Chapitre 17 : Les Préparatifs du Mariage

C'était le jour du mariage d'Aurore.

Ce n'était pas un mensonge. C'était bien la vérité.

Car assise sur un fauteuil, Aliénor fixait sa sœur, occupée à s'apprêter pour ce grand jour. Encore en corset blanc et bas de dentelle, cette dernière fixait sa cadette, les poings sur les hanches. Le nez froncé.

-Écoute, je comprends ton inquiétude. Néanmoins, nous n'y pouvons rien. Bérith a un territoire à défendre.

-Je sais. Mais... Je m'inquiète.

-Ne t'en fais pas. Il en a vu d'autres, j'en suis certaine.

Tout en se mordillant la lèvre inférieure, elle leva les yeux sur la future mariée, aux cheveux encore en bataille. Malgré tout, elle ne semblait pas emplie de cette gaieté propre aux femmes sur le point d'épouser l'être aimé.

-Tu n'y crois pas toi-même.

Un silence lourd s'installa entre elles.

-Désolée, Aurore. Je n'ai pas le droit de t'infliger mes inquiétudes. À tout à l'heure !

-Quoi !? Mais, attends...

Trop tard, elle avait déjà fui la chambre. C'était le mariage de sa sœur. Elle devait être joyeuse. Après tout, Oscar était occupé avec Bérith, non ? Ils étaient donc tranquilles pour la cérémonie. Oui, mais... Et son grand-père ? Partis en catastrophe, ils n'avaient pas eu de nouvelles de Célestin. Or, Hawk était bien trop occupé pour le moment pour y penser.

-Mademoiselle de Millicent.

Elle se figea en reconnaissant la voix du Comte Jehan. Diantre. Elle l'avait passablement oublié, celui-là. De profondes cernes ourlaient ses yeux, tandis qu'un sourire crispé étirait ses lèvres craquelées. Qu'est-ce que... Que lui arrivait-il ?

D'ailleurs, que faisait-il dans l'aile réservée à la famille ? Elle s'était certes habituée à la présence de Bérith, mais lui n'avait nullement le droit de se trouver là.

-Comte Jehan. Vous ne semblez pas en forme. Serez-vous prêt pour le mariage de ma sœur, ce soir ?

Le Duc de Lucassi et Aurore avaient décidé de se marier au crépuscule. À l'heure où le soleil projetait une lueur mordorée sur la chapelle, une heure où les ombres s'étendaient pour dissimuler les aspects les moins naturels de la famille.

-Je n'y assisterai pas, souffla-t-il. Pas plus que vous.

-Pardon ?

-Aurore !

Sa sœur ainée, une robe de chambre sur ses sous-vêtements de mariée, se figea sur le pas de sa porte en découvrant l'importun. Aliénor voulut lui enjoindre de rentrer. Des mains autour de sa gorge l'en empêchèrent. Horrifiée, elle put tout juste tourner la tête, pour voir le reflet d'Oscar dans un miroir de poche. Un miroir que tenait le Comte Jehan avec un sourire dément.

-Cette fois-ci, je te tiens, petite louve, gronda l'incube.

Avant de pouvoir réagir, elle fut tirée dans le miroir. Une odeur de soufre se répandit dans le couloir de la maison des Millicent, tandis qu'elle basculait dans les Enfers de fort désagréable façon.

Elle tomba littéralement dans les bras de son oncle. Néanmoins, ce ne fut pas sous sa forme humaine. Elle avait retenu sa leçon, car robe et corset chutaient déjà sur le sol rougeâtre des Enfers. Ses mâchoires de louve claquèrent tout près de sa gorge.

-Sale chienne ! cingla le démon en la tenant à bout de bras. Vous, brisez ce miroir !

Du coin de l'œil, elle vit deux diablotins lever une grosse masse, qu'ils lancèrent de toutes leurs forces sur la surface claire. Elle se brisa dans un tintement cristallin, détruisant toutes ses chances de passer par là pour rentrer chez elle.

Tant pis.

La main d'Oscar autour de sa gorge couverte d'une fourrure marron, elle ne pouvait plus espérer atteindre la chair tendre de son cou. Faisant fi de l'inquiétude naissant en elle, elle laissa son instinct animal prendre le dessus.

Les griffes de ses pattes avant se plantèrent dans son poignet, le faisant la relâcher avec un grondement féroce. Activant aussitôt ses ailes de fées, elle alla droit vers le plafond de la tente. Sans ralentir, elle déchira la tenture, pour se retrouver dans les vents chauds des Enfers.

Aussitôt, elle chercha à se repérer. Malheureusement, elle distinguait uniquement des soldats à perte de vue... Puis elle découvrit le palais de Bérith, de l'autre côté d'une ligne de conflit. Oubliant un instant la gravité de la situation, elle vit une silhouette noire au loin, survolant le champ de bataille de ses immenses ailes. Une sorte de lumière semblait la nimber, comme si des pouvoirs divins se trouvaient dans ces ténèbres.

Bérith.

Il était là ! Il lui suffisait juste de...

Un sifflement l'alerta, trop tard. Une vive douleur perça son flanc, juste sous l'une de ses ailes. Aliénor dégringola vers le sol, une flèche fichée entre les cotes. Elle tomba sur un toit de toile, avant de rouler et de tomber comme un sac de patates sur le côté non blessé.

Retransformée en humaine dans la manœuvre, elle émit un gémissement douloureux en portant la main à la hampe.

-Bien. Maintenant, tu vas te tenir calme, la louve.

Son oncle Oscar. Il s'approchait, une arbalète déchargée à la main. Son regard violet se posait sur elle avec colère, comme si elle était un problème particulièrement désagréable à traiter. Tout autour, les démons se rassemblèrent, très intéressés par cette femme nue et blessée sur leur sol.

-Vous ne me sacrifierez pas, Oscar, siffla-t-elle. Je préfère mourir que de te laisser entrer dans notre plan !

Toutefois, elle aurait bien aimé trouver un autre moyen. Elle voulait voir sa sœur en robe de mariée. Elle voulait la voir embrasser le Duc de Lucassi. Elle voulait voir le futur mariage officiel de son frère. Elle voulait voir Bérith. Se blottir dans ses bras...

-Ne t'en fais pas pour ça, rétorqua son oncle en la saisissant par les cheveux, pour la remettre sur pieds sans ménagement. À l'instant où tu as perdu ta virginité avec Bérith, tu n'avais plus aucun intérêt pour moi à ce sujet.

Heu... Comment savait-il pour sa virginité !? Et pourquoi l'importunait-il, si elle n'avait plus à être tuée !?

-Comment savez-vous pour...

-Oh pitié... Je crois que tous les Enfers ont perçu la différence ! grogna Oscar en l'entrainant vers son centre de commandement. Un démon de la force de ce cuistre, qui rompt son vœu de chasteté ? Ça modifie certains équilibres ici, petite louve.

Ce n'était pas vraiment le moment de rougir. Néanmoins, elle ne put s'en empêcher, même s'il la jeta sans ménagement dans un fauteuil de brocard rouge. Très pratique pour dissimuler le sang s'écoulant de son flanc. Diantre, elle avait un mal de chien. Des étoiles se mirent à danser devant ses yeux, de la sueur perla sur son front.

-Tu sembles bien moins coriace que ta garce de mère, ricana l'incube en saisissant la hampe de la flèche. Tant mieux.

-Que me voulez-vous ? siffla-t-elle, les ongles plantés dans les accoudoirs.

-Te faire souffrir.

Il fit tourner le morceau de bois entre ses côtes. Elle ne put retenir son cri de douleur, ni même son poing. Par réflexe, elle lui donna un uppercut qui fit craquer sa mâchoire.

Cela attisa sa colère.

Ses yeux violets se firent d'une froideur effrayante, du sang teinta ses lèvres. Il enfonça la flèche dans le corps d'Aliénor, la faisant hurler. Des larmes roulèrent sur ses joues tandis qu'elle se retenait de le frapper. Les accoudoirs craquèrent, se fissurèrent sous sa poigne. Le cuistre, lui, affichait un sourire satisfait.

-Bien. Tu ressembles tellement à ta chienne de mère... Dire qu'Angèle a eu l'audace de coucher avec un loup-garou... Que dirait-elle, si elle apprenait que sa gentille petite fille écarte les cuisses pour un démon ?

-Vous n'êtes qu'un brave à trois poils, siffla-t-elle d'une voix rauque. Que voulez-vous ? Me faire souffrir ? Détruire ma famille !? Parlez !

Une gifle la fit taire. Néanmoins, elle lui fit bien moins mal que le reste. Oscar se redressa, laissant la flèche là où elle était. Par bonheur, elle ne semblait pas avoir touché un poumon. C'était déjà cela.

-Je ne te tuerai pas tout de suite, Aliénor de Millicent, déclara-t-il. Mais cela ne saurait tarder.

Il frappa des mains. Aussitôt, deux démons aux allures de colosses de rocs entrèrent d'un pas pesant.

-Prenez-là avec vous. Nous allons aux montagnes noires.

-Bien, maitre, firent-ils d'une voix gutturale.

Les montagnes noires ? Quelles montagnes noires !?

Deux mains comme des battoirs se saisirent d'elle, sans égard pour sa blessure. Pas un ne jugea nécessaire de la couvrir, même lorsqu'ils la jetèrent dans une cage. Avec un juron, elle regarda autour d'elle. Sa prison se trouvait sur un chariot tiré par les deux golems. D'ailleurs, ils se mirent en marche aussitôt. Pour la conduire à l'opposé du front. Du palais de Hawk. De Bérith.

Furieuse, elle sentit son cœur se serrer. Les yeux rivés sur la silhouette noire qui fondait sur les ennemis au loin, elle devinait une crise de rage épique de sa part. Le tout était de savoir quand il l'apprendrait...

Bon. Elle devait penser à autre chose.

À la flèche, par exemple. Levant le bras, elle avisa le bout du bois qui dépassait de ses côtes. Pour le coup, elle ne pourrait pas la faire passer eu travers, pour éviter de déchirer les chairs. Mais si elle l'enlevait, elle allait perdre énormément de sang.

Mieux valait la laisser en place pour le moment, en somme.

Même si elle avait bigrement mal.

-Je suis surpris que tu n'aies toujours pas tourné de l'œil, la louve.

Monté sur un cheval noir, Oscar observait les alentours avec vigilance.

-Je suis une Millicent, cingla-t-elle. Ce n'est pas la douleur ou le sang qui me feront m'évanouir.

-Ouh... C'est vrai... Tu es une Millicent... Une famille de dures à cuire, qui grandit dans le sang et la haine...

Il se tourna vers elle, avec un sourire glacial.

-Malheureusement pour toi, je suis moi aussi un Millicent.


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