Chapitre 5 - Eliott

CHAPITRE 5

ELIOTT

Eliott était remonté de la cafétéria pour attendre devant sa salle de cours, son casque sur les oreilles, la musique à fond. Voyant qu'un jeune homme attendait dans les couloirs et supposant qu'il devait assister à son module(1), il s'assit à ses côtés. C'était drôle, il lui disait quelque chose avec ses cheveux bruns attachés en catogan, son bouc et ses yeux noisette. Il devait sans doute s'agir d'un étudiant de sa promotion rien de plus.

Mais lorsque le dénommé Joshua lui fit comprendre qui il était, il se sentit bien bête. Oh, c'était bien la première fois qu'on lui faisait la remarque. C'était donc à lui qu'appartenait le torse musclé de ce matin et cet appartement qu'il avait quitté à la va vite. Ne sachant comme réagir, il avait souri. Sourire quand on ne sait pas quoi dire, sourire pour combler le silence, l'ennuie, la peur. Eliott était réputé pour ses sourires. Tout le monde lui disait qu'ils étaient magnifiques. Et pourtant. Pourtant il vit dans les yeux noisette de son vis-à-vis qu'il ne le croyait pas, comme s'il avait la capacité à voir derrière, à la scruter au plus profond de lui. Et cela lui déplut particulièrement.

Joshua. C'était ça. Un nom à consonance étrangère commençant par un J. Il n'était pas si loin que cela après tout. C'était un prénom doux en bouche, un prénom que l'on pouvait susurrer à une oreille sans se lasser. Un frisson le parcourut et, préférant ne plus y penser, il se replongea dans sa musique. Voilà pourquoi il tâchait de ne jamais rencontrer une deuxième fois ses conquêtes d'un soir. En général d'ailleurs, les garçons en question tâchaient de l'ignorer et cela lui facilitait considérablement la vie.

Heureusement pour lui, il fut obligé de se rendre en cours, tout comme le brun qui lui jeta un dernier regard et le salua de la main. Joshua. Il allait avoir bien du mal à se le retirer de la tête. Pas la nuit de la veille ; à vrai dire, il n'en avait aucun souvenir. Mais cette nouvelle rencontre. Joshua.

Trois semaines plus tard

Un rayon de soleil sur un visage endormi. Un visage moins enjoué qu'à l'accoutumée. Des perles de sueur ruissellent sur ses traits crispés et inquiets. Une alarme de téléphone qui sonne et un réveil en sursaut.

Eliott se tenait au bord du lit, la tête dans ses mains tremblantes, ses cheveux châtains complètement ébouriffés et la respiration encore saccadée après le cauchemar qu'il venait de faire. Toujours le même mais avec quelques variantes plus glauques les unes que les autres. Cela faisait trois semaines qu'il avait croisé Joshua dans le couloir et depuis, ses cauchemars avaient repris. C'était une raison de plus pour ne plus jamais le revoir d'ailleurs.

Se sentant mieux, le jeune homme finit par se lever pour aller prendre sa douche, appréciant cette eau fraîche sur son corps bouillant. Quelques flashs lui revinrent en mémoire, et une fois encore, ses poings se serrèrent jusqu'à en faire blanchir ses phalanges. Doucement, il porta la main sur son pectoral droit sur lequel apparaissait une marque, stigmate d'un passé qu'il tâchait d'oublier. C'était de sa faute. Si ce garçon n'était pas revenu vers lui pour lui parler, il n'aurait pas recommencé à cauchemarder. Pourquoi fallait-il toujours que les gens s'accrochent, qu'ils veuillent plus, qu'ils cherchent des relations durables ? Lui, il aimait l'immédiateté, le temporaire, le fugace et l'oubli qu'il savourait derrière. Il oubliait toujours les noms. Mais le sien. Joshua. Celui-là, il l'obsédait. Il lui arrivait de se le murmurer pour le déguster, encore et encore, comme un bonbon dont on souhaite garder le goût sur la langue quelques minutes de plus.

Il sortit de chez lui, son manteau couleur rouille sur le dos, se protégeant dans son écharpe tiède qui l'abritait de la brise fraîche du mois d'octobre. Dehors, les rues s'éveillaient ; les étudiants se rendaient à la fac, les adultes au travail. Aux terrasses des cafés, certains commençaient la journée avec un expresso ou une bière, selon l'humeur du jour. Quelques coups de klaxon le tirèrent comme à chaque fois de ses rêveries, tout comme la voiture qui manqua de l'écraser alors que le feu était au vert pour les piétons. Ce qu'il aimait dans Paris ? L'agitation constante, l'effervescence, cet état fiévreux que seuls les parisiens connaissaient. Ils courraient toujours, tout le temps ; après le bus, le métro, le RER, la vie. Cette existence à cent à l'heure l'avait toujours fasciné et c'était la raison pour laquelle il avait quitté sa ville natale pour venir s'installer ici.

Ce matin, il n'avait qu'une heure de cours puis trois heures devant lui. Peut-être en profiterait-il pour dormir. Des cernes mauves commençaient peu à peu à creuser son visage et ses yeux avaient pris la couleur d'un ciel d'orage aujourd'hui, encore embrumés par ce mauvais rêve. Ce fut donc d'un pas nonchalant qu'il entra dans l'amphithéâtre pour écouter son cours sur l'histoire du livre.


(1) En fac, les cours s'appellent aussi des « modules ». 

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