Je regardais ma vie s'écouler dans un flot d'hémoglobine. Ou plutôt, je l'imaginais, hein, parce que c'est compliqué d'apercevoir une blessure à la base du crâne sans miroir. Déjà qu'avec un miroir faut bien se contorsionner... Certes, y'en avait bien un, de miroir, mais franchement, à deux pas de la mort, va te relever pour regarder du sang couler le long de ta nuque. Putain, c'est glauque ! Enfin, dans les faits, j'aurai pu me relever durant les cinq premières minutes de ma loooongue agonie, sérieux ça fait trois plombes que j'suis en pls sur le carrelage. Hélas, une tringle de rideau de douche -en or massif rien que ça- me bloquait légèrement !

Oh et au passage, j'vais peut-être arrêter de parler au passé d'un truc qui se passe maintenant ! Mais en même temps, c'est chiant de raconter au présent. Puis merde quoi ! Je suis aux portes de la mort, je suis passablement éméché et je me raconte ma mort prochaine à moi-même... Seul, dans mes pensées... J'aurais préféré mourir accompagné. Ça aurait été cool qu'il y ai quelqu'un pour taper la discute. Remarque, le seul truc qui arrive encore à sortir de ma bouche c'est un gargouillis ...

Bref, avec les forces qu'il me restait, je foudroyais du regard la cause de ma mort. Nan, j'suis pas docteur mais j'suis a peut près sûr que la flaque rouge dans laquelle baigne mon corps est trop grande pour que je survive ! Pantelant sur le carrelage froid, j'avais une place de choix pour l'admirer. Ce foutu bloc de savon de Marseille ! Je t'en foutrais du 72% d'huile d'olive ! Désolé, l'idée de la fin imminente de ma vie me rend vulgaire. Mais comprenez moi ! Et puis zut quoi ! Quand un gros bloc de savon tout carré et jaune pétillant te tue, tu t'en fous d'la politesse ! Tu vas pas dire "Oui, bonjour très chère savonnette, auriez-vous l'obligeance de ne pas mettre fin à mes jours ? Je vous en serais gré. Bonne soirée.  ". Bah non ! Tu penches plutôt pour un plus classique "Ah putain de merde ! Enculé de savon !"

Ah ! Si ça avait été chez moi, déjà j'aurais pas de tringle de douche en or. Le plastique c'est très bien ! Une tringle en plastique ne tue pas des gens ! Oui monsieur, du plastique, ça se contente de tuer de la poiscaille et de créer un nouveau continent ! Rien de bien alarmant... Alors que de l'or ! Et bah tu restes coincé dessous parce que c'est LOURD ! Oui, de l'or c'est lourd ! Et moi je dis stop à l'obésité des tringles de douche !

Pis, moi je laisserai pas un savon de Marseille par terre, moi je range mieux mon savon ! On a pas idée de le laisser traîner ! Et oui, je ne suis pas chez moi. Et oui, je sais que je devrais dire "non, je ne suis pas chez moi" car c'est une phrase négative mais j'ai la flemme de suivre des règles de français !

J'ai la tête qui tourne... 

Donc, comment pourrais-je avoir des goûts aussi douteux ? Une salle de bain en or, sérieusement ? J'ai presque envie de dire "seriously ?"... C'est pas mon truc. DU TOUT.

Nan, moi j'étais là pour piquer, subtiliser, dérober, "emprunter"... Bref, pour voler quoi. Je suis rentré par la fenêtre de la salle de bain et j'ai glissé sur ce XXXX de savon de Marseille. Dommage car de un, je vais mourir. Surprise ! Sans blague, j'arrête pas de le répéter.

J'commence à voir flou... J'ai mal, fais chié !

Et de deux, rien qu'avec la cuvette des W.C. j'étais riche. Ah... Tellement d'or... Ça m'écœure  ! Qu'un type soit tellement rempli de frics alors que d'autre crèvent de faim. C'est dégueulasse...  J'peux parler moi, j'suis venu ici uniquement pour mon profit personnel. J'en ai jamais eu rien a foutre des plus démunis. Faut que ce soit juste avant de m'éteindre que j'me rend compte que j'ai envie de changer. C'est ridicule !

Alors pourquoi je voulais voler un type avec une fucking cuvette de W.C. en or ? Si vous posez la question, z'êtes vraiment pas très futés. C'est évident. Lui : riche. Moi : pauvre. Vous suivez toujours ? Bien ! Moi : a bu cinq bières de trop. Soudain dans un éclair d'imbécillité géniale, je décide de voler celui qui m'avait virer, causant ainsi mon alcoolisme notoire. Brillant. Très brillant. Tellement que je me suis brûlé les ailes. On connaît tous le résultat. Pourtant j'ai évité les gardes et le mec qui surveillait les caméras devait ronfler. Je suis passé par la fenêtre ouverte de la salle de bain...

Et maintenant, j'agonise devant un bloc nettoyant composé de 72% d'huile d'olive, du pur made in France, d'excellente qualité sans aucun doute et terriblement glissant pour couronner le     tout ! En plus, je vois clairement qu'il me nargue ! Il bouge pas, s'exposant ostensiblement sachant très bien que je peux rien faire. Il doit s'en laver les mains de son crime, il finira pas en taule. Lui et la tringle forme un trio d'enfer ! A moins que ce soit duo ? Tout se mélange dans ma tête... Je sens plus mon corps. Tant mieux. Je souffre moins.

Je dois péter une durite parce que ça fait un sacré bout de temps que je parle seul dans mon ptit crâne explosé. Faites pas comme moi, ne mourrez pas d'une hémorragie, c'est long. J'ai plus la force de monologuer... Est-ce que des gens se servirons de ce savon même si il a causer la mort de quelqu'un ? Bon, à bientôt en enfer ! Je croise tout de même les doigts pour qu'un dieu m'conduise au paradis un jour...

Quand il aura fini de se marrer.

J'ai froid.