Chapitre 2

Tout va mal.

C'est l'évidence même.

Cela fait à peine un mois que Marinette a commencé les cours et rien ne va.

En théorie, elle a pourtant tout pour être heureuse. Elle a réussi à intégrer l'école de ses rêves, avec le soutien inconditionnel de ses parents. Ses études la passionnent, ses premiers résultats sont brillants et elle n'a eu aucun mal à se faire de nouveaux amis parmi ses camarades de classe.

Elle devrait irradier de bonheur. Se sentir si contente, si légère, qu'elle devrait avoir la sensation que ses pieds ne touchent plus terre.

Et pourtant non.

Au contraire, Marinette se sent lourde, comme si un poids écrasant pesait désormais sur ses épaules.

Bien sûr, il y a Adrien. Son départ. Son absence. Marinette a eu le cœur brisé lorsque le jeune homme s'est envolé de l'autre côté de l'Atlantique et il ne se passe pas un jour sans que ses pensées ne se tournent vers lui. Chaque fois, elle oscille entre culpabilité, regrets et profonde tristesse, tout en se demandant avec angoisse comment Adrien va.

La vie du jeune homme a volé en éclats, et elle s'en veut toujours.

Des centaines de fois, elle a songé à envoyer lui un message. Juste pour avoir de brèves nouvelles. Juste pour s'assurer qu'il va bien.

Et des centaines de fois, elle y a renoncé. Que dire ? Qu'elle l'aime ? Qu'elle regrette profondément ce qu'il s'est passé ? Qu'elle aurait voulu que le Papillon ne soit jamais son père ?

A quoi bon ? Le mal est fait.

Un jour, cependant, elle ose. Puisant dans tout son courage, elle envoie un bref e-mail à Adrien, lui souhaitant tout le bonheur possible dans sa nouvelle vie et lui demandant comment il va. Mais son message reste sans réponse, et son cœur fatigué se fendille un peu plus. Alya tente de la consoler, de lui affirmer que l'absence de réaction du jeune homme n'est pas dirigée personnellement contre elle. Adrien tente de tourner la page, explique-t-elle à son amie accablée. Il fuit l'univers de la mode, ses anciens amis, tout ce qui peut lui rappeler Paris et son père.

- « Même Nino a du mal à le contacter », soupire la jeune blogueuse. « Il doit littéralement le harceler pendant des jours pour qu'il daigne répondre à ses messages. Alors que c'est quand même son meilleur ami ! »

Alors, comme à chaque fois qu'elle songe à Adrien, Marinette serre les dents et tente de se convaincre que le temps finira par adoucir ses blessures.

Mais pour aussi cruel qu'il soit, ce chagrin d'amour n'est pas suffisant pour expliquer l'inextricable sensation de mal-être qui oppresse la jeune femme. Elle aime ce qu'elle fait, de toute son âme. Le stylisme un art qui la passionne et pour lequel elle s'avère être particulièrement douée, au point que ses travaux font régulièrement la fierté de ses professeurs. Chaque jour, elle coud, dessine, en apprend plus sur ce monde qui la fascine.

Et chaque jour, son moral décline un peu plus.

Elle ne sait pas quoi faire pour aller mieux. C'est comme si son monde s'était lentement teinté de gris, sans même qu'elle ne le réalise. Les petites joies du quotidien sont plus fades. Ses sourires ont perdu de leur éclat. Même les longues promenades dans sa chère ville de Paris n'arrivent plus à lui donner du baume au cœur.

Marinette a l'impression de n'être plus que l'ombre d'elle-même. De s'affadir, de disparaître, comme si elle s'évanouissait peu à peu dans le brouillard. Elle lutte, pourtant. Sans cesse, elle se questionne et essaye de comprendre ce qui lui arrive.

Ce n'est pas qu'Adrien, c'est sûr. Il y a autre chose.

Mais peu importe toutes ses introspections et autres pérégrinations mentales, rien n'y fait. Marinette se sent vide. Désespérément, horriblement vide. Elle n'est plus qu'une coquille sans âme, qui traîne sa triste existence en se demandant où est passée sa joie de vivre.

Puis, un jour, l'évidence la frappe avec tant de force qu'elle en a le souffle coupé.

Sa vie d'avant lui manque.

Tout simplement.

Marinette en a presque envie de pleurer tant tout lui parait clair maintenant.

Elle a tenté de se persuader qu'elle pouvait aller de l'avant, elle a farouchement essayé de se convaincre qu'abandonner son miraculous était ce qu'il y avait de mieux pour elle. Mais après des semaines passées dans le déni le plus total, force est de reconnaitre qu'elle était dans l'erreur.

Pendant plus de trois trépidantes années, elle a été Ladybug. L'héroïne de Paris. Celle qui veillait sur les citoyens de la capitale et affrontait les super-vilains. Et à présent qu'elle n'est plus que Marinette, son existence lui parait morne. Insipide.

Sa double-vie apportait à Marinette le sel qui manque aujourd'hui à son quotidien. Le cœur serré, elle se souvient de l'excitation qu'elle ressentait à chaque fois qu'elle revêtait son costume et du plaisir qu'elle ressentait à être sans cesses dans le feu de l'action. Etre Ladybug lui donnait la sensation d'être quelqu'un d'extraordinaire. D'être utile à quelque chose, d'avoir sa place dans l'univers.

De vivre.

Marinette est surprise par la violence de ses sentiments. Etourdie. Abasourdie.

Elle n'aurait jamais pensé qu'elle puisse regretter autant sa condition d'héroïne. Contrairement à Chat Noir, qui a embrassé sa vie de super-héros comme s'il avait attendu cet instant depuis le jour de sa naissance, Marinette a tout d'abord vu ce rôle comme une contrainte. Un devoir, qu'elle se devait d'accomplir parce qu'elle avait été désignée pour cela.

Il lui a fallu du temps pour apprivoiser son statut d'héroïne, pour trouver suffisamment de confiance en elle pour assumer pleinement ce rôle. Puis, au fil des jours, des semaines, elle a fini par se prendre au jeu et par ressentir une passion aussi fervente que celle de son coéquipier pour son rôle de protectrice de Paris.

Elle a aimé être Ladybug. Elle a adoré ça, même.

Mais malgré tout, elle avait toujours été persuadée que quand le jour viendrait de prendre une retraite bien méritée, elle saurait parfaitement tourner la page.

A présent, elle constate qu'elle s'est lourdement trompée. 




.



Le soir même, pour la première fois depuis la défaite du Papillon, Marinette va sur le Ladyblog. Elle ignore les articles sur ultime combat et les centaines et milliers de messages de visiteurs qui se demandent si quelqu'un à la moindre idée d'où ont disparu Chat Noir et Ladybug depuis la défaite de leur ennemi.

Au lieu de ça, elle va voir les photos et vidéos qu'Alya a passionnément engrangées sur Ladyblog au fil des ans.

Les larmes aux yeux, Marinette scrute pendant des heures ces témoignages des exploits de Ladybug et de Chat Noir. Elle sent sa poitrine se serrer davantage à chaque fois qu'elle aperçoit la lueur triomphante qui pétille dans le regard de celle qu'elle était auparavant, et chacun de ses sourires est comme un coup de poignard dans son cœur.

Elle voudrait revenir en arrière. Elle voudrait tellement, tellement revenir en arrière.

Elle était si heureuse avant.




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Les semaines défilent, et le malaise de Marinette ne fait que croître.

La jeune femme ne peut plus passer devant la tour Eiffel sans avoir un pincement au cœur en se souvenant d'à quel point la vue extraordinaire depuis le sommet, au-delà des endroits autorisés aux visiteurs.

Lorsqu'elle traverse le campus, elle se surprend à jeter des regards nostalgiques vers les toits de Paris, se rappelant du temps où il lui aurait fallu à peine une seconde pour s'envoler dans les airs. Elle se rappelle avec une précision déchirante de la sensation du vent sur son visage lorsqu'elle bondissait d'immeuble en immeuble et de ce sentiment irremplaçable de faire quelque chose pour sa ville qu'elle seule pouvait accomplir.

Dans ces instants, ses doigts la démangent et elle a presque la sensation de pouvoir sentir le poids de son yo-yo dans sa main. Elle était Ladybug, c'est gravé dans sa chair.

Mais désormais, elle n'a plus de pouvoir, plus de vitesse extraordinaire, plus de force.

Elle n'est plus qu'une simple humaine.

Son miraculous et ses amis lui ont été arrachés trop brutalement pour qu'elle ait le temps de faire ses adieux à sa vie d'héroïne. Elle reste prisonnière de son passé, l'esprit désespérément figé depuis ce jour d'été où le Papillon a été vaincu.

Etre Ladybug lui manque. Tikki lui manque.

Et Chat Noir...

Chat Noir est un sujet sensible.

A présent qu'elle s'autorise de nouveau à penser à son coéquipier, Marinette lui en veut d'être parti. De l'avoir abandonnée, sans même prendre la peine de lui dire adieu. Elle n'a jamais compris ce geste absurde de Chat Noir et le sentiment de trahison qu'elle ressent est d'autant plus vif qu'elle a toujours eu une foi absolue dans le lien qui les unissait. Pendant des jours, des semaines, elle oscille entre rage et chagrin, maudissant son partenaire tout en regrettant amèrement son absence.

Si Chat Noir avait été à ses côtés, Marinette est convaincue que jamais elle n'aurait aussi mal vécu le fait d'avoir perdu ses pouvoirs. C'est une certitude absolue. Chat Noir et elle auraient affronté cette épreuve ensemble et ils s'en seraient brillamment sortis, comme ils le font toujours.

Non.

Comme ils le faisaient.

Avant.

Et, avec le temps, la colère s'atténue, puis s'efface. Marinette redevient mélancolique. De jour en jour, elle se rappelle tous les instants que Chat Noir et elle ont passé ensemble. A comment elle pouvait mettre sa vie entre ses mains sans même se poser de questions, à combien il était plus proche d'elle que quiconque alors qu'elle ignore jusqu'à son véritable nom. Elle se souvient de leurs conversations, de leurs plaisanteries, de leur extraordinaire complicité. Parfois même, elle se surprend à faire des jeux de mots, souriant tristement à l'idée de la tête que son partenaire aurait pu faire en l'entendant.

D'ordinaire, le cœur de Marinette saigne au souvenir d'Adrien. A présent, elle ne peut plus voir un garçon blond sans penser aussi à Chat Noir.

Il lui manque. Il lui manque tellement qu'elle a l'impression que son cœur va exploser. Jamais elle n'aurait cru qu'il était possible de ressentir physiquement l'absence de quelqu'un. Elle cherche sa voix dans le bourdonnement de la foule parisienne, passe distraitement ses doigts sur le dos de sa main pour tenter de retrouver la sensation de ses lèvres lorsqu'il y déposait de légers baisemains.

Elle l'aime.

Il lui aura fallu tout ce temps pour comprendre qu'elle l'aime.

Elle aime ses éclats de rire, son air insolent, ses fausses bravades et la lueur malicieuse qui brille au fond de ses yeux quand une situation l'amuse. Elle aime la façon qu'il a toujours eu de respecter toutes les limites qu'elle lui a imposé - parfois en dépit de ce qu'il peut lui-même ressentir -, son courage et son abnégation. Même ses jeux de mots absurdes et ses manières théâtrales lui manquent aujourd'hui plus que tout.

Elle aime Chat Noir, et son absence la consume.



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Le mois suivant, Marinette craque.

Elle ne peut plus vivre ainsi, ce n'est pas possible. Pas avec cette sensation de vide qui la ronge petit à petit. Elle veut être Ladybug à nouveau. S'élancer sur les toits de Paris, retrouver Chat Noir.

Se sentir vivre.

Au lieu d'aller en cours, elle saute dans le premier bus qui peut l'emmener chez Maître Fu. Elle aurait dû faire ça il y déjà bien longtemps. Le Grand Gardien veille soigneusement sur son miraculous et Marinette compte sur son sens de la persuasion pour le convaincre de le lui rendre. Elle n'est plus l'adolescente effrayée qu'elle était lorsqu'elle a reçu ce précieux bijou magique, mais une jeune femme pleine de détermination. Avec elle, les boucles d'oreilles de la Coccinelle seront autant en sécurité qu'avec lui, elle en est certaine. Elle retrouvera Tikki.

Si la chance est avec elle, Maître Fu acceptera peut-être de lui confier aussi le secret de l'identité de Chat Noir.

Et alors, elle le retrouvera lui aussi.

A mesure que le véhicule s'approche de sa destination, le cœur de Marinette s'affole autant qu'un oiseau apeuré en cage. Bientôt, semble-t-il chanter, cristallisant tous les espoirs de la jeune fille. Bientôt, elle retrouvera ses pouvoirs, son kwami et son coéquipier. Il le faut.

Quelques minutes plus tard, la déception de Marinette n'en est que plus cruelle.

Maître Fu a disparu.

Parti, sans laisser d'adresse.

Marinette a envie de se laisser tomber au sol, de se mettre à hurler de désespoir. Mais ce n'est pas le moment. Animée par une passion qui confine au désespoir, la jeune femme se lance à la recherche du Grand Gardien. Durant des jours et des jours, elle enquête. Interroge le voisinage, frappe aux portes des administrations et services de déménagement. En désespoir de cause, elle enchaine les nuits blanches, passant des heures sur internet à la recherche de la plus petite bribe d'information.

Mais en vain.

Plus d'une fois, la jeune femme manque d'éclater en sanglots rageurs. De briser son clavier et de démolir l'écran de son ordinateur pour évacuer sa frustration. Au 21ème siècle, comment est-il possible de pouvoir disparaitre sans laisser de trace ?

Mais manifestement, Maître Fu connait la réponse.

Peu à peu, Marinette se fait une raison. Il est temps pour elle de lâcher prise.

Plus de Grand Gardien, plus de Chat Noir.

Plus d'espoir.




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Les journées, les semaines défilent.

Marinette se découvre de nouveaux talents de comédienne. Quand elle était Ladybug, elle avait l'habitude de mentir pour dissimuler ses absences. A présent, elle est passée maître dans l'art de faire croire à son entourage qu'elle va bien alors qu'en elle tout se brise. Au bout de quelques temps, elle n'a même plus besoin d'y réfléchir. Il faut juste rire, sourire, traverser cette vie sans saveur où une partie d'elle-même lui a été arrachée.

Elle a l'impression de ne plus être elle-même. Elle n'est plus elle-même.

Un jour, par hasard, elle découvre le saut à l'élastique. Un cadeau, offert par ses camarades de classe à l'occasion de son anniversaire.

Et c'est une révélation.

Elle retrouve ces sensations de vitesse et de chute qui lui sont familières et durant une brève et merveilleuse seconde, l'excitation du moment lui fait oublier le vide qui ronge son existence.

A partir de cet instant, plus rien n'est pareil. Marinette se lance dans une folle fuite en avant, courant après l'adrénaline comme une droguée en manque et se jetant à corps perdu dans tous les projets qui lui passent à portée de main.

Tout pour tenter de combler cet atroce néant qui menace de lui faire perdre la raison.

Sur un coup de tête, elle passe son permis et achète une moto pour le plaisir de sillonner les routes de France à pleine vitesse. Elle s'inscrit à un stage de parachutisme, fait de l'escalade, essaye toutes les tyroliennes qu'elle croise lors de ses voyages loin de Paris. Elle se découvre un besoin boulimique de sensations fortes, d'excitation mentale.

Une partie d'elle-même est morte dans les jours qui ont suivi la défaite du Papillon.

A présent, elle veut se sentir à nouveau vivante.




.


La fin de l'année scolaire arrive, et avec elle l'opportunité de poursuivre ses études à Londres.

Marinette n'hésite pas un seul instant. A Paris, elle étouffe. Meurt à petit feu. Les fantômes du passé la hantent, la noient dans des pensées lugubres. Elle n'en peut plus de penser à Chat Noir, elle n'a plus la force de songer à Ladybug.

L'Angleterre lui apparait comme bouffée d'air frais, une occasion inespérée d'aller panser ses plaies loin de cette ville où tout lui rappelle celle qu'elle était autrefois et qu'elle n'est plus aujourd'hui.

- « Donc tu pars ? Comme ça, sur un coup de tête ? », lui lance Alya, stupéfaite.

- « Ce n'est pas un coup de tête », réplique Marinette avec un rire qui sonne désespérément faux à ses oreilles. « Londres, tu te rends compte ? ça va être génial ! Je t'assure, Alya », affirme-t-elle devant le coup d'œil dubitatif que lui jette son amie. « J'en ai vraiment envie. »

J'en ai vraiment besoin.



.



Londres est éblouissante.

La capitale anglaise est reconnue dans le monde entier pour exercer une influence majeure dans le monde de la mode et Marinette est au-delà de l'enthousiasme. La ville regorge de musées, de créateurs de renoms et de boutiques remplies de merveilles inimaginables.

Comme dans une sorte de transe, Marinette abandonne l'adrénaline des sports extrêmes pour se plonger avec une passion frénétique dans l'univers du stylisme. Chaque jour, elle côtoie des personnes extraordinaires qui lui en apprennent un peu plus sur cet univers qui la fascine et qui l'encouragent à pousser ses limites plus loin encore.

Rapidement, les pages de ses carnets de croquis se noircissent de nouveaux projets et son petit studio londonien prend des allures de minuscule atelier de couture. L'imagination déjà fertile de la jeune femme s'emballe, s'exalte, au point de ne laisser que peu de répit à sa propriétaire.

Non pas que ça la dérange, au contraire.

Marinette ne le réalise même pas, mais elle est en train de se perdre dans la vie londonienne. De se perdre tout court.

Elle est toujours en train de courir, courir, courir encore, comme si elle allait mourir si elle s'arrêtait.

Elle ne pense plus, s'abrutit de travail pour s'empêcher de songer à Paris. C'en est presque devenu une obsession. Toujours, toujours, toujours être en mouvement, toujours garder son inspiration en éveil. Marinette vit à un rythme effréné. Elle sort, dessine, va en cours, coud, avale des litres et des litres de café, et recommence, encore et encore. Parfois, elle enfourche sa moto et avale des centaines de kilomètres pour aller voir la mer, griffonne furieusement sur son carnet, puis rentre chez elle et se replonge dans sa folle vie.

Jamais elle n'a été aussi créative et son cerveau est au bord de l'explosion.

Mais elle s'en moque.

La nuit, les insomnies sont devenues ses nouvelles compagnes. Elle ne supporte plus ces instants, où, seule dans son lit, elle attend que la fatigue daigne enfin l'emporter. Durant ces rares moments de calme et de silence, les souvenirs de sa vie d'avant reviennent implacablement la tourmenter.

Alors, elle brûle ses heures de sommeil. Occupe comme elle le peut son esprit perpétuellement en ébullition.

Il faut toujours qu'elle soit en mouvement.

Courir, toujours.

Les semaines, les mois passent, et Marinette court encore. Ses yeux sont à présent creusés de cernes que le maquillage peine à camoufler et ses jolies joues ont perdu de leur rondeur. La jeune femme sent qu'elle est à bout de souffle, mais peu importe. S'arrêter, ne serait-ce qu'une minute, une seconde, c'est réfléchir.

Repenser à Paris, à Chat Noir, à tout ce qu'elle a perdu.

Et c'est trop dur.

Alors, Marinette se noie dans sa vie londonienne, et elle court.

Encore, et encore.



.



L'été suivant, son retour à Paris lui fait l'effet d'un électrochoc.

Le « Marinette » affolé qui échappe à sa mère lorsqu'elle l'aperçoit résonne douloureusement à ses oreilles et l'expression inquiète de son père la choque autant que s'il l'avait giflée. Puis, lorsqu'elle passe devant le miroir de sa chambre d'enfance, la vision de sa silhouette achève de lui faire prendre conscience de ce qu'elle avait refusé de voir jusque-là.

Elle a maigri, c'est évident. Son regard est fiévreux, son teint bien trop pâle, et ses insomnies excessives donnent de légers tremblements à ses doigts.

Quelques heures et une longue conversation avec ses parents plus tard, le verdict est sans appel. Tom et Sabine ne reconnaissent pas leur fille. Pire encore, ils ont peur pour elle. Leur angoisse palpable serre le cœur de Marinette et lui fait réaliser, enfin, qu'elle a besoin d'aide.

Elle devait retourner en Angleterre. Elle n'y fera qu'un bref passage avec ses parents le temps de récupérer ses affaires, puis se réinstalle à Paris.




.



De ses errances londoniennes, Marinette garde en souvenir une sévère addiction à la caféine et un tatouage de chat noir au bas de son dos.

Le félin encré sur sa peau est une merveille de délicatesse, un hommage vibrant à celui qui hante son cœur et qui, selon elle, symbolise le mieux son ancienne vie d'héroïne. Elle n'a jamais regretté cette œuvre qu'elle s'est faite tatouer un soir sur un coup de tête, mais elle entretien avec elle une relation d'amour-haine.

Parfois, durant l'un de ces merveilleux moments où elle oublie qu'elle n'est plus que la moitié d'elle-même, elle l'aperçoit du coin de l'œil. Ses souvenirs la frappent alors avec autant de violence qu'un coup de poing dans l'estomac, la laissant le souffle court et abasourdie de chagrin.

A d'autres instants, au contraire, elle le cherche. Prise par un élan de nostalgie, elle s'assied devant un miroir, soulève son T-Shirt et trace amoureusement les contours de son tatouage du bout des doigts en se remémorant le passé.

Les semaines passent et le retour à la vie normale est rude.

A Paris, le temps s'écoule lentement. Désespérément lentement.

Marinette avait cru trouver en Londres une échappatoire et le retour à la réalité d'autant plus difficile. Entourée d'Alya et de ses parents qui la traitent comme si elle était une fragile chose en verre, elle reprend lentement pied. Elle se force à dormir, essaye de reprendre peu à peu le contrôle de ses pensées effrénées et de remplacer son addiction au café par de saines gorgées d'eau ou de jus de fruit. Petit à petit, elle regagne les kilos qu'elle avait perdu et retrouve un rythme de sommeil certes toujours un peu anarchique, mais néanmoins bien moins autodestructeur que celui qu'elle s'imposait en Angleterre.



.



Au bout de plusieurs mois, Marinette reprend ses études.

Elle vit toujours ses chez parents, qui ont fermement refusé qu'elle prenne son propre appartement. Ils craignent trop qu'elle ne replonge dans ses anciens travers et par sécurité, préfèrent qu'elle reste chez eux.

Marinette ne s'offusque pas de ce luxe de précautions, au contraire.

Elle a passé bien trop de temps à croire qu'elle pouvait gérer la situation seule et à échouer lamentablement pour ne pas reconnaitre qu'elle est tout à fait capable de rechuter pour l'instant. Plus tard, peut-être, elle partira. Mais pas maintenant. Sa pénible reconstruction est encore trop fraîche pour qu'elle ne prenne le risque de réduire ses efforts à néant.

La reprise des cours se passe bien mieux que Marinette ne l'avait espéré. En dépit des limites qu'elle s'impose désormais, sa passion et son imagination sont intactes et elle est une étudiante brillante. Ses parents la surveillent avec attention, veillant à ce que leur fille unique ne se noie pas dans le travail comme elle le faisait auparavant.

Alya est quant à elle toujours présente pour sa meilleure amie, ne refusant jamais de lui répondre au téléphone ou de l'emmener prendre l'air quand le besoin se fait sentir.

Marinette va mieux, mais il lui reste encore bien du chemin à parcourir.

Dès qu'elle est livrée à elle-même un peu trop longtemps, ses pensées vagabondent immanquablement vers Chat Noir.

Elle l'aime.

Elle l'a perdu, et même après tout ce temps, elle l'aime toujours.

Elle tente de ramasser les miettes de son cœur brisé et de le réparer, comme on l'aurait fait avec de l'adhésif, des pansements, de la ficelle. N'importe quoi pour donner l'illusion que les choses tiennent en place alors que tout menace de s'écrouler. Mais il suffit d'un rien, d'un garçon blond ou d'une photo de Chat Noir pour que de nouvelles fissures apparaissent. Alors, son cœur s'écroule de nouveau sur lui-même et elle doit tout recommencer, encore.

Un jour, dans un de ses moments où l'absence de Chat Noir lui pèse tellement qu'elle a l'impression de ne plus pouvoir respirer, Marinette avoue tout à Alya.

Elle parle de Ladybug, de Chat Noir, du vide qui ronge son existence depuis déjà bien trop longtemps.

Elle pleure comme elle n'a jamais pleuré, même après le départ d'Adrien ou celui de Tikki.

A son grand soulagement, bien que visiblement sous le choc, Alya se montre extraordinairement compréhensive. Elle ne semble pas ressentir la moindre colère, ou si c'est le cas, elle la dissimule parfaitement bien, dans un effort pour ne pas accabler un peu plus son amie. Mieux encore, Alya la réconforte, la soutient, l'aide à mettre des mots sur ces épreuves émotionnelles qu'elle subit depuis déjà bien trop longtemps.

Ce jour-là, Marinette reste dormir chez Alya.

Elles parlent durant des heures, encore et encore. Jamais elles n'ont autant discuté, même après tant d'années d'amitié. Elles débattent, analysent, formulent d'innombrables hypothèses, et chaque fois qu'Alya sent Marinette au bord des larmes, elle s'empresse de la serrer dans ses bras en lui promettant qu'elle sera toujours là pour elle.

Quelques jours plus tard, avec l'appui d'Alya, Marinette se connecte sur le Ladyblog avec un compte que lui a spécialement créé son amie. Elle y laisse un message désespéré pour Chat Noir, lançant un appel sur internet comme on jette une bouteille à la mer.

Elle a bien conscience que les probabilités que son partenaire lui réponde sont minces, surtout après tant d'années. Mais si elle a une chance, ne serait-ce qu'une infime petite chance de le retrouver, alors le jeu en vaut la chandelle.

En cinq minutes à peine, Marinette a des dizaines de réponses. Des journalistes, des fans, des curieux, des faux Chat Noir. Dans les jours qui suivent, tout Paris ne parle plus que du Ladyblog et du message qu'elle y a posté. Après des années de silence, Ladybug a donné un signe de vie et la capitale est en ébullition.

Mais devant son écran, Marinette à le cœur à tout sauf à la fête.

Les réponses inutiles et les tentatives d'imposture se succèdent, et elle perd peu à peu tout espoir de retrouver Chat Noir un jour.

- « C'est inutile, Alya », soupire-t-elle, les larmes aux yeux, alors que son amie passe son bras par-dessus son épaule pour la réconforter. « Il ne répondra pas. »


.


Les saisons se succèdent et les réponses au message désespéré de Marinette s'espacent, puis finissent par s'interrompre totalement. Avec l'aide d'Alya, la jeune femme tente de tourner la page et de soigner cette énième peine de cœur.

Les deux amies sortent, retrouvent parfois certains de leurs anciens camarades de classe. Le plus souvent, leur petit groupe se compose d'elles-mêmes, de Nino, et, plus curieusement, de Chloé.

Poussée par une sincère inquiétude au sujet d'Adrien, la fille du maire s'est rapprochée de Nino durant les mois qui ont suivi le départ de leur ami commun. Les deux jeunes gens n'ont cessé d'échanger les maigres informations qu'ils réussissaient à grapiller au sujet d'Adrien et petit à petit, leur relation a évolué en une franche et surprenante amitié.

Au début, Marinette a eu du mal à se faire à la présence incongrue de son ancienne rivale dans son groupe d'amis.

Puis, peu à peu, elle apprend à découvrir des facettes de Chloé qu'elle ignorait jusque-là. Elle réalise doucement que sous ses dehors superficiels, la jeune femme est farouchement attachée au peu de personnes qui font l'effort de la supporter. Visiblement, Chloé tient à Adrien et sa réelle inquiétude touche Marinette.

Manifestement consciente du fait que ses nouveaux amis se préoccupent eux aussi du sort du jeune homme, la fille du maire n'hésite pas à partager avec le petit groupe les maigres informations qu'elle réussit à obtenir sur Adrien. Elle fait des efforts pour tempérer ses paroles acerbes tandis que de son côté, Marinette essaye d'oublier l'animosité légendaire que lui inspire sa rivale. Nino et Alya veillent à désamorcer le moindre conflit potentiel et, lentement, le quatuor nouvellement constitué trouve ses marques.

Avec le temps, Marinette, Nino, Alya et Chloé finissent par former un groupe d'amis solide. Il se passe rarement plus d'une quinzaine de jours sans qu'ils ne se retrouvent pour sortir ensemble, et les appartements respectifs d'Alya et de Chloé deviennent rapidement leurs points de chutes favoris lorsqu'ils veulent passer une soirée tranquille.

Marinette continue de panser lentement ses blessures, d'essayer d'oublier Chat Noir, Ladybug et toute son ancienne vie.

Puis, un jour, son tranquille quotidien est interrompu par un coup de fil hystérique d'Alya.

- « Marinette, je viens d'apprendre une nouvelle extraordinaire ! », s'exclame-t-elle d'une voix surexcitée. « Adrien est de retour à Paris ! » 

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