Chapitre 11


[TW: agression physique/sexuelle à partir de [*****]]


Jungkook courait le plus vite possible.

Midi déjà, il devait se dépêcher s'il ne voulait pas arriver trop en retard à l'entraînement. Namjoon n'aimait pas ça et ne se gênait pas pour lui faire une remarque devant tout le monde.

Jungkook avait bien essayé de riposter, au début, mais le regard glacial de Namjoon, et les chuchotements moqueurs qu'il percevait derrière lui, lui avaient vite fait passer l'envie de provoquer ce petit jeu. Depuis, il tentait de ne pas dépasser quinze minutes de retard. Et puis, s'il arrivait après une certaine heure, il ne croisait plus Jimin et ça c'était bien trop drôle pour le rater.

Jungkook ralentit en arrivant en vue de la fabrique Milêtos, la fabrique où travaillait sa mère. Le large nuage de fumée qui la surplombait l'annonçait de loin, marque des nombreux fours où cuisaient les pièces, selon ce que sa mère lui avait raconté. Jungkook, lui, n'y était jamais venu avant aujourd'hui mais il avait l'impression de déjà tout connaître: sa mère adorait son travail, même s'il l'exténuait, elle aimait tant la céramique qu'elle passait des heures à raconter le processus de fabrication à Jungkook, qui l'écoutait d'une oreille distraite.

Mais il fallait croire que son cerveau enregistrait à son insu, ou que sa mère était une conteuse hors paire, car dès qu'il fermait les yeux il avait l'impression de la voir, d'en sentir les odeurs, d'en entendre les bruits: tours qui grinçaient, marteaux réguliers, bris de vaisselle ratée.

Et tout était à l'identique de son imagination lorsqu'il y pénétra, après avoir annoncé le motif de sa venue au gardien.

Sa mère avait oublié sa gamelle à la maison le matin et Jungkook, rentré pour se rafraîchir avant l'entraînement, s'était fait un point d'honneur à aller la lui porter avant de rejoindre le gymnase. Tant pis pour la course, tant pis pour la sueur, ce ne ferait qu'une raison de plus à Jimin de froncer le nez. Jungkook sourit à se le représenter, lorsqu'il le croiserait. Du moins espérait-il une réaction, Jimin se faisait un peu absent ces derniers temps, un peu ailleurs lorsqu'ils se rencontraient. Hoseok lui avait glissé, l'air de rien, qu'il valait mieux éviter de le provoquer en ce moment, qu'il était déjà mis à rude épreuve chaque jour. Par qui ou par quoi, Jungkook aurait bien aimé le savoir, mais il ne se serait jamais abaissé à le demander à Hoseok.

Tout de même, il avait été surpris de cette information et il avait regardé un peu différemment Jimin le lendemain, alors qu'ils se croisaient dans le vestibule. Les yeux de Jimin étaient cernés, rouges, pas de diadème ni de parfum. Et une fatigue dans les gestes, dans la démarche, qui l'avait presque inquiété. Presque, car Jungkook, bien sûr, n'en avait rien à faire des problèmes de Jimin, comme il l'avait répondu à Hoseok.

Jungkook aperçut sa mère au milieu d'une dizaine d'autres femmes, assise devant un tour à former ce qui ressemblait de plus en plus à une amphore. Il resta un instant à la contempler: petite silhouette fragile, voûtée sur la plaque qui tournait, les mains couvertes d'argile jusqu'aux coudes, les vêtements tachés malgré le tablier couvrant. Et de la terre ça et là sur son visage et dans les mèches de ses cheveux.

Lorsqu'elle le vit, elle sourit d'étonnement, lui fit un signe en montrant le tour et Jungkook patienta, en profitant pour observer autour de lui.

Oui, c'était exactement comme elle le lui décrivait: les femmes ensemble, à façonner les vases ou la vaisselle sur les tours, des hommes qui se chargeaient ensuite, délicatement, de transporter les pièces jusqu'aux différents fours où elles étaient cuites. Un peu à part, Jungkook pouvait voir les nombreuses pièces sorties du four, qui attendaient d'être décorées et peintes par les artisans.

Il se souvenait maintenant de ces trois artisans, surtout d'un dont sa mère parlait souvent, un vieux monsieur. Elle racontait qu'elle aimait, après ses heures de travail, rester un peu auprès de lui à le regarder peindre les vases ou les assiettes. Il était sympathique et ne la méprisait pas, lui expliquant ses gestes. Jungkook avait déjà surpris sa mère à la maison, à reproduire des motifs. Elle les avait cachés quand il l'avait surprise, avait dit que ce n'était que des bêtises. Jungkook savait qu'on n'embauchait que des hommes à ce poste, avait eu mal pour elle d'avoir ce rêve inaccessible. Jamais sa patronne, que Jungkook n'avait jamais rencontrée, ne lui permettrait de devenir artisane. Il la détestait pour cela, et pour autant épuiser sa mère.

Sa mère souriait, pourtant, malgré la fatigue visible, malgré la grimace en se redressant, la main sur le bas de son dos. Lorsqu'elle le rejoignit enfin, après s'être soigneusement nettoyée, elle le prit dans ses bras, lui passa les mains dans les cheveux.

— Tu es en sueur, tu as couru jusqu'ici? Mais pourquoi?

— Ta gamelle, tu l'avais oubliée.

— Tu n'aurais pas dû te donner tout ce mal! Merci mon Jungkook.

Jungkook s'était baissé pour faciliter, recevoir le câlin de cette femme bien plus petite que lui, bien plus frêle depuis quelques années déjà. C'était toujours la même odeur, le nez dans son cou, l'odeur apaisante d'une mère. Il avait fermé les yeux, profitait.

Mais soudain sa mère s'était raidie, l'avait gentiment repoussé en murmurant:

— J'entends la voix de Madame qui arrive, je ne veux pas qu'elle me voie à ne pas travailler. Merci mon Jungkook, avait-elle répété en prenant la gamelle et en rejoignant sa place avec un sourire et un signe de la main, à ce soir!

Jungkook était resté là, coupé dans son paradis, un peu perdu, un peu orphelin un instant. Mais il avait souri, avait répondu à un petit signe et s'était retourné pour partir.

Près des trois artisans, il avait vu une femme, grande et belle, richement vêtue, qui conversait en souriant. Le vieil homme riait, les autres l'imitaient.

Alors c'était elle, cette femme, la patronne de sa mère. Celle à cause de qui sa mère rentrait si fatiguée le soir, celle qui la faisait tant travailler. Celle, pourtant, qui avait refusé de lui donner plus d'heures pour les aider financièrement.

Jungkook savait que la patronne payait correctement, sa mère le lui avait dit, et elle avait aussi insisté sur le fait qu'elle était juste avec ses employés, même si exigeante. Mais c'était ainsi, Jungkook la détestait du plus loin qu'il se souvienne, parce que ça devait être sa faute, à elle, si sa mère se tuait physiquement à petit feu, si elle semblait toujours si fatiguée, si frêle.

Il serra les poings, vieux réflexe revenu, se crispa.

Mais il allait faire quoi? Frapper, encore? Frapper une femme, de surcroît? Un geste qui ferait immédiatement renvoyer sa mère, qui le ferait certainement jeter en prison?

Il pensa au gymnase, à Namjoon. A la palestre qui l'attendait, aux cestes qui allaient encercler ses poings, lier ses gestes pour quelques heures. Au sac dans lequel il pourrait frapper sa colère. A ce que Namjoon lui avait dit: "A partir de demain soir il y aura quelqu'un d'autre avec moi pour t'entraîner. Double entraîneur, doubles progrès."

Il pensa à Jimin, un instant, à ce qui pouvait bien le mettre ainsi à rude épreuve. A ce froncement du nez, si énervant mais si... adorable, qu'il aurait quand il le croiserait.

Il sourit et sentit ses mains se décrisper, se rouvrir.

Il devait se dépêcher, reprendre sa course, rejoindre le gymnase.

Mais il devait rêver, maintenant, car il lui semblait déjà sentir l'odeur de fleur d'oranger de Jimin, simple trait apporté par le vent. Il ferma les yeux un instant, se perdit dans l'odeur, en lui. Esquissa un sourire.

— Jungkook?

La voix haut perchée, étonnée. Ce tintement si connu maintenant, auquel tout son être semblait répondre.

Jungkook ouvrit les yeux sur Jimin.

Un Jimin surpris, un peu ébahi, un Jimin qui brillait sous le soleil. Diadème revenu, bracelets chargés, tunique un peu trop fine, un peu trop transparente pour les yeux de Jungkook. Son cœur accéléra.

— Qu'est-ce que tu fous là?

Il avait craché, encore, jeté ces mots pour cacher son trouble, oublier les battements du cœur, le creux du ventre chamboulé, le sang puissant, en bas.

Pourquoi brillait-il toujours autant?

En face, Jimin n'avait pas même chancelé, habitué des mots, du ton, déjà, ou simplement de bonne humeur. Il avait souri, au contraire.

— C'est plutôt moi qui devrais te demander ça. Tu travailles ici?

— Non.

Mais il en avait eu envie, soudain, eu envie de s'ouvrir à Jimin.

— C'est ma mère qui travaille ici.

La surprise dans ses yeux, encore. Puis ce petit rire, léger, insouciant.

— Ma mère aussi travaille ici. Enfin, pas exactement.

Et Jimin eut ce geste vers les poteries en attente et les trois artisans, vers...

— La fabrique est à ma mère.

Jungkook sentit le sang lui monter brusquement à la tête, recouvrir ses yeux d'un voile noir alors qu'il comprenait, qu'il reliait les éléments.

Jimin. Sa mère.

La patronne de sa mère à lui.

Celle qui tuait sa mère jour après jour. Cette ordure.

— Jungkook? Ça va?

Le brouillard se faisait moins épais, les sons revenaient, ceux de la fabrique. Les cognements du marteau, les grincements. Y avait-il celui du tour de sa mère, dedans?

Il leva les yeux vers Jimin, vers son visage soucieux.

Trop brillant, trop beau, trop faux. Trop riche.

Et Jungkook s'était, peut-être, un tout petit peu fait avoir.

Mais le fils était la mère. Une ordure, comme elle.

Jungkook voyait le visage de Jimin se parer d'incompréhension devant lui, devant son regard qu'il savait devenu dur, méchant.

Et ce besoin de cogner, qui revenait maintenant, plus fort.

Le fils était la mère...


[*****]


Il attrapa brusquement Jimin par le bras, le tira à l'abri des regards, à l'ombre d'un immense amas de vasques brisées. Le fit reculer contre elles, contre les bords coupants.

Jimin ne comprenait rien, s'était laissé faire mais réagissait maintenant, au tranchant des débris contre son dos, contre sa nuque, aux pointes coupantes.

— Ça fait mal, Jungkook! Tu es fou? Qu'est-ce qui t'arrive ?!

Pour toute réponse, Jungkook enfonça encore un peu le dos de Jimin contre les pointes, l'encercla de ses bras pour qu'il ne puisse s'enfuir.

Jimin tentait de se débattre mais chaque geste enfonçait un peu plus les débris dans son cou nu, le sang commençait à perler. Il abandonna, se contenta de regarder Jungkook avec tant de colère dans les yeux, tant de rage impuissante, que Jungkook, dans un geste de pure folie, de pur abandon aux désirs contradictoires de son corps, se pencha vers lui et lui mordit la lèvre.

Il entendit l'inspiration coupée, douloureuse, le gémissement étouffé alors qu'il continuait à mordre, qu'il sentait la chair de cette lèvre, le corps de Jimin entouré du sien. Il bougea un peu les dents, durement, juste pour mieux sentir la chair prisonnière, entendre le son plaintif de Jimin. Une goutte de sang se forma sur sa nuque, Jungkook l'observa un instant puis l'effaça du bout du doigt.

Jimin frissonna, réussit à murmurer:

— Jungkook...

Et Jungkook prit soudain conscience de leurs corps collés l'un à l'autre, de son sexe qui durcissait, de la chaleur qu'il sentait chez Jimin, aussi, en écho. Il s'y abandonna.

Il restèrent quelques secondes ainsi, immobiles, Jungkook se perdant dans cette brûlure du corps, dans la chaleur de cette lèvre. Ses dents glissèrent, sa bouche entoura la lèvre meurtrie. Sa langue passa doucement sur la blessure, plusieurs fois. Ses bras se resserraient, éloignaient la nuque de Jimin des débris, le collaient plus à lui.

Mais bientôt Jimin se raidit à nouveau, rouvrit les yeux et le repoussa violemment. Il se détacha plus encore des débris et essuya sa nuque, sa lèvre.

Jungkook avait titubé sous la poussée. La colère revint, étouffante, enfermante, à revoir cet autre, à revoir sa brillance, ses gestes.

Jimin, ordure fils d'une ordure.

Les yeux rageurs, en face, encore perlés de larmes, ne l'adoucirent pas.

Jungkook cracha.

Comme il l'avait fait ce jour-là contre son patron, ce jour maudit où le gymnase l'avait happé. S'il ne pouvait cracher sur la patronne de sa mère, il pouvait le faire sur son fils.

Il avait craché sur Jimin, et observé avec délectation sa salive couler le long de son visage. Nez, pommette, coin de la bouche. Lèvre rouge encore de ses dents. Et les yeux de Jimin qui ne le quittaient pas, trop abasourdis pour réagir.

Jungkook s'était arraché à la contemplation, avait craché à nouveau, à ses pieds cette fois.

— Ordure.

Il était parti sans se retourner.  



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