2 • Cinq fois où Dazai a su blesser Chuuya et deux fois où il n'a pas pu
PANIC.
Cela a été le mot d'ordre d'écriture de ce texte ; parce qu'après tout la panique est l'essence de la FSA mais de la création aussi en général, comme l'on dit de nombreuses personnes très savantes...
(oui je raconte n'importe quoi pour détourner votre attention du fait que je ne sais pas quoi dire)
information utile : le titre initial étant trop long au goût de wattpad, je l'ai remis dans sa longueur complète juste-en dessous.
(vous aurez bien évidemment deviné avec cette anecdote que c'est Tsuuki- à l'appareil aujourd'hui ;))
autre information utile : j'ai déjà clamé mon amour pour la FSA dans un long pavé sur le texte de l'année précédente, donc je vais essayer de la faire courte car peu de choses ont changé en fin de compte. juste, merci d'être toujours là pour me supporter, merci d'avoir égayé ma morne année confinée et juste, merci d'être vous-mêmes ?? <3 vous êtes toutes des personnes merveilleuses, and ily.
bonne lecture ! :)
tw : dazai a des attitudes très toxiques dans les premières parties du texte.
disclaimer : ce texte aurait probablement été censuré si ma chère sœur à la propagande l'avait lu. elle ne l'a pas fait et je veux qu'elle sache quand ce sera le cas que je l'aime fort et que j'espère qu'elle me pardonne mon angst <3
(le texte finit bien quand même hein)
CINQ FOIS OU DAZAI A SU TROUVER LES MOTS POUR BLESSER CHUUYA
et deux fois où il n'a pas pu.
01.
« Je me demande comment Mori peut t'accorder sa confiance, alors que tu avais juré une semaine plus tôt de tuer tous les membres de la mafia portuaire. »
Les yeux affûtés de Dazai ne manquèrent pas une seule miette de la réaction de Chuuya.
Les poings du jeune homme, recouverts des gants noirs qu'il avait adoptés en même temps que la tenue beaucoup plus officielle qui seyait aux membres de la célèbre mafia portuaire, se serrèrent si fortement que, pour un peu, son interlocuteur aurait cru qu'ils pouvaient se briser tant l'autre semblait frêle. Sa posture se raidit également, lui qui se tenait en général légèrement courbé vers l'avant, et toisa Osamu avec un mépris si puissant qu'il aurait presque pu rivaliser avec Mori quand il se trouvait face à un homme un peu trop insolent.
Presque, évidemment, car les émotions de Mori étaient toutes largement feintes, et il n'utilisait ce mépris sévère que pour remettre les autres à leur place. Celui de Chuuya était au contraire sincèrement fort, et le jeune mafieux au cheveux bruns se sentit presque comblé d'être la cible d'un sentiment d'une telle puissance.
Peut-être était-ce pour cela qu'il en rajouta une couche juste après :
« Remarque, il pense peut-être que c'est plus simple de t'amadouer pour te tuer ensuite sans que tu résistes. »
Cette fois-ci, l'expression de Chuuya vacilla ; ses yeux perdirent légèrement de leur mépris pour laisser passer un autre type de sentiment, une crainte ravivée par les propos de son interlocuteur. Le sourire de ce dernier s'élargit ― il avait vraisemblablement touché une corde sensible, comme il savait de toute manière si bien le faire quand il s'agissait de faire craquer les hommes et les femmes que ses subordonnés lui amenaient pour trahison ou menaces envers la mafia portuaire.
Cela ne le surprenait pas réellement d'ailleurs, il avait très bien deviné qu'il saurait blesser Chuuya avec de tels propos, et c'était bien son objectif. Il aimait voir toutes les émotions fortes qui pouvaient traverser Chuuya. Le jeune homme aux cheveux roux était indéniablement vivant quand il se laissait aller au gré de tous les sentiments qu'il pouvait ressentir ― et Dazai trouvait cette vision aussi fascinante qu'intrigante. Alors, il utiliserait tous les moyens nécessaires pour faire ressortir tout ce que son nouveau collègue gardait en lui ― peu importait la morale. Pour lui qui désirait ardemment comprendre les Hommes et les raisons pour lesquelles ils ne restreignaient pas leurs émotions, Chuuya était son meilleur moyen d'y parvenir.
« Ferme-la. » souffla finalement le jeune homme aux cheveux flamboyants. Ses poings étaient toujours crispés, et ses yeux jetaient des éclairs comme précédemment ― mais Dazai pouvait dire qu'ils avaient perdu de leur intensité après sa remarque.
« Tu penses que je ne dis cela que pour te provoquer ? Je connais Mori mieux que toi, tu sais. » Le brun esquissa un sourire qu'il savait ressembler à celui de son mentor. « C'est exactement quelque chose qu'il pourrait faire.
― Je lui ai promis ma loyauté, riposta le rouquin, alors je me fous de ce que tu penses. Il sait que je lui serais loyal désormais.
― Je suis incroyablement peiné de voir que tu acceptes d'être son chien et non le mien. » Il pouvait presque voir une veine palpiter dans le cou de son interlocuteur. « Enfin, je suppose que tous les simples d'esprit ont une loyauté hasardeuse... J'espère que tu ne changeras pas d'avis encore une fois, devant un de nos ennemis.
― Ça me ferait pourtant plaisir de te trouer la peau. »
Chuuya, resté jusqu'à présent loin de lui comme si leur simple proximité lui donnait envie de vomir, se rapprocha légèrement pour planter son regard azur dans celui du jeune mafieux aux cheveux bruns. Celui-ci y lut avec une légère satisfaction de très nombreuses émotions : mépris, agacement, colère, mais aussi doute et inquiétude. Dazai était presque captivé d'en voir autant se mélanger dans un seul regard ― on disait que les yeux étaient la fenêtre de l'âme, et cela semblait on ne peut plus vrai pour Chuuya. Le jeune homme était un livre ouvert pour lui, et Dazai trouvait cela encore plus satisfaisant qu'avec n'importe qui d'autre.
« Je t'en prie, essaye. » susurra-t-il avec amusement ― la pensée le traversa que Mori déteignait un peu trop sur lui, car cette attitude était typiquement la sienne, mais il la chassa. Il ne comptait pas non plus devenir une copie conforme de son mentor, mais simplement récupérer les clés pour se faire craindre et respecter.
« Putain, un jour je ferais disparaître ce sourire suffisant de ton visage. C'est une promesse. » jura Chuuya pour toute réponse.
Son souffle chaud pouvait presque atteindre le visage de Dazai, il ne lui aurait manqué que quelques mètres supplémentaires, mais il se détourna ensuite pour repartir de son côté. Sa démarche trahissait son agacement, mais le jeune mafieux nota qu'il n'avait même pas essayé de lever la main sur lui, contrairement à d'autres de leurs confrontations où il essayait systématiquement de lui en flanquer une.
Suivait-il finalement les conseils de celle qui l'avait pris sous son aile, ou était-il simplement intérieur trop bouleversé par les mots de Dazai pour penser à lui botter le cul comme il aimait si souvent le répéter ?
Il supposait qu'il allait lui falloir une autre confrontation pour trancher.
02.
« Tu sais pourquoi je passe plus de temps avec eux qu'avec toi ? Tout simplement parce qu'ils sont infiniment plus intéressants. »
Quand il s'agissait de trouver les bons mots, Dazai n'avait jamais cessé d'exceller. Un an avait passé depuis l'arrivée de Chuuya dans la mafia, depuis qu'il profitait chaque jour de la présence du rouquin à ses côtés pour essayer d'observer toute la puissance de ses émotions. Peu de choses avaient changé : il était toujours capable de faire s'énerver le rouquin au quart de tour, celui-ci continuait d'essayer de le frapper sans y parvenir, et Mori semblait osciller entre la satisfaction de posséder le jeune homme aux cheveux flamboyants parmi ses effectifs en raison de sa puissance, et le regret de l'avoir mis en duo avec Dazai, car chacune de leurs disputes faisait perdre à son masque impénétrable de parrain un trait savamment placé.
Il fallait admettre que sa décision était complètement tordue, même aux yeux de son plus ancien subordonné. Mori savait mieux que quiconque qu'ils ne se supportaient pas ― Chuuya prenait un malin plaisir à se plaindre de lui à absolument tout le monde (et même le calme Hirotsu avait imploré Mori de ne pas les envoyer en mission tous les jours au risque qu'il fasse un sérieuse dépression) et Dazai avait rendu claire auprès de son mentor sa façon de penser : il ne tolérait le rouquin que parce que le voir s'énerver comme l'idiot simplet qu'il était continuait de l'intéresser.
La remarque qu'il venait de glisser était d'ailleurs, en cela, un mensonge. Il trouvait Chuuya intéressant, quand bien même il ne l'aurait jamais admis à voix haute devant quelqu'un d'autre que Mori ― et c'était juste parce qu'il n'avait pas envie de faire l'effort de duper le trentenaire. Il n'avait pas changé d'avis depuis leur rencontre : il aimait faire en sorte que l'autre passe par une multitude d'émotions, pour les observer ensuite. C'était la seule raison pour laquelle il supportait encore le jeune homme aux cheveux flamboyants en dehors de leurs heures de travail.
Il faisait aussi l'effort considérable de ne plus être systématique aussi blessant qu'il ne pouvait l'être, et de garder ses remarques les plus assassines en réserve pour les « bons » moments. Cela faisait moins d'effet quand elles s'enchainaient, et Chuuya ne prenait même plus la peine d'y réagir ― Kôyô devait continuer de lui répéter qu'il valait mieux qu'il l'ignore. Il savait que la capitaine aux cheveux roses n'appréciait pas beaucoup son attitude, elle n'essayait pas vraiment de le cacher d'ailleurs, et qu'elle conseillait fréquemment à Chuuya de l'éviter le plus possible. Pour une raison qui lui échappait encore, son protégé ne le faisait pas.
« Eux deux ? Un informateur passe encore, mais un homme à tout faire ? »
Plus d'une année passée dans la mafia avait inculqué à Chuuya un certain mépris qui les caractérisait bien, et que Dazai trouvait toujours quelque peu agaçant dans sa bouche ― quand il agissait ainsi, il ressemblait à tous les autres idiots qui se croyaient supérieurs simplement parce qu'ils pouvaient arborer fièrement l'insigne de la mafia portuaire qui terrorisait le reste de la ville. Il ne cachait notamment pas son mépris et sa condescendance ― bien qu'honnêtement plus feinte qu'autre chose, ce qui n'échappait pas non plus aux yeux de lynx du jeune homme aux cheveux bruns ― vis-à-vis d'Odasaku, un homme peu gradé de la mafia avec qui il s'entendait bien. Il l'avait récemment alpagué pour lui demander pourquoi Dazai passait autant de temps en sa présence, et le brun n'avait pas pu résister à cette perche tendue.
Il n'aimait pas beaucoup toutes ces remarques futiles sur son ami.
« Oui, parfaitement. Odasaku a l'honneur et le mérite d'avoir une personnalité forte, qui détonne ici. Pas comme la tienne. Tu t'es fondu dans la masse à un point où cela en devient pitoyable. »
Il exagérait un peu, parce qu'il était le mieux placé pour constater que Chuuya avait en réalité une personnalité qui continuait de détonner en leur sein, sur certains aspects du moins. S'il faisait désormais preuve d'une violence incomparable quant on s'en prenait à ses subordonnés ou même à d'autres mafieux, il conservait aussi un certain attachement aux enfants issus de quartiers défavorisés comme lui ― Dazai l'avait déjà surpris, une fois, négociant avec Mori pour obtenir la libération d'un groupe d'enfants qui s'était aventuré dans les quartiers généraux pour jouer.
« Pense ce que tu veux, rétorqua Chuuya en serrant les poings. Et, si tu les apprécies tant que cela, n'hésite pas à aller voir Mori pour lui demander un changement de partenaire. Ça me fera des vacances ! » Dazai laissa échapper un léger rire quelque peu condescendant à son tour.
« Et comment ferais-tu sans moi ? Je te rappelle que c'est ma présence à tes côtés qui te rend utile pour nous. Sinon, tu serais déjà mort. »
Dazai sut très bien, au moment où il prononça ces mots, qu'il commençait à franchir les limites entre la vérité volontairement altérée pour l'efficacité de ses propos et le pur mensonge. D'une certaine manière, cela l'ennuya ― il détestait avoir recours aux mensonges pour réussir à atteindre les gens, c'était bien plus glorifiant de le faire avec la plus pure vérité. Quand avait-il commencé à avoir besoin de mentir pour réussir à blesser son interlocuteur ?
« Ne crois pas que juste parce que je ne contrôle pas encore correctement ce pouvoir, tu peux te considérer indispensable à ma vie, Dazai. »
Si la morgue du jeune homme aux cheveux flamboyants ne l'avait pas quitté, ses légers tremblements étaient néanmoins perceptibles pour un œil aiguisé, et Dazai en devinait aisément l'origine : il savait que son partenaire était effrayé par la déferlante de pouvoir qu'il avait expérimentée lors d'une de leurs missions quelques mois plus tôt. Si, à l'époque, Dazai n'était pas parvenu à nullifier son pouvoir, il serait mort là-bas, incapable de se stopper par lui-même. Il avait depuis ce jour juré qu'il parviendrait à se contrôler, sans avoir besoin de l'aide du jeune homme aux cheveux bruns, mais celui-ci ne constatait aucun changement notable.
« Je suis certain que je le suis, murmura-t-il finalement pour avoir le dernier mot. Sinon tu ne continuerais pas de revenir vers moi tous les jours. »
Une fois encore, à sa grande surprise, Chuuya se contenta de tourner les talons sans lui en flanquer une.
Même s'il n'était toujours pas parvenu à trancher sur les raisons de cette attitude, Dazai le prit comme un signe qu'une fois encore, il avait atteint son objectif.
03.
« Tu me ralentirais. »
Les yeux bleus de Chuuya se fixèrent sur Dazai, incrédules ; ses lèvres s'entrouvrirent légèrement sous la surprise, mais aucun son ne les franchit. Le capitaine ― ex-capitaine, il supposait désormais ― le dévisagea sans rien dire non plus. Son esprit, dans lequel bourdonnait habituellement un nombre aberrant de pensées sans queue ni tête, était inhabituellement silencieux ― une seule dominait toutes les autres.
Odasaku n'est plus.
« Qu'est-ce que tu racontes ? » siffla finalement Chuuya.
Sa voix grave était inhabituellement basse, lui qui criait pourtant toujours, que ce soit pour s'énerver contre lui ou pour donner des ordres à ses subordonnés. Dazai l'avait rarement entendu parler aussi bas, à part peut-être face à Mori, parce que personne n'était réellement autorisé à lever la voix face au parrain, à moins de vouloir tester par soi-même les limites de l'indulgence de celui-ci.
(Une expérience que Dazai lui-même appréciait observer ― certains avaient la chance de s'en sortir sans autre punition qu'une simple réprimande visuelle, un coup d'œil méprisant ; d'autres ressortaient de telles entrevues avec des tremblements causés par la peur qu'ils venaient de vivre. C'était un spectacle des plus réjouissants, qu'il n'aurait plus l'occasion d'observer, il supposait.)
Il ne savait pas trop comment il s'était retrouvé devant l'appartement de son partenaire, alors que son souvenir le plus récent ne cessait de le renvoyer au moment où il avait trouvé Odasaku dans ses derniers instants. Le trajet qu'il avait vraisemblablement effectué pour venir jusqu'ici était absent de sa mémoire ― il ne se trouvait même pas incapable de dire pourquoi il était venu jusque-là.
Lui et Chuuya n'étaient pas plus proches aujourd'hui qu'ils ne l'étaient autrefois. Rien n'avait changé ― ils étaient toujours les deux partenaires, désormais réputés invincibles et craints par toute la pègre. La seule chose qui avait légèrement évolué était que Dazai retirait de moins en moins de plaisir en poussant Chuuya dans ses retranchements, malgré le fait qu'il ne comprenait toujours pas pourquoi le jeune homme n'essayait pas de les restreindre un minimum. Il avait mis ce changement sur le compte du fait qu'ils avaient expérimenté toutes sortes de situations ensemble désormais ― allant des moments où ils avaient été persuadés qu'ils n'allaient pas s'en sortir à d'autres plus légers, où la mission s'était juste passée mieux qu'ils n'auraient jamais pu l'espérer ― et qu'il avait donc déjà largement observé toutes les émotions du jeune homme.
Peut-être était-ce justement pour cela qu'il était venu voir Chuuya pour lui annoncer son départ de la mafia.
Même s'il ne s'attendait pas à ce que le jeune homme lui rétorque qu'il partirait avec lui.
« On a fait toutes nos missions ensemble, poursuivit Chuuya, tu sais très bien que...
― C'est justement pour ça que je sais que tu me ralentis, rétorqua Dazai. Tu ne peux pas venir avec moi.
― A quoi tu penses ? » cingla Chuuya, visiblement ennuyé par sa réaction. C'était un constat qu'il avait fait quelques temps plus tôt : plus il espaçait ses attaques blessantes au fil des années, plus le jeune homme semblait s'ouvrir à lui et lui en montrer plus facilement, avec moins de retenue. Comme s'il était mis en confiance.
« Que je veux un nouveau départ. Et que, puisque la mafia va me pourchasser, il vaut mieux que je n'ai pas de poids lourd avec moi. »
Ironique quand on songeait que le pouvoir de manipulation de la gravité de Chuuya faisait de lui tout sauf un poids lourd. Dazai était un habitué de ce genre de piques blessantes ― mais aussi mensongères. Une des autres principales raisons qui expliquait qu'il ait autant espacé ses tentatives de blesser le rouquin tenait en ce fait : il n'aimait pas blesser les gens par des mensonges, c'était bien moins gratifiant que de leur jeter la vérité en face. Pourtant, il arrivait de moins en moins à le faire avec son partenaire aux cheveux flamboyants.
Ici encore, tout ce qui sortait de sa bouche n'était que des mensonges pour blesser Chuuya et l'empêcher de le suivre.
« Ne fais pas ça, Dazai, soupira Chuuya ― étonnamment, il ne semblait même pas énervé, contrairement à ce que le capitaine aurait imaginé.
― Ne fais pas quoi ?
― T'isoler de tout le monde parce que... Oda n'est plus là. » Dazai gratifia cette remarque d'un rire dénué d'amusement.
« Ça n'a aucun rapport, rétorqua-t-il. Je ne cherche pas à m'isoler de tout le monde, mais seulement de toi. Pourquoi voudrais-tu me suivre dans tous les cas ? On dirait que je suis bel et bien indispensable à ta vie en fin de compte. » Une flamme d'agacement traversa le regard de Chuuya.
« Même dans cette situation, souffla-t-il d'une voix tremblante, tu restes un abruti fini.
― Pourquoi est-ce que ça t'atteint autant ? Tu détestais Oda. » Cette fois, le visage de son partenaire afficha réellement une mine blessée ― mais Dazai pouvait aussi y lire qu'il avait visé juste.
« Pas au point de lui souhaiter une telle mort. »
Le capitaine de la mafia le dévisagea longuement d'un air dubitatif, avant de retirer le manteau noir qui ornait toujours ses épaules pour le jeter sur le sol devant l'appartement de Chuuya avec dédain.
« Je ne suis plus un membre de la mafia, siffla-t-il ensuite. Nous ne sommes plus partenaires, alors je peux te le dire : chacune de nos missions a été une torture. Rien que pour cela, partir en vaut la peine. »
Sur ces énièmes remarques blessantes, Dazai tourna les talons. Il pressa dans le même temps le détonateur de l'explosif qu'il avait placé dans la voiture de son partenaire, déclenchant alors une déflagration beaucoup plus haut dans la rue ― au moins ne ferait-elle pas de victimes.
Ainsi, il était certain que son partenaire ne le suivrait pas.
C'était son seul objectif.
04.
« Nous ne sommes plus rien. »
Une fois encore, Dazai ne savait pas exactement comment il s'était retrouvé devant l'appartement de Chuuya, mais c'était bien ici qu'il venait une fois encore de déployer ses capacités intellectuelles afin de blesser son interlocuteur. Quatre années avaient passé depuis son départ de la mafia, années au cours desquelles il s'était employé dans un premier temps à disparaître, puis à exaucer la dernière volonté d'Odasaku en travaillant pour l'Agence.
Etonnamment, cette rencontre n'était que sa troisième avec Chuuya depuis son départ ― puisque l'Agence et la mafia s'affrontaient souvent, on aurait pu largement penser le contraire. Mais ils ne s'étaient bien revus que deux fois avant celle-ci : la première quand Dazai s'était laissé capturer pour infiltrer les locaux de son ancienne organisation ; la seconde quelques jours plus tôt à peine, quand ils avaient battu une partie des forces armées de la Guilde à eux deux. Comme au bon vieux temps.
N'était-ce pas ironique ? Il était celui qui se retrouvait devant l'appartement de son ancien partenaire, mais aussi celui qui venait lui signifier qu'il ne voulait plus avoir quoi que ce soit à voir avec lui. Son attitude devenait de moins en moins cohérente avec les années. Lui qui prenait autrefois plaisir à blesser son partenaire pour le plaisir d'observer ses réactions le faisait désormais pour justement ne plus avoir à le faire.
Quand les sentiments violents de Chuuya avaient-ils commencé à lui sembler aussi douloureux ? Il n'était pas sûr de le savoir précisément.
« Si c'est ce que tu penses, qu'est-ce que tu fous encore ici ? » La voix de Chuuya était étonnamment lasse, et Dazai devina au premier coup d'œil qu'il récupérait encore de son utilisation de Corruption.
« Je voulais m'assurer que ce soit bien clair pour toi, répliqua Dazai sans se départir de son masque moqueur et condescendant. Nous avons certes retravaillé ensemble pour régler le compte de la Guilde, néanmoins, nous ne redeviendrons pas partenaires. » Les lèvres de son interlocuteur se redressèrent et il esquissa un rictus moqueur à son tour ― qui tremblait malgré tout légèrement, mais à ce stade, même Dazai avait du mal à dire s'il était simplement épuisé ou réellement touché par ce qu'il disait.
« Crois-moi, redevenir ton partenaire est bien le dernier truc que j'aurais envie de faire. Je laisse à l'Agence le soin de te supporter le temps que je te fasse la peau. »
Dazai observa avec minutie l'attitude de son interlocuteur, avant de décider qu'il était satisfait par cette confrontation. Une fois encore, l'inertie de Chuuya le surprenait. C'était comme si, tandis qu'au fil des années il appréciait de moins en moins de voir les émotions vivaces de Chuuya, son partenaire avait commencé à de moins en moins les montrer ― en tout cas, pas quand Dazai essayait volontairement de les déchaîner.
Sans doute le brun réfléchissait-il trop ― il paraissait bien peu probable que le rouquin réfléchisse autant que lui à leur relation et ait volontairement adopté cette attitude en réaction à celle de Dazai. Mais il était arrivé à cette conclusion après tous ces moments passés à repenser à leurs moments de gloire au sein de la mafia ― sincèrement, le brun ne regrettait pas son départ. Il avait juste parfois des excès de nostalgie ― comme tous les humains peut-être ?
« Ce jour n'est sans doute pas près d'arriver. » lâcha-t-il finalement après un petit moment de silence. Les sourcils de Chuuya se froncèrent d'agacement et son ton regagna en vivacité alors qu'il rétorquait :
« Continue de fanfaronner, et tu ne t'attendras pas au moment où je viendrais te tuer. »
Dazai sourit encore, toujours amusé par la haine qui n'avait jamais cessé d'habiter son interlocuteur. Depuis qu'il avait quitté la mafia, réalisant ainsi une profonde trahison inacceptable pour beaucoup de mafieux, celle-ci n'en était que plus forte, quand bien même le regard aiguisé de Dazai, habitué aux attitudes de son partenaire, était capable de dire qu'elle n'était pas entièrement dirigée vers lui.
« Tu vois ? releva soudainement Chuuya alors qu'il était silencieux. Tu as tort quand tu dis qu'on n'est plus rien. On est encore quelque chose. Deux ennemis qui veulent se débarrasser de l'autre. » Un sourire qui n'avait rien d'amusé germa sur les lèvres de Dazai.
« Non. Toi tu me considères peut-être comme cette personne, mais tu n'es plus rien pour moi. »
Il tourna les talons sur ces mots, descendant le petit escalier qui menait jusqu'à l'étage où résidait Chuuya, sans un seul regard en arrière pour bien appuyer son propos. Il n'en aurait même pas eu besoin pour connaître la réaction de Chuuya ; un bruit sourd résonna derrière lui, celui de phalanges craquant contre le béton, et il sut instinctivement que l'autre avait envoyé son poing dans le mur adjacent.
Mieux valait que ce soit le mur plutôt que sa joue.
Dazai n'était pas sûr d'avoir envie de revoir la manière dont les joues et les yeux de Chuuya brillaient quand il était en proie à une vive colère.
La façon dont il vivait pleinement était devenue trop douloureuse à voir pour lui.
05.
« Cela ne m'aurait pas étonné en fin de compte. Ne veux-tu pas son poste ? »
Il y eut un long silence à l'autre bout du fil ― et Dazai sut qu'il avait encore une fois atteint son objectif. Objectif qu'il avait certes délaissé avec le temps ― et la disparition de son envie de constater toutes les réactions de son ancien partenaire, mais qu'il avait encore rempli aujourd'hui, avec sans doute une des choses les plus blessantes qu'il aurait jamais pu formuler.
Même lui était capable de dire quand il dépassait les bornes désormais.
Mais les mots étaient sortis avec une telle facilité de sa bouche qu'il n'avait pas pu les retenir ; c'était à peine s'il les avait analysés.
Aujourd'hui encore, il voulait à tout prix repousser Chuuya.
« T'es vraiment un putain d'enfoiré. » Les deux injures bout à bout firent esquisser un sourire dénué de joie à Dazai ― finalement, heureusement qu'ils n'avaient pas cette conversation en face à face, où il aurait sans doute essuyé bon nombre de coups de poings.
« Imaginer les pires situations, ç'a toujours été mon rôle. » A l'Agence comme à la mafia d'ailleurs ; Dazai envisageait toutes les possibilités, en déterminait la plus probable, mais prévoyait aussi des réactions pour toutes les autres.
« Et donc ? T'as sérieusement un jour envisagé que je puisse... »
Les mots ne franchirent même pas les lèvres de son partenaire tant l'idée semblait le révolter ― non, Dazai n'avait jamais sérieusement envisagé que Chuuya puisse tuer Mori pour prendre sa place.
Le seul qui aurait pu le faire, c'était lui-même ; et Odasaku était mort pour éviter ça. Mori n'avait que lui dont il devait se débarrasser ― son subordonné réputé aussi tordu que lui, qui savait très bien que les successions paisibles n'étaient pas légion au sein de la sanglante mafia portuaire. Il aurait pu éliminer Mori pour prendre sa place.
Mais Chuuya, lui, jamais. Il le respectait bien trop, tout le monde le savait. Et surtout, surtout il ne voulait pas du rôle de parrain. Mori voulait qu'il lui succède, mais le rouquin n'avait pas le désir de le faire. Il n'avait endossé le rôle que pour cette situation précise, parce que la mafia avait besoin de quelqu'un à sa tête ; et au lieu de privilégier une fois pacifique pour ne pas mettre la ville à feu et à sang, il avait préféré sauver son supérieur.
Essayer, tout du moins. Parce que pour sauver Mori d'une mort douloureuse, il en faudrait bien plus qu'une seule attaque dirigée vers l'Agence. Même s'il n'avait repris conscience que depuis quelques heures, Dazai savait très bien que l'offensive brute de la mafia portuaire n'avait pas porté ses fruits ; pas plus en fin de compte que celle de l'Agence ensuite.
Ils avaient beau prétendre ne pas l'être, ils étaient sur un pied d'égalité. La mafia était plus nombreuse ; l'Agence était plus soudée et organisée.
« Tu connais autant que moi la vérité sur l'accession au pouvoir de Mori, répondit simplement le brun après un petit silence. Je t'accorde qu'avec tes neurones de limace, rien ne dit que tu aurais pu mettre au point un tel plan, mais...
― Tu crois que cette foutue situation me plaît ?! » L'accès de colère de Chuuya le prit une seconde au dépourvu ― toutes leurs dernières interactions l'avaient habitué à un Chuuya qui parvenait à contrôler un minimum sa colère (si on omettait les quelques coups de poings qu'il tentait de lui lancer).
« Je crois que la mafia portuaire a été la première à lancer les hostilités. » Il pouvait presque entendre l'agacement transparaître du souffle haché de son interlocuteur retransmis par son portable. Il lui sembla entendre un murmure de l'autre côté du fil, mais ne put discerner ce qu'on disait à Chuuya.
« Et je crois que l'Agence a été un peu trop prompte à riposter pour faire croire qu'elle n'envisageait pas du tout le combat, finit-il par rétorquer à son intention. On fait tous ce qu'il faut pour sauver nos chefs, Dazai. Essaye pas de me faire croire que tu serais pas résolu à sacrifier Mori pour sauver votre patron.
― Je le sacrifierais pour moins que ça, railla l'ancien capitaine.
― T'es vraiment une belle enflure. » soupira le rouquin à l'autre bout du fil ― son ton était néanmoins un peu moins virulent qu'au début de leur conversation. « Pense et fais ce que tu veux Dazai. Si tu veux encore te servir de tout le monde comme des pions pour contrecarrer Dostoevsky... Fais toi plaisir. » Les lèvres du brun s'étirèrent en un mince sourire à cette autorisation dont il n'avait pas besoin, qui trahissait néanmoins la direction dans laquelle le capitaine de la mafia portuaire dirigeait sa haine. « En attendant que tu te décides, je crois que ta petite Agence de détective en veut encore.
― Petite, certes, mais toujours plus facile à repérer dans une foule que toi ~ »
Chuuya raccrocha sur cette remarque sans se fendre d'une quelconque politesse ― Dazai savait que, si ces piques sur sa taille étaient devenues trop communes pour que son ancien partenaire soit réellement blessé par elles, elles faisaient toujours leur petit effet quand il fallait le sortir de ses gonds.
Il se laissa ensuite aller en arrière en poussant un soupir, un petit sourire figé sur ses lèvres. Chuuya pouvait prétendre ce qu'il voulait, il ne l'avait pas appelé uniquement pour lui faire passer clairement une déclaration de guerre. Certaines choses ne changeaient pas ― s'il l'avait souhaité, Dazai aurait pu continuer de se moquer de son partenaire en disant qu'il lui était bel et bien indispensable, en fin de compte, vu comme il continuait de lui courir après malgré sa trahison.
Mais il ne le faisait pas, il ne le faisait plus, parce que l'humanité si vivace de Chuuya ne lui semblait plus aussi intéressante à contempler.
En tout cas, plus depuis qu'elle le faisait regretter d'être incapable de la saisir.
06.
« Va-t-en. »
A l'instant où Dazai souffla ces quelques mots, il sut que Chuuya ne l'écouterait pas. Le jeune capitaine de la mafia portuaire le dévisageait, ses yeux emplis d'une détermination que Dazai avait maintes et maintes fois contemplée, et les poings serrés si fortement qu'on aurait cru qu'il s'apprétait à le frapper.
Une fois n'était pas coutume néanmoins ; Dazai n'avait rien fait qui aurait pu justifier qu'il lui en flanque une. Même sa remarque, qu'il aurait voulu blessante, était dépourvue de l'animosité nécessaire pour cela : il l'avait simplement soufflée sur un ton las, à des années-lumière de son habituelle intonation méprisante.
Aussi il ne fut pas le moins du monde surpris quand l'autre s'agenouilla à ses côtés pour observer le verre que son ancien partenaire serrait de toutes ses forces entre ses phalanges.
« Quand est-ce que tu arrêteras ce genre de conneries ? » La question de Chuuya était presque rhétorique, posée sur un ton posé qui ne lui ressemblait pas beaucoup et qui contrastait avec la vulgarité de son propos.
« Quand est-ce que tu arrêteras d'être petit ? » rétorqua Dazai ― c'était presque si triste, la façon dont ce genre de répliques lui venait aisément.
Il n'avait jamais eu aucun mal à déployer des trésors de répartie pour blesser son interlocuteur. Il avait simplement arrêté avec les années en prenant conscience que cela finissait par le blesser aussi, lui.
« Tu savais que ce verre était empoisonné, non ? » soupira le rouquin en se redressant pour le jeter au loin. Dazai esquissa un sourire.
« Je ne suis pas un idiot.
― Ça reste à déterminer, puisque tu as volontairement bu dedans. » Dazai haussa les épaules avec désinvolture.
« J'avais espoir qu'il s'agisse d'un poison violent qui m'aurait tué instantanément. Quelle déception ! Il s'agissait juste de me faire perdre conscience assez longtemps pour me tuer avec un autre moyen.
― Ils avaient volontairement pris en compte ta résistance absolument agaçante aux poisons, mais n'ont pas pu anticiper le fait que ton nouveau subordonné allait passer par là pour te rendre ton portable, que tu as probablement volontairement oublié à l'Agence sous son nez, énuméra Chuuya en revenant se positionner à ses côtés. Les pauvres. Leur plan tenait la route.
― Oui, si on veut. Au moins maintenant sont-ils sous les verrous. » Malgré l'impression de déconnexion de la réalité que Dazai ressentait encore à cause du liquide, il posa sur son partenaire un regard qui se voulait perçant et amusé. « Tu étais sur leurs traces pour les tuer ? » Le rouquin ne sembla même pas surpris, et opina.
« Ouais. Je dirais au boss qu'ils ont été arrêtés avant. Il enverra sans doute quelqu'un d'autre de plus qualifié pour les éliminer une fois qu'ils seront derrière les barreaux.
― Quel crime ont-ils commis ? Usurpation ?
― Pourquoi poser des questions dont tu connais la réponse ? »
Dazai ricana en entendant cette remarque. Certes, il savait déjà très bien que ces deux hommes qui voulaient s'en prendre à lui étaient des hommes recherchés par la mafia, payés par Dostoevsky qui leur avait sans doute promis une quelconque protection face à la vengeance promise par quiconque osait se faire passer pour un membre de la mafia alors qu'il ne l'était nullement. Même sous les verrous, le russe semblait s'amuser à essayer de l'éliminer ― enfin, il devait bien se douter que rien ne fonctionnerait tant qu'il n'y mettrait pas réellement son grain de sel. Le détective était déçu de constater que, malgré ses attentes, cette tentative d'assassinat n'avait nullement été supervisée par le criminel et manquait d'originalité.
« Chuuya ?
― Hm ?
― Je te manquais tant que ça, que tu te sens obligé de rester avec moi alors que ton travail est terminé ? »
Non, décidément, peut-être était-ce le poison dans ses veines qui ralentissait légèrement le rythme effréné de ses pensées, mais il ne parvenait pas à être aussi insultant que d'habitude. Il mourait pourtant d'envie d'être laissé seul, pour pouvoir penser en paix ; de surcroît, Chuuya était la dernière personne qu'il voulait croiser dans ce genre de situations, parce qu'il ne pouvait pas en tirer assez d'avantage pour s'amuser à le titiller comme toujours.
Il était obligé de faire face au jeune homme désavantagé, car incapable de taire les sentiments doubles qui l'habitaient.
« Ferme-la, rétorqua Chuuya en soupirant. Je suis pas là de gaieté de cœur.
― Pour quelle raison es-tu venu apprécier ma présence alors ?
― Parce que ton partenaire était à deux doigts de la crise d'apoplexie quand il a appris de la bouche de ton subordonné ce qui s'était produit, et que j'ai de la compassion pour toutes les personnes qui te supportent jour après jour. »
Dazai médita quelques instants sur cette réponse. S'il comprenait bien, après qu'il eut dit à Atsushi de ne pas s'en faire pour lui et de ramener les deux criminels à l'Agence, le jeune homme tigre était tombé sur Kunikida, à qui il avait tout raconté ; Kunikida qui, à n'en pas douter, s'était tant agacé sur son sort que Chuuya l'avait entendu du poste d'observation quelconque qu'il s'était choisi.
« Tu ne nous dois rien, commenta-t-il doucement. Si tu essayes juste de te rendre plus intéressant en nous venant en aide pour pallier à ton manque de charisme, tu devrais...
― Dazai. » Chuuya le coupa sèchement en lui décochant une œillade agacée. « Est-ce que, pour une fois, tu pourrais la fermer pour de bon et essayer de ne pas être un abominable enfoiré ? »
Non, brûla les lèvres du brun alors qu'il contemplait du coin de l'œil son ancien partenaire. Non, il n'avait pas envie de se taire, parce qu'il voulait être un enfoiré que Chuuya laisserait seul pour de bon, seul avec ses pensées embrumées et son envie de plus en plus désespérée de comprendre les êtres humains ; ou au moins, celui qui se tenait devant lui.
Mais finalement, aucun mot ne parvint à franchir ses lèvres ; sans doute était-ce encore une fois à cause du poison qui avait contaminé son sang et qui continuait de faire son effet, même un bon bout de temps après l'ingestion.
Il resta simplement silencieux, et le regretta après coup en sentant les doigts chauds de Chuuya se poser sur les siens.
Aah. Comme il regrettait de ne pas être en mesure de le blesser finalement. Son cœur était bien trop lourd et douloureux ainsi, et ce sentiment de joie qui l'emplissait n'arrangeait rien.
(Mais il serra les doigts de Chuuya en retour, et s'autorisa, pour une seule soirée, à lâcher prise. Littéralement, puisque son crâne tomba sur l'épaule de son partenaire assis à côté de lui, qui ne bougea pas d'un pouce.)
07.
« Tu ne sais rien de moi. »
Une fois encore, Dazai sut qu'il avait raté son coup. Cette fois-ci, tout y était : le ton blessant et coupant, le regard méprisant et las, et même l'attitude de rejet, cette fois non feinte, quand il avait repoussé la main gantée qui avait enserré son poignet.
Mais une fois encore, le regard empreint de détermination de Chuuya n'avait pas cillé. Il n'avait même pas esquissé un geste de recul alors que son compagnon l'avait repoussé, se contentant de le fixer droit dans les yeux, comme s'il pouvait réellement voir, derrière ses orbes marrons, son âme.
Ah, comme il détestait quand Chuuya agissait ainsi. Imprévisible. Tout le monde l'était, c'était le propre même de la nature humaine et une des premières choses que Dazai avait dû accepter quand il avait commencé à essayer de prévoir les agissements des gens, que ce soit pour réaliser des plans à l'instar de son mentor ou simplement pour essayer de les comprendre un peu mieux. Il savait que tout le monde avait sa part d'imprévisibilité ; mais il estimait avoir réussi à la deviner dans les grandes lignes.
Pas celle de Chuuya. Jamais. Quand il pensait que le jeune homme allait s'énerver, il ne le faisait pas toujours. Quand il pensait qu'il allait le frapper non plus. Même quand il pensait avoir été suffisamment odieux pour que personne ne revienne, Chuuya le faisait ; et vice-versa, quand il pensait qu'il le ferait forcément, le rouquin ne le faisait pas toujours.
Ils étaient peut-être d'anciens partenaires et Dazai se targuait de connaître chaque mouvement de son interlocuteur ; mais il y avait une part de mensonge dans ces mots.
« Ben voyons, railla finalement Chuuya après un long silence. T'as été mon partenaire pendant deux ans, même si ça m'a bien gonflé, je te connais plus que tu ne le penses.
― Ah oui ? se moqua doucement Dazai sans rien montrer de sa perplexité. Dans ce cas, éclaire ma lanterne. Que penses-tu savoir de moi ? » Les sourcils de Chuuya se froncèrent légèrement, mais il répondit en levant progressivement les doigts de sa main droite devant le visage de son ancien partenaire à mesure qu'il énumérait les faits :
« Un, tu es un bel emmerdeur. Deux, si tu ne cause pas d'ulcère à tes partenaires, tu considères que tu as raté ton boulot. Trois, tu adores prétendre que tu te fiches de tout le monde sauf de toi-même, mais dans toutes tes manigances, tu prends en compte le bien-être de tes soi-disant pions. Quatre, tu préfères faire croire que tu es un pur enfoiré sans émotions plutôt que d'admettre que tu as peur d'exprimer les tiennes. Cinq, tu es persuadé que personne ne peut te comprendre... » Le sourire de Chuuya s'agrandit alors qu'il terminait : « ... mais tout le monde voit clair dans ton jeu, imbécile. »
Si le jeune détective avait écouté les premiers points avec un air amusé, celui-ci avait progressivement disparu alors que son interlocuteur commençait à aborder les derniers, infiniment plus sérieux. Il ne s'attendait pas à... ça, quoi que cela fût. D'une certaine manière, il pensait que c'était complètement faux et que Chuuya n'avait fait qu'émettre des hypothèses fausses sur son compte. Une part de lui lui soufflait néanmoins que tout n'était pas complètement ridicule.
« Comment une limace peut-elle réfléchir autant sans avoir le cerveau en compote ? » Son interlocuteur fit claquer sa langue avec agacement.
« Comment un maquereau peut-il donner l'illusion d'être intelligent alors qu'il est complètement stupide ?
― C'est celui qui dit qui est.
― T'as quel âge, quatre ans ? » Dazai esquissa un sourire devant le cri agacé de Chuuya, avant de reprendre son sérieux.
« Tu as tort sur un point.
― Lequel ? renifla Chuuya en croisant les bras sur sa poitrine.
― Je n'ai pas peur d'exprimer mes émotions. » Les sourcils du manipulateur de gravité se froncèrent.
« Quelle autre explication donnes-tu alors ?
― Je ne comprends pas quelle est l'utilité d'aussi peu se contrôler. En te laissant aller à la colère, tu as commis des tonnes d'erreurs facilement évitables. Idem en laissant trop de satisfaction s'emparer de toi. » Le rouquin laissa échapper un profond soupir.
« C'est pour ça que tu joues avec mes nerfs depuis qu'on se connaît ? Pour étoffer ta super argumentation ?
― J'étais curieux de voir à quel point les émotions humaines pouvaient être vastes aussi. » lâcha Dazai, ce qui, étonnamment fit ricaner Chuuya.
« Je peux ajouter un sixième point. T'es persuadé de ne pas être un Homme, alors que tu l'es objectivement. Pourquoi on exprime nos émotions, tu dis ? Tout simplement parce que c'est beaucoup plus agréable que de les retenir. » Chuuya enfonça un doigt dans sa poitrine avec force. « Je suis persuadé que ton cœur en a marre de te voir autant retenir tes émotions. Quand on les retient toutes, quand on les rassemble en nous jusqu'à déborder, ça ne peut pas faire bon ménage. Essaye de les exprimer et tu verras. »
Dazai le dévisagea avec une mine ébahie. Son esprit rationnel refusait d'envisager que cela pouvait être aussi « simpliste » comme explication, mais, finalement, devant l'expression de son ancien partenaire, il finit par soupirer et par baisser les bras ― encore une fois littéralement, puisqu'il se laissa tomber sur le jeune homme en face de lui de tout son poids.
« Dazai, qu'est-ce que tu... » Chuuya protesta en le sentant enrouler ses bras autour de lui avant de poser le menton sur son épaule.
« J'exprime mes émotions. » Le jeune homme aux cheveux roux en resta sans voix quelques instants, avant de soupirer profondément.
« C'est pas vrai... Et c'est moi qui ne peux pas me passer de toi dans l'histoire ? »
Dazai esquissa un sourire amusé tandis que Chuuya modifiait leur position pour être moins écrasé par la masse de son ancien partenaire.
Peut-être, effectivement, qu'une fois les lèvres de Chuuya posées sur les siennes, il admettrait qu'il ne pouvait plus se passer de lui.
En attendant que l'autre se décide, il se contenterait de savourer sa chaleur. Cette chaleur qu'il n'avait jamais admis apprécier, mais dont il se sentait, lentement, devenir complètement dépendant.
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