Chapitre 22 : Sable

À dix-neuf heures, les lampes des couloirs commencent à clignoter, et une alarme lointaine se met subitement en route.

Je tressaille.

Pourtant, pendant toute la journée, j'ai essayé coûte que coûte de repousser les pensées qui m'assaillaient, et de les amener au-delà des cycles et de ma mort. J'ai essayé de vaincre mes interrogations, mes soucis et mes colères. En vain, comme toujours.

Nous montons dans le Web-Save, une sorte de bus électrique à circulation automatique. Je m'assois face à Karl, son visage caché dans l'ombre de l'appui-tête. Je constate que Maru est séparé de nous par une vitre double.
Les juges auraient-ils peur de nous ? D'une révolte ?

Jim, quant-à-lui, se tient la tête entre les mains et frémit à chaque secousse des roues du Web-Save. La route où nous circulons semble en effet en piteux état. William regarde d'un air soucieux la vitre parsemée de poussière, et ne cesse de se ronger la peau de l'ongle.

Les paysages défilent : ce sont d'abord des bâtiments noircis par la pollution, puis de curieux bidonvilles, et encore des bâtiments noirs. De toute façon, il n'y a plus rien d'autre sur Terre. Cela peut paraître terrifiant, mais à cette époque, ce manque de nature est d'une normalité affligeante.

Soudain, le Web-Save commence à ralentir. À dire vrai, c'est le moment que je redoute le plus. Je m'efforce de le croire impossible, mais la réalité, en cet instant, me frappe de plein fouet. Le système de pilotage automatique se déclenche pour le recul du véhicule. Je regarde alors une dernière fois par la vitre, et aperçois un petit panneau de fer, annonçant la ville de Baura, deux mille cinquante habitants.

Nous descendons en file indienne. Je suis la dernière, et, lorsque mon pied se pose sur du sable, mon coeur manque un battement.

Je m'efforce d'admirer la ville de Baura et ses gratte-ciels surmontant l'horizon. La rue sillonnant l'entrée de la ville est absolument déserte. Le paysage me fait penser au Far-west des années 1900. J'ai un rire nerveux lorsque j'imagine un cow-boy sortir du bâtiment rouge, situé à ma gauche, en appelant avec un accent prononcé sa monture.

Mon rire se coince au creux de ma gorge lorsque je me rend compte que la seule chose qui peut sortir du bâtiment rouge, c'est un mutant.

Je sens un sueur froide couler le long de ma tempe, tandis que Maru donne ses derniers ordres avant le démarrage du cycle. William paraît l'écouter attentivement, ce qui n'est pas mon cas.

Franchement, je n'ai aucun conseil à prendre d'un homme qui tue des adolescents, et cela sans aucune émotion.

À ces pensées, j'ai la brusque envie de le frapper, pour qu'il tombe, et qu'il comprenne enfin ce qu'est la douleur. La vraie douleur.

Celle de perdre des proches.

Je secoue la tête en me rendant compte que je deviens de plus en plus violente au fur et à mesure des cycles. Avant de m'inscrire, je n'étais pas cette Harmony-ci, je demeurais une véritable reine de glace. Maintenant, je suis une  guerrière sanguine.

Brusquement, quelqu'un hurle le départ. Je devine le sourire de Maru.

Sans m'attendre, les garçons se mettent à courir dans le sable à grandes foulées. Je me décide à les suivre et manque de trébucher dans la poussière. Un rire éclate alors derrière moi, que j'ignore avec dignité.

Sans que je m'en sois vraiment rendue compte, je viens de dépasser la pancarte de la ville.

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