Chapitre 2
Eilidh
— Nan, mais je crois qu'on ne peut plus continuer comme ça, Eil'.
Sa phrase vient de me percuter comme un train à grande vitesse. Pourtant, c'est avec un calme olympien qu'il l'a énoncée, comme s'il avait récité la liste de nos courses hebdomadaires. Néanmoins, son regard reste rivé sur ses pieds, fuyant. Quant à ses cuticules, elles semblent être un sujet passionnant depuis dix bonnes minutes, vu qu'il les triture depuis le début de la conversation ultra-sérieuse qu'il a tenu à débuter.
Je fronce les sourcils : qu'est-ce qu'il veut bien pouvoir dire par là ?
— Continuer ? C'est-à-dire ?
Ma première impression est visiblement la bonne : il ne parle pas de la journée ou même de la soirée. C'est notre couple, qu'il est en train de remettre en cause.
— Notre vie... nous, confirme-t-il.
Sa voix se fait basse, comme s'il venait de balancer un lourd secret, ou un gros mot. Et dans la bouche que Sir Harry Allistair, c'est le summum de l'horreur, la vulgarité.
Je blêmis, me rendant compte qu'il ne plaisante pas.
— Quoi ?
Là, c'est ma voix qui déraille, et qui se termine dans un couinement digne d'une vieille porte rouillée. Harry relève enfin ses yeux vers moi, mais encore une fois, son regard se dérobe alors qu'il se relève du dossier du canapé, sur lequel il avait posé ses fesses.
Mes yeux suivent ses mouvements nerveux, tandis qu'il fait les cent pas dans notre salon. Merde, pas bon !
— Tu... veux rompre ?
Là j'ai dû atteindre des décibels désagréables, parce qu'il daigne enfin me jeter un œil : et ce que j'y vois ne me plait guère. Mon petit ami me lance un regard fermé, qui me glace le sang. D'un coup, je me demande si je peux encore lui donner ce qualificatif !
— Je crois qu'il vaudrait mieux.
Net. Clair. Concis. Un uppercut en plein ventre. Je reste bêtement à le fixer, incapable de bouger.
— Tu peux pas me balancer ça comme ça ! m'exclamé-je, abasourdie. On sort ensemble depuis trois ans ! On vit ensemble depuis deux ! Je viens d'aller faire les courses, et tu me sors ça comme ça ?
Bordel, c'est quoi cette journée de folie ? Rien ne va aujourd'hui : j'enchaine merde sur merde, depuis ce matin. Et là, j'en reste pantoise, mes cabas encore pendus à mes mains.
— J'y ai réfléchi, continue-t-il, comme s'il ne m'avait pas entendue. Longtemps. Longuement. Et... ça fait un bout de temps que je voulais t'en parler. Alors je suis désolé si ça arrive un peu comme un cheveu sur la soupe, mais ouais, je veux rompre.
Totalement larguée, je reste à cligner des yeux pendant de longues secondes, avant que le sac de gauche n'atterrisse par terre. Mes yeux se déportent sur le sol, sur lequel les oranges se mettent à rouler dans tous les sens. Pourtant, je ne bouge pas, immobile, sonnée. C'est Harry qui, sans doute énervé de ne pas me voir réagir, se met en branle pour les ramasser et les poser sur le plan de travail. Puis il m'arrache l'autre cabas des mains pour le poser à côté des fruits.
— Ecoute, reprend-il d'une voix plus douce en se caressant le menton, on... n'a plus rien en commun. Tu as bien dû t'en rendre compte, non ?
Ouais, évidemment, les choses ont changé depuis quelque temps, mais de là à se séparer ? Merde, qu'est-ce que je n'ai pas vu ? Certes, on s'envoie bien moins souvent en l'air qu'au début, mais c'est inévitable dans un couple, non ? Les débuts sont toujours des feux d'artifice, puis se calment, pour trouver un équilibre entre vie à deux et vie professionnelle. Bon, maintenant que j'y pense, ça fait quand même un bon bout de temps qu'on n'a rien fait tous les deux, et qu'il ne m'a pas touchée.
Harry a un boulot prenant, dans la finance, et il est continuellement fatigué, le soir. Il s'endort vite, et j'avoue que nos ébats sont un peu passés à l'as.
J'observe le joli garçon sur lequel j'avais craqué à l'université, avec ses cheveux châtains coupés courts, ses yeux verts doux, son pantalon en velours classique, son pull en laine marine rehaussé d'un col de polo blanc. Harry est un anglais pur souche, et j'ai toujours apprécié ce côté chic british qu'il a toujours arboré, malgré mes origines écossaises.
— Ouais, mais je...
Que dire ? Soudain une idée se fraie un passage entre mes neurones, et je me raidis en imaginant cette possibilité.
— Tu as... quelqu'un d'autre ?
J'obtiens un grognement agacé comme réponse, alors qu'il se met à ranger des denrées alimentaires dans le réfrigérateur. Mes yeux le suivent, incrédules de le voir s'affairer aux tâches domestiques alors qu'il est en train de me lourder. Merde, il plaisante là ?
— Y a personne, me répond-il quand même en refermant la porte du frigo. C'est pas ça le problème.
Je souffle, bizarrement heureuse de ne pas être cocue. Réaction totalement idiote, puisque ça ne change rien à la situation : il ne veut plus de moi quand même. Il s'adosse à un des placards de la cuisine intégrée, et croise ses bras sur son torse. Et là enfin, il daigne me regarder en face pour la première fois depuis vingt minutes.
Sa lèvre inférieure se retrouve coincée entre ses dents, comme s'il hésitait à poursuivre. Puis, d'un coup, il se décide.
— On a changé, Eil.
J'arque un sourcil circonspect.
— Oui, évidemment qu'on a changé, répété-je. On a quitté l'université, on a trouvé du boulot, forcément qu'on a changé ! C'est différent, oui, mais on est toujours les mêmes !
Il secoue la tête, réfutant mes arguments en fermant les paupières. Quand il les rouvre, il me coupe aussitôt.
— TU as changé, assène-t-il.
Je fronce les sourcils, pas certaine du sens de ses paroles.
— Oui, j'avoue. J'ai un peu de mal à trouver ma voie, c'est vrai. Mais vu que j'ai perdu mon boulot, autant que j'essaie ce qui m'intéresse, non ? C'est l'occasion de voir si je peux vivre du chant, Harry, et tu étais d'accord avec ça, quand on en a discuté ! Tu m'as même encouragée à tenter l'expérience de voir si je pouvais en faire mon métier. Alors je ne comprends pas que tu...
— Je ne parle pas de ton boulot, me coupe Harry un peu sèchement. Je te parle de toi...là.
Je bugge une seconde, avant de me rendre compte que c'est moi qu'il désigne d'un vague geste du bras. Moi. Mon corps. J'écarquille les yeux quand l'évidence me percute d'un coup, claire comme de l'eau de roche. Mais non !!
— Quoi ? hoqueté-je. Mais je... Oui, j'ai grossi, je sais, mais c'est pas nouveau, Harry ! Ça fait deux ans que je prends du poids, et on sait très bien que...
— Ouais, mais moi, je ne supporte plus.
Coup de massue sur la tête, coup de poing en plein dans l'estomac. Soudainement, mon corps se fige et je ressens chaque gramme dont je suis constituée. Ces vingt kilos accumulés pendant ces vingt-quatre derniers mois, je sais qu'ils sont là. Je les ai sentis s'installer sur mes hanches, sur mon ventre, englober mes cuisses, arrondir mes fesses, épaissir ma taille autrefois si fine, et brutalement, leur présence se fait encore plus pesante que quotidiennement.
Mal à l'aise, je passe mes bras autour de moi, comme si j'essayais de me réconforter, ou peut-être dans l'espoir illusoire de les cacher, par instinct. Peine perdue, je le sais : ce ne sont pas mes mains qui suffiront à masquer ces kilos qu'Harry connait par cœur, puisqu'il les voit tous les jours.
— Tu sais bien que ma thyroïde déraille, couiné-je. J'y peux rien !
Ma pathétique tentative d'excuse ne lui arrache qu'un soupir ; il passe les mains dans ses poches, tandis qu'il penche la tête sur le côté.
— Je suis désolé, répète-t-il pour la deuxième fois de la soirée. Mais moi, je ne supporte plus. Je n'ai plus envie de toi, Eil.
Sa dernière phrase me fige sur place. Je déglutis difficilement, attendant la suite, qui ne vient pas. Il reste là à me dévisager d'un air froid, tandis que je me liquéfie sur place.
— OK, réponds-je d'un claquement de langue. Et on fait quoi du coup ?
Le peu de dignité qu'il me reste après cette insulte en bonne et due forme me fait relever le menton. Merde, c'est bon, j'ai été assez humiliée ce soir.
— Le mieux, c'est que tu déménages, reprend-il.
— Oh ? Oh !
Sa proposition me prend par surprise. Merde, j'habite ici depuis deux ans, et jamais au grand jamais je n'avais envisagé que j'allais devoir partir. C'est chez lui, c'est vrai, et j'ai eu tendance à l'oublier, au fil des mois.
— OK, acquiescé-je. Je vais chercher un appartement alors...
— Ce soir.
Alors là, j'en reste bête, la bouche bée, que je m'empresse de refermer dans un reste de fierté.
— J'ai invité mon patron, explique-t-il. J'aimerais autant qu'il ne te voie pas.
Le sens de ses paroles est limpide : il a honte de moi. Et s'il a pris cette décision, c'est parce qu'il ne veut pas du regard de son supérieur sur moi. Il ne m'assume plus, tout simplement.
Ça fait mal, je dois l'avouer. Une douleur cuisante a pris place dans ma poitrine, m'empêchant de prendre correctement ma respiration. Mon cœur semble vouloir se fendre en deux, sous le choc. Je ne sais même pas ce qui est le plus douloureux : la rupture sentimentale ou l'humiliation cuisante qu'il vient de m'infliger.
Pour ne pas vaciller, alors que mes jambes se transforment en coton, je carre les épaules et sans mot dire, je rejoins la chambre qui n'est plus désormais que la sienne. Mes yeux évitent la vue de ce lit que nous avons partagé pendant plusieurs années, et se focalisent sur la penderie. J'attrape ma valise rigide, et fourre tous mes vêtements sans ménagement. Je ne range rien, me contentant de bourrer tout ce qui me tombe sous la main, comme un robot sans âme. La mienne est restée dans le salon je crois, à ruminer des paroles qu'elle ne parvient pas à assimiler.
Quand il n'y a plus de place, je verrouille le bagage, et ressors aussi vite. J'ai bien conscience que son regard me suit alors que je rassemble quelques affaires dans un petit sac de voyage : téléphone, chargeur, ordi portable. J'ai la présence d'esprit de me souvenir de ma trousse de toilette dans la salle de bain, que je cale sous mon aisselle en empoignant les deux autres sacs. Mes iris évitent de se poser sur celui qui est désormais mon ex.
Quand d'un coup il tente de se saisir de mon sac de sport, je le repousse d'un geste vif, pour le coller contre moi en lui balançant un regard noir. Son aide est malvenue, et totalement hors de propos, quand on sait avec quelle facilité il vient de me rayer de sa vie pour une raison à laquelle je me refuse de penser pour l'instant.
Pourtant, quand je referme la porte, et que je me retrouve dans le couloir sombre qui dessert l'étage, tout me tombe dessus subitement. Le dégoût que je lui inspire, la façon dont il m'a jetée purement et simplement de chez lui. Parce que je lui fais honte.
Le sursaut d'honneur dont j'ai fait preuve à l'intérieur de l'appartement est désormais de l'histoire ancienne, et les larmes que j'avais réussi à contenir se mettent à couler sur mes joues en continu. Un gros sanglot prend naissance dans ma gorge, avant d'envahir tout l'étage en se répercutant sur les murs, dans le silence assourdissant de ces grands espaces vides et sans âme.
Mes jambes qui avaient tenu le choc s'affaissent, et je me retrouve les fesses sur la première marche de l'escalier en bois qui fait face au logement d'Harry. Le sien, plus le mien. Les yeux dans le vide, je me laisse aller à gémir ma déception et ma douleur. Il y a encore de cela une heure, ma principale préoccupation tenait à me demander quelle série j'allais mater sur Netflix ce soir. Là, je ne parviens même pas à comprendre ce qui vient de se passer.
Le grincement d'une marche me fait relever la tête vers le corps rabougri de Miss Eliott, qui fronce les sourcils en avisant ma position en plein milieu du chemin. Par automatisme, je me pousse contre le mur de la cage d'escalier, pour laisser passer notre vieille voisine aigrie. Enfin sa vieille voisine.
Elle ne dit rien, se contentant de fixer ma valise et mes deux bagages à main, avant qu'un rictus ne s'affiche sur son visage ridé. Eh ben sympa, en plus ça lui fait plaisir, de voir que je viens de me faire jeter ! Peu importe, elle poursuit son ascension d'un pas lent, et referme la porte de son appartement, comme si je n'étais qu'un détritus insignifiant.
Je lève les yeux au plafond, comme si j'allais y trouver une solution. Mais peine perdue, ni la peinture écaillée, ni les fissures de l'immeuble ancien ne m'apporteront la moindre réponse. Alors, dans un sursaut, je me relève, et amorce la descente jusqu'au rez-de-chaussée. Je n'ai plus rien à faire ici, de toute façon.
A l'extérieur, l'obscurité m'enveloppe de sa noirceur dès la porte franchie, alors que le froid de ce mois de novembre m'agresse instantanément. Il n'est pas tard, mais la nuit tombe vite, à cette période. Mes doigts remontent la fermeture éclair de mon caban, rajustent mon écharpe en laine pour contrer la bise glaciale qui s'est levée, avant de se parer des gants que j'ai toujours dans ma poche.
Je souffle un coup, plie les genoux pour agripper valise et sac, puis je m'enfonce dans les rues glaciales de Londres.
***
La chambre est petite, défraichie et laide. Pourtant, c'est un peu le dernier de mes soucis quand je pose un regard sur elle en quittant la salle de bain adjacente. La douche que je viens de m'octroyer m'a un peu réchauffée, heureusement pour mes pauvres doigts engourdis, et mes pieds dont j'ai vérifié trois fois s'ils avaient encore le bon nombre d'orteils. Le froid est vif, ce soir, et le court trajet jusqu'à ma vieille Mini rouillée m'a paru aussi long qu'un voyage jusqu'au pôle Nord.
Pas de chance, le chauffage ne fonctionne plus dans le véhicule, et c'est donc devant le premier hôtel que j'ai trouvé que je l'ai garée, en priant pour qu'il y fasse un peu plus chaud que dans ma vieille guimbarde jaune.
Le seul point positif de l'établissement, c'est le prix de la chambre. Parfait pour mon budget de chômeuse. Pour le reste, il correspond aux prestations : la moquette doit dater des années quatre-vingt, la couleur des rideaux, bouffée par le soleil, est indéfinissable, et je refuse de savoir d'où viennent les taches sur le couvre-lit à grosses fleurs démodées.
Ouvrant ma valise posée sur le lit, je farfouille jusqu'à trouver un pyjama hors d'âge, délavé et déformé par le temps. A la réflexion, il n'a pas dû arranger la vision qu'Harry devait avoir de moi...
Je chasse le souvenir du beau brun d'un revers mental, et pose la valise au sol pour dégager le matelas. Du bout des doigts, j'écarte le dessus de lit, et me glisse sous les draps qui heureusement, sentent le propre même s'ils sont tout rêches. Remontant le tissu sous mon menton, je soupire d'aise quand la froideur des draps fait place à la chaleur de mon corps. Bon sang, j'ai cru que j'allais mourir frigorifiée.
La télévision à tube cathodique, que je n'avais plus vu depuis mon enfance, crache un programme inintéressant de téléréalité, que je zappe allègrement, peu intéressée par les sosies de Kim Kardashian qui remuent du popotin devant la caméra. Le vue de ces filles à la plastique parfaite me renvoie à mes propres défauts, et je ravale un sanglot qui menace de sortir sous l'impulsion de mon émotivité. Reprenant le contrôle, je tapote mon oreiller derrière mon crâne et m'installe plus confortablement, balayant l'écran des yeux au fur et à mesure que je fais défiler les chaînes.
Lasse de ne tomber que sur des émissions sans intérêt ou une série maintes fois revue, je me cale sur MTV, qui comme toujours propose des clips musicaux. Par chance, ce soir, c'est rock. Britannique, qui plus est : au moins un truc bien dans ma journée merdique.
Queen fait place à U2, et je me mets à fredonner sur un vieux tube des Wet Wet Wet qui me rappelle mon enfance dans les Shetlands. Ecossaise pure souche, je n'ai migré vers Londres que pour mes études, et fatalement, je m'y suis installée, mes diplômes obtenus. Chez Harry. Putain de merde, pourquoi j'en reviens toujours à lui ?
Qu'est-ce que je dois faire ? Rester ici, à Londres, alors que les loyers sont hors de prix ? Le boulot, c'est pas ce qui manque, dans la capitale. Un travail de serveuse, j'aurais vite fait d'en trouver un, ça n'est pas un problème. J'ai une formation comptable, mais honnêtement, j'étais presque heureuse quand j'ai été licenciée, il y a six mois. Je déteste les comptes et les chiffres. Je n'ai fait ces études que pour faire plaisir à mes parents, si fiers que je sois acceptée à l'université de Londres. Mais moi, ça ne m'a jamais plu, de toute façon.
Non, moi, ce que j'aime, c'est chanter. Depuis toute gamine, je pousse la voix, à n'importe quelle occasion : en cours de musique à l'école, à la chorale du village, à celle de l'église le dimanche, sous ma douche aussi. Mais toujours pour le plaisir. Jamais je n'aurais imaginé un instant en faire un métier. D'ailleurs, je n'aurais jamais osé en parler même à mes parents, pour qui les études sont le seul moyen de gagner sa vie correctement.
Ils n'ont pas tort : les quelques cachets que j'ai réussi à glaner en six mois ne sont d'ailleurs plus que quelques livres sur mon compte en banque désormais. Quelques contrats dans la publicité, grâce à des petites annonces dénichées dans le journal. Quelques cachets d'artiste, à vanter les bienfaits d'un gel douche à la radio, ou à m'extasier sur la finition parfaite de la réparation d'un pare-brise. Rien de terrible pour une chanteuse, mais toujours mieux que rien du tout, quand l'administration ne vous verse plus aucune allocation.
J'observe d'un œil distrait les vocalises rauques du chanteur de ce nouveau groupe à la mode, dont le clip, qui doit valoir des milliers de livres, défile sous mes yeux. Beau gosse, il n'a cependant rien à faire regretter aux trois autres musiciens : un beau roux, et surtout deux charmants blonds qui l'accompagnent avec justesse. Curieusement, je n'aime que les blonds. Ça a toujours fait hurler Sarah, ma meilleure amie au lycée, pour qui les latinos sont le summum de la séduction. C'est ballot, aussi, quand on sait qu'Harry est brun...
Tout à ma rêverie devant les jumeaux du groupe dont je suis incapable de retrouver le nom, j'attrape mon portable qui s'est mis à vibrer sur la table de nuit. Je hausse un sourcil désabusé en reconnaissant le numéro de Mike, un ami musicien rencontré lors d'une séance publicité, et qui s'est mis en tête de devenir mon agent.
J'ai accepté, plus par amusement qu'autre chose : je ne serai jamais autre chose qu'une petite chanteuse sans succès, tout juste bonne à vanter les bienfaits d'une lessive, ou, dans le meilleur des cas, à faire les chœurs pour un autre musicien bien plus connu. Ou pas, si ça se trouve. Pathétique.
Désabusée, j'accepte l'appel, collant l'appareil sur mon oreille pour replonger ma main sous le drap, au chaud.
— Mike ? Que me vaut l'honneur ?
— Bonsoir à toi aussi, Eilidh, susurre-t-il.
Je lève les yeux au ciel, l'imaginant très bien se foutre de moi à l'autre bout du fil.
— Je t'appelle un peu tard, miss, désolé.
— Ça va, lui réponds-je doucement. Il n'est que vingt-deux heures.
— J'avais peur de réveiller Harry. Je sais qu'il se couche tôt, du coup...
Je grimace à cette idée, blasée.
— Ça ne risque pas, grincé-je. On a rompu.
Un silence me répond, pesant : visiblement, j'ai perturbé mon ami.
— Ben t'es où, du coup ? reprend-il au bout de quelques secondes.
— T'inquiète, chez une copine.
Je mens délibérément, pour ne pas l'inquiéter. Je connais Mike : s'il apprend que je suis en rade dans un hôtel pourri, il va insister pour m'héberger. Or, il est tout aussi fauché que moi. Et je doute que sa femme apprécie de devoir partager les malheureux vingt mètres carrés de leur logement avec quelqu'un d'autre que leur bébé de huit mois.
— Pourquoi tu m'appelles, au fait ? éludé-je.
— Oh. Euh, pour un truc qui devrait t'intéresser. Une audition, qui a lieu demain.
Je me redresse, intéressée. J'ai besoin de fric de toute urgence, là.
— Quel genre ?
— C'est pas très clair, m'explique-t-il. Ils disent qu'ils expliqueront le job après les essais.
Je fronce les sourcils, soudain peu rassurée.
— T'es sûr que c'est honnête, comme truc ? m'inquiété-je. Je fais pas dans la comédie musicale porno, moi, hein.
Mike s'esclaffe, alors que je me renfrogne.
— Je crois pas que ça soit ça, non, tempère-t-il. C'est dans les locaux d'un gros label de musique, au centre de Londres.
— Gros comment ? demandé-je, plus qu'intéressée.
— Landford Music.
Je siffle, consciente qu'il s'agit là du plus gros producteur du Royaume-Uni depuis au moins cinq ans. Merde, c'est juste inespéré.
— Tu y vas, toi ? l'interrogé-je, curieuse.
— Ah non, se marre-t-il. Ils cherchent une voix féminine. Mais j'ai immédiatement pensé à toi.
Je souris, heureuse sur l'instant d'avoir un ami si gentil.
— Merci Mike, t'es adorable.
— Je sais, plaisante-t-il. Dix heures, demain matin. Tu y seras ?
— Et comment ! m'exclamé-je. Je ne peux pas manquer ça, tu imagines bien.
— Tu me raconteras ? Faut que je raccroche, ma femme veut dormir.
— Promis. Bonne nuit, passe le bonjour à Ann.
Sa réponse ne me parvient même pas, puisqu'il raccroche aussitôt. J'en profite pour chercher vite fait l'adresse du lieu, que je parviens à dénicher en quelques secondes. Je ne sais pas si j'ai le niveau, mais il faut au moins que j'essaie. Et même si c'est pour faire quelques vocalises ou des « houhou » derrière un playboy à la mode, je ne peux pas faire la fine bouche. C'est une grosse boite, et donc la certitude d'être payée, ce qui n'est pas toujours le cas dans le métier.
Ragaillardie par la perspective du lendemain, j'éteins la télé en coupant le sifflet au beau brun des Rebel Sinners, dont le nom vient de me revenir dans un flash. Pourtant, je l'oublie aussitôt, lui et ses acolytes sexy, bien trop obnubilée par le rendez-vous de demain.
Je programme un réveil matinal, histoire de ne pas être à la bourre, et pose la tête sur l'oreiller. Des réminiscences de ma journée catastrophique tentent de se frayer un chemin entre mes neurones, mais je bloque tout essai d'invasion aussi sec. Je refuse de penser à ma rupture et décide de me focaliser sur le projet du lendemain.
Ai-je le choix, de toute façon ?
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