Chapitre 2 : Une Nuit Mouvementée

Lord Abiscon repartit donc avec la marque de la main d'Aliénor sur sa joue. Toutefois, pas trop ingrate, elle l'avait remercié pour son intervention tout en le mettant à la porte.

Soulagée, la jeune femme fit le tour du petit salon, tout en resserrant les pans de sa robe de chambre en soie blanche. Rien. Tout semblait intact, hormis sa tranquillité d'esprit. Avec un soupir, elle se résigna à aller se coucher. Dire qu'elle tentait d'échapper au Comte Jehan ! Elle tombait de Charybde en Scylla, en vérité...

-Bonsoir, Aliénor.

Elle sursauta à peine en découvrant un homme dans le fauteuil. Jambes tendues, chevilles négligemment croisées, il l'observait avec un demi-sourire décontracté. Vêtu d'un simple pantalon rouge, il exposait à sa vue un ventre plat ciselé d'abdominaux, des bras aux muscles faits pour tuer.

Aliénor déglutit nerveusement.

-Bonsoir, Duc de Bérith. Il fait un peu frais pour être aussi peu vêtu.

-Si je ne m'abuse, tu es nue sous ta robe de chambre, ma petite cochonne, susurra-t-il, les yeux pétillants de malice.

-Vous voulez ma main dans la figure, vous aussi ?

Il éclata de rire en se redressant. Sa haute silhouette la surplombant, elle recula tandis qu'il se rapprochait. Jusqu'à buter contre le mur. Le cœur battant la chamade, elle considéra ce démon venu tout droit des Enfers pour la hanter.

-Non, je ne veux pas ta main dans la figure, Aliénor. Mais je veux bien d'autres choses de toi...

-Ha non ! s'exclama-t-elle en se plaquant un peu plus contre la paroi.

Elle savait pertinemment de quoi il en retournait. C'était ce qu'elle lui refusait depuis des nuits. Il venait là, pour la tenter encore et encore. Ses mains se posèrent sur son visage, avec une douceur qui lui fit rater un battement de cœur. Elles étaient chaudes, aussi Aliénor retint-elle son souffle. En dépit de tout, le Duc de Bérith n'avait jamais été violent avec elle. En revanche, il était très tactile.

-Je ne vous donnerai pas mon âme.

-Je n'en veux pas, souffla-t-il en se penchant en avant. C'est ton corps, que je veux.

-P... Pour le manger ?

-Je te croquerai bien volontiers, effectivement...

Un bras passé autour de sa taille, il l'attira à lui de façon péremptoire. La poitrine écrasée contre son torse, à peine protégée par sa robe de chambre, Aliénor se sentit devenir rouge pivoine. Il était chaud. Trop chaud.

-Non ! Notre pacte ne consistait pas en cela !

-Effectivement. Tu m'as vendu ton âme. Mais même cela, tu me le refuses. Jouerais-tu avec mes nerfs, mortelle ?

Elle le repoussa à bouts de bras.

-Si quelqu'un joue, c'est certainement vous ! Mon âme, mon corps, vous pourriez tout m'arracher par la force, démon !

-Oh, ronronna-t-il d'une voix enjôleuse. Ma douce, ton corps, je le veux chaud et consentant contre le mien.

-Ce n'est pas près d'arriver !

-En es-tu certaine ?

Elle le fixa, incrédule. Il respirait une assurance typiquement masculine.

-Bien sûr !

-Ton cœur serait-il déjà pris ?

-Mon cœur ? Vous n'en avez rien à faire de mon cœur ! C'est mon corps que vous voulez !

-Hé bien, si je ne m'abuse, pour avoir ce dernier je dois acquérir le premier. Non ?

Si. Mais ça ne changeait rien au problème.

-Je ne peux vous aimer, démon !

Contre toute attente, il esquissa un sourire... démoniaque. Lui saisissant les doigts, il lui accorda un baise-main brulant, son regard de braise la couvant de façon indécente.

-C'est ce que nous verrons, en ce cas.

Sur quoi il disparut, la laissant seule dans la chambre. Oh, bon sang. Qu'avait-elle déclenché ?

*

Le lendemain matin, Aliénor de Millicent se réveilla avec un écureuil sur la tête. Pas un gros, mais il était fort occupé à maltraiter un gland, et cela faisait un bruit affreux. En le chassant de la main, la jeune femme s'aperçut qu'elle avait laissé sa fenêtre ouverte. Oh non !

Des rongeurs se trouvaient sur tous les meubles, des oiseaux voletaient en lâchant des trilles joyeux. Un couple de souris se courraient après sur la table basse, et dans le salon... Elle tomba sur lord Abiscon.

Jambes croisées, il dégustait un thé lorsqu'elle fit une entrée fracassant, un nouvel écureuil dans les cheveux, en chemise de nuit. Dans son complet noir, il haussa un sourcil railleur.

-Bonjour, mademoiselle de Millicent. Vous comptez lancer une nouvelle mode ?

-Oh, silence ! Que fichez-vous ici !?

Un lapin courut entre ses pieds, pour aller se réfugier sous le siège de l'exorciste. Ce dernier avala une nouvelle gorgée de son breuvage brulant, tout en rebaissant les yeux sur le document qu'il tenait de l'autre main.

-Votre frère m'a demandé de vous escorter. Après l'attaque d'hier soir, vos proches craignent pour votre sécurité.

-Allons bon, marmonna-t-elle en venant s'écrouler devant lui, encore mal réveillée. Et pourquoi me vouvoies-tu ?

-Une distance raisonnable est souhaitée en pareil accoutrement, non ?

Elle baissa les yeux sur sa chemise de nuit. Effectivement...

-Tu m'as vue nue hier, pourtant, tu me tutoyais.

-Une erreur de ma part.

-Hypocrite.

-Certainement. Maintenant, peux-tu aller t'habiller correctement, espèce d'ingrate ? J'aimerais prendre mon petit déjeuner.

Hum. Il ne tenait pas longtemps son vernis de mondanité, lui ! Avec un sourire narquois, elle se faufila de nouveau dans sa chambre. En tirant sur une clochette, elle alerta sa camériste de son besoin de son soutien vestimentaire. Une fois engoncée dans un corset, une robe verte sur le dos et des chaussures à talons aux pieds, Aliénor rejoignit l'exorciste. Il avait fini sa tasse de thé.

-Parfait, mademoiselle de Millicent, fit-il avec une courtoisie feinte, pour le plus grand bonheur de la camériste. Je vous escorte.

Une main sur son bras, elle descendit jusqu'à la salle de repas vert pistache. Une bonne partie des invités et des membres de sa famille se trouvaient là. Les siens semblaient en avoir soupé des mondanités. Malheureusement, avec le mariage d'Aurore approchant, il était compliqué de renvoyer tout le monde chez soi.

-Mademoiselle ! s'exclama cette sangsue de Comte Jehan en l'apercevant.

Sans quitter le bras de Hawk, elle adressa un salut poli au noble. Puis elle prit place aux côtés de son frère, qui lui baisa la joue.

-Bonjour, petite sœur. Comment vas-tu ?

-Bien. Il n'y a pas eu de... cauchemar, cette nuit.

Tous les Millicent hochèrent la tête. C'était ainsi qu'ils nommaient les attaques, désormais : les cauchemars. Au moins, ces bas de plafonds d'aristocrates n'y comprenaient-ils pas grand-chose. Ils mangèrent avec faim, puis les activités de la journée commencèrent : les hommes décidèrent de faire des démonstrations de techniques de combat, pour initier les autres, et les dames, comme par hasard, décidèrent de faire de longues promenade dans les jardins. Près du terrain d'entrainement, où une nuée d'hommes se retrouvèrent torse nu sous le soleil.

Enfin... Si les premiers acceptaient de s'exhiber, pourquoi les secondes ne pourraient-elles pas en profiter ?

Nullement intéressée, elle avait la ferme intention d'aller courser le lièvre dans les bois, sous sa forme de louve, lorsque Hawk l'intercepta. Avec un grand sourire, l'anglais lui fit faire demi-tour dans les jardins, avec un naturel déconcertant.

-Hé bien, hé bien. Vous aviez l'intention de faire du naturisme en pleine journée ?

-Personne ne vient jamais dans cette partie des jardins ! s'exclama-t-elle, furieuse de s'être fait attraper.

-Ha ? Parce que le Comte Jehan, lui, semblait empressé de vous rejoindre.

Surprise, elle suivit son regard. Le jeune freluquet se trouvait non loin de là, et faisait mine de marcher d'un pas tranquille. Pourtant, les nobles ne venaient jamais jusqu'ici, pour leurs promenades !

-Vous devez vous tromper.

-Je ne crois pas, non.

-Vous êtes un père, lord Abiscon. Vous ne connaissez rien à ces choses, alors pourquoi supputer de la sorte ?

-Aliénor, ne me prends pas pour un imbécile. Ce Comte-là veut te mettre dans son lit, que ce soit en souillant ton honneur ou non.

Ils passèrent devant le cuistre en question. Ce faisant, Jehan leur adressa un sourire amène.

-Où allez-vous, mademoiselle ?

-Admirer les beaux éphèbes qui se frappent un peu plus loin.

Elle ne vit pas Hawk rouler des yeux, car ils continuèrent sur leur lancée. Il marchait vite, le bougre !

-Je ne vais pas pouvoir te sauver la mise à chaque fois, Aliénor. Tu vas devoir être plus vigilante.

-Tu ne me crois pas capable de le maitriser si besoin est ?

-Oh, si ! Tu as la force d'un ours, dans tes petits bras. Toutefois, si cet individu pose les mains sur toi... Si tu veux éviter un meurtre, tu devras être plus prudente.

-Ma famille ne le tuera pas, ils se contenteront de le terroriser.

-Qui a parlé de ta famille, Aliénor ?

Elle n'eut pas l'occasion de s'attarder sur cette subtilité, car ils franchirent la petite haie de buissons les séparant des lutteurs. Florentin se trouvait sur le bord, très amusé par la démonstration de force des invités.

-Cela est-il probant ? demanda-t-elle en le rejoignant.

Son frère lui coula un regard pétillant de malice.

-Admire, petite sœur, la puissance de l'aristocratie.

Se retenant de glousser, la jeune femme s'installa sur une chaise, entre Florentin et lord Abiscon. Les femmes faisaient des bruits de pintades tout autour d'eux, en admirant la compétence exceptionnelle des nobles. Ils voulaient montrer comment se battaient les gens de bonne famille.

Aliénor aurait pu leur mettre une raclée. Bon, elle avait du sang de louve dans les veines, cela aurait été tricher.

Le spectacle l'ennuya assez rapidement, aussi se tourna-t-elle vers son exorciste favori.

-Lord Abiscon, ne serait-ce point l'heure du thé ?

Son haussement de sourcil était éloquent.

-Non, mademoiselle de Millicent. Mais je peux vous servir d'alibi si cela vous sied.

-Cela me sied. Allons gouter à l'une de ces boissons horriblement amères. Je suis piquée par la curiosité, soudain.

Sur le point de se lever, elle fut surprise de découvrir soudain le Comte Jehan devant elle. Enfin, plutôt devant Hawk, dont le flegme ne bougea pas d'un pouce. Torse nu, laissant voir ses muscles parfaitement entretenus, le jeune noble respirait l'assurance. Aliénor se cala de nouveau sur sa chaise. Les choses allaient se pimenter, elle le sentait. Florentin aussi, car il lui adressa un clin d'œil amusé.

-Lord Abiscon. Nous feriez-vous l'honneur de nous montrer comment un prêtre itinérant se bat ?

Toute l'attention se concentra sur les deux hommes. Les pintades cessèrent de glousser, trop attirées par la conversation.

-Vous voulez vous battre avec un homme d'Église ?

-J'ai eu ouïe dire que vous saviez utiliser vos poings, ricana le freluquet. Si vous ne montriez de quoi il en retourne ?

Il y eut un petit silence.

-Si vous le souhaitez. Qui suis-je pour vous contrarier ? susurra Hawk.

Un frisson d'excitation parcourut la foule, tandis qu'Aliénor se mordillait la lèvre inférieure. Qu'il était difficile de ne pas se gausser en pareilles circonstances ! Pourtant, son envie s'évanouit lorsque, le Comte Jehan éloigné, l'exorciste lui confia son haut-de-forme.

-Quoi ? Vous vous séparez de votre plus fidèle ami ?

-Pas que, fit-il avec un sourire mutin.

Sous le regard esbaudi des dames, il se défit de sa redingote, de son veston et de sa chemise. En simple pantalon et chapelet autour du cou, il donna ses affaires à la jeune femme. Cette dernière, gênée par toutes les personnes autour d'eux, n'osait plus le regarder. Pourtant, les femmes ne s'en privaient pas, elles ! Fin et musclé, lord Abiscon possédait une forme physique inattendue pour un homme d'Église. D'ailleurs, le Comte Jehan fit légèrement grise mine en le voyant s'avancer, avec une assurance certaine. Son dos se présentant à elle, Aliénor fut incapable de le quitter des yeux. Il était moins musclé que son père, mais plus que Florentin. Il s'agissait là d'une musculature née de la pratique du combat. Ce n'était en aucun cas décoratif.

Par ailleurs, son pantalon moulait d'agréable façon son ferme fessier.

-Au premier sang, je vous laisse tranquille, d'accord ? crâna le Comte Jehan.

-C'est préférable, acquiesça Hawk.

Souple sur ses jambes, il se mit en position de combat. La croix de son chapelet tombait entre ses pectoraux, attirant l'attention sur sa peau pâle. Son torse ne voyait pas souvent la lueur du jour... Son adversaire prit également la pose, avec une nervosité qui n'échappa pas aux deux Millicent.

-En combien de coups ? chuchota-t-elle à Florentin.

-Je dirais quatre. Il l'a mis en colère.

-Je parie sur deux.

-Tenu.

Sur un signal de l'un des nobles, le combat commença. Les bras ramenés devant lui en défense, le Comte Jehan se fendit en avant... Et le poing de Hawk percuta son nez de plein fouet. Il tituba sous la violence de l'impact, se tint le visage à deux mains avec un cri de douleur.

-Un coup, murmura Aliénor. Il était vraiment en colère.

-Premier sang, déclara l'exorciste sans se préoccuper de la souffrance de l'autre. J'ai gagné. Mademoiselle de Millicent ? Puis-je récupérer mes effets ?

-Bien entendu, lord Abiscon.


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top

Tags: