Chapitre 14

Jimin l'ignorait superbement.

Depuis presque une semaine, depuis que l'entraînement en commun avait commencé, Jimin l'ignorait, et Jungkook en rageait.

Comment pourrait-il déverser sa colère si personne ne répondait, si personne ne le regardait?

La présence de Yoongi, stricte, bien plus stricte que celle de Namjoon, englobait tout d'un sérieux, d'une dureté précise à laquelle Jungkook n'était pas habitué et qui le perturbait.

Jungkook ne savait comment agir.

Il faisait de son mieux pour suivre, pour faire les exercices, travailler les gestes que Yoongi ordonnait.

Chaque midi une course épuisante le menait du port au gymnase, où il avait à peine le temps de reprendre son souffle avant de rejoindre Jimin et Yoongi sur la palestre. Chacun s'entraînait de son côté, à quelques mètres l'un de l'autre, chacun tentait de satisfaire Yoongi à base d'exercices et d'enchaînements, parfois en affrontant un autre élève que Seokjin ou Namjoon faisait venir exprès. 

La conscience aiguë de Jimin tout près, les effluves de son parfum qui lui parvenaient parfois, le rythme de son souffle parfois fatigué, parfois énervé, et les murmures de ses échanges avec Yoongi, créaient une atmosphère déstabilisante mais où rivalité devenait émulation.

Il voulait être meilleur.

Cependant, tout cela était si exigeant, si fatiguant que Jungkook, au bout de quelques jours, n'en pouvait déjà plus. Il manquait chaque fois d'envoyer tout valser et de rentrer chez lui, ne comprenait pas l'intérêt de tout reprendre à zéro, de travailler encore et encore les mêmes gestes, qu'il avait déjà vus avec Namjoon. Alors il rageait de tension, de volonté de bien faire et de tout lâcher en même temps.

Il rageait de ne pouvoir progresser plus vite, être meilleur que lui.

Car Jungkook, lui, regardait Jimin. Voyait ces yeux qui le fuyaient mais aussi, chose étrange, fuyaient Yoongi. Ces yeux qui se contentaient de fixer le sol, de fixer le sac, le ciel aussi, parfois, quand c'était trop, quand Jimin, Jungkook le sentait, était à deux doigts de craquer.

Mais il tenait, et Jungkook devait avouer son admiration.

Car son entraînement était encore plus difficile que le sien, bien plus avancé. Et Yoongi semblait encore plus dur avec Jimin qu'avec lui, ne lui passant pas la moindre erreur, lui parlant de ce ton froid qu'il avait toujours, mais qui semblait devenir glacial pour Jimin.

Voir Jimin se faire ainsi rabaisser, rabrouer, lui avait apporté une satisfaction immense, au début. Il ne voulait que le voir souffrir, le voir remis à la place d'ordure qu'il était.

Ordure, ordure. Jimin, ordure.

Et Jungkook faisait tout pour oublier, pour laisser l'insulte recouvrir le souvenir.

Oublier la brûlure ressentie contre lui ce jour-là, face à la tiédeur du corps de Jimin, à la douceur de sa peau, de ses lèvres.

Cette brûlure qui revenait parfois, indésirable, mais incontrôlable, en rêves.

Oublier les yeux de Jimin, la souffrance indicible qu'il y avait lue quand l'insulte s'était échappée de ses lèvres quelques jours plus tard, quand il avait usé de la nouvelle arme qu'il venait de trouver: métèque.

Car, si Jimin était le fils de la patronne de sa mère, alors il était un métèque, comme elle. Et Jungkook s'était senti si fort, d'abord, si fier d'avoir une insulte à la taille de sa propre pauvreté, une arme qui puisse rabaisser Jimin à son niveau.

Lui montrer que, en fait, il ne valait pas mieux que lui. Lui rappeler ce qu'il avait entendu maintes fois de la part d'autres athlètes dans les vestiaires, à demi mots, mais auquel il n'avait jamais prêté attention, concentré qu'il était sur lui même et, aussi, méprisant qu'il était des ragots et de ces différences fondées sur rien.

Mais, de fait, c'était une arme, et Jungkook s'en était servi.

Une arme tellement forte qu'elle avait amené ce que Jungkook voulait, alors: le corps à corps, les coups, la vengeance physique. Leur bagarre dans le couloir du gymnase avait été bien trop courte mais rassurante: Jimin était toujours cet autre qu'il pouvait affronter, provoquer, chercher.

Une réaction à la hauteur de Jimin, cette fois, loin de cette impuissance passagère qu'il avait montrée à la fabrique, qui avait surpris Jungkook, l'avait même poussé à cesser la violence. Jungkook ne voulait cette violence que lorsqu'on y répondait.

Sinon, à quoi bon.

Pire, ce Jimin à sa merci l'avait tant déstabilisé qu'il en avait, un temps, oublié sa rage, s'était perdu à le toucher avec plus de douceur, comme pour effacer la douleur infligée, pris dans la brûlure surprenante de leurs corps collés.

Bordel, il haïssait pourtant Jimin, encore plus maintenant qu'il savait qui il était vraiment.

Le couloir n'avait pas été suffisant, Jungkook voulait plus. Il voulait à nouveau cette réponse, cette violence en Jimin, écho à la sienne.

La boxe, l'entraînement, les combats contre les autres n'étaient plus assez, il voulait la force de Jimin pour pouvoir y répondre, avait besoin de lui.

Mais lui, Jimin, ignorait Jungkook.

Et Jungkook le détestait encore plus pour cela.

Il l'aurait pu, il l'aurait simplement frappé d'un coup à la sortie du gymnase, mais il savait que ce n'était pas possible: il tenait maintenant trop à la boxe pour risquer d'être viré à attaquer ainsi sans raison un autre athlète. Et surtout, il avait peur que la scène de la fabrique ne se reproduise. Un Jimin paralysé, un Jimin entièrement dominé qui ne permettrait pas à sa rage de sortir.

Pire, ils risquaient même de finir par baiser ensemble, si leurs corps réagissaient à nouveau de la même manière. Et Jungkook ne voulait absolument pas ça.

Le sexe brut, le sexe pur, oui, mais pas avec lui. Jamais.

Jamais il ne baiserait avec cette ordure.

Alors, s'il avait remisé "métèque" au placard, il ne s'était pas gêné pour sortir des "ordures" à mi-voix, dès qu'il le pouvait, dès que Yoongi était hors de portée de voix. Espérant faire réagir Jimin, le voir le regarder à nouveau de ses yeux de rage, le voir perdre une fois de plus le contrôle, l'attaquer à nouveau.

Mais Jimin ne lui faisait plus ce plaisir, l'ignorait systématiquement.

Pire, il semblait presque éteint, sans cesse en lui-même, les gestes exacts à l'entraînement, mais automatiques. Pire qu'avant la fabrique.

Jungkook le haïssait encore plus, comment pouvait-il se permettre de s'éteindre et de le laisser seul?

Alors il avait commencé à sortir, le soir, après l'entraînement. Cherchait la bagarre, cherchait le sexe dans les coins de rue. Buvait beaucoup d'alcool, trop. Vidait sa rage, sa frustration, le trop plein de contrôle de soi face aux ordres de Yoongi, avant de rentrer s'effondrer chez lui.

Le regard de son père s'était fait inquiet à nouveau.

La seule chose qui tenait était le travail, Jungkook était fier de ne plus inquiéter sa mère pour cela, de lui rapporter l'argent nécessaire.

Et tenait aussi la boxe, autre fierté. Jungkook était sans cesse en retard le midi pour Yoongi, supportait des gueules de bois entêtantes, mais venait chaque jour, puis restait pour l'entraînement de Namjoon. Il progressait, même si trop lentement.

Ce midi là, il avait entendu Yoongi parler à Namjoon et à l'autre entraîneur, de ce ton blasé qui ne le quittait jamais:

— Je pensais qu'ils se stimuleraient, mais ils s'annulent. Jungkook arrive à moitié saoul, il doit passer ses nuits dehors vu sa fatigue. Et Jimin est sans cesse ailleurs, comme s'il ne savait plus pourquoi il boxe.

Jungkook n'aima pas ces mots.

Il se tourna vers Jimin, qui avait entendu lui aussi, et l'apostropha, plus par habitude que par réel espoir de le faire réagir:

— Alors tu ne sais plus pourquoi tu boxes? C'est que tu as enfin compris que tu allais perdre contre moi?

Les "ordure!" avaient cessé depuis peu. A quoi bon si Jimin n'y réagissait plus. La rage avait fini par tiédir, déçue.

Une fois de plus Jimin l'ignora, une fois de plus Jungkook se retint de le prendre par les épaules et de le secouer, de lui hurler "regarde-moi!".

— Tu crois vraiment que Jimin perdrait contre toi, Jungkook?

Yoongi s'était approché, l'air amusé, pour une fois.

Jungkook ignora les signes discrets de Namjoon et répliqua, vexé, ne voulant pas perdre encore plus la face:

— Bien sûr qu'il perdrait. On dirait une statue ces derniers temps.

Une part de Jungkook cria victoire lorsque Jimin lui jeta finalement un regard en coin, avant de détourner à nouveau le regard.

— Très bien. Alors montre-nous.

Jungkook dévisagea un instant Yoongi, incertain de comprendre ses mots. A ses côtés, Jimin avait lui aussi relevé la tête, regardait Yoongi d'un air incrédule.

— C'est trop tôt, tenta Namjoon.

Étonnamment Seokjin l'appuya. Avait-il peur que Jimin perde contre lui? Cela redonna confiance à Jungkook, qui se redressa et lança:

— Vous voulez qu'on fasse un combat et que je l'écrase? D'accord.

Puis, regardant Jimin avec un petit sourire:

— On sait tous les deux qui domine l'autre, et qui reste paralysé.

Les mots firent mouche, il le vit dans les yeux de Jimin. Cette étincelle de colère, cette envie de répondre, revenues tout à coup. Jungkook sourit plus largement.

La voix traînante de Yoongi se fit entendre:

— Alors en place, tous les deux. Namjoon, tu arbitres?

Yoongi s'éloignait déjà, se rasseyait à l'ombre des colonnes.

— Jimin, tu n'es pas obligé de le faire si tu ne veux pas.

Seokjin avait l'air soucieux. Mais Jimin sourit, pour la première fois depuis longtemps.

— Non, c'est très bien.

Ses yeux brillaient, posés sur Jungkook.

Il se dirigea vers les colonnes, s'aspergea à nouveau soigneusement de sable. Jungkook le suivit, l'imita en silence. Ils se nettoyèrent les mains avec le linge, commencèrent chacun à resserrer leurs cestes.

Hoseok était arrivé lui aussi, s'était assis pour profiter du spectacle.

Jungkook sentit l'excitation commencer à monter. Il fit quelques sautillements pour s'échauffer, pour tenter de contrôler sa joie grandissante.

Enfin, ce qu'il voulait depuis si longtemps était arrivé! Il allait lui montrer, il allait leur montrer. Et tant pis si Namjoon semblait inquiet, tant pis si Yoongi paraissait goguenard. Jungkook n'avait jamais eu peur de recevoir des coups.

Il allait surtout en donner. Savourer ce moment de pouvoir librement se battre, frapper sans retenue. Et, si possible, écraser son adversaire, leur prouver à tous qu'il était le meilleur.

A ses côtés, Jimin restait impassible, le regard concentré sur ses cestes. Mais présent, à nouveau, si présent. Jungkook le sentait.

Il ne put empêcher un vague sourire lorsque leurs regards se croisèrent, un sourire qui fit hausser les sourcils à Jimin:

— Tu es heureux de bientôt te faire battre?

— Non, je suis heureux de bientôt te prouver que je suis meilleur que toi.

— Tu crois vraiment que tu peux l'être en combat régulier? Sans rien qui m'entaille le dos en même temps?

Jungkook rougit sous l'allusion, eut honte un instant. Il fixa son regard sur les lanières, fit semblant de les vérifier à nouveau.

Mais la voix de Jimin continua, calme, si calme.

— Je te respectais presque, Jungkook. On est adversaires mais aussi compagnons d'entraînement maintenant, je veux que tu m'expliques ce qui t'a pris l'autre jour, à la fabrique.

— Non.

C'était sorti immédiatement. Impossible pour lui d'expliquer tout ça, cette haine de Jimin et de sa mère. Impossible d'expliquer le tourment de son cœur, l'amour pour sa mère, la honte de lui-même.

Mais Jimin continuait, imperturbable:

— Je veux que tu arrêtes les insultes gratuites et que tu t'excuses.

— Tu t'es cru où, là? On est des boxeurs, Jimin, pas des jeunes filles.

Mais il ne pouvait toujours pas le regarder, soutenir ces yeux francs, cette tentative de paix.

— Je vais t'écraser, et c'est tout, continua-t-il avant de tourner le dos à Jimin pour rejoindre le centre de la palestre.

— Si je gagne, tu t'excuses.

Jungkook stoppa un instant. L'assurance de la voix, des mots derrière lui. 

Il reprit sa marche en haussant les épaules, fit quelques pas sur le sable de la palestre.

Jimin avait vraiment des idées de femmelette.

Mais il lui suffisait de gagner ce combat. 

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