Chapitre 4 : Henderson
— Où on va ? Me demande Louis alors que je ferme tout juste la porte à clé.
— Te faire visiter un peu. On ne sera pas ensemble 24 heures sur 24, parfois il t'arrivera de vouloir te promener seul ou rentrer du lycée seul ou autre, alors il faudrait que tu connaisses le chemin, j'explique.
— Oh, je vois. J'hoche la tête, Louis penche la sienne sur le côté. Tu me fais le gentil guide ou simplement le garçon qui évite les conversations ?
Je roule des yeux.
— Suis-moi.
Louis marche à mes côtés, étonnement en silence, et je trouve ça bien. Je suppose qu'il découvre Henderson et qu'il se concentre sur tout ce qu'il voit, pas comme ce matin sur la route du supermarché. Louis a l'air de rassembler tous ses sens pour apprécier ma ville, celle qui va devenir la sienne durant neuf mois, et c'est quelque chose qui me touche. Même si elle ne lui plaît pas, il essaie d'abord de découvrir, d'apprendre, d'apprivoiser.
Personnellement, je suis dingue d'Henderson City. Déjà, je m'estime heureux d'y vivre puisque j'ai conscience qu'il faut être un minimum aisé, et car j'ai Las Vegas à quelques kilomètres, mais j'aime sincèrement cette ville. Je m'y sens en sécurité, je m'y sens chez moi : c'est la ville avec le plus bas taux de criminalité du pays, et elle ne porte pas son surnom A place to call home pour rien.
Mais il y a également tout le reste. Les touristes en masse, les fans des célébrités qui habitent ici, toute cette foule éphémère. J'aime ça.
Pourtant, en réalité, il n'y a pas grand chose. Henderson est une ville sympathique, aisée, attractive, mais elle est également aride ; et même si c'est sympa d'avoir le désert à côté, c'est parfois encombrant. Nous n'avons pas beaucoup de parc avec de la verdure. Pour ma part, j'adore aller me promener des heures et m'allonger au milieu de rien, le soleil seul tapant sur ma peau, les yeux clos, le dos contre le sol sec et chaud. J'aime m'isoler à un point presque préoccupant.
— Eh, Harry ?
La voix de Louis me sort de mes pensées. Je me tourne vers lui, non sans continuer à marcher.
— Oui ?
— Tu as déjà fait un échange comme ça ? J'acquiesce.
— Deux fois.
— Ça s'est bien passé ?
La première fois, c'était avec un garçon tellement coincé et timide que j'ai dû entendre sa voix seulement dix fois en neuf mois. Il venait d'Italie mais parlait bien anglais, avec un accent certes mais je pouvais le comprendre facilement ; seulement il ne parlait pas. J'ai eu beaucoup de mal à l'intégrer au lycée et l'échange n'a pas été convaincant. Cependant il n'y a pas eu de drame ni rien, alors ce n'est pas vraiment un désastre.
Et l'année dernière, c'était une fille française. Diana. Elle était très gentille et tellement drôle. Cet échange là était merveilleux, nous sommes devenus très proche. Elle m'a beaucoup soutenu dans la pire période de ma vie ; puis dans mon histoire avec Eliott. J'ai été très triste lorsqu'elle est partie, et j'avais peur de recommencer un échange puisque la déception de tomber sur quelqu'un de moins bien que Diana était prévisible.
Pour le moment, je ne suis pas réellement déçu. Louis peut être lourd au sujet des filles, mais il est également amusant et de bonne compagnie. J'espère que l'irlandais sera tout aussi sympathique, je pourrais alors compter ce double échange comme un succès.
D'ailleurs, je n'ai jamais compris pourquoi cela s'appelait échange scolaire. Mes parents accueillent juste des étrangers chez eux pendant neuf mois, chaque année. Et moi, je ne bouge pas ; c'est comme ça, je suis juste un foyer qui doit cependant aider les nouveaux venus. Je n'ai pas vraiment le choix, ma mère et Robin ne me demandent pas mon avis, mais ça ne me déplaît pas non plus alors tant mieux.
— Oui, je réponds finalement en lui résumant brièvement. Il y a eu des hauts et des bas mais le résultat était positif. Et toi ?
— Non. C'est mon premier échange. J'avais un peu peur, je t'avoue. J'hausse un sourcil, amusé.
— Ah oui ?
— Bah, ouais. Il rit doucement. Tu sais, tomber sur des psychopathes qui cachent bien leur jeu et tout. J'imagine même pas. Mourir découpé en morceaux dans le pays du café. Oh mon dieu. Sacrilège.
— Je suis peut-être un psychopathe qui cache encore son jeu.
Louis fait semblant d'être choqué et effrayé et ça me fait intérieurement rire.
Nous continuons à déambuler dans la ville, parlant parfois de certaines choses anodines. Louis semble apprécier Henderson mais il me parle beaucoup de sa ville à lui, Doncaster, et je le comprends sur un point : l'amour que l'on porte à sa ville natale.
Il regarde avec attention les dessins sur les murs - j'aime beaucoup ce côté artistique d'Henderson City -, s'intéresse aux vitrines, aux divers magasins, et me demande même de s'arrêter dans quelques uns. J'accepte avec plaisir, et là encore, il observe avec attention. Il touche tout avec ses yeux, et imprime l'image de l'endroit. Je crois que j'aime le voir faire ça.
Aujourd'hui j'ai simplement décidé de lui faire faire le tour de la grande avenue pour qu'il voit un peu à quoi ressemble la ville en pleine journée, au milieu du centre-ville. Il y beaucoup de gens, forcément, le mois d'août n'aidant pas, mais Louis ne s'en plaint pas et continue à détailler en silence ce qu'il voit.
Jusqu'à ce qu'il active le mode qui me déplait déjà le plus chez lui en voyant passer deux jolies filles.
— H regarde les filles là-bas ! Il dit en se retournant pour les regarder. Je n'arrête pas de marcher. Tu prends la blonde moi la brune ?
— Non, je grogne.
— Ah oui, c'est vrai, t'as une copine. Pardon.
Il me rattrape rapidement.
— On peut dire ça.
— On peut dire ça ?
— Oui, on peut dire ça, je répète.
— Oh, je vois. Vous couchez ensemble sans que ce soit sérieux. Je connais.
Je laisse Louis croire cela, en quelque sorte c'est mieux ainsi.
Il est peut-être le genre à séduire des personnes pour tirer un coup et ne plus jamais les revoir, mais je ne suis pas pareil. Je ne vais pas m'empêcher de l'apprécier pour cet aspect, non, mes amis ne sont pas tous totalement comme moi non plus ; mais je ne cautionne pas. Je pense que l'on peut s'amuser sans aller voir à droite à gauche sans arrêt, sans consommer de l'alcool à chaque fête jusqu'à tomber par terre, ou encore prendre de la drogue parce que les copains font pareil.
Je suppose que, heureusement, il y a des gens comme moi qui pensent que profiter de l'adolescence ne veut pas dire transgresser toutes les règles et se mettre en danger. Je me demande ce que serait le monde sinon.
Ou peut-être suis-je juste introverti. Il doit y avoir un fin mélange entre les deux.
Nous finissons par faire un tour au magasin Adidas sous la demande de Louis. Il semble émerveillé devant presque tous les articles, désirant silencieusement tous les posséder. En effet, j'ai remarqué qu'il aime s'habiller avec cette marque. Il porte des jeans mais ses hauts sont principalement Adidas et les quelques joggings que j'ai pu apercevoir dans son placard également. Je suppose qu'il se sent bien dans ces vêtements, ou qu'il est simplement un fan inexpliqué.
— Oh mon dieu Harry, regarde ça.
Il me montre un gilet rouge foncé, les trois fidèles rayures glissant sur les manches. Je ne suis pas fan de ce style vestimentaire, mais pour être honnête, Louis le porte bien. Et je l'imagine bien avec ce gilet.
— Il est sympa, je dis avant de toucher le tissu. Et la texture est cool. Il est à combien ?
— Oh, j'en sais rien. Je regarde même pas le prix, je vais pleurer toute la nuit sinon. Il pouffe de rire. Non, sérieux, Adidas c'est la base, mais ça fait mal niveau porte-monnaie. Tant pis. On n'a pas toujours ce qu'on veut.
Délicatement, Louis plie à nouveau le vêtement avant de le remettre sur sa pile, puis il me sourit avant de me dire qu'on peut y aller. J'acquiesce et nous sortons du magasin.
Sur le chemin du retour, nous discutons encore un peu. Louis me dit qu'il est pressé de découvrir le lycée mais qu'il n'a en même temps pas envie de retourner en cours. Je lui explique rapidement comment Green Valley High School fonctionne, avec tous les clubs, options, et il m'écoute attentivement. J'espère qu'il s'y plaira. En tout cas, mon rôle est de l'intégrer au maximum.
Puis nous arrivons devant chez moi. La balade et la chaleur m'ont épuisé. J'ouvre la porte et je remarque ma mère dans la cuisine. Je devine alors qu'il est au moins 17 heures comme elle est rentrée du travail, et je me dis que je n'ai vraiment pas vu le temps passer. Lorsqu'elle se retourne, elle nous fonce presque dessus, affolée.
— Oh mon dieu les garçons vous êtes là ! Elle souffle de soulagement.
— Euh... Oui ? je dis.
— Harry, tu étais sur messagerie, je me suis inquiétée !
— Ça va maman, j'hausse les épaules, il doit être quoi, 17h30 ? Désolé. Je faisais le tour de la grande avenue avec Louis.
— 17h30 ? Elle s'exclame. Harry, il est près de 19 heures !
Je grossis les yeux et Louis a la même réaction. En effet, nous n'avons vraiment pas vu le temps passer... J'ai conscience qu'en été la notion du temps est floue mais tout de même.
— Wow, je... désolé maman. Je pensais vraiment pas qu'on s'était absenté aussi longtemps, j'explique, confus.
— C'est pas grave, mais prends ton téléphone à l'avenir.
— Oui, d'accord.
Si Eliott ne décide pas de m'insulter...
— C'est bon, tranche t-elle. D'ailleurs, Louis il faudrait que tu me passes ton numéro, pour justement quand Harry est injoignable, elle dit en retournant dans la cuisine.
— Pas de soucis madame.
— Oh, non, pas de ça mon grand. C'est Anne. Et tu me tutoies.
Il hoche doucement la tête, souriant, et s'installe sur un tabouret du bar. Je lui propose à boire et vais donc chercher deux verres et de la limonade fraîche. Alors que je m'apprête à servir, ma mère prend la parole.
— Alors Louis qu'as-tu pensé de la grande avenue ?
— Oh, c'était super, il dit. Merci, il ajoute en me regardant lorsque je lui tends son verre. Il y a plein de gens mais aussi plein de magasins et j'adore. Je suis même presque sûr d'avoir vu Céline Dion, il termine en plissant les yeux.
— Probable, répond ma mère en riant, elle habite deux rues plus loin.
— Sérieux ?!
— Quoi, je dis taquin, t'es fan de Céline Dion ?
Louis me tire la langue et ma mère rit. Je l'imagine contente que nous nous entendions bien, car je suis presque sûr qu'elle avait l'appréhension que ça ne passe pas.
— Robin est là ? Je demande.
— Oui, dans son bureau. D'ailleurs lorsque tu monteras dans ta chambre passe lui dire que vous êtes rentrés, ça le rassurera.
J'acquiesce et attends patiemment que Louis finisse son verre. Une fois chose faite, je me lève du tabouret.
— Bon, je dis, on a le temps de prendre une douche avant de manger ou pas ?
— Eh bien, elle regarde dans le four, oui. Ça devrait aller, mais prenez-la en même temps et dépêchez-vous.
Je vois Louis blanchir à la notion de se laver en même temps et je ris intérieurement. Puis il semble se rappeler qu'il y a deux salles de bain.
— Super, je réponds. Tu viens Louis ?
Il me suit à l'étage et fait ce qu'il a à faire. Je passe dans le bureau de Robin lui signaler notre arrivée et il me répond à peine, probablement trop absorbé par son inspiration, l'écriture. C'est quelque chose qui me dépasse. J'aime bien écrire de temps à autre mes idées, blanches et noires, parfois grises, mais je serais incapable d'écrire tout un roman. Robin en a déjà écrit cinq. C'est dingue.
Je vois Louis partir dans la salle de bain commune alors je me dépêche de prendre des affaires propres et d'aller me doucher dans la mienne. J'oublie le rituel de front contre mur carrelé cette fois et me lave à la quatrième vitesse, savourant bien la sensation des cheveux mouillés dans la nuque. En fait, je déteste ça, je suis chatouilleux. Mais je refuse de me couper les cheveux.
Lorsque je sors, je vois Louis assis sur le lit, lisant attentivement Moby Dick. Il sent la vanille jusqu'ici.
En me remarquant, il ferme son roman non sans corner la page légèrement jaune, et se lève, souriant. Il n'arrête véritablement jamais j'ai l'impression ; je suis presque sûr qu'il lui arrive de sourire dans son sommeil.
— T'as faim ? Je dis en me faisant un chignon brouillon.
— Pas tellement, il répond. Mais pour la cuisine de ta mère, je suis prêt à me faire greffer quelques estomacs.
Je pouffe de rire et une fois que je juge que mon chignon tiendra en place au moins vingt minutes, nous descendons et nous installons à table, aux mêmes places que d'habitude.
Puis le dîner se passe dans la bonne humeur, et je me sens presque bien dans ce nouveau cadre familial, oubliant presque que j'ai désormais sept messages non lus d'Eliott.
Fuir n'est pas une solution en soit. Mais c'est un moyen de gagner du temps.
#
QUESTION N*4 : Vous préféreriez vivre dans une ville aride (proche du désert), ou dans une ville pleine de verdure ?
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