Chapitre 5
La nuit tombe sur Paris, et dans l'appartement d'Alya, la fête bat son plein.
Adrien passe un excellent moment. Un vraiment, vraiment excellent moment. Et surtout, son soulagement est sans bornes. Car malgré sa joie à l'idée de retrouver ses anciens camarades, il avait appréhendé cette soirée. Craignant de se sentir à l'écart après tant d'années passé coupé de ce monde qui était autrefois le sien. Redoutant que revoir ceux qu'il fréquentait à l'époque de la trahison de son père ne fasse ressurgir en lui de trop douloureux souvenirs.
A une époque, cela aurait certainement été le cas.
Il aurait été paralysé de chagrin, terrassé par la culpabilité, et aurait de nouveau disparu pour tenter de laisser à ses blessures le temps de guérir.
Mais depuis, Adrien est allé de l'avant.
Lassé de se regarder mourir à petit feu, il a repris sa vie en main et récolte enfin les fruits de son dur labeur. Certes, il lui faudra encore certainement du temps pour que son traumatisme ne s'efface, mais le chemin qu'il a parcouru est déjà extraordinaire. Le désespoir a cédé sa place à une discrète mélancolie, l'envie de partir s'est transformée en un besoin de renouer avec cette réalité qu'il n'a que trop longtemps fuie.
Et la souffrance qui le clouait sur place s'est adoucie, laissant peu à peu apparaître une merveilleuse envie de vivre l'instant présent.
Un verre à la main, le jeune homme déambule maintenant dans le salon.
Il voit Marinette arriver depuis la cuisine avec un plateau chargé de nourriture dans les mains. Elle se dirige vers la table déjà lourdement chargée de bouteilles et de victuailles, croise le regard d'Adrien, lui sourit.
Et fait un faux pas.
- « Attention ! », s'exclame Adrien, alarmé.
Il se précipite vers son amie qui oscille dangereusement, mais à la dernière seconde, Marinette réussit à retrouver l'équilibre au prix d'une contorsion surprenante.
- « Pfiou, ce... c'était proche ! », s'exclame-t-elle avec un rire essoufflé.
- « J'ai vu ça », réplique Adrien en souriant. « Est-ce-que ça va aller ? », rajoute-t-il avec une inquiétude légitime.
Son amie était déjà connue pour sa maladresse à l'époque où ils étaient lycéen, et le temps n'a manifestement rien fait pour arranger les choses.
Sans même y réfléchir, il pose sa main sur l'épaule de la jeune femme, comme pour lui confirmer son soutien. Marinette tressaille presque imperceptiblement, rougit, puis secoue la tête avec un petit sourire.
- « ça va aller, merci », lui répond-t-elle d'un ton assuré. « Ne t'inquiète pas pour moi. »
Sous le regard du jeune homme, elle pousse sans ménagement une demi-douzaine de bouteilles, dépose son plateau, puis se redresse avec les mains fièrement placées sur les hanches.
- « Et voilà ! », s'exclame-t-elle triomphalement. « J-Je... Je suis désolée, il faut que j'y retourne », poursuit-elle à l'attention d'Adrien, tout en tendant la main vers une porte voisine. « Alya est seule avec le four, et tu sais comment est Alya quand elle cuisine... »
Une grimace contrite déforme brièvement ses traits alors qu'elle laisse mourir sa phrase, et Adrien éclate franchement de rire. Les catastrophes culinaires de leur amie sont réputées.
Mythiques, même.
- « N'en dit pas plus ! », s'esclaffe-t-il. « Tu es toute excusée ! Je ne tiens pas à manger des morceaux de charbons ! »
Il salue Marinette d'un clin d'œil complice, s'empare d'un des petits fours qu'elle vient tout juste d'amener, et reprend sa ronde.
Alors qu'il traverse le salon, son regard se pose sur Nino, occupé à régler le volume d'une enceinte récalcitrante. Aussitôt, un sourire affectueux se dessine sur ses lèvres. Nino ne vit que pour la musique ou presque, et force est de reconnaitre qu'il se dévoue corps et âme pour animer au mieux la soirée. L'ambiance musicale est parfaite et Adrien bat machinalement la mesure avec ses doigts alors qu'il se dirige aléatoirement vers les petits groupes que forment désormais ses amis.
Après avoir bavardé un instant avec Mylène et Ivan, il s'approche d'Alix et de Chloé, manifestement en grande conversation.
- « N'empêche, tu as vu la taille de cet appartement ? », s'exclame Alix avec un soupir d'envie, tout en saluant Adrien d'un petit signe de la main. « Une cuisine, un salon, une chambre ET un bureau ! Quand je pense que mon studio tout entier est plus petit que cette pièce ! », conclut-elle en désignant brusquement les alentours d'un large geste.
Adrien esquive de peu ce mouvement rapide qui manque de faire voler son verre à travers ladite pièce, tandis qu'un petit sourire se dessine sur le visage Chloé.
- « Privilège familial », rétorque son amie d'enfance en passant distraitement ses doigts dans ses boucles blondes. « L'appart' appartient à sa grand-mère, du coup elle ne paye presque rien comme loyer. »
- « C'est vrai que côté privilèges familiaux, tu en connais un rayon », ricane Alix d'une voix moqueuse.
Adrien ne peut s'empêcher d'éclater de rire devant l'air pincé qui se peint aussitôt sur les traits de Chloé. Cette dernière laisse échapper un reniflement faussement scandalisé, avant de vider son verre d'un trait et de poursuivre la conversation comme si de rien n'était.
Le jeune homme observe son amie d'enfance avec un sourire amusé.
A une autre époque, Chloé aurait explosé de rage, hurlé de colère, avant de quitter la pièce en menaçant de faire intervenir son père. Mais aujourd'hui, bien qu'elle soit toujours aussi prompte à distribuer des remarques acerbes, la jeune femme s'est considérablement adoucie. Distraitement, Adrien se demande si le fait de fréquenter Nino, Alya et Marinette n'y serait pas pour quelque chose. Nino est le dévouement incarné, Alya ne recule jamais devant la moindre injustice, tandis que Marinette et son optimisme légendaire sont un véritable rayon de soleil.
Quoi de mieux pour faire fondre le cœur de glace de Chloé ?
Soudain, une vigoureuse claque entre les omoplates manque de faire basculer Adrien à terre. Il trébuche, vacille, se retient péniblement à Alix qui vient manifestement de subir le même sort que lui. Alors que sa camarade laisse échapper une bordée d'injures, Adrien se retourne pour découvrir le visage de Kim, hilare.
- « Hey, vous trois ! », lance-t-il joyeusement, alors qu'Alix le fusille du regard. « Un concours de boisson, ça vous dit ? Sabrina est partante ! », poursuit-il en désignant leur amie par-dessus son épaule.
Adrien se passe la main dans le dos en grimaçant. Il a déjà enduré bien pire en tant que Chat Noir, mais il se serait volontiers passé de la sourde douleur qui pulse à présent au niveau de sa colonne vertébrale. Demain, il aura certainement un gigantesque bleu en forme de main imprimé sur sa peau.
Manifestement peu rancunière, Alix manque de percer les tympans de ses amis en hurlant un « J'EN SUIS ! » enthousiaste. Devant le regard interrogateur que lui lance Kim, Adrien décline quant à lui poliment l'invitation puis s'éloigne, tandis que Chloé en fait de même de son côté.
Durant les heures qui suivent, Adrien passe de groupe en groupe, bavarde, renoue doucement avec ses anciens amis.
Il n'a pas les mots pour dire à quel point il est heureux de tous les retrouver.
En dépit de sa célébrité et sa riche famille, le jeune homme a toujours eu des désirs simples. Aller à l'école. Se faire des amis. Sortir en leur compagnie, leur parler pendant des heures. Rire, s'amuser. Vivre.
Ces instants de bonheur ordinaire lui ont été refusés par son père pendant des années, qu'il a passées enfermé dans son manoir comme dans une prison dorée. Et lorsqu'il a cru avoir enfin obtenu ce à quoi il aspirait tant, ces précieux moments lui ont été cruellement arrachés, détruits par la découverte explosive qui a fait voler sa vie en éclat.
Mais à présent, Adrien redécouvre les plaisirs d'une soirée entre proches, savourant chacune des minutes qu'il passe à leurs côtés.
Et ça lui fait un bien fou.
Adrien se sent comme dans un cocon dans cet appartement où il est entouré par ses plus fidèles amis. Par des gens qui ne le jugent pas, ne le harassent pas de questions indiscrètes, ne lui font pas le moindre reproche pour son absence. Il rit, discute, pique malicieusement des petits fours à Nino, plaisante avec Alya, parle jeux vidéos avec Max.
Durant cet instant béni, il a l'illusion d'être le jeune homme insouciant qu'il a toujours rêvé d'être.
Il a l'impression que, tout à coup, sa vie est redevenue extraordinairement, merveilleusement, miraculeusement normale.
Adrien ignore si ses camarades se sont concertés pour éviter d'aborder le sujet sensible de son père, mais pas un n'y fait allusion. On le questionne sur ses études, ses projets d'avenir, sur la vie aux Etats-Unis. En retour, le jeune homme fait de son mieux pour tenter de rattraper le temps perdu.
A son tour, il interroge ses amis, discute avec eux de ce qu'ils sont devenus depuis qu'il les a quittés.
Passablement éméchée suite au concours de boisson que continuent allègrement Kim et Alix, Sabrina répond aux questions d'Adrien. L'alcool la rend aussi volubile que peu stable, et elle s'accroche désespérément à l'épaule de Max pour tenter d'éviter une brutale rencontre avec le sol. Tanguant dangereusement sur ses hauts talons, elle confie à Adrien avoir commencé une école de commerce, sans pour autant trop savoir ce qu'elle compte faire ensuite. En revanche, elle ne tarit pas d'éloges sur les brillantes études d'informatiques que poursuit Max, tout en louant haut et fort son extraordinaire sens de l'équilibre.
A un moment de la conversation, Marinette les rejoint.
Quand Sabrina l'interroge sur ses études, la jeune femme hésite. Manifestement mal à l'aise, elle se balance d'un pied sur l'autre, porte brièvement son verre à ses lèvres comme pour se donner le temps de formuler sa réponse. Et pendant une brève, minuscule fraction de seconde, son regard se pose sur Adrien. Le jeune homme aurait pu croire qu'il avait imaginé ce fugace éclair bleu s'il n'avait pas eu les yeux tournés vers son amie à ce moment précis.
Soudain, l'évidence le frappe.
Le stylisme est un sujet sensible pour Adrien. Il lui rappelle son adolescence. Son père.
Et manifestement, Marinette l'a parfaitement deviné. Pour la première fois, Adrien réalise que depuis leurs retrouvailles, la jeune femme n'a plus jamais reparlé de mode devant lui.
Alors, avec un sourire encourageant aux lèvres, il engage de lui-même la conversation. Interroge Marinette sur ses projets, ses études, sa future carrière. Durant plusieurs dizaines de minutes, il parle de stylisme avec la jeune femme, s'émerveillant de la passion dont elle fait preuve lorsqu'on aborde son sujet favori. Ses yeux se mettent à briller, ses mains s'animent, comme si son corps tout entier était trop petit pour contenir tout l'amour qu'elle porte à cet art.
Un peu plus tard, il s'éloigne d'elle pour rejoindre d'autres de ses anciens camarades.
Pour rattraper le temps perdu, encore.
Il apprend avec surprise que Juleka s'est orientée vers la photographie et que ses travaux commencent à côtoyer les peintures de Nathaniel dans les petites galeries locales.
- « Ce n'est pas grand-chose », affirme le jeune peintre en rougissant, alors que son camarade le félicite de son succès. « Ce sont des expositions réservées aux étudiants, donc ce n'est pas comme si on était exposés dans de vraies galeries. »
A ses côtés, Rose proteste véhémence, clamant haut et fort que ses amis sont tous deux de grands artistes et qu'ils méritent largement cet hommage rendu à leurs œuvres.
Adrien l'écoute argumenter avec un sourire ravi.
Cette soirée est définitivement une excellente idée. Il découvre avec une joie sincère des projets d'avenir, des discussion rafraîchissantes, des remarques complices. Ces conversations le distraient de ses pensées sombres, lui font un instant oublier son père et Ladybug.
Les heures défilent et à mesure que l'aube approche, l'ambiance se fait plus feutrée. Plus intime.
Des verres vides jonchent la table dans l'anarchie la plus totale, la musique entraînante qu'avait sélectionné Nino a laissé sa place à un doux fond sonore. Les éclats de rire se font plus rares, plus discrets, ne perçant plus que rarement au milieu du murmure étouffé des conversations.
Ivan et Mylène se sont éclipsés un peu plus tôt. Le jeune homme travaille comme commis de cuisine pour la mère d'Alya et ses horaires lui imposent une hygiène de vie rigoureuse. Dans un coin de la pièce, Marinette bavarde avec Alya en sirotant doucement un verre. Chloé et Nino discutent tranquillement avec Nathaniel, Rose et Juleka, tandis qu'Alix et Kim reposent ivres morts sur le canapé. Quelque part, dans la pénombre, Sabrina et Max sont quant à eux trop affairés à s'embrasser pour se préoccuper de quoi que soit d'autre.
Saisi par un brusque besoin de solitude, Adrien se dirige vers l'une des fenêtres de l'appartement. Il se penche vers la vitre jusqu'à ce que son front rencontre la fraîcheur bienvenue du verre, puis admire silencieusement la ville endormie.
En dépit de l'heure tardive – ou plutôt, de l'heure matinale –, il peut apercevoir des promeneurs déambuler paresseusement dans les rues, éclairés par les lumières chaleureuses de la capitale. Au loin, le ciel nocturne se teinte de splendides nuances pourpres, annonciatrices d'un jour nouveau.
Adrien laisse son regard courir aux alentours, avant d'enfin se décider à porter son attention sur l'immeuble qui lui fait face.
Et plus précisément, à ce qui y est accroché.
L'appartement d'Alya est idéalement situé, mais il fait face à une gigantesque banderole représentant les deux héros de Paris. Le regard bleu azur de Ladybug transperce Adrien. Le bouleverse jusqu'au plus profond de son âme.
Ce n'est qu'une image, une pâle représentation de la fille pleine de vie qu'est sa coéquipière.
Et pourtant, il sent son cœur battre furieusement dans sa poitrine, aussi fort qu'au premier jour. Il l'aime. Il l'aime, il l'aime, et il ne cessera probablement jamais de l'aimer.
Le jeune homme laisse échapper un léger soupir, et se perd un peu plus dans la contemplation de l'image qui lui fait face. Il évite soigneusement de regarder le portrait de celui qu'il était autrefois, mais il dévore des yeux celui de sa coéquipière. Admire son éblouissant sourire, ces minuscules taches de rousseurs qui parsèment le bout de son nez, l'ombre délicate que forment ses cheveux sur le côté de son visage.
Soudain, un pas léger le tire de ses réflexions.
- « Hey, mec », s'inquiète Nino en surgissant à ses côtés. « ça va ? »
S'arrachant à la contemplation de Ladybug, Adrien se tourne vers Nino. Le sourire de son meilleur ami est désinvolte, mais son ton sérieux indique que sa question est tout sauf superficielle.
« Ça va ? »
Adrien ne saurait même plus compter le nombre de fois où Chloé et Nino lui ont adressé ces mots si simples et pourtant si lourds de sens. Il n'a d'ailleurs même pas besoin de scruter les profondeurs du salon pour sentir le regard de Chloé peser sur lui. Avec un pincement au cœur mêlé d'un élan de culpabilité, le jeune homme se demande s'il cessera un jour d'inquiéter ses deux amis. Ils se préoccupent de lui à chaque instant, surveillent ses accès de mélancolie avec autant d'attention qu'une mère poule couvant ses poussins.
- « Oui », soupire Adrien en se passant mécaniquement la main sur la nuque. « C'est juste... juste... »
Le jeune homme s'interrompt, peinant à trouver ses mots.
- « Juste un de ces moments ? », complète son ami avec un sourire compréhensif.
- « Oui, c'est ça », confirme Adrien avec soulagement. « Un de ces moments. »
Nino s'approche un peu plus de lui et pose une main bienveillante sur son épaule.
- « Tu veux qu'on en parle, ou tu préfères rester un peu seul ? », lui demande-t-il doucement.
A ces mots, Adrien se sent envahit par une brusque bouffée de reconnaissance envers ce jeune homme qu'il considère désormais comme un frère. Jamais il n'aurait pu rêver d'un meilleur ami, toujours prêt à lui tendre la main lorsqu'il se sent mal, à lui proposer une oreille attentive quand il pense qu'il peut avoir besoin de se confier.
Nino est une personne extraordinaire, et Adrien ne le remerciera jamais assez de lui avoir offert son amitié.
- « Si ça te va, je préfère la deuxième option », réplique Adrien avec un faible sourire. « J'ai juste besoin de quelques minutes. Mais ça va aller, je t'assure. »
Nino plonge son regard dans le sien, comme pour chercher à lire dans son âme. Et quoi qu'il y ait trouvé, sa réponse semble le satisfaire.
- « Ok », approuve-t-il en hochant machinalement la tête. « Mais si tu as besoin, surtout, tu n'hésites pas. »
- « Promis ! », lance Adrien, alors que son ami s'éloigne en direction de Chloé.
Une fois de nouveau seul, Adrien replonge dans ses pensées. Il sort son téléphone de sa poche, pianote mécaniquement sur quelques touches pour afficher une page qu'il a déjà relu des centaines, des milliers fois peut-être.
La page d'accueil du Ladyblog.
Et plus précisément, le message que Ladybug a posté à son attention.
Il ne l'a découvert que récemment, il y a une semaine à peine. Quand la trahison de son père a éclaté au grand jour, Adrien s'est totalement coupé de son ancienne vie. Dans sa tentative désespérée de fuir son passé à tout prix, il a tout écarté, y compris le blog si cher au cœur d'Alya. Il ne l'a plus consulté. Pas même une seule fois, en près de trois longues années.
A quoi bon ?
Pour lire des articles se demandant ce qu'est devenu Chat Noir ?
Pour apercevoir des photos de son père, vaincu ?
Pour voir encore et encore, écrite noir sur blanc, la confirmation que l'horrible cauchemar qu'était devenu sa vie était bel et bien réel ?
Autant se planter lui-même un poignard en plein cœur. Cela aurait été tout aussi douloureux, et au moins, cela aurait eu le mérite d'abréger enfin ses souffrances.
Ce n'est que plusieurs semaines après son retour en France qu'Adrien a finalement trouvé le courage d'ouvrir de nouveau la page familière du Ladyblog. Et lorsqu'il a découvert le message de Ladybug, le choc a été aussi brutal que s'il s'était pris un violent coup sur la tête.
Il a fallu longtemps à Adrien pour se persuader que son imagination fertile ne lui jouait pas un tour cruel.
Mais ce texte signé du nom de l'héroïne de Paris est réel. Clairement, définitivement réel. Et il provient bel et bien de Ladybug, c'est une certitude. Adrien sait Alya suffisamment digne de confiance pour ne pas mettre au point un canular aussi grossier.
Depuis qu'il a découvert ce message, il l'a lu tant de fois que les mots de sa coéquipière lui semblent s'être imprimés sur sa rétine. Il peut les réciter par cœur, les imaginer sans même avoir à ouvrir les paupières.
« Chat,
Je croyais que ça serait mieux pour nous de ne pas savoir. Que ça serait plus sûr, pour toi, pour moi et pour nos proches. C'était la pire erreur de ma vie. Ce jour-là, j'ai perdu le meilleur des partenaires et l'un de mes plus précieux amis.
Tu me manques.
Je n'ai pas les mots pour dire à quel point tu me manques.
Si jamais tu lis ce message, s'il te plait, répond-moi. S'il te plait.
Ladybug. »
Ni Nino ni Chloé ne lui ont parlé de ces quelques mots. Pas une fois.
Adrien sait qu'il ne peut guère leur en vouloir. Tant pis pour sa colère, tant pis pour la rancune irrationnelle qui gronde au fond de lui.
Nino et Chloé ne pouvaient pas savoir.
Depuis sa fuite, parler de Ladybug a toujours été douloureux pour Adrien. Trop de souvenirs, trop de regrets qui déchirent son cœur en lambeau. Fuyant sa peine, Adrien s'est muré dans un silence buté chaque fois que le nom de sa coéquipière venait dans la conversation. Avec le temps, ses amis ont fini par cesser d'aborder le sujet tant qu'il ne prenait pas lui-même l'initiative d'en parler.
Comment auraient-ils pu savoir qu'il ignorait tout de ce message de sa Lady ?
Adrien n'est pas en droit de se plaindre. Chloé et Nino ne l'ont pas trahi, au contraire. Ils n'ont fait que respecter ce qu'il les avait ardemment suppliés de faire. Respectant ses souhaits, ils n'ont pas laissé filtrer une parole, interprétant son mutisme comme une volonté de ne pas parler de Ladybug.
Immobile, Adrien reste le regard rivé à l'écran de son téléphone.
Des jours ont passé depuis qu'il a découvert le message de Ladybug, mais aujourd'hui encore, il ne saurait pas mettre les mots sur ce qu'il ressent. A une autre époque, qui lui parait désormais aussi lointaine qu'une autre vie, il aurait été heureux de constater que sa Lady tient à lui au point de lancer un tel appel de détresse pour le retrouver.
Mais à présent, c'est le chaos.
Bien sûr, Adrien est ému. Touché, bouleversé jusqu'au plus profond de son âme. Ces quelques mots sont la preuve du lien indéfectible qui l'unit à sa Lady, un témoignage du fait qu'il a marqué sa vie peut-être autant qu'elle a marqué la sienne.
Mais il y a aussi cette culpabilité insidieuse, rampante, qui lui noue les entrailles et lui meurtrit le cœur.
Ladybug a posté ce message il y a longtemps déjà, et Adrien n'ose pas penser à ce qu'elle a ressenti devant son absence de réponse. A comment elle a pu interpréter son silence.
Elle s'est certainement sentie trahie. Abandonnée une seconde fois.
Adrien ne cessera certainement jamais de s'en vouloir de ne pas avoir vu ce message à temps. De ne pas y avoir répondu à la minute, à la seconde même où Ladybug l'a posté. Mais le mal est fait, et à présent, il se sent plus perdu que jamais. Que doit-il faire ? Répondre ? Et si sa Lady avait définitivement décidé d'aller de l'avant ? Si elle voulait ne plus jamais lui parler ?
Cette hypothèse glace Adrien jusqu'aux os. Sa poitrine se serre, comme s'il avait été précipité dans un bain d'un froid polaire. Le jeune homme porte machinalement sa main à sa gorge alors qu'une sensation familière d'étouffement s'empare implacablement de lui.
Deux fois.
Il l'a laissée tomber, deux fois.
C'est déjà extraordinaire qu'elle ait encore eu envie de le recontacter après sa première fuite, alors doit-il réellement s'accrocher à un second miracle ?
Mais il l'aime.
En dépit des efforts qu'il a déployé pour fuir son passé, jamais il n'a pu oublier sa brillante coéquipière. Jamais il n'a voulu l'oublier.
Il l'aime.
De tout son être, de toute son âme.
Adrien se tourne de nouveau vers la fenêtre, ignorant les rumeurs de la ville et les murmures des conversations qui s'élèvent dans son dos. Le regard rivé sur le portrait de Ladybug, il pose une main sur la vitre, traçant du bout des doigts le sourire de la jeune fille. Chacun de ses battements de cœur est comme un chant d'amour, un hymne à la gloire de sa Lady.
Il l'aime.
Il pense à elle, à Chat Noir, à ce qu'ils étaient, à ce qu'il souhaiterait désespérément qu'ils soient. A ses erreurs, à son père, à sa fuite. Sous son crâne, les pensées tourbillonnent, se télescopent, s'entremêlent, lui donnant rapidement une migraine qui lui fait mal à en hurler. Son ventre se tord d'angoisse, son pouls s'accélère, et devant lui, le sourire de Ladybug est plus lumineux que jamais.
En une fraction de seconde, sa décision est prise.
Sous ses dehors calmes, Adrien a toujours été un grand impulsif. Il suit son cœur, et non sa tête.
Et son cœur lui hurle qu'il ne peut plus vivre sans Ladybug.
Avec une fébrilité presque maladive, Adrien tape des lettres sur son téléphone. Vite, vite, plus vite, comme s'il craignait qu'une nouvelle impulsion ne le fasse changer d'avis. La mâchoire serrée de concentrations, les yeux rivés à son écran, il écrit un message avec autant d'ardeur que si sa vie en dépendait.
C'est d'ailleurs certainement le cas, quelque part.
Le pouls d'Adrien s'affole et le jeune homme tape, tape encore. Puis, après quelques lignes fiévreusement inscrites, il prend une profonde inspiration.
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