tout, la passion de son fils pour la boxe. Lui ne voulait rien dire, mais elle interrogeait Seokjin, qu'elle croisait souvent chez des amis communs.
— Il a dit qu'il reviendrait... continua-t-elle.
— Non, je ne veux...
Jimin s'interrompit alors que quelques coups discrets étaient frappés à la porte. Sa nourrice entra silencieusement, avant de s'exclamer de joie en voyant Jimin réveillé. Elle se précipita vers lui et le prit dans ses bras. Jimin se mit à rire, d'un petit rire entrecoupé d'inspirations douloureuses. Aspasie contempla affectueusement la scène. Il riait, c'était qu'il allait mieux.
Depuis combien de temps ne l'avait-elle pas vu rire de ce rire sincère ?
Maîa se redressa, s'essuya les yeux et affirma :
— Maintenant, tu vas manger ma soupe. Je vais la préparer, elle te donnera des forces. Et toi aussi, continua-t-elle en se tournant vers Aspasie, tu dois reprendre des forces, tu as veillé depuis hier.
Aspasie leva les yeux au ciel en souriant, échangea un regard avec son fils qui souriait lui aussi, hochait la tête.
Le bonheur de le voir ainsi, presque heureux malgré les blessures, malgré la douleur. Le bonheur de faire famille, à trois, comme lorsqu'il était petit.
Peut-être un jour seraient-ils quatre ? Peut-être un jour Jimin pourrait-il savoir qui était son père ?
Aspasie secoua la tête, le sourire terni tout à coup. Non, elle le savait bien. Pour cela, il faudrait que son père décide de tout abandonner, de laisser la vie de la Cité. Sa vocation, son sacerdoce. Jamais cela n'arriverait.
— Vous allez bien, Mère ?
Les yeux de Jimin, un peu inquiets, posés sur elle. Elle sourit, s'avança pour lui caresser les cheveux. Maîa avait déjà quitté la chambre, devait déjà s'affairer aux fourneaux.
— Oui, tout va bien. Je suis heureuse que tu ailles mieux qu'hier.
Jimin sourit, laissa reposer sa tête à nouveau sur les oreillers et ferma les yeux, épuisé.
Elle voulut retirer sa main, le laisser se reposer.
— Dors, mon enfant, je te réveillerai pour...
— J'ai perdu, Mère.
Il gardait les yeux fermés, mais elle sentait les larmes sous les paupières.
— Oui, Jimin. Tu as perdu cette fois, mais tu...
— Qu'est-ce que je vais faire maintenant ? Qu'est-ce qu'il me reste ? Et mon bras...
Il rouvrit les yeux, la regarda à travers ses larmes, comme s'il espérait une réponse, comme si elle devait forcément avoir une réponse.
Aspasie sentit les larmes monter, elle aussi.
Jimin referma les yeux à nouveau, laissa les larmes couler sur ses joues.
— Je ne serai jamais citoyen, Mère.
Et ce sanglot, qu'il ne put retenir, qui brisa son cœur de mère.
— Jimin, mon Jimin...
Elle se pencha sur le lit, le prit dans ses bras. Le serra contre elle, l'enveloppant comme pour le protéger. Le protéger du monde extérieur, des autres, de lui-même et de sa tristesse.
— Tu sais, tu...
Elle hésita, eut peur de regretter cette idée qui venait de lui traverser l'esprit. Elle en souffrirait, c'était sûr, mais lui...
— Tu pourrais aller à Millet. Faire ta vie là-bas, monter une affaire avec une partie de l'héritage de ton grand-père. Tu pourrais participer à la vie de la Cité, faire une carrière politique si tu veux.
— Millet ? Mais pourquoi ?
Jimin avait sorti la tête de l'étreinte, la regardait sans comprendre.
— Jimin, tu serais citoyen là-bas. Tu es mon fils, tu es citoyen de Millet de plein droit, maintenant que tu as 19 ans.
Le grand-père de Jimin lui avait tant et tant de fois répété cela dans leurs lettres, avant de mourir, espérant les faire revenir. Peut-être était-ce le moment pour Jimin.
Jimin sembla tout d'abord ne pas comprendre l'information, analyser tout ce que cela signifiait, les yeux perdus sur le drap. Puis il releva la tête, une lueur nouvelle dans le regard.
— Tu serais d'accord ?
Il y avait tant d'espoir dans sa voix, tant d'une joie enfantine qu'elle ne put que sourire, malgré l'étau qui lui étreignait le cœur.
— Oui, si c'est ce qui te rend heureux. Je t'aiderais à t'y installer.
Les sourcils de Jimin se froncèrent.
— Tu ne viendrais pas avec moi ? Tu ne resterais pas à Millet ?
— Non.
Et ces larmes qui voulaient revenir, qui tentaient de forcer sa volonté, son masque d'apaisement.
— Ma vie est ici, tu sais. J'ai mes amis, les personnes que j'aime...
Elle avait dit "les", par pudeur.
— Et je n'aurais pas la liberté que j'ai ici.
Le visage soudain tiraillé de Jimin lui fit ajouter rapidement :
— Mais tes oncles t'accueilleraient, ils t'aideraient. Ta vie serait complètement différente, Jimin. Tu ne serais plus un métèque, là-bas.
Jimin hocha lentement la tête, les yeux à nouveau accrochés au drap, perdu dans ses pensées.
Puis il releva la tête, attrapa sa main entre les siennes.
— Merci, Mère.
Son sourire était lumineux à nouveau.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top