Chapitre 18 : La Vierge Sacrifiée

Les Enfers étaient beaucoup moins sympathiques sans Hawk.

Assise au fond de sa cage, accoudée à l'un des barreaux horizontaux pour ne pas toucher le morceau de flèche, Aliénor n'avait plus à déplorer sa nudité. Face à la réaction des démons à cela et à l'odeur si atypique de son sang, Oscar lui avait jeté une cape.

Certes, cela ne la rendait pas pudique pour autant avec son problème de blessure. Toutefois, cela limitait les courants d'air.

Il leur fallut une bonne heure pour atteindre le pied des montagnes noires. Pendant tout ce temps, elle se refusa de regarder en direction du front, derrière eux. Elle ne pouvait plus regarder la silhouette de Bérith sans avoir le cœur déchiré.

Sans sentir une bouffée de panique monter en elle.

Car personne ne voulait lui donner la moindre explication sur la suite des festivités.

Une heure qu'elle se trouvait ici. Une heure qu'elle avait disparu sous les yeux d'Aurore, à cause de ce maudit Jehan ! C'était certainement lui, l'auteur des rites sataniques. Depuis le début ! Pas étonnant qu'il la trouve partout où elle se trouvait seule. Il guettait certainement depuis le début une telle occasion. Dire que Hawk l'avait récupérée in extremis chaque fois...

Le mariage d'Aurore et Erik était certainement annulé. Comment pourrait-il en être autrement, après une telle affaire ? Ils devaient remuer ciel et terre pour trouver un moyen de passer dans ce plan...

-Halte !

Oscar.

Elle se tourna vers son oncle. Ce maudit Incube, dont l'aura de dangerosité semblait croitre à chaque pas le rapprochant de ces montagnes. Que comptait-il faire là ?

-Sortez là de la cage. Et surtout, tenez-la bien. Elle ne doit pas s'enfuir.

Autant dire que les golems de pierre prirent chacun bras, la soulevèrent et la gardèrent en l'air pour la transporter jusqu'au-devant du cortège. Une centaine de démons s'étaient détachés pour les suivre jusqu'ici.

Aliénor commençait à se dire que l'attaque du palais était une vulgaire diversion. Pour pouvoir l'enlever quand Bérith avait le dos tourné, afin de l'entrainer ici en toute quiétude. Pour quoi faire ? Cela restait un mystère. Et cela la courrouçait de plus en plus.

-Puis-je savoir pourquoi vous m'avez conduite ici !? demanda-t-elle calmement, en dépit de sa blessure.

Elle avait affreusement mal. Néanmoins, elle ne pouvait pas s'arrêter à ça. Pas maintenant. Certes, des points blancs dansaient devant ses yeux depuis les trente dernières minutes. Mais elle devait se faire une raison. La douleur ne s'arrêterait pas de si tôt.

-Tu vas servir de sacrifice.

Oscar contourna les golems, qui la posèrent sans ménagement par terre, sans la lâcher. Ils se trouvaient devant une grande pierre noire plate. Elle ressemblait à s'y méprendre à un autel sacrificiel ancestral. Derrière se dressait le pied des montagnes noires. Et au-delà... Se trouvait le royaume des morts. Le royaume de Bérith.

-De sacrifice ? Je croyais être impure en raison de ma... Hum... De Hawk.

-J'ai besoin d'une vierge pour aller dans le plan des humains. Pas pour percer la barrière entre les vivants et les morts. Ton grand-père n'a pas vendu la mèche ?

Son grand-père ? Elle n'avait pas eu le temps de le voir ouvrir les yeux, son grand-père !

-Célestin n'a pas eu l'occasion de me parler ! pesta-t-elle en s'agitant. Pourquoi veux-tu me sacrifier !?

-Silence. Tu n'as pas besoin de savoir. Allongez-la sur la pierre.

Non... Non, c'était mauvais !

-Je refuse ! hurla-t-elle, provoquant une vive douleur du côté de la plaie qui la fit toussoter. Je veux savoir !

-Silence !

-Je ne me tairai pas avant de savoir pourquoi je dois mourir !

-Bâillonnez-la !

Un autre démon s'approcha, alors que les golems tentaient de l'allonger sur la pierre. Dès que la main s'approcha, elle mordit dedans à pleines dents.

-Aie !

-Je veux savoir ! Pourquoi l'au-delà !? Pourquoi moi !? Pourquoi vous en voulez à Bérith !?

-Je vais la...

L'intervention d'Oscar fut douloureuse. Il l'attrapa par la mâchoire, la plaquant contre la grande pierre. Les golems se mirent un à ses pieds, l'autre à sa tête, afin de la maintenir. Vu leur masse, elle ne pouvait plus bouger.

De toute façon, le visage à un cheveu du sien de son oncle ne lui en donnait pas envie. Diable, le seul autorisé à l'approcher autant était Bérith ! De fait, elle tenta de lui mordre le nez. Elle se fit de nouveau gifler.

Fichtre !

-Je vais te saigner à mort, déclara-t-il en tirant un chiffon de sa poche, afin de ramener à la vie ma bien-aimée.

Hein ?

-Votre bien-aimée ? Quelle bien-aimée ? Vous pouvez aimer, vous ?

-La ferme !

Il fourra le bâillon dans sa bouche, l'empêchant d'ajouter quelque chose. Écœurée, Aliénor sentit un gout de vieux sang envahir sa bouche. Beurk...

-Alphonsine est la seule... La seule personne dans ma vie. Elle a été injustement tuée par des vampires voilà des années... Et aujourd'hui... Je vais enfin la revoir... murmura-t-il en contemplant les montagnes noires.

Alphonsine. À présent, elle se souvenait de ce prénom. C'était la succube tuée par ce vampire, qui avait tenté d'assassiner Angèle et Rodolphe avant la naissance de leurs enfants. Un vampire psychopathe, qui avait pris en grippe la famille Millicent car oncle Oscar était un incube. Cela avait amorcé, notamment, cette longue guerre contre les vampires. Une guerre qui durait toujours, d'ailleurs.

-J'aurais aimé la revoir après m'être vengé de mon frère et d'Angèle, ajouta-t-il en se tourna de nouveau vers elle. Mais la perte de ta virginité a changé la donne. Je trouverai un autre moyen de revenir sur terre. Et toi... Tu vas me permettre de la revoir. Maintenant.

La succube à laquelle il vouait un amour fou, Alphonsine... Voulait-elle seulement revenir dans ces circonstances ? Selon les récits de ses parents, elle semblait simplement souhaiter le bonheur de son ancien fiancé. Fiancé qui avait été banni de la terre, et non tué. De fait, il n'avait jamais pu la revoir.

Maintenant, elle commençait à comprendre.

Il était obsessif. Mais il était un démon. Bérith aurait-il eu le même comportement s'ils s'étaient retrouvés séparés à jamais par la mort ?

Hum.

Malheureusement, elle risquait de le savoir très rapidement.

Des encens furent disposés autour d'elle, lui donnant envie d'éternuer. On peignit sur son corps de nouveau découvert, oh joie. Cela lui rappela sa séance avec Hawk, juste avant de sauver son grand-père. C'était une autre ambiance, alors.

Oscar tira une lame aussi noire que la nuit d'un fourreau sombre. Il se mit à entonner une incantation dans un dialecte guttural. La langue des démons, certainement.

Elle devait se concentrer. Elle n'aurait pas de deuxième chance. Malheureusement, avec la douleur, elle n'était pas certaine de pouvoir inverser la transformation. Pourtant, elle le devait... elle le devait absolument !

La lame levée haut au-dessus de sa tête, sur fond de montagnes noires, Oscar ne perçut pas le tremblement des pierres sous eux. La terre entière semblait protester, gémir sous le poids d'un pouvoir immense.

-Misérable pourceau...

Le grondement semblait venir de partout. Pris dans son incantation, aussi immobile à l'instar d'une statue, l'incube ne l'entendit pas. Pourtant... Pourtant, Aliénor sentit un regain d'espoir monter en elle. Bérith ! C'était la voix de Bérith ! Où était-il !?

-Pour Alphonsine, meurs !

Non !

Elle vit la lame noire se précipiter vers elle. Aussitôt, elle chercha la force de se transformer. Elle n'en eut pas le temps. Quelqu'un s'interposa entre la lame et elle, avant de percuter Oscar. Dont le rire dément retentit dans toute la montagne.

-Bérith ! Mon vieil ennemi ! Quelle joie de te revoir !

-Hawk !

Son démon se retourna, la dague noire plantée dans son épaule. Sans prendre le temps de l'enlever, il trancha les mains du golem à sa tête, avant d'envoyer valser le second d'un coup de poing. Libérée, elle tenta de se lever, mais il avait autre chose en tête. Le visage grave, il plaqua la main sur son visage. La seconde suivante, ce dernier se muait en un long museau. Pourquoi la forçait-il à devenir louve !?

Tout devint évident lorsque, la prenant en poids, il la jetant dans les airs de toutes ses forces.

Non... Non ! Elle émit un couinement outré. Ils n'allaient pas tous lui faire le coup, à chaque fois qu'il y avait un souci !? Si... Il osait !

Quelqu'un la rattrapa au vol, évitant par miracle la flèche toujours plantée en elle.

-Salut, petite sœur.

Florentin !? Que faisait-il en ici !? En plus, il plongea en piquet vers des rochers, si loin du centre de l'attention qu'aucun démon ne le vit faire. Car tous se jetaient sur Bérith, avec hargne. Pourquoi !?

Ses questions se multiplièrent comme des petits pains lorsque, entre les rocs, elle découvrit toute sa famille. Tout du moins, elle croisa son père, Erik, et Aurore, car ils chargèrent aussitôt les démons. Qu'est-ce que...

-Ma fille, il était temps, déclara la Duchesse de Millicent. Léopoldine ?

-Le champ de protection est en place. Vous pouvez y aller.

Quoi !? Pour quoi !?

-Aliénor, reprend ta forme humaine, lui enjoignit sa mère. Tout de suite.

Elle ne posa pas de questions. Sitôt redevenue femme, elle sentit son frère passer un bras autour de sa taille, avant de la forcer à lever le sien, mettant à jour sa blessure.

-Attends, que vas-tu faire !?

-Moi ? Rien, fit-il avec un grand sourire.

C'est sa mère qui prit la hampe de la flèche à pleines mains, pour tirer d'un coup sec. Aliénor poussa un hurlement de douleur lorsque la pointe déchira les chairs sur son passage, lorsque la souffrance déchira ses côtes, son flanc. Elle crut s'évanouir. Mais ils n'en avaient pas fini avec elle.

Bloquant sa mâchoire, Florentin l'obligea à ouvrir la bouche, pour permettre à Angèle de faire couler un liquide désagréable dans sa bouche. Aussitôt, la douleur crût encore une fois. Néanmoins, elle sentit la plaie se refermer, les berges se rejoindre.

-Larmes de Fées, expliqua la Duchesse, une fois son ouïe retrouvée. Ça va mieux ?

-Ou... Oui, gargouilla-t-elle.

-Bien. Parce que nous n'en avons pas fini. Papa, tu peux lui faire le point sur la situation ? Je vais voir comment se porte mon époux.

Ayant laissé ses jupons à la maison, elle avait enfilé l'un de ces pantalons masculins qu'elle utilisait pour les combats. Aussi courut-elle en direction des démons, son pistolet aux munitions infinies en main. Mais qu'est-ce que...

-Ma chérie, ça va ?

Toujours appuyée contre Florentin, Aliénor découvrit avec surprise Célestin de l'Esprit Saint. L'air en forme, il lui accorda un sourire soucieux tout en lui tendant sa redingote.

-Heu... Bonjour, papy. Ça va ?

-Oui. Je vais faire simple : Oscar n'a jamais prévu de te sacrifier.

-Ha bon ? Parce que ça y ressembler drôlement, marmonna-t-elle en enfilant le vêtement.

Un peu plus loin, elle découvrit Léopoldine, agenouillée sur le sol. Elle psalmodiait des formules en Thébain, au milieu d'un cercle d'incantation. Elle maintenait son champ de protection, comprit-elle.

-Pour ouvrir les portes de l'au-delà, Oscar a besoin du sang du Duc de Bérith. Un démon majeur, maitre de ce royaume de la mort.

Effectivement. Vue ainsi, la manœuvre lui semblait beaucoup plus logique.

-Pour se faire, Oscar devait impérativement mettre la main sur toi, continua Célestin. En te sauvant, Bérith a donné son sang.

-Ce qui veut dire...

-Que les portes de l'au-delà sont en train de s'ouvrir. Livrant le passage sur tous les plans aux morts de centaines de milliers d'années, acheva son grand-père d'un air sinistre.


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