Chapitre 19



Jimin frappa, le cœur battant, plein d'une joie enfantine.

Cela faisait si longtemps qu'il n'était pas venu, qu'il ne l'avait pas vue.

Serait-elle fâchée de son abandon ?

Des pas se firent entendre, le loquet fut tiré. La porte s'ouvrit enfin sur le visage bien-aimé.

- Mon petit !

La joie n'était pas feinte, elle n'était jamais feinte. Jimin sourit largement, des larmes aux coins des yeux, oublia instantanément tous ses soucis.

Ce visage, ridé maintenant, ces yeux bienveillants, ce sourire perpétuel. Qu'il aimait le visage de son ancienne nourrice, qu'il aimait sa présence rassurante.

Il fit un pas, se pencha et se perdit dans ses bras, la serrant fort contre lui. Elle lui rendit son étreinte, l'enveloppa, lui caressa les cheveux en un geste qu'elle faisait souvent.

- Tu as un nouveau diadème ?

- Oui, tu aimes ? murmura-t-il sans desserrer l'étreinte.

- Il est beau. Laisse-moi te regarder, j'ai l'impression que tu as encore embelli toi aussi.

- Non, je ne te lâche pas.

Elle rit, resserra ses bras autour de lui. Il sentit un baiser sur sa tempe.

- Viens, entre. Tu sais comment sont les gens...

Jimin soupira, se redressa à regret. Oui, il savait trop bien comment étaient les gens.

Il suivit la femme à l'intérieur de la maisonnette, sourit à son pas sautillant malgré ses 60 ans bien tassés. Au moins elle semblait en forme, se rassura-t-il.

Il n'était pas venu la voir depuis plusieurs mois. Au moins... au moins depuis l'arrivée de Jungkook. Maintenant que Jimin avait grandi et qu'elle avait accepté d'épouser cet homme, qui lui faisait la cour depuis des années, ils se voyaient plus rarement. Sa mère la conviait parfois chez eux mais ce que Jimin préférait, c'était lui rendre visite ici, dans son nouveau chez elle.

Ici, c'était hors du temps, ici il se sentait bien, accepté, aimé.

Ici, aussi, il pouvait se montrer faible.

Comme d'habitude, elle voulut le faire asseoir dans le divan, comme d'habitude, il insista pour s'asseoir auprès d'elle, dans la cuisine où elle s'affairait. Quelque chose mijotait sur les bûches, ça sentait bon, c'était sûrement bon, aussi. Il se leva et tenta de goûter au plat, faillit se prendre une tape sur la main.

- Attends encore un peu, ce n'est pas prêt ! Tiens, pour te faire patienter.

Il se rassit, sourit au trésor : un simple bol avec un peu d'huile d'olive, du pain tiède. Si loin des cascades de fruits, des friandises tarabiscotées qu'on lui apportait dès qu'il demandait quelque chose chez lui.

Tellement meilleur, parce que c'était ici, parce que c'était elle.

Il plongea avidement le pain dans l'or, le porta à sa bouche avec délice.

Ferma les yeux.

Et se mit à pleurer.

- Tiens mon petit, je ne sais pas s'il t'en reste encore mais...

Sa nourrice, partie un bref instant dans la pièce attenante, s'interrompit, une fiole à la main, se figea un instant avant de s'approcher de lui, l'air soucieux.

- Qu'est-ce qu'il t'arrive mon tout petit? Qu'est-ce qui se passe?

Elle l'entoura de ses bras, le berça contre elle. Jimin laissa ses larmes couler de plus belle, ne tenta plus de les retenir.

Elle sentait bon. Elle sentait comme lui, la fleur d'oranger.

Cette fleur d'oranger qu'elle mettait en fioles, qu'elle lui offrait, chaque fois qu'il venait. Cette fleur d'oranger dont il se parfumait, qui le rassurait, le reliait à elle. Un nuage de tendresse qu'il emportait partout avec lui.

Lorsque les larmes se furent enfin taries, Jimin conta, tout. Sa nourrice, assise à côté de lui à lui tenir les mains, le regardait, l'écoutait.

Il conta la boxe, son corps, la difficulté de réussir, de devenir le meilleur. Son espoir, pourtant, toujours, de gagner les Jeux.

Il conta Jungkook, le combat, les insultes, le pardon. Passa sous silence son corps et le sien.

Il conta Yoongi, aussi, ses rejets et ses yeux, sa dureté. Il conta son cœur qui battait, qui pleurait, souvent. Leva les yeux, un peu inquiet, ne trouva que de la bienveillance.

Il conta sa mère, enfin, ses rêves à elle qui n'étaient pas les siens, leurs incompréhensions, la rage qu'il avait contre elle.

Sa nourrice connaissait bien sa mère, elle avait été sa propre nourrice avant, à Milet, l'avait fait grandir comme elle avait fait grandir Jimin. Il savait qu'elles s'aimaient, même si c'était différent de la manière dont il aimait sa nourrice, lui, si intensément.

Il hésita - allait-il la blesser ? - , osa finalement :

- Est-ce que tu sais...

- Oui ?

- Est-ce que tu sais pourquoi ma mère fait ça ?

- Pourquoi elle fait quoi ?

- Tout ça. Tous ces hommes. Le jeudi après-midi.

Sa nourrice parut un peu choquée, blessée même, oui.

Il regretta instantanément ses mots, tenta de se reprendre :

- Non, enfin, je voulais dire...

- Ne crois pas tous ces ragots.

Toujours cette même réponse... Il y avait pourtant ces jeudis après-midi depuis tant d'années, il y avait pourtant cet homme en bleu qu'il avait vu s'enfuir, il y avait pourtant tant de choses étranges !

- Mais j'ai vu un homme ! Un homme s'enfuir de chez ma mère, un de ces après-midi où je ne peux pas aller chez elle. Alors qu'est-ce que ça veut dire ? Si ce n'est pas ça, pourquoi ma mère ne veut jamais rien me répondre ?

Il s'énervait, maintenant, haussait le ton sans s'en rendre compte.

- Calme toi.

La voix était douce mais il obéit, enferma sa colère. Elle n'avait rien fait de mal, elle.

- Je ne peux pas te répondre. C'est à ta mère de le faire, quand elle sera prête.

- Bien sûr... alors jamais.

Il soupira, mais se força à sourire au regard désolé de sa nourrice.

- C'est pas grave, Maîa, je comprends.

Elle lui tapota la main, sourit et se leva.

- La soupe doit être prête maintenant, tu en veux ?

- Bien sûr !



Quelques heures plus tard, il ressortait de la maisonnette, rassasié de corps et de cœur, le sourire aux lèvres, le pas plus léger.

Il se retourna une dernière fois vers le visage tant aimé, prit dans ses bras sa nourrice et l'embrassa sur la joue.

- A bientôt ! Je reviendrai plus vite, cette fois.

- Tu dis ça à chaque fois.

Elle riait.

Jimin prit son air mignon, faussement coupable, sentit la caresse sur sa joue. Ferma les yeux un instant. Emporter avec lui les gestes, les paroles. Emporter l'amour.

- Jimin.

Il leva des yeux étonnés, elle ne l'appelait jamais par son nom.

- A propos de ta mère... Pourquoi lui reproches-tu de voir des hommes, quand tu n'en a jamais vu qu'un seul ?

Il la dévisagea sans comprendre.

- Un homme, ce n'est pas "tous ces hommes", mon petit. Réfléchis-y.

Elle ajouta, avec un soupir :

- Les gens détestent les femmes qui brillent autrement que par leurs bijoux.

Et, sur un dernier sourire, elle recula de quelques pas, lui fit un petit signe avant de refermer la porte.



Jimin resta là, les bras ballants, un peu perdu, un peu sonné.

Puis, finalement, il reprit son panier, aperçut les quelques fioles de fleur d'oranger que sa nourrice avait ajoutées. Il sourit de contentement, s'en parfuma immédiatement.

Il faisait nuit, déjà, mais il n'avait pas envie de rentrer. Les derniers mots de sa nourrice battaient dans sa tête, les émotions et les larmes l'avaient épuisé.

Il se dirigea vers le sud, vers la mer, après avoir caché son panier dans un coin. Il le reprendrait en rentrant.

Bien vite, ses pas s'accélérèrent, la course remplaça la marche. Il courait, vif, avalait les mètres, avalait le monde.

Peu de passants dans les rues, puis presque personne, alors que la terre remplaçait les pierres, que les murs de la cité s'éloignaient derrière lui.

Son esprit revint au gymnase, à Yoongi, à Jungkook, attiré malgré lui.

Jimin revit leurs corps, si semblables et si différents, plus tôt, sur la palestre.

L'un si blanc, l'autre si mûr. Mais tous deux si larges, si imposants.

Bien sûr qu'ils s'étaient trouvés, bien sûr qu'ils combattaient ensemble.

Leurs corps se répondaient, s'appelaient. Se respectaient.

Tandis que le sien...

Il faudrait quatre Jimin pour les égaler, ensemble.

4 Jimin pour se faire une place, 4 Jimin pour prétendre à l'attention, lui aussi, pour prétendre au respect.

"60 pompes" avait imposé Yoongi à Jungkook, qui avait docilement obéi, une lueur nouvelle au fond des yeux. Il les avait faites presque facilement.

Jimin, lui, n'avait eu que des enchaînements, que de la technique.

Pas de combat, bien sûr.

Comme si Yoongi, tout comme Seokjin, l'enfermait dans un style, dans cette danse vive et percutante qui étaient sa spécialité.

Mais la danse, même vive, même parfaite, n'amenait rien. Yoongi ne le regardait pas. Yoongi ne le combattait pas.

Fallait-il être un gros balourd malhabile, comme Jungkook, pour être choisi, pour devenir le favori ?

Fallait-il être comme tous les autres ? Lourd et puissant ?

Si Yoongi, lui aussi, avait ces préférences...

60 pompes, Jimin aurait pu les faire, lui aussi.

Bien sûr qu'il pouvait les faire. Il pouvait même faire plus, 100 par exemple.

Il avait laissé le port chuchotant derrière lui, était arrivé devant la plage.

Il retira ses sandales, retira sa tunique, son diadème. Les embruns battaient sa peau, le sable griffait son visage. Le vent soufflait, ce soir.

Jimin contempla longuement la mer, s'imprégna de l'odeur, de la force du vent.

Puis, lentement, il se positionna, paumes et orteils au sol, le corps droit, tendu, juste au-dessus du sable.

Il suffisait d'arriver à 100.

Jimin plia les bras, abaissa le buste à effleurer le sable, puis les tendit à nouveau.

Un.

Qu'est-ce que Yoongi avait glissé exactement à Jungkook, avant qu'il ne s'en aille?

Deux.

"100 le matin, 100 le soir. Pendant une semaine. Ensuite on adaptera."

Trois.

Très bien. Il en ferait 100 autres en se levant demain matin.

Il en ferait 100 puis 100, chaque jour, puis il ferait tout ce que Yoongi conseillerait à Jungkook.

Yoongi ne voulait pas le voir, ils ne voulaient pas de lui. Et bien Jimin prendrait sa place malgré eux, il deviendrait autre pour qu'enfin Yoongi le respecte.

- Mon visage t'insupporte, mais bientôt tu accepteras mon corps, comme tu acceptes celui de Jungkook !

Les mots étaient crachés au sable, crachés au vent, entre deux respirations sifflantes. La fatigue commençait à se faire sentir, Jimin n'avait jamais autant fait travailler les muscles de ses bras.

Mais il tiendrait, il réussirait.

Plus que 40.

Il imiterait Jungkook, deviendrait Jungkook, possèderait enfin ce corps puissant et large.

Il n'aurait plus besoin, alors, de continuellement rêver de lui, de continuellement jouir de lui.

Et Jimin appuyait plus fort, repoussait le sol de toutes ses forces, s'éloignant d'autant de Jungkook.

Quatre-vingt-six, quatre-vingt-sept...

Il réussirait, et Yoongi se prendrait à l'admirer, le regarderait, enfin, le regarderait comme il regardait Jungkook. Sans rejet, sans haine.

Cent.

Il s'effondra sur le sable, se retourna et se perdit dans le ciel étoilé.

Il suffisait de chaque fois recommencer.


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