Chapitre n°1: Manifestation
Julien
Nous étions en plein été, il faisait une chaleur étouffante. Pour nous rafraîchir, ma famille avait décidé d'aller au lac pas loin de chez nous. Il était assez grand mais peu de personnes le connaissaient. C'est ce qui faisait son charme et était également la raison pour laquelle nous y allions aussi souvent ma famille et moi. Le lac était bordé par une forêt de pins, suivant la période de l'année on en sentait l'odeur jusque dans le lac.
Nous avons posé nos serviettes sur la plage en début d'après-midi et avions retiré nos vêtements et plongé depuis le tremplin à peine les chaussures retirées. Le tremplin n'en était pas vraiment un mais on avait l'habitude de l'appeler comme ça. C'était en fait une avancée rocheuse qui s'arrêtait là où la profondeur était plus importante. On commençait donc souvent par plonger directement depuis cette avancée sous les cris de notre mère qui nous rappelait systématiquement de bien nous mouiller la nuque pour éviter les accidents. Lorsque l'eau était entrée en contact avec ma peau j'avais senti un grand frisson qui m'avait fait beaucoup de bien après une matinée à suffoquer à la maison.
- Ça fait du bien ? Demanda ma mère
Sa petite crise pour que nous mouillions notre nuque était enfin terminée. Je lui lançais un regard espiègle, prêt à la tirer à l'eau mais mon frère me coupa dans mon élan en sautant du tremplin juste à ce moment-là. Il avait effectué une bombe parfaite, ma mère en avait même reçu quelques gouttes depuis le bord du lac, d'où elle n'avait que l'eau jusqu'aux genoux.
Une fois la tête hors de l'eau, Noam, mon frère, se précipita sur nos parents pour les arroser et les inciter à se jeter à l'eau. S'ensuivit notre traditionnelle bataille d'eau. Les éclats de rires et les cris stridents de mon frère résonnaient sur le lac.
En fin d'après-midi, je me suis allongé sur ma serviette pour prendre le soleil et profiter des derniers rayons du soleil. J'adorais être allongé et simplement fermer les yeux, réfléchir, écouter les bruits qui m'entourent, me détendre. C'est comme si nous ne dépendions plus de la société, ou plutôt comme si le monde s'arrêtait, nous priant de recommencer à faire quelque chose.
C'est ainsi, allongé sur ma serviette, confortablement installé sur le tremplin, que j'ai fini par m' endormir. Jusqu'à ce que mon frère m'éclabousse.
- Noam ! Je vais te tuer ! Râlais-je en me redressant brusquement
- C'est pas grave, t'as qu'à arrêter de dormir ! Riait-il
J'étais tellement énervé, je dormais super bien avant qu'il ne m'arrose! Et j'étais toujours d'humeur massacrante quand on me réveillait. D'autant plus quand on le faisait de cette manière. Avec l'adrénaline d'un tel réveil je sentais l'énervement monter et mes poings se serrer pour contenir ma rage. Soudain, l'eau du lac commença à s'agiter et une drôle de forme tout en eau fonça droit sur mon frère, toujours avec son air moqueur, en train de faire du surplace à la surface de l'eau. Il hurla de surprise, mes parents et ma sœur reculèrent, choqués par la scène que nous étions en train de vivre. Je n'osais plus bouger, j'étais tétanisé. Très rapidement, la force qui s'était précipitée sur mon frère l'engloutit et il disparu de la surface. Ma mère hurla, mon père courut à l'eau pour secourir Noam. L'eau redevint calme à l'endroit où était mon frère, et les bulles produites par celui-ci disparurent aussitôt. C'est quand mon père arriva là où se trouvait mon petit frère que son corps inerte remonta à la surface. Comme rejeté par cette étrange force. Instantanément le vent se leva. Une rafale a alors emporté ma serviette au loin. Du coin de l'œil je vis ma sœur s'effondrer à genoux, en larmes, ma mère hurler, et courir tout habillée retrouver mon frère et mon père dans l'eau. J'étais horrifié. Je ne comprenais pas ce qu'il venait de se passer.
Quand j'ai finalement repris mes esprits, j'appelais les secours, ils sont arrivés quinze minutes plus tard, sans les sirènes. Je compris enfin. Noam était mort, il s'était noyé.
Hortense
Je n'arrivais pas à dormir, mes parents avaient pleuré toute la nuit jusqu'à s'endormir à bout de force et sûrement sans une goutte d'eau dans leur corps. Julien, lui, dormait. Enfin, j'en étais presque sûre. Ça faisait une semaine que mon petit frère était mort. Nous n'avions parlé à personne de l'espèce de serpent d'eau qui l'avait maintenu sous l'eau quelques secondes avant de laisser réapparaître son petit corps sans vie. Nous n'avions même pas parlé de ce phénomène entre nous. Ils avaient dit à tout le monde qu'il s'était noyé, même aux secours lorsqu'ils nous avaient rejoints au lac. Ce qui s'était passé n'avait aucune explication logique, et pourtant, vu la tête qu'avait fait Julien, j'étais presque sûre qu'il se sentait coupable. Il s'était énervé contre Noam et c'est juste après que ça s'était produit.
Depuis qu'il n'était plus là, je me sentais triste et vide. Au lycée, la psychologue m'avait convoquée et m'avait dit que je devais absolument prendre le temps de mettre des mots sur "le drame familial" que je venais de vivre. Alors voilà, triste et vide, c'était comme ça que je me sentais. Comme si une tempête avait emporté tout ce que j'avais, tout ce que je ressentais. La même tempête qui déracinait les arbres depuis une semaine. Le vent était si violent qu'une grande partie de nos proches n'avaient pas pu venir à l'enterrement ce matin, des arbres et autres débris barraient de nombreuses routes de la région.
Sachant pertinemment que je ne réussirais pas à dormir, je décidais de m'asseoir dans mon fauteuil près de la fenêtre et de regarder les bourrasques tout emporter sur leur passage, à la lueur des deux seuls lampadaires qui résistaient encore à la force du vent. Commençant à piquer du nez, je relevais la tête en un sursaut en entendant mon frère dévaler les escaliers et sortir de la maison. Je le vis traverser la rue en direction d'un champ dans lequel il avait l'habitude d'emmener Noam. C'était là-bas qu'il lui avait appris à faire du vélo sans roulettes, à plaquer ses adversaires au rugby, à faire des chewing-gum avec le blé ou à manger la partie sucrée des fleurs de trèfles. Je finis par m'endormir, épuisée, en repensant à tous ces moments que mes frères avaient partagés et ne partageraient plus jamais.
Dorian
J'ouvris les yeux, me redressais d'un bon, cherchant de l'air. J'avais encore fait un cauchemar. Mais en regardant autour de moi je remarquais que ma chambre tremblait comme elle le faisait dans mes rêves. Pas si bien réveillé et avec toute l'adrénaline, je pris quelques secondes pour reprendre ma respiration. Ou la terre avait cessé de trembler, ou je n'avais pas encore atterri de mon rêve. Et à en juger par ce que je pouvais apercevoir de la rue depuis mon lit, je n'avais simplement pas encore les yeux en face des trous. Je me massais les tempes afin de me calmer complètement.
Encore une fois, j'étais tombé de sommeil sans m'y attendre et encore une fois j'avais fait un cauchemar. Beaucoup de personnes adoreraient se rappeler de leurs rêves. Pour moi c'était devenu un problème. Chaque nuit je faisais plusieurs cauchemars et me réveillais en sursaut. Le sommeil me manquait tous les jours depuis aussi longtemps que je m'en souvienne, comme si je ne fermais pas l'œil de la nuit alors même que je tombais de fatigue chaque jour, et parfois plusieurs fois par jour. Comme si mon corps était épuisé pour une raison qui m'était encore inconnue.
J'allumais la lampe de chevet avant d'ouvrir le tiroir de ma table de nuit et d'en sortir un carnet dans lequel j'écrivais mes rêves. C'était le sixième volume, ils étaient tous rangés par ordre chronologique dans ce même tiroir. Un stylo à la main, je me mis à rédiger pour la énième fois ce qu'il s'était passé pendant ce cauchemar. Le tremblement de terre, la lampe de la bibliothèque à côté de ma chambre qui était tombée et s'était brisée, et ma mère qui avait fait irruption dans ma chambre pour me supplier d'arrêter. Arrêter quoi ? Je n'en avais aucune idée. Je n'ai jamais su. Je me réveillais toujours avant de savoir.
Je réfléchis un instant et décidai d'aller voir la bibliothèque. Je sentais la moquette sous mes pieds nus dans le couloir, la seule lumière qui entrait dans la bibliothèque proche de ma chambre était celle de la lune. On voyait à peine dans la pénombre. Je vis tout de même briller quelque chose dans l'obscurité et m'approchai pour voir ça de plus près. C'était un débris de verre. Je décidai d'allumer la lumière de la pièce pour y voir plus clair. La lampe à côté du fauteuil où ma mère aimait se poser pour lire devant la fenêtre était tombée et s'était sûrement cassée sous le choc. Pris de panique, je ramassais tous les morceaux de verre et les jetais directement dans la poubelle du garage. En remontant dans ma chambre, je décidai de faire un détour dans la salle de bain pour me rincer le visage. En allumant la lumière, une fois le flash lumineux passé je remarquais que mes mains tremblaient. Je les regardais comme pour leur indiquer d'arrêter mais le tremblement s'intensifia quand je me rendis compte que dans la précipitation je m'étais coupé dans la paume de la main droite. Je nettoyais alors rapidement la plaie et la couvris avant de retourner à ma chambre pour reprendre mes esprits.
Capucine
Ce soir, c'était vendredi, le seul jour de la semaine où on mangeait en famille. Vous allez me dire que c'était cool, qu'au moins on pouvait partager un moment ensemble, se retrouver autour d'un bon repas et parler de notre semaine. Et bien non. J'avais toujours détesté ce repas. C'était assez hypocrite de tous s'asseoir autour de la même table et de faire semblant que notre vie était normale alors que ça finissait toujours en dispute et mon père me frappait sous les cris de ma mère. Seulement je n'avais pas le choix, je ne pouvais pas éviter ce repas.
Je descendis les escaliers, mis la table et m'y installai. Mes parents s'assirent et nous commençâmes à manger le repas que ma mère avait préparé. Le silence était de mise, j'eu presque le temps de croire que ce soir ça se passerait différemment. Mais ma mère rompit le silence.
- Tu as passé une bonne journée ? Demanda-t-elle à mon père
- Très bien. Capucine ?
- Oui...?
- As-tu fait le ménage? Le repassage?
Je soufflais intérieurement. Évidemment, il fallait qu'il tourne la conversation autour de moi, car c'était ce qu'il aimait, me poser des questions, attendant que je fasse un faux pas et sautant sur l'occasion pour défaire sa ceinture. Cette maudite ceinture.
- Oui, père. Marmonai-je
Je devais les appeler "père" et "mère", depuis toujours. Mon père disait que c'était le minimum, je leur devais la vie, et donc par extension le respect. Ce qui pourrait faire sens mais je doute que le terme pour appeler mes parents y changera quoi que ce soit.
- Tu as rangé mes chemises ?
- Elles sont dans le sèche-linge.
- Bon sang Capucine ! J'en ai besoin demain !
- Elles seront prêtes pour demain matin.
Il me lança un regard menaçant, je savais que le calme était fini et que sa rage allait exploser. Il avait décidé qu'aujourd'hui ses chemises devaient être prêtes avant le repas et je n'avais malheureusement pas pu le deviner. Je faisais pourtant mon maximum pour éviter ce genre de situation mais ça ne suffisait visiblement pas. Encore une fois.
Il se leva, bousculant légèrement la table, ma mère commençait à trembler de peur. Ce petit brin de femme n'avait jamais osé s'interposer. J'avais tendance à croire que c'était à elle qu'il s'en prenait avant que je ne naisse. Depuis il avait changé de cible. Elle devait en quelque sorte en être soulagée. Je n'ai jamais su si je lui en voulais pour son comportement ou non. Elle se protégeait, et n'avait visiblement pas la fibre maternelle. Mais je n'eu pas le temps d'y réfléchir plus longtemps, le premier coup sorti sans que j'ai eu le temps de me protéger le visage.
Je serrais à présent mes bras contre mon visage en sang, baissant la tête pour éviter un maximum de dégâts avec les prochains coups. J'étais pleine de rage, je ne voulais plus subir ça, ni ses coups, ni ce traitement, ni le regard de ma mère plein d'excuses quand elle me lançait des regards. Malgré la douleur et les cris que je ne pouvais m'empêcher de pousser à chaque coups, je me sentais bouillir de l'intérieur, prête à me défendre. Je réfléchissais à ce que je pouvais faire pour lui asséner un coup suffisamment fort pour avoir le temps de m'enfuir et ne plus jamais revenir. Soudain, un hurlement strident me remit dans le présent, mon père avait arrêté les coups, craintive, je retirais les bras de mon visage et vis ma mère en panique autour de mon père, à genoux, en flammes. Il n'y avait pourtant rien autour de nous qui aurait pu allumer ce feu. Dans sa panique, et voulant aider mon père, les vêtements de ma mère commençaient à prendre feu, et sous la douleur elle s'écroula sur la table dans un cri terrifiant que jamais je n'oublierais. Voyant que plusieurs meubles avaient commencé à prendre feu, et ne sachant si je voulais ou non les sauver, je pris la décision en un quart de seconde de m'enfuir. De courir pour ma vie.
Je partis sans me retourner, le visage toujours en sang, les bras lacérés. Je croisais plusieurs voisins horrifiés face à la maison où j'avais vécu l'enfer devenir poussière. Je les bousculais pour me frayer un passage. Au loin, j'entendais déjà la sirène des pompiers se rapprocher. Et je ne voulais surtout pas qu'on m'empêche de fuir. J'accélérais le pas avec mes dernières forces avant de disparaître dans la forêt non loin du lycée de ma ville.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top