Chapitre 6 : Les Géants de Pierre
Rika était bien décidée à partir, remontée par le comportement désagréable des Ferguson. Certes, elle avait beaucoup aimé son interlude avec le dragon, mais tout de même ! Elle n'était pas une de ces greluches qui écartaient les cuisses pour quelques faveurs de...
Un hurlement lui déchira les tympans.
Perdue au milieu des hautes herbes, elle dut se dresser sur la pointe des pieds pour voir de quoi il s'agissait. Au loin, sur les flancs des collines cernant le vallon du Clan, elle pouvait voir une forme gigantesque. Elle plissa les paupières. Attendez, ce n'était tout de même pas...
Cette fois-ci, ce fut un rugissement qui la sonna. Un dragon fendit les airs, d'un rouge incandescent. Fergus se ruait vers la source de la menace. A terre, ses hommes courraient au front, sous leurs diverses formes mythiques. Elle remarqua, narquoise, que la garce restait en arrière avec quelques autres femmes, l'air inquiet.
Bon sang ! Le vacarme d'un affrontement lui parvint, une seconde avant qu'un cri rocailleux ne fasse trembler le sol sous ses pieds. Des poids gigantesques parurent se fracasser le sol, propageant une onde de choc qui la jeta à terre. Les herbes se couchèrent autour d'elle sous le souffle de l'impact, lui révélant la situation, plus loin.
Un géant de pierre s'était extirpé de la colline, culminant à plus de dix mètres de haut. Ses bras de rocs frappaient avec une lenteur inaltérable, les hommes de Fergus se faisant balayer tels des fétus de paille. Le dragon crachait ses flammes, sans altérer la roche.
Oh oh... Oh non ! Ils n'allaient jamais s'en sortir, de cette manière !
Avec un juron, Rika se jeta sur ses pieds, sa brume se rependant d'ores et déjà autour d'elle. Un énorme loup apparut, Ancêtre métamorphe toujours disposé à l'aider. Le prenant comme monture, elle agrippa à sa fourrure soyeuse. Le reste de la meute de Fendric le Sanguinaire se matérialisa avec des grondements furieux, les accompagnants dans leur course effrénée.
Leurs pattes de fumée martelaient le sol, leur faisant avaler la distance en une minute à peine. Pour atterrir dans le chaos de la bataille. Un Minotaure fut projeté au-dessus de Rika, un lion ailé fut presque enterré sous les bars du géant de pierre.
Un autre poing s'abattit, pour achever le fauve blessé. Fergus, sous forme de dragon, se jeta sous la main faite de rocher, avec un sifflement plein de fureur. Seule la musculature de cette apparence lui permit de rester en vie, tant le choc fut violent. Le lion recula précipitamment, manquant heurter l'un des loups de la Némésis.
Ni une ni deux, Fendric se jeta sur le dragon. Rika et lui s'entendaient à merveille. Lors des batailles, il était celui qu'elle chevauchait le plus souvent. Ses jambes pressant fermement les flancs du loup, elle se moqua bien du jet de flammes qui passa à côté d'elle, suivi d'un grondement surpris de la part de Fergus. Les griffes de son Ancêtre crissèrent sur le bras du géant, alors qu'il le remontait en courant. En l'apercevant, la créature émit un bruit à vous faire saigner les tympans, comme de la rocaille contre de la rocaille, long et lancinant.
Rika atteignit la tête de pierre. Elle se jeta sur son visage, se rattrapa de justesse au bord de l'une des paupières. Ces géants étaient nés de la magie des Enfers, aussi étaient-ils aussi étranges que les autres habitants de ces contrées désertiques. Dépourvus de globe oculaire, il n'y avait que du vide à leur place. La Némésis se glissa à l'intérieur de la cavité, pour se retrouver dans son crâne.
Il n'y avait pas de cerveau non plus, ici. Uniquement une boule de magie pure, trônant au milieu de la tête. Un cordon semblait en descendre, comme pour la physionomie des humains. Les ramures du pouvoir se rependaient ensuite à l'intérieur du géant, pour donner sa mobilité à ce corps hors norme.
Elle trancha ce fil de vie, sans l'ombre d'une hésitation.
Un hurlement d'agonie se répercuta dans toute la structure de pierre, il se mit à chanceler dangereusement. Coutumière du phénomène, Rika se précipita vers l'une des orbites vides... Et se jeta dans le vide, à l'instant où il s'écroulait contre la colline, dans un vacarme retentissant.
Mince, elle avait oublié d'appeler les rocs de Madagascar ! Elle allait s'écraser comme une... Des pattes se refermèrent sur son avant-bras, arrêtant nette sa chute. Fergus. Évidemment.
Ils se posèrent au milieu des membres du Clan, stupéfaits face aux rochers effondrés autour d'eux. Seule la tête, source du pouvoir, semblait en bon état. D'ailleurs...
-Rika... Grogna-t-il, dans un souffle menaçant. C'est de ta faute si nous sommes sous la coupe de Lucifer, aujourd'hui. Tu n'es pas à ta place, ici !
-Pardon ? cingla-t-elle en fixant le tas de gravats, de plus en plus inerte.
-Tu devrais peut-être retourner auprès des tiens...
Le ricanement résonna dans le vallon, en dépit de sa mort. Le regard rivé aux pierres, il fallut quelques secondes à Rika pour réaliser le sens de ces paroles. Pour qu'une pointe de panique se manifeste chez elle, inhabituelle.
-... te connaît ? faisait Fergus, nu et sous forme humaine.
Sans même lui répondre, elle tourna les talons, pour partir en courant. Les géants. Ils lui vouaient une haine farouche, elle le savait parfaitement. Mais de là à savoir ça ? De là à connaître le Havre !?
La peur au ventre, elle retrouva sans mal le portail, dissimulé entre deux arbres. De la douce chaleur du Clan, elle passa au froid mordant du Havre des Cimes. Cela ne lui coupa pas la respiration. Tout ce qu'elle cherchait, c'était un signe des géants, qui tentaient d'attaquer les jeunes Némésis... Mais non. Rien. Les enfants couraient au milieu des piliers renversés, avec des rires pleins de joie. Morten tentait d'astiquer une grande statue, tandis que Silke fixait un nourrisson droit dans les yeux, l'air de se demander comme un si petit être pouvait faire autant de bruit. Rien ne venait troubler la quiétude des lieux. Alors qu'est-ce qui...
-Par tous les dieux, souffla-t-on. Où sommes-nous ?
Elle pivota d'un bloc, les yeux écarquillés. Entièrement nu en raison de sa récente transformation, les mains dissimulant sa virilité, il semblait un peu perdu.
-Qu'est-ce que tu fiches ici !? rugit-elle.
-Avec les propos du géant, j'ai cru à une menace imminente, aussi t'ai-je suivi pour t'aider si besoin.
-Mais ce n'est pas... D'où te vient cet esprit chevaleresque, bon sang !? Sors d'ici !
-Et comment !? répondit-il sur le même ton, apparemment peu content de sa réaction. Par le portail que tu as dissimulé sur mon territoire !?
Furieuse qu'il ait découvert le Havre des Cimes, elle ne songea ni à le remercier ni à s'excuser. Elle n'en avait même rien à faire qu'il soit nu dans le froid des montagnes, devant une horde de jeunes Némésis médusés par leur incartade.
-Tu croyais que j'étais venu comment !? En marchant !?
-Ça fait combien de temps, que tu as une entrée directe sur le Clan !?
-La ferme, Fergus, je n'ai aucun compte à te rendre !
-Bordel, que tu peux être énervante ! C'est la sécurité des miens qui est peut-être en jeu ! Je...
Un ricanement rocailleux les coupa net. Ils découvrirent tous deux une miniature de pierre, qui les contemplait avec un sourire torve. Lorsque l'humanoïde s'aperçut de leur attention, il partit en courant. Le sang se retira du visage de Rika. Non... Non, non, non ! Elle se précipita après la créature, sbire des géants, mais déjà, ses pieds se fondaient avec la roche, la ramenant à la terre dont elle était née. Elle se jeta dessus, dans l'espoir de l'arrêter. Malheureusement, il n'affleurait plus que le visage de la créature, dont le sourire railleur lui glaça le sang.
-Tu vas payer pour tes crimes, Némésis, siffla-t-il. La loi du Talion ne t'épargnera pas.
Sur quoi les traits se perdirent dans la roche, la laissant le cœur battant à tout rompre, un sentiment de catastrophe imminente se rependant en elle.
-Tout ça, c'est de ta faute ! cria-t-elle en pivotant vers Fergus.
Ce dernier écarquilla les yeux, stupéfait de l'accusation.
-Si je n'étais pas restée, je n'aurais jamais dû faire face au géant ! Ils n'auraient jamais su que j'étais toujours vivante, je ne serais jamais tombée dans un piège aussi grossier !
Suivi ! Elle avait été suivie par ses vieux ennemis, dont le désir de vengeance planait sur elle depuis si longtemps ! Furieuse contre elle-mime, contre Fergus, elle ne se rendit pas compte de la brume qui se propageait autour d'elle.
-Rika ! C'est qui, lui ?
Morten se dressa à ses côtés, sourcils froncés. Il fixait Fergus avec défiance, l'air prêt à se battre.
-Personne ! cracha-t-elle. Quelqu'un qui s'apprête à partir.
-Vu ton comportement, je crois qu'il vaut mieux, fit-il d'une voix dangereusement calme.
Les narines de Morten palpitèrent, son unique œil s'assombrit. Il passa de Rika au métamorphe, une colère inattendue se manifestant en lui.
-Putain ! Tu portes l'odeur de Rika sur toi ! s'exclama-t-il. Ne me dit pas que c'est lui qui...
-Morten, ce n'est pas le moment ! Fergus, dégage d'ici !
Elle toisa son amant, dont l'expression se faisait de plus en plus glaciale. Bien loin de leurs soupirs dans la quiétude de sa maison.
-Je te remercie tout de même pour ton aide, articula-t-il avec difficulté. Contrairement à toi, je ne suis pas ingrat.
Sur quoi il reprit son apparence de dragon, pour sauter par dessus le bord de la falaise. Les poings serrés, la Némésis observa son vol. Elle était vraiment dans de sales draps.
*
Il fallut plus d'une heure de vol à Fergus, pour rejoindre les terres de son Clan. Ce temps de réflexion n'arrangea pas du tout son humeur. En se posant, il se retrouva nez à nez avec Bélinda et Milan, dont l'air querelleur augurait encore une bonne dose de diplomatie. Ce dont, en cet instant, il ne disposait absolument pas.
-Je vous conseille de dégager sans ouvrir la bouche, gronda-t-il, à peine redevenu humain.
-Tu es...
-Mon frère !
Hell Ferguson courut à travers les champs, suivis de Blanche. Oh non... On avait dû les tenir au courant, aussi avaient-elles décidé d'écourter leur séance d'achats, pour le mariage.
-Tout va bien ? Que s'est-il passé ?
-Une attaque de géant de pierre, lâcha-t-il sèchement, en remontant le chemin jusqu'au bâtiment principal. Je pense que Lucifer a décidé de s'en prendre aux alliés d'Exil. Nous allons devoir renforcer la sécurité.
-Peuh!Nous n'aurions jamais dû nous allier à ces démons en premier lieu ! cracha Bélinda, derrière lui.
Il se retourna avec lenteur, faisant reculer d'un pas la métamorphe. Même ses sœurs le fixaient avec des yeux ronds, stupéfaites de son humeur massacrante.
-Comptes-tu me tenir tête encore longtemps ? demanda-t-il, d'un calme inquiétant.
Son ancienne compagne cligna des paupières, sans trouver le soutien de Milan.
-Je... Heu...
-Bien. Milan ! Je veux des patrouilles renforcées sur tous les flancs de la colline. Que les métamorphes ailés se postes sur les sommets, je veux que tout nous soit visible instantanément ! Tenez-moi au courant du moindre changement dans le décor ! Si des géants de pierre nous sont envoyés, je veux que nous soyons prêts à les accueillir.
Il s'engouffra dans ses appartements, où il trouva un pantalon jeté sur le canapé. Tout était encore sens dessus dessous de ses ébats avec la Némésis. Cela ne contribua en aucun cas à améliorer son état d'énervement.
-Rika était là, face aux géants, n'est-ce pas ? demanda Blanche.
-Oui. Pourquoi ? gronda-t-il en enfilant son vêtement.
-Parce que ce n'est pas bon. Pas bon du tout.
Il plissa les paupières. Elle ne broncha pas, pas plus que Hell qui, assise sur la table, attendait visiblement les explications de leur sœur.
-Rika a participé à de nombreuses guerres, dans les Enfers, expliqua la lare. Celle des Géants en fait partie. Ils auraient gagné, sans son intervention. Mais elle était là, et elle a participé à leur asservissement.
Il fronça les sourcils, en croisant les bras.
-Ils pensaient Rika morte depuis des mois, n'est-ce pas ? fit-il, ses méninges entrant de nouveau en action. Comme ils la tiennent responsable de leur situation actuelle, ils ont décidé de se venger.
-Je pense, approuva Blanche.
Fergus ferma les paupières, soudain très fatigué.
-Ce qui veut dire qu'elle et les siens sont vraiment en mauvaise posture.
Ses deux sœurs se regardèrent, perplexes.
-Elle et les siens ? De quoi parles-tu ?
Il les considéra, tour à tour. Que Hell ne soit pas au courant pour la forteresse dans les montagnes était une chose. Mais Blanche ? Elle était ce qui s'apparentait le plus à une amie pour Rika. Si elle n'en savait rien, il n'avait probablement pas le droit d'en parler. Et vu la crise qu'elle lui avait fait, il y avait fort à parier que nul n'était censé voir l'endroit.
-De rien. Blanche, tu devrais retourner auprès de ton futur époux. Nergal doit s'inquiéter, si la nouvelle de l'attaque lui est parvenue.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top