Chapitre 2 : Des Fous Alpins
La neige lui arrivait au-dessus des genoux, rendant son avancée difficile. Le vent la fouettait, son long manteau peinant à la garder à une température acceptable. Silke retint ses grommellements, pour empêcher la formation d'un nuage de condensation juste devant elle. Cela l'aurait empêché de voir la carte, qui l'aidait à s'orienter.
Oui, mais... Comment faisait-on pour s'y retrouver, au milieu de sommets enneigés, ou il n'y avait rien d'autre que du blanc à perte de vue ?
Perdue dans les Alpes des humains, elle avisa son environnement avec humeur. Il faisait froid. Il gelait. Et elle cherchait un hypothétique endroit à cause d'une lettre écrite par sa psychopathe de sœur. Depuis son décès -présumé- lors de la bataille pour l'épée, elle arpentait les montagnes, cherchant ce symbole. Le dernier que Rika ait pu laisser derrière elle.
La Némésis froissa le morceau de papier, la colère la poussant à reprendre sa marche. Un mois qu'elle cherchait cet endroit ! Un mois qu'elle se fuyait elle-même. Sa sœur était morte. Elle lui avait donné un objectif. Mais surtout, une échappatoire.
Car Svenn avait disparu pour de bon. Mort. Et rien ne pourrait apaiser les regrets qui lui transperçaient le cœur en permanence, depuis ce fameux jour. Ils n'avaient pas eu le temps de s'expliquer. Ils n'en auraient plus jamais l'occasion. Jamais.
Dégoûtée d'elle-même, par tout ce qu'elle avait infligé à son meilleur ami, elle n'en perdait pas moins ses sens et réflexes. Aussi, lorsqu'un sifflement retentit dans le calme de la montagne, elle réagit instantanément.
Une main griffue arrêta net la flèche qui lui était destinée. Jaillit de la brume répandue autour d'elle, son Ancêtre poussa un grondement inhumain. La lamie, être aux jambes de serpent et au torse de femme, à la chevelure garnit de reptiles, était une des créatures les plus redoutables de l'Invisible.
Néanmoins, son adversaire semblait la connaître. Car il surgit latéralement à elle, pour la plaquer dans la neige. Le froid transperça aussitôt le corps de Silke. Une lame se posa sur sa gorge, glacée par les températures négatives. En croisant le regard vert d'une femme, elle haussa un sourcil. C'était qui, celle-là ?
-Je sais que tu es proche de Svenn ! Cracha-t-elle, belliqueuse. Dis-moi où il se trouve !
Instantanément, les yeux dorés du loup, sa chevelure d'un blanc pure traversèrent son esprit, ravivant cette douleur dont elle ne parvenait pas à se débarrasser.
-Svenn est mort.
La femme fronça les sourcils, l'air plus mauvais encore. Pourquoi se faisait-elle attaquer par une inconnue en plein dans les Alpes ? Franchement ? Ca n'arrivait qu'à elle, ce genre d'idiotie !
-Ce rat est increvable, comme tous les monstres de son espèce, siffla l'autre en pressant le tranchant de la lame sur sa peau. Tu mens !
-Je ne mens pas !
-Dans ce cas tu es simplement ignorante ! Inutile ! Un être de son acabit ne peut décéder sur un simple champ de bataille ! Je jure sur les cieux que je serais celle qui versera son sang. Jusqu'à la dernière goutte !
Cette femme était complètement folle ! Ne comprenant pas un traître mot de ses paroles, Silke décida de la faire dégager d'au-dessus d'elle. Une lamie apparut dans un silence absolu, pourtant, cette garce parut l'entendre. Elle bondit sur ses pieds, son air féroce à l'égal de sa folie. Elle adressa un regard mauvais à Silke, avant de partir en courant. Elle paressait presque flotter sur la neige, tant elle était rapide.
Surprise, la Némésis en oublia de la prendre en chasse. Qui était-elle donc ? Pourquoi prétendait-elle connaître Svenn ? Il était... Vivant ? Saint et sauf, quelque part dans ce monde ?
Le cœur battant à tout rompre elle avisa le ciel d'un bleu éclatant, la neige et les sommets autour d'elle. Si Svenn était vivant, il l'aurait contacté. Il aurait donné de ses nouvelles, au moins à une personne du village : Alastor. Car si ce dernier découvrait plus tard sa survie, il le regretterait amèrement.
Elle avisa la silhouette de la femme. Déjà, elle disparaissait au travers d'une faille, entre le monde des humains et les Enfers. Dans le blanc pure, le rouge de l'autre plan apparut, aussi chaud et mauvais que le venin des serpents. Elle fit disparaître ses lamies. Inutile de gaspiller son énergie, pour le moment.
-Oh, ce regard...Je le reconnaîtrais entre mille.
Cette fois-ci, elle sursauta pour de bon. Alors qu'elle avait les fesses dans la neige gelée, un homme était venu s'accroupir à ses côtés, pour l'observer telle une attraction de cirque. Il n'y avait que des malades mentaux, dans cette partie des Alpes !?
-Tu reconnais quoi ? Lança-t-elle à l'homme, sur ses gardes. Le visage d'un aliène ?
Il lui rappelait quelque chose, à elle aussi. Vêtu de noir -comment avait-il fait pour passer inaperçu, jusqu'ici ?-, il lui souriait d'un air narquois. Ses cours cheveux d'un rouge sombre virevoltaient au grès du vent, sans dissimuler l'apparente jeunesse de ses traits. Il paressait avoir moins de trente ans. Mais à son unique œil d'un bleu céruléen Silke comprit qu'il en avait bien plus. Un cache-œil dissimulait son autre orbite.
Il se redressa avec un petit soupir, avec une grâce inattendue.
-Décidément, tu ressembles vraiment à ta sœur. Rika peut être une vraie peste, elle aussi.
Rika ? Rika !?
-Attends ! S'exclama-t-elle se jetant sur ses pieds. Tu connais...
-Je suis chargé de te mener à bon port. Elle m'a dit que tu parviendrais à venir jusqu'ici. Tu es aussi résistante qu'elle l'a prédit. Pour le moment, tu es à la hauteur de ses attentes.
Elle fixa l'homme, dont le sourire raisonnait faussement à ses sens. Au bon sang, Rika... Qu'avait-elle fait, avant de mourir ?
*
La forteresse trembla jusqu'au plus profond de la falaise. De la poussière tomba du plafond, des cris raisonnèrent partout dans les étages. Mais elle n'en avait cure. Rika avait décidé de rayer cet endroit de la carte. Une bonne fois pour toute.
Pour la première fois depuis des années, elle libérait la totalité de son pouvoir de Némésis. Des centaines et des centaines de ses Ancêtres envahissaient les couloirs, se jetant sur ses ennemis, déchiquetant tous ces démons qui avaient suivi aveuglément Lucifer, sans se soucier des victimes. Sans se soucier d'elle. De sa sœur. Ou même de sa mère.
-Rika.
Fergus. A ses côtés, le métamorphe ne tremblait pas, en dépit de la puissance qui faisait vibrer l'air, des hurlements d'agonies qui retentissaient. Dans son propre sang coulait les dons des Némésis, mais également le patrimoine de générations et de générations de métamorphes. Ce côté, hérité de son père, lui permettait d'invoquer tigres, panthères, loups, faucons... Toutes les créatures du monde des humains traduits en garous. Au milieu de ces bêtes, des soldats aux allures d'humains combattaient. Certains préféraient cette forme à leur coté animal. Elle ne leur imposait rien. Du moment qu'ils effectuaient leur travail.
-Tu devrais un peu baisser la pression, fit le dragon en lui posant une main sur l'épaule. La falaise va nous tomber sur la tête, à ce rythme.
Elle lui adressa un regard accusateur. Il haussa un sourcil, sans se laisser démonter. Un point pour lui.
-A-t-on avis, pourquoi étais-je enfermée et droguée, Fergus Ferguson ? Cracha-t-elle en reprenant sa marche, au milieu d'un épais tapis de brume. A quoi servent ces lieux, selon toi ?
-Bon sang, je n'en sais rien. Je ne savais même pas que tu te trouvais dans ce coffre-fort.
Elle lui jeta un regard en coin. Évidemment. Personne n'aurait pu prendre la décision de la sauver. Personne ne la savait vivante, personne ne savait si elle ne s'était pas tout simplement occupée de ses propres affaires, après la bataille contre Lucifer. Sa bouche prit un pli dur.
-Tu te trouves en plein milieu du centre de reproduction des Némésis.
Sans le voir, elle perçut sa stupéfaction. Plus qu'un escalier, et ils surgirent à l'air libre. L'air... Elle en inspirant une grande bouffée revigorante. Même dans les Enfers, se trouver à l'extérieur faisait du bien. Après un mois d'enfermement c'était... divin.
-Tu veux dire que tu étais...
-La nouvelle génisse choisit par Lucifer, confirma-t-elle en lui adressant un grand sourire cruel. Je devais porter la nouvelle génération de gentils petits soldats de son élevage.
Quand elle avait appris cela, sortilège de protection ou pas, elle avait failli tuer toutes les personnes présentes dans la pièce. Mais il y avait Lucifer. Ils l'avaient droguée. Alors, tout c'était transformé en un brouillard opaque. Ils l'avaient « conditionnée ». Ainsi, elle écarterait les cuisses sans rechigner devant le prochain procréateur, quel qu'il soit.
Une nouvelle bouffée de haine l'envahit. Elle allait tout faire brûler.
-Y a-t-il d'autres femmes comme toi, entre ces murs ?
Elle secoua la tête.
-Non. Le protocole est strict : une seule génisse à la fois.
Ce qui impliquait pour lors aucun enfant hurlant dans la solitude des murs noirs, aucun « procréateur » enfermé dans les profondes geôles. Son conditionnement n'étant pas encore achevé, personne n'avait jugé bon de rapatrier les futurs géniteurs de ses enfants. Les risques d'évasions devenaient trop élevés, sur une longue durée.
Un démon s'écrasa à côté d'elle. Il avait sauté de quatre étages, pour tenter d'échapper aux flammes. Cela ne lui réussit pas. Avant qu'elle ait eu le temps de faire le moindre geste, Fergus lui avait ouvert la gorge, évacuant la menace. Elle aurait poussé un soupir, s'il n'y avait pas eu de témoins.
Elle était fatiguée. Faire l'amour lui avait certes permit d'évacuer une partie des drogues, suffisamment du moins pour invoquer ses Ancêtres, mais cela ne la rendait pas plus vaillante. Au contraire. Elle avait mal de partout.
-Nous ferions mieux de rentrer, décréta Fergus. Tu te sens de tenir sur mon dos ?
Une fois transformé en dragon, supposa-t-elle. Oui, elle s'en sentait. De toute évidence, elle n'était pas capable de franchir le voile entre les Enfers et la terre. Maudites drogues... Tout autour d'elle, ses guerriers de brumes s'en donnèrent à cœur joie, leur libérant la voie vers l'extérieur. Fergus avait une forme certes létale, mais s'il ne voulait pas tuer ses alliés, il avait un grand besoin d'espace.
Debout sur le chemin escarpé, Rika regarda une dernière fois la forteresse. Elle y avait vu le jour. Comme sa mère. Et sa mère avant elle. Sa race, depuis des siècles, voyait le jour dans les entrailles des Enfers.
Un mauvais sourire étira ses lèvres, en avisant les flammes qui ravageaient l'intérieur de la falaise. Désormais, elle n'avait plus à jouer double jeu. Elle avait fini de traiter avec Lucifer. La deuxième phase de son plan entrait en marche.
Un grondement la rappela à l'ordre.
Un énorme dragon, s'avançait vers elle, d'une grâce époustouflante en dépit de ses plusieurs tonnes. Ses écailles étaient d'un écarlate saisissant, ses immenses yeux orangées la fixant sans animosité. Heureusement. Car ses crocs étaient des dagues, ses griffes des poignards. Sans compter le souffle enflammé qu'il était capable de libérer.
Pourtant, elle n'avait pas peur. Ce n'était autre que Fergus Ferguson. Un homme dont la bonté n'avait pas déclinée au cours de ces siècles de souffrance.
Elle s'approcha de lui, le fixant droit dans l'une de ses pupilles. Oui. Lui était capable de compassion. Contrairement à elle.
*
Le retour jusqu'en Exil se fit en bien peu de temps. Fergus aurait pu la rapatrier sur les terres du Clan, mais la situation était toujours tendue, là-bas. Sans compter qu'Alastor serait ravi de la voir : avec la Némésis dans la balance, ils allaient pouvoir revoir leurs plans.
Même si pour lors, il n'en avait rien à fiche. Battant de ses ailes puissantes, il surplombait les vallées et montagnes humaines, se jouant des plus mauvais courants du vent. Il culpabilisait horriblement. Il avait volé la virginité d'une femme de valeur, dans des circonstances toutes sauf propices à cela. Certes, elle avait été particulièrement volontaire. Mais cela ne changeait rien à la réalité de la chose : il l'avait prise à même un mur, au milieu de la poussière, entre un balai et un seau.
Bon, il pouvait expliquer son comportement : les fragrances de drogues aphrodisiaques avaient alors enveloppés la jeune femme, la rendant tout bonnement... irrésistible. Mais tout de même...
-On arrive, Fergus !
La Némésis lui tapota les écailles dorsales. Effectivement, le pic d'Exil était droit devant. En quelques coups d'ailes, il couvrit la distance, afin de venir se poser juste devant les portes du campement des réfugiés, au pied de l'éperon rocheux. Leste, Rika sauta à terre, lui permettant de reprendre forme humaine.
C'était toujours une chose impressionnante, surtout dans son cas. Qu'un dragon de quelques tonnes passe à l'enveloppe charnelle d'un humain tenait de l'inconcevable. Pourtant, tout passa, grâce à la magie inondant ses veines. Il y a fort longtemps de cela, les dieux avaient répondus aux prières des Ferguson. Ils n'avaient pas fait les choses à moitié. Pourtant, tout avait un prix...
Fergus se redressa, un frisson courant sur sa peau. Il avait toujours eu du mal avec la perte de ses écailles. La sensation de la légère brise le glacait, bien malgré lui. Pourtant, cette fois-ci, il eut incroyablement chaud.
Rika le fixait de ses grands yeux noirs, avec une absence d'expression particulièrement suspecte. Il ne savait pas ce qui se passait dans son esprit, mais ce devait être houleux. Elle devait lui en vouloir. Imaginer mille et une façons de lui faire payer son comportement.
-Franchement, vous devriez investir dans des fringues magiques. J'en ai ma claque de voir des mecs à poil.
Le dragon sourit en se tournant vers l'ange blond, apparut à l'instant près d'eux. Caractériel, grossier, il était coupable de bien des péchés. Pourtant, on ne lui avait plus retiré son titre de Séraphin après son exploit lors de la dernière bataille. De plus, ce salopard était le compagnon de sa petite sœur.
-Ce sera ta pénitence, jusqu'à ce que je te pardonne, gronda-t-il en s'emparant du pantalon que lui offrait Barbatos.
-La tienne sera de m'entendre faire des commentaires cochons à Hell, jusqu'à la fin de ta vie, rétorqua l'ange.
-Tu es insupportable.
Il enfila le vêtement, sous le regard de Rika. Son calme devenait carrément inquiétant.
-Content de te revoir, ma petite Némésis ! S'exclama Barbatos. Toujours vivante, à ce que je vois ! La forme ? La pèche ? Envie de cogner quelqu'un ? Qu'est-ce qui t'es arrivé, au fait ?
-Les questions seront pour plus tard, intervint Fergus en s'approchant d'elle. Rika ? Tout va bien ?
A ces paroles, ses genoux se dérobèrent sous elle. Il la récupéra de justesse, un bras passé autour de sa taille. Avec un grondement, il passa un autre sous ses genoux, pour la soulever du sol. Contre toute attente, elle ne protesta pas. En vérité, elle... Dormait ?
-Elle a dû épuiser ses dernières ressources pour venir jusqu'ici. Barbatos, je l'emmène se reposer chez moi, je vous rejoins après.
-Pas de soucis, mon poulet.
Le Séraphin s'évanouit dans l'air, emportant son aura dorée avec lui. Il était devenu une véritable ampoule, depuis sa réhabilitation angélique. Avec un soupir, Fergus déploya ses ailes de cuir rouge, sans pour autant reprendre sa forme de dragon. Il n'avait tout simplement pas envie de gravir toute la pente à pieds.
Il s'envola, avec une Rika terriblement légère contre lui. Elle ne pesait pas lourd dans ses bras. Certainement avait-elle maigri durant son enfermement. Humer des drogues n'avait pas arrangé les choses.
Certains habitants d'Exil le saluèrent en le voyant passer, d'autres trouvèrent cela commun. Il se posa juste devant sa demeure. Alastor avait décidé de lui attribuer ce petit pied à terre, deux semaines plus tôt. Il passait beaucoup de temps au village, afin de prévoir les ripostes contre Lucifer. L'endroit était petit, mais confortable. Sans étage, il y avait la place d'un salon-cuisine, d'une salle de bain et d'une petite chambre. Pas besoin de plus. En général, sa présence impliquait combats ou longues réunions.
Avant d'allonger Rika entre les draps, il les repoussa du bout du pied. Toujours vêtu de son t-shirt de combat, elle paressait étrangement vulnérable. La Némésis n'avait jamais provoqué ce type de sentiment en lui.
Et ne le provoquera plus jamais, se dit-il lorsqu'une poigne d'acier l'attrapa par la nuque, le forçant à se pencher vers la jeune femme. Ses yeux noirs se plantèrent dans les siens, pleins d'une fureur capable de tout ravager.
-Parle de ce qui s'est passé, gronda-t-elle, et je te ferais goûter à la colère d'une Némésis.
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