Chapitre 6 : La Malice du Démon

Aliénor se réveilla en étoile de mer dans son lit. La bave aux lèvres, elle émergea d'un profond et réparateur sommeil. Le soleil se déversait à flots dans sa chambre, elle était nue sous les draps... Et le Duc de Bérith l'observait avec un sourire amusé.

-Ha ! s'exclama-t-elle en effectuant un roulé-boulé pour se cacher sous la couverture. Bérith ! Démon... Hawk ! Que... Je suis où ?

Il lui fallut un instant pour comprendre.

-Tu m'as endormi, maudit fourbe !

-Je confirme. Tu avais besoin de sommeil.

Elle le fixa d'un air soupçonneux.

-Tu n'as pas...

-Abusé de toi ? ricana-t-il. Ma petite cochonne ! Cela t'aurait réveillé, crois-moi.

Voilà qu'elle rougissait comme une pivoine. Avant de se souvenir d'une chose.

-Hawk ! Les coups... La chapelle ! Je dois y aller !

-Ton exorciste va bien, pas la peine de te précipiter.

Heureusement, car elle tomba comme une masse par terre, empêtrée dans le drap. Un écureuil partit en courant, visiblement bloqué dans sa tignasse en bataille depuis un moment.

-Qu'en sais-tu !?

Bérith leva les yeux au ciel.

-J'ai vérifié. Tu allais me poser la question dès ton réveil, autant ne pas perdre de temps.

Toujours enroulée dans le tissu, elle l'observa attentivement.

-Es-tu sérieux ? Tu as vraiment vérifié si Hawk... Je veux dire, si lord Abiscon allait bien ?

-Ça t'en bouche un coin, hein ? rit-il. Je...

-Aliénor de Millicent !

Le cœur de la jeune femme faillit sortir de sa poitrine lorsque la Duchesse entra dans sa chambre comme une diablesse. Non ! Pas ça ! Pas avec elle nue et avec le démon dans la même pièce ! C'était la tragédie assurée !

-Tu peux me dire pourquoi tu n'es toujours pas levée, jeune fille ? lança sa mère en baissant ses yeux verts sur elle.

Que... quoi ? Interdite, elle regarda Bérith, avant de revenir sur sa mère. Ils étaient l'un en face de l'autre. Elle ne pouvait que l'avoir vu.

-Ne me prend pas pour un démon de pacotille, déclara l'intéressé en disparaissant lentement.

-Aliénor ! Tu pourrais me répondre, tout de même !

-Hein ? Oh, oui, maman...

En vérité, elle avait oublié le rendez-vous familial des trois jours. Ils se retrouvaient tous au bout de cette période dans le bureau de Rodolphe, afin de faire le point sur la situation : qui avait été attaqué, qui était intervenu, et ainsi de suite.

En l'occurrence, lord Abiscon assistait aux séances.

Tiré à quatre épingles, il était arrivé doté de son flegme coutumier. Il avait souri gentiment à Aliénor, sans laisser montre de la moindre gêne pour la veille.

Pour sa part, elle aurait été capable de se jeter sur lui pour le mettre nu sans sommation.

Malheureusement, ça ne semblait pas partagé. Aussi se concentra-t-elle sur la discussion en cours.

-Attends, fit lentement Aurore en fixant son frère. Ça veut dire que les attaques sont en train de décroitre ?

Florentin hocha la tête, catégorique.

-Oui. Aux frontières et à l'intérieur de la demeure, les manifestations des activités d'Oncle Oscar sont de moins en moins fréquentes.

-C'est étrange. Nous nous rapprochons de mon mariage et il décide de se calmer ?

-Cela ne lui ressemble pas, murmura le Duc de Millicent. Mon frère est particulièrement tenace question vengeance.

-Je confirme.

Cela venait d'Angèle. Leur mère avait de profondes cernes sous les yeux, ainsi qu'un air préoccupé. Aliénor partageait cet état d'esprit. Surtout au vu de ses récentes découvertes.

-Il y a un fort risque pour que des activités sataniques soient menées dans le château.

Toutes les têtes se tournèrent vers Hawk. Bien droit dans ses bottes, son haut-de-forme posé à son côté, il sourit à l'assistance.

-J'aurais senti ce genre de rituel, intervint Léopoldine. Je suis une sorcière.

Il baissa ses yeux vairons sur elle.

-Pas si ces personnes sont assez rusées pour couvrir les émanations de leurs pratiques. En fait, je suis certain que quelqu'un tente d'invoquer votre oncle. N'est-ce pas, mademoiselle Aliénor ?

Toutes les têtes se tournèrent vers elle. Parfait. Merci Hawk, songea-t-elle avec rancoeur.

-Oui. Je vais vous expliquer...

Elle leur raconta l'attaque du miroir, les spéculations avec l'exorciste, la sensation désagréable dans la forêt cette nuit. Elle s'abstint toutefois de mentionner Bérith. Nul ne savait pour son commerce avec le démon, et c'était bien mieux ainsi ! Enfin, Léopoldine était de son côté, donc ça allait...

-Nous devons les trouver, gronda Rodolphe de derrière son bureau.

-Avant le mariage, confirma sa femme. Oscar tentera d'être là pour tout ruiner, Aurore.

-Je ne le permettrais pas.

Le Duc de Lucassi parlait pour la première fois depuis le début de la réunion. Sa voix avait tranché l'air telle une hache, ne laissant aucun doute sur ses intentions : à partir d'aujourd'hui, les satanistes seraient traqués.

Et tués selon les lois de l'occulte.

*

Elle n'avait pas envie de s'amuser aujourd'hui. Néanmoins, elle devait voir Hawk. Elle devait mettre les choses au clair avec lui, par rapport à hier soir, et éventuellement... Elle préféra arrêter de penser avant de rougir comme une pivoine. Ce n'était pas le moment.

Diantre, allait-elle devoir explorer toutes les pièces du château, avant de mettre la main sur lui !? Aux aguets pour le dénicher dans les différentes salles, elle tendit par mégarde l'oreille.

-Avez-vous vu le Duc de Bérith ? murmuraient certaines femmes, à l'abri de leur éventail.

-Oui. Quelle belle prestance il a !

-Et quel physique ! Je parie qu'il est aussi beau que le Duc de Millicent sous ses frusques.

-Nous devrions trouver un moyen de le dévêtir...

Sur quoi des gloussements éclatèrent. Aliénor roula des yeux exaspérés. On eut dit des poules de basse-cour ! Si elles savaient qu'un démon se cachait derrière le blanc sourire de Bérith... Elles déchanteraient rapidement.

-Il est célibataire, faisait une autre dans la salle de couture. Un parti parfait ! Un Duc, vous imaginez !

-Beau, qui plus est. Et d'une gentillesse...

Là, elle faillit éclater de rire en passant devant les commères.

-Je serais prête à réchauffer sa couche...

-Moi aussi...

Nouveaux rires de gorge savamment calculés. Elle grimaça en poursuivant sa route. Il n'avait qu'à se baisser pour les ramasser, le bougre ! Qu'il prenne donc l'âme d'une autre, au lieu de convoiter la sienne à ce point !

En débouchant sur la salle d'entrainement à la danse, elle tomba sur un spectacle inattendu : cerné de toute part par des jupons et de la dentelle, le Duc de Bérith semblait s'ennuyer à mourir. Les hommes de l'autre côté de la pièce faisaient grise mine, tandis qu'il répondait sans vraiment le savoir à toutes ces donzelles chasseuses de mari. Ou de lit, d'après ce qu'elle avait entendu.

Il semblait se trouver en mauvaise posture. Pourtant, elle aurait cru qu'être le centre de l'attention d'autant de femmes plairait au démon.

Alors que là... Les yeux sombres de Bérith parurent s'illuminer quand ils croisèrent les siens, par-dessus la tête de sa petite cour. Effectivement, il dépassait tout le monde.

-Mademoiselle Aliénor ! s'exclama-t-il avec un immense sourire.

Tous les visages se tournèrent vers elle. D'accord... Il la rejoignit en quelques enjambées, l'air sincèrement ravi. Il lui offrit son bras, qu'elle accepta de bonne grâce pour l'extirper de la salle.

-Vous sembliez traverser une mauvaise passe.

-C'est un euphémisme, ma douce. Je m'ennuyais à mourir et me languissais de votre présence.

-Vous êtes un obséquieux.

-Non, je suis sincère. Vous êtes la seule raison de ma présence ici, Aliénor.

Étrangement, elle rougit. Était-ce en raison de ses paroles, ou du ton doux qu'il venait d'employer ? Incapable de le savoir, elle préféra ignorer la chose, pour le guider vers la serre tropicale déserte. Personne n'aimait la chaleur des lieux.

-En parlant de cela... Pourriez-vous me rendre un service, Bérith ?

-Cela a un prix.

Devant la porte de la verrière, elle le fixa, avec un froncement de sourcil. Lui souriait toujours.

-Je sais. Mon... âme, chuchota-t-elle en regardant autour d'elle.

-Non. Votre âme, c'est pour tout le travail. Mais rien ne m'empêche d'exiger des extras.

À son expression, il partit de rire. Cela attira l'attention sur eux, aussi s'empressa-t-elle de le faire entrer dans la serre. Entre deux grandes feuilles, elle tendit l'oreille, pour s'assurer que personne ne se trouvait là. Parfait. Ils étaient seuls.

-Un extra ? s'insurgea-t-elle, les poings sur les hanches. Vous en prenez déjà pas mal en vous invitant dans mon lit pour dormir !

-Attendez, ne le criez pas si fort ! s'exclama-t-il.

-Il n'y a personne ici.

-En êtes-vous certaine ?

-Oh, ça va ! Je ne vous donnerai pas d'extras, Bérith !

-Ha, mais si. Je refuse de travailler sans un baiser de votre part.

Ils se toisèrent, chacun les bras croisés.

-Non.

-Alors je ne vous aiderai pas, quelle que soit votre demande.

-Démon !

-Oui, je sais, gloussa-t-il en tournant les talons. À la prochaine, Aliénor !

-Quoi, vous vous sentez soudain plein d'affection pour ces demoiselles ? cingla-t-elle en croisant les bras.

Il se figea, pour lui adressa un regard par-dessus son épaule.

-Jalouse ?

-Que... Absolument pas ! J'éprouve juste de la pitié pour elles !

Pivotant vers elle, il parut soudain très intéressé. Diantre, ses yeux pétillaient de malice.

-Vraiment ? Pourtant, nous, les démons, sommes réputés pour être des experts en matière de sexe.

Elle émit un ricanement fort peu féminin.

-Et qui le dit ? Vous ?

-Oh, Aliénor... J'ai des centaines d'années... Le corps d'une femme n'a aucun secret pour moi...

Soudain, elle eut brusquement froid dans cette serre surchauffée... En baissant les yeux, elle se découvrit nue.

-Bérith ! s'exclama-t-elle en se couvrant de ses mains. Vous devriez cesser de faire ça ! C'est très désagréable !

La seconde suivante, elle se retrouvait contre lui, sa bouche couverte de la sienne. La main sur sa nuque pour la bloquer, il força le barrage de ses lèvres, pour en prendre possession avec une aisance déconcertante. Elle aurait volontiers résisté, mais... Il ne lui en laissait absolument pas le temps, le bougre !

Sans s'en apercevoir, elle entra elle aussi dans la danse. Elle ne protesta même pas quand son dos rencontra le sol... Non, le drap de son lit ! Il les avait transportés par magie sur... En fait, elle était incapable de penser. Trop de frustration... Cette nuit passée avec les vestiges d'un désir inassouvi fit l'effet d'un catalyseur.

Elle se cambra contre lui, ivre d'être touchée. Juste... Il quitta ses lèvres, pour embrasser sa gorge, la naissance de ses seins... Sa langue rencontra la peau si tendre de son aréole... Un gémissement langoureux et étrange se fit entendre dans la chambre, les faisant se figer tous les deux.

Non... Ce n'était pas elle qui venait d'émettre ce son, tout de même !?

-Bérith, stop ! s'exclama-t-elle, mais il avait déjà quitté sa poitrine, pour lui adresser un sourire vainqueur.

-Je prends ça comme paiement, déclara-t-il.

Ce fut une gifle qu'il reçut, retentissante. Honteuse, elle le somma de la rhabiller sur-le-champ, ce qu'il fit de bien mauvaise grâce. Ce faisant, elle remarqua qu'il n'avait pas fait s'évaporer ses propres vêtements.

Au moins n'avait-il pas eu l'intention de réellement... Heu...

-Alors, raconte-moi tout, ma petite cochonne. Que veux-tu que je fasse ?

*

Oserait-elle seulement se présenter à Hawk après tout cela ? Oui, car elle n'avait pas le choix. De plus, au plus ça allait, au plus elle était frustrée. Cela gâtait considérablement son caractère !

C'était la faute de Bérith... Il avait dû la manipuler pour lui faire ressentir du plaisir contre son gré, le bougre !

Oh, bon sang... Sans cette virginité, elle aurait eu un moyen de briser le pacte... Mais avec sa maudite virginité, elle ne pouvait pas faire comme bon lui semblait...

-Mademoiselle de Millicent... Puis-je vous parler ?

Voici le Comte Jehan, avec son œil au beurre noir un peu plus violacé encore que la veille. Souriant, il lui offrit son bras. Elle ne put refuser. Maugréant dans sa barbe qu'elle n'en pouvait plus de tous ces hommes, elle engagea la conversation.

-Que puis-je pour vous ?

-Rien de particulier, mademoiselle... Le simple plaisir de votre compagnie me ravit.

À la mine qu'elle fit, il fronça les sourcils.

-Ai-je dit une bêtise ? s'enquit-il.

-Non. C'est juste... Rien. Vraiment. Allons manger.

-Oh, attendez... Je...

Ils s'arrêtèrent dans l'un des salons. Tous les invités avaient déjà convergé vers la grande salle à manger, dans un concert de paroles toutes plus insipides les unes que les autres. Que lui réservait donc le Comte ? Une déclaration ? Une tentative pour salir son honneur ? Hawk l'avait mise en garde.

Son air grave n'augurait rien de bon. Surtout avec cet hématome... Cela lui rappelait terriblement l'humanité de cet homme. Une humanité incompatible avec ses propres problèmes.

-Je vous...

-Aliénor de Millicent.

La jeune femme se figea, à l'instar du Comte. Son instinct la fit bondir en arrière. La seconde suivante, un couteau se plantait dans le meuble devant lequel elle se trouvait un instant plus tôt.

-Mademoiselle ! s'exclama l'autre en faisant un pas dans sa direction.

Malheureusement pour lui, Aliénor était déjà concentrée sur autre chose. Une horde de petits démons à pieds de boucs se trouvaient là, tous armés de couteaux. Oups...

-Sortez ! ordonna-t-elle au Comte. Tout de suite !

Et que fit ce pleutre ? Il s'exécuta ! Bon, cela l'arrangeait fortement. Car les diables se jetèrent sur elle sans autre forme de procès, couteau à la main. Diantre ! Relevant ses jupons, elle administra un fameux coup de pied au premier venu, tout en cherchant un chandelier à tâtons sur le manteau de la cheminée.

La vague parut la submerger. Des dizaines de petites mains s'emparèrent de ses chevilles, de ses mollets, pour l'attirer vers le sol. Il en tomba du plafond afin de se saisir de ses cheveux.

-Ça suffit ! rugit-elle, sur le point de se transformer pour échapper à leur prise. Bande de petits...

Un des démons lui mit quelques choses devant le visage, la prenant au dépourvu. Un miroir de poche. En une fraction de seconde se substitua à son propre reflet deux yeux violets malfaisants. Une main jaillit de la surface, pour s'emparer de sa gorge.

-Tu es à moi, Aliénor de Millicent !


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