Chapitre 7 : Jalousie...

Assis devant la télévision de Fergus, Svenn s'appliquait à vider un paquet de chips avec Barbatos. L'ange et lui attendaient patiemment la tombée de la nuit, heure à laquelle ils seraient bloqués l'un avec l'autre, dans un état plutôt déplorable.

Or, il commençait à en avoir par-dessus la tête de cette situation.

-Hell ?

La petite amie de Barbatos, en pyjama vert avec des hippopotames en tutu rose dessus, leva la tête de son livre. Elle avait vraiment des goûts affreux en matière vestimentaire, mais elle se cantonnait au rayon nocturne. Contre toute attente, cela ne semblait absolument pas gêner le Séraphin.

-Comment as-tu fait pour te contrôler, après ta première transformation ?

-Mmh ? Oh, ça date.

-Avec sa tête de phœnix, je t'assure que ça n'a pas été simple, lança Fergus, occupé à vérifier la cuisson de son gâteau au chocolat.

-Mais comment ? Enfin, pourquoi suis-je le seul à ne pas m'en sortir ? Je ne suis pas un Ferguson, pourtant ça devrait fonctionner de la même façon, non ?

Barbatos lui tapota le dessus de la tête, avec un petit sourire.

-Ne te torture pas le cerveau en vain. Chaque chose en son temps.

-Ce n'est pas la question ! Je voudrais vraiment...

-Tu te souviens du sang que tu as bu ? intervint Hell.

Comment aurait-il pu en être autrement ? La façon dont Silke l'avait forcé à le faire resterait à jamais gravée dans sa mémoire. Il se dandina sur le canapé, soudain mal à l'aise.

-Oui. Il devait appartenir à l'être aimé, afin de me permettre d'achever ma transformation.

-Exactement. Hé bien, cette même personne est censée t'aider à te contrôler.

Svenn fronça les sourcils. L'aider ? Mais bon sang, s'il se tenait éloigné de Silke depuis tout ce temps, c'était justement parce qu'il n'y parvenait pas ! Il risquerait de la tuer, si jamais il l'approchait !

-Dans ton cas, c'est assez particulier, lança Fergus, son gâteau fumant et fleurant bon le chocolat dans une assiette. Tu es indomptable, certainement du fait de la trop longue attente pour libérer ta seconde forme. Il serait difficile à Silke d'en ressortir entière, si tu ne parviens pas à acquérir un semblant de maîtrise avant.

-Oh, oh ! intervint Barbatos, en se redressant. « L'être aimé » ? Hell, tu parles de qui, là ?

Oulà... Crise de jalousie en perspective. La métamorphe adressa un regard moqueur à l'ange, en acceptant la part de gâteau offerte par son frère.

-À ton avis ?

-Milan ! rugit-il en bondissant sur ses pieds. Je vais te me le...

-Stop ! Fit Fergus en le ceinturant, avant qu'il ne se rut à l'extérieur pour régler son compte au Minotaure. Tu le frappes assez souvent comme ça. Laisse-le tranquille.

-Lâche-moi espèce de...

Svenn assista à une scène de lutte relativement courante. Barbatos était vraiment possessif, pour un ange. Il ne connaissait pas tous les détails de l'histoire, mais il en voulait tout particulièrement à l'ex de Hell. Il lui jouait régulièrement des tours, forts peu angéliques. Hilare, il avala sa part de gâteau, avant de se rendre dans sa chambre. Il avait peu de temps avant le début de la nuit, mais peut-être pourrait-il la voir.

Épuisé, il invoqua l'image de Silke, dans le miroir. Contre toute attente, il put enfin distinguer son image. L'homme au bandeau ne devait pas être dans les parages. Il semblait toujours sentir sa présence dans les courants magiques.

Assise sur le bord de son balcon, elle semblait triste. Là où elle se trouvait, la lune pointait déjà à l'horizon, dans les montagnes. Avec ses cheveux blonds et ses yeux noirs, elle était absolument superbe. Mais par-dessus tout, elle lui manquait. Terriblement. Néanmoins, il ne prendrait jamais le risque de lui faire du mal. Jamais...

*

L'état d'urgence avait été décrété dans le Havre. Quel que soit le contenu de sa discussion avec Fergus, Rika refusa d'en faire part à Silke. Assise sur le bord de son balcon, la Némésis observait la lointaine silhouette de sa sœur. Elle avait pris le premier tour de garde, tant elle était remontée. Sous le clair de lune, elle faisait des allées et retours sur la place, son pas rageur se distinguant d'ici.

Avec un soupir, Silke leva la tête vers l'astre.

Elle devrait peut-être retourner en Exil. Au moins pour expliquer à Blanche et aux autres de quoi il en retournait. Qu'elle avait un rôle à jouer ici, auprès des Némésis libres. Qu'elle devait parvenir à sauver les autres.

Ses pensées prirent rapidement une tournure moins joyeuse. Svenn... Il lui manquait tant... Elle aurait tant aimé le voir, une dernière fois. Juste une fois. Une boule dans la gorge, elle était sur le point de se réfugier dans sa chambre, lorsque la silhouette de sa sœur parut trébucher.

Rika ? Trébucher ?

À quatre pattes sur les pierres de la place, elle semblait... Oh ! Par les Dieux ! Mais elle était malade ! Silke sauta au bas de sa rambarde, franchit sa chambre et descendit les marches en courant. Elle atteignit sa sœur, surprise de ne pas voir Morten dans les parages. D'habitude, le métamorphe se manifestait toujours très rapidement.

-Ça va ? demanda-t-elle à sa sœur, en la soutenant par les épaules.

-J'en ai l'air ? rétorqua la Némésis en se mettant à genoux.

Même sous la lune, elle tout particulièrement pâle. Une main sur son ventre, elle semblait lutter contre un retour de la nausée. Oh oh...

-Tu devrais aller t'allonger. Tu ne pourrais rien faire, de toute façon, dans ton état.

-Je vais très bien...

-À d'autres ! Viens, laissons les Ancêtres monter la garde.

Elle eut bien du mal à monter les escaliers en soutenant Rika, de plus en plus faible. Lorsque, enfin, elles atteignirent son lit, elle s'y écroula. Le front brûlant, elle s'assoupit aussitôt, le teint blafard. Inquiète, Silke l'observa un instant, incertaine sur la conduite à tenir.

À sa connaissance, une Némésis ne tombait jamais malade. Elle pouvait se blesser, mourir, se fracturer des membres, mais une véritable maladie, elle n'en avait jamais vu.

Aussi s'assit-elle à côté de sa sœur, l'estomac noué. Elle était tout sauf prête à perdre une autre personne chère à son cœur.

*

Assis devant les livres, parchemins et gravures du Clan, Fergus avait du mal à se concentrer. Cela faisait des heures depuis l'attaque, pourtant, sa mauvaise humeur refusait de s'apaiser. En fait, il ne pensait qu'à deux choses : Rika, désagréable et à la limite de la panique. Et à ce Morten, à ses côté dans ces lieux visiblement si importants pour elle.

Bon sang. Il n'aimait pas du tout l'idée d'un autre métamorphe à ses côtés. Enfin, non. Il ne supportait pas l'idée qu'un homme se trouve dans son entourage !

Il relâcha juste à temps son verre, avant de le briser. Dans la quiétude de la nuit, à peine rompu, par les grondements de Svenn dans les champs, il se faisait l'effet d'un imbécile, sans pour autant pouvoir se contrôler. Il n'avait aucun droit d'être jaloux. Pourtant, cela ne l'empêchait pas de l'être, surtout vu la façon dont elle l'avait repoussée tantôt !

Cela faisait longtemps qu'il n'avait plus perdu son calme. Même lorsque Bélinda l'avait quitté, il avait serré les dents, acceptant son destin. Mais maintenant... La vision de Rika nue sous lui alternait avec celle froide et colérique dans les montagnes, lui brouillant le cerveau.

Foutre dieux ! Il ferait mieux de continuer ses recherches sur ce Vassili, au lieu de se prendre la tête pour une femme qui ne voulait pas du lui. Enfin, pour le sexe, oui, et encore, il avait un doute, maintenant.

Un nouveau rugissement retentit, le faisant soupirer. Il n'était même pas capable de venir en aide à Svenn. Sans les informations sur son passé, il ne s'en sortirait jamais. Il devait oublier Rika, afin de se concentrer de nouveau sur les siens.

Un craquement résonna dans la maison, lui faisant dresser l'oreille. Nul ne faisait en sorte d'être discret en sa demeure. Les petits malins qui avaient tenté de lui faire des farces en étaient ressortis roussis aux entournures, Barbatos comprit.

Il abandonna sa lecture, les sens aux aguets. À la lumière de lampe de bureau, l'ambiance avait bien changé depuis le départ de sa sœur et des deux hommes. Il tendit de nouveau l'oreille, le regard rivé sur la porte de la pièce. Plus rien. Mmh...

Le coup provint de sa gauche. Il fit un pas en arrière, évitant de justesse le poing de son agresseur. Le sien percuta le plexus sous l'armure de cuir, projetant l'intrus contre son bureau. Il considéra l'homme au cache-oeil, dont l'air mauvais lui fit hausser un sourcil.

-Tu es sacrément culotté, pour venir m'attaquer jusque dans mon territoire.

Morten fit craquer les articulations de ses mains, une envie de meurtre dans son unique œil.

-C'est juste entre nous, gronda-t-il, avant de se jeter sur lui.

Il fit mine de donner un coup de poing, mais ce fut son pied qui atteignit Fergus aux côtes. Furieux, il empoigna ce maudit métamorphe par son armure, le balançant contre la bibliothèque. Il se dressa devant lui, avec un grondement sourd de reptile.

-Comment as-tu osé toucher à Rika!? rugit Morten en se remettant sur pied, pour mieux se faire percuter par le dragon en colère.

Ainsi, c'était la raison de sa présence ici ? Mauvais timing : car il songeait depuis plusieurs heures déjà à la façon dont il apaiserait sa jalousie !

-Rika est venue à moi ! rétorqua-t-il en lui fracassant la mâchoire.

Le talon se son adversaire se planta dans son tibia, lui faisant pousser un juron retentissant.

-Elle n'aurait jamais fait une telle chose ! Elle n'aurait jamais perdu de temps avec toi !

Perdre son temps !? Vexé, Fergus lui rentra dedans. Ils roulèrent sur le sol, à grands réconforts de coups de poings et de coups de pieds, à tel point que l'odeur de leur sang plana bientôt dans l'air. Pour rien au monde il n'aurait avoué à ce sale type que leur relation était basée sur un maudit aphrodisiaque ! Rika était venue elle même le chercher après ça, non ?

-Tu es qui, pour elle !?

-Le seul homme qu'elle devrait avoir dans sa vie !

Mauvaise réponse. La vision de Fergus changea, se faisant plus acérer. Il n'avait pas besoin d'un miroir pour voir ses yeux de dragon. Sa dentition plus tranchante le gêna à peine, tandis qu'il empoignait Morten par la nuque. Il fracassa son crâne contre la bibliothèque, avec tant de force qu'il y eut un rebond. Son adversaire tomba sur le sol, complètement sonné.

-Que les choses soient claires : tu peux être son mari, son amant, je n'en ai rien à foutre, gronda-t-il. J'ai une relation avec Rika, et elle ne te concerne pas. Maintenant, si tu tiens à la vie, dégage d'ici.

Morten secoua la tête, pour se remettre les idées en place. Dans les escaliers, un bruit de cavalcade retentit. Milan et Vladimir surgirent dans le bureau. Ils restèrent un instant interdits face au chaos qui y régnait, avant de voir l'intrus. Et la tête de Fergus.

-Chef ?

-Si j'apprends que tu l'as blessé, fit Morten en se remettant sur pieds, je t'assure que rien ni personne ne m'empêchera de te faire la peau.

Le dragon fit signe à ses hommes de rester en retrait, tandis qu'il sortait de la pièce, boitant à peine en dépit de leur combat.

-Le jour où je ferais du mal à une femme, lança Fergus, ma place ne sera plus en ce monde.

Le petit ami de Rika partit, il renvoya ses gardes, dont leur air piteux indiquait clairement qu'ils n'avaient pas vu arriver Morten. Cela ne le surprenait pas vraiment. La Némésis n'était pas du genre à s'entourer d'incapables, et encore moins de se donner à un faible.

Il ferma les yeux, la fureur rendant le contrôle difficile. Il avait beaucoup de mal à revenir à une vision normale. Mieux valait ne plus penser à Rika du tout.

Avec un soupir, il regarda autour de lui. C'était vraiment le chantier. Des livres gisaient de partout, des parchemins avaient été délogés de leur place, du sang ornait sa si belle bibliothèque. Pourtant, quelque chose lui sauta aux yeux. Sourcils froncés, il enjamba la chaise renversée, pour saisir une gravure. Faite sur un bloc de pierre, elle était rustique, sans pour autant être trop ancienne. Il plissa les paupières. Des runes. Il s'agissait de runes nordiques.

Surpris, il lut les premières lignes. Rapidement, il se retrouva de nouveau à son bureau, penché sous la lumière de sa lampe, à l'examiner sous toutes les coutures.

*

Le réveil de Rika fut particulièrement désagréable.

À peine eut-elle ouvert les yeux, qu'elle se précipita vers la cuvette des toilettes. La nausée la submergea, lui faisant rejeter le peu de nourriture qu'elle était parvenue à ingérer, la veille. Vingt minutes plus tard, la crise était passée.

Épuisée, elle rejoignit le réfectoire. Toujours aussi en forme, les enfants criaient et jouaient, ravis de leur vie. Elle sourit en les observant, sans parvenir à toucher son assiette. Silke dormait presque, le nez dans son assiette, épuisée d'avoir dû monter la garde toute la nuit. Elle s'en voulait. À cause de son accès de faiblesse, elle avait été obligée de se reposer sur elle.

Mais où était donc Morten ? À un moment pareil, il aurait dû être là !

Une fois sa sœur mise au lit, elle partit en quête du métamorphe, bien décidée à lui botter les fesses. Au milieu de ses Ancêtres, occupés à rassembler les enfants pour quelques cours sur le monde, elle parvint enfin à lui mettre la main dessus. Il se trouvait sur les pieds d'une ancienne statue, aussi monumentale qu'en morceaux. Un bras gisait par là, un tronc ici, la moitié de la tête prés de la fontaine centrale.

Elle avait affreusement mal au ventre. Par chance, le spectacle qu'offrait Morten le lui fit oublier. Une partie de son visage n'était qu'une ecchymose, du sang tachait son cuir chevelu. Par tous les dieux ! Qu'avait-il donc fait ? Et contre qui !? Peu de personnes étaient capables de le mettre dans un tel état !

-À qui es-tu allé chercher des noises ? demanda-t-elle, en venant s'asseoir à ses côtés.

-J'ai discuté avec le grand con cornu.

Le grand...

-Fergus ne mérite pas vraiment cette appellation.

Elle fut surprise par son propre ton tranchant. Néanmoins, c'était vrai. Fergus était quelqu'un de profondément gentil. Il n'y avait qu'à voir la façon dont il avait culpabilisé, après lui avoir fait l'amour sous le joug de puissants aphrodisiaques.

-Tu n'as pas besoin de laver mon honneur, Morten, continua-t-elle, une main sur son ventre douloureux. Nous ne sommes plus à l'époque où les dames y tenaient plus qu'à leur propre vie.

-Ce n'est pas la question, Rika ! s'exclama-t-il, une main sur sa joue tuméfiée. Je sais parfaitement qui tu es ! Tu ne l'aurais jamais laissé faire si...

-C'est moi qui lui ai sauté dessus la première fois. La deuxième fois, je lui ai demandé de m'apprendre les choses du sexe.

Le métamorphe en resta sans voix. Il la fixa un moment, comme s'il la voyait pour la toute première fois. Elle lui sourit, tout en invoquant Fenric pour qu'il l'aide à se redresser. Le loup la renifla avec intérêt, avec de tirer la langue en direction de Morten.

-Au fait, rassure-moi... Tu lui as bien dit que tu étais mon frère ?


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Tags: #paranormal