Chapitre 5 : Mai
En terrasse, elle était déjà installée, jambes croisées, un Chai Latte entre les doigts.
Ses lunettes de soleil légèrement oversized lui couvraient la moitié du visage, et son regard restait rivé sur l'écran de son téléphone, comme si rien autour n'avait la moindre importance.
Lorsqu'elle perçut sa présence, elle releva à peine les yeux, juste assez pour lui adresser un regard faussement neutre.
— Alors ? Qu'est-ce que ça a donné, ce fameux premier rendez-vous ?
Elle s'installa plus confortablement, posant enfin son portable sur la table, prête à lui accorder son attention — ou du moins, à le disséquer, comme elle savait si bien le faire.
Ezra tira la chaise face à elle, posant son sac nonchalamment sur la chaise voisine.
Il s'était promis de ne pas laisser Charlie le déstabiliser aujourd'hui.
— Franchement ? Il croisa les bras, défiant. C'était top.
Un léger haussement de sourcil de la part de Charlie.
— On a bien rigolé. Alix était super détendue, et la peinture sur céramique... Il haussa les épaules. C'est clairement pas mon point fort, mais j'ai l'impression que ça a bien fonctionné.
Une lueur d'intérêt furtive passa dans les yeux de Charlie, mais son masque d'indifférence ne se fissura pas.
Lentement, elle remonta ses lunettes sur le sommet de sa tête, plissant les yeux face à la lumière du jour.
Ses doigts jouaient machinalement avec l'anse de sa tasse.
— Bien rigolé, hein ? répéta-t-elle, l'air faussement songeur.
Elle prit une gorgée de son Chai Latte, avant de poser son coude sur la table, le menton appuyé sur sa paume.
— Alors quoi... vous avez partagé un fou rire en peignant un bol qui ressemblait à une œuvre d'art abstraite ?
Ezra eut un rictus amer.
— C'est exactement ça.
— Génial, répondit-elle avec sarcasme. Tout ce qu'une femme attend d'un homme.
Ezra roula des yeux, réprimant un soupir agacé.
Ses doigts effleurèrent machinalement sa nuque, signe de son irritation grandissante.
Il connaissait le jeu de Charlie.
Provoquer.
Déstabiliser.
Tester ses limites.
C'était son style : appuyer là où ça pouvait piquer, juste pour le plaisir de le voir perdre son sang-froid.
Mais cette fois, il ne mordrait pas.
Il se contenta de la fixer, impassible, laissant le silence s'installer entre eux comme un bras de fer muet.
Charlie ne vacilla pas.
Au contraire, elle esquissa un sourire en coin, presque imperceptible, mais triomphant.
Elle savait qu'elle avait l'avantage.
— Écoute, ce n'était que le premier rendez-vous, pas un épisode de Bachelor. Je m'attendait pas à ce que tu...
Ezra s'interrompit, la mâchoire crispée. Il venait de comprendre. Trop tard.
Charlie avait encore réussi. Un piège soigneusement tendu, et lui, comme un débutant, venait d'y plonger tête la première. Le soupir qui lui échappa trahissait autant l'agacement que la frustration. Il s'était laissé emporter, jouant exactement selon les règles qu'elle maîtrisait si bien.
— Écoute, ce n'était que le premier rendez-vous, pas un épisode de Bachelor.
Ezra s'arrêta net.
Sa mâchoire se crispa.
Putain.
Il venait de comprendre.
Trop tard.
Charlie avait encore réussi.
Un piège soigneusement tendu, et lui, comme un débutant, venait d'y plonger tête la première.
Le soupir qui lui échappa trahissait autant l'agacement que la frustration.
Il s'était laissé emporter.
Il avait joué exactement selon ses règles.
Charlie ne disait rien, mais son expression parlait pour elle.
Un mélange de satisfaction et de provocation, comme si elle savourait déjà sa victoire.
— Tu sais quoi ? lâcha-t-il finalement, la voix plus mesurée.
Il croisa les bras, s'adossant contre sa chaise.
— Ça te fait marrer, je vois bien.
Son regard se durcit légèrement.
— Mais au moins, j'ai essayé.
Il marqua une pause, appuyant son point.
— Et elle a passé une bonne soirée, c'est ça qui compte, non ?
Charlie haussa légèrement les sourcils, imperturbable.
Puis, elle haussa les épaules, faussement détachée.
— Peut-être.
Elle prit une gorgée de son Chai Latte, comme si la conversation ne l'amusait plus tant que ça.
Puis elle s'adossa nonchalamment sur sa chaise, croisant les bras.
— Il semblerait que tu t'en sois pas trop mal sorti pour ce premier rendez-vous.
Elle le jaugea, yeux plissés.
— Mais t'as intérêt à te surpasser, lover boy.
Ezra hocha lentement la tête, préférant se taire.
Il connaissait trop bien le terrain sur lequel Charlie essayait de l'entraîner.
Chaque mot, chaque tentative de justification risquait de devenir une arme entre ses mains, et il n'était pas prêt à lui offrir cette satisfaction.
Alors, il se contenta de prendre une gorgée de café, sans la lâcher des yeux.
Un duel silencieux.
Une bataille où aucun des deux ne voulait donner l'avantage à l'autre.
Un sourire presque imperceptible effleura les lèvres de Charlie, comme si elle saluait mentalement sa retenue, avant de rompre le silence :
— Alix adore les escapades spontanées.
Ezra haussa un sourcil, méfiant.
— Et ?
Charlie joua avec l'anse de sa tasse, l'air faussement détaché.
— Emmène-la quelque part. Pas trop loin.
Elle fit tourner son Chai Latte du bout des doigts, avant d'ajouter :
— Un endroit où elle pourrait vraiment lâcher prise. Genre un pique-nique dans un parc... mais un vrai moment marquant. Pas juste du fromage et du saucisson sur une nappe à carreaux.
Ezra fronça les sourcils, cherchant à comprendre.
— Attends... Un pique-nique, c'est censé être simple, non ?
Il haussa les épaules, perplexe.
— On mange, on parle... Je vois pas trop comment tu veux rendre ça exceptionnel.
Charlie leva aussitôt les yeux au ciel, dans une exagération théâtrale, comme si la naïveté d'Ezra défiait toute logique.
— Sérieusement, Ezra ?
Elle posa brusquement sa tasse sur la table, faisant légèrement sursauter Ezra.
— Tu penses vraiment qu'un pique-nique, c'est juste manger et parler ?
Elle croisa les bras, le regard perçant.
— Tu veux qu'elle tombe amoureuse de toi ou qu'elle se sente comme à la pause déjeuner avec un collègue ?
Ezra ouvrit la bouche pour répliquer, mais elle leva un doigt, l'interrompant net.
— Écoute.
Elle s'appuya contre la table, rapprochant légèrement son visage du sien.
— Crée une ambiance. Des détails qui comptent.
Elle tapota le bord de son verre, pensant tout haut.
— Un endroit calme, un peu caché, une playlist... Quelque chose qui la marque.
Elle marqua une pause, puis planta son regard acéré dans le sien.
— Montre-lui que t'as réfléchi à elle.
Ezra resta silencieux, mâchonnant ses pensées.
Non pas parce qu'il n'avait rien à dire, mais parce qu'elle avait raison.
Et l'admettre, face à Charlie, était un agacement supplémentaire qu'il peinait à dissimuler.
Sa patience, déjà fragile avec elle, semblait s'effilocher encore plus vite sous ses remarques cinglantes.
Charlie, toujours directe, ne prenait pas la peine d'adoucir ses mots, comme si elle tentait volontairement de le bousculer.
Il prit une grande inspiration, repoussant l'envie de répondre sur un ton trop sec.
Puis, à contrecœur, il admit enfin :
— Tu as raison.
Charlie battit des cils, faussement surprise.
— Oh ? Tu peux répéter ?
Ezra lui lança un regard noir.
— Ne pousse pas.
Elle ricana.
— Continue.
Il soupira, regardant ailleurs avant de revenir à elle.
— Si je veux vraiment lui montrer ce qu'elle représente pour moi... Je dois sortir du lot.
Il croisa les bras, plus déterminé.
— Je vais rendre ce rendez-vous inoubliable.
Charlie hocha lentement la tête, mi-satisfaite, mi-sceptique.
— J'ai bien envie de voir ça, lover boy.
*
Devant le portail du parc des Buttes-Chaumont, Ezra attendait, pour une fois en avance.
Le ciel, d'un bleu limpide, s'étendait au-dessus de lui, baignant la ville d'une lumière printanière douce, celle qui caresse la peau sans brûler, qui donne envie de s'attarder dehors un peu plus longtemps.
Le panier qu'il tenait à la main pesait légèrement, rempli de promesses et d'attentions.
Il avait pensé à chaque détail.
Un grand paréo épais, des tapas soigneusement préparés, quelques fruits frais, et bien sûr, une bouteille de prosecco, l'alcool préféré d'Alix.
Pas question de rater ce rendez-vous.
Il resserra sa prise sur l'anse du panier, balaya les alentours d'un regard furtif.
Puis, enfin, il la vit.
Elle avançait sans se presser, son pas naturellement fluide, son regard balayant les environs avec une curiosité tranquille.
Un jean décontracté, un haut à motifs floraux qui semblait absorber la lumière et se fondre parfaitement dans le décor verdoyant.
Ses cheveux, libres, portés en afro, capturaient les reflets dorés du soleil, comme s'ils retenaient un morceau de la journée en eux.
Arrivée à sa hauteur, elle croisa les bras, le regard pétillant de malice.
— Comment se fait-il qu'Ezra soit à l'heure ? Dois-je m'inquiéter ?
Son sourire était moqueur, mais léger.
— C'est... perturbant.
Ezra esquissa un sourire en coin, jouant le jeu.
— Disons que, pour une fois, j'ai décidé de faire bonne impression.
Alix haussa un sourcil sceptique.
— C'est une première.
Puis, sans un mot de plus, ils s'engagèrent dans les sentiers sinueux du parc.
Leur marche était naturelle, leurs pas synchronisés sans effort, comme s'ils avaient toujours avancé ainsi, côte à côte.
Autour d'eux, la ville semblait en pause.
Quelques Parisiens profitaient du soleil, certains perdus dans un livre, d'autres allongés dans l'herbe, tandis que des groupes échangeaient des éclats de rire feutrés.
L'air embaumait un mélange subtil de terre humide et de fleurs écloses.
La lumière filtrait à travers les feuillages, projetant des taches dorées mouvantes sur le sol.
Puis, ils atteignirent un recoin paisible.
À l'ombre majestueuse d'un vieux chêne, dont les branches imposantes formaient une voûte naturelle, tamisant les rayons du soleil en un jeu délicat d'ombres et de reflets sur l'herbe.
Le doux clapotis de l'étang voisin ajoutait une mélodie apaisante à l'ambiance.
Ezra s'arrêta, balayant du regard l'endroit parfait.
— Ici, ça te va ? proposa Ezra en désignant l'endroit du menton, posant déjà son panier.
Alix hocha la tête, l'air sincèrement ravie.
— C'est parfait.
À deux, ils étendirent la couverture avec soin. Une brise légère fit doucement onduler les coins du tissu pendant qu'Ezra sortait méthodiquement les victuailles. Alix, silencieuse, savourait l'instant. Le chant lointain des oiseaux, le frémissement des feuilles dans le vent, tout semblait suspendu dans une bulle de calme.
— Ça fait tellement longtemps que je n'ai pas fait un vrai pique-nique. En plus, on ne pouvait pas rêver mieux niveau météo, souffla-t-elle en s'asseyant, croisant les jambes sous elle.
Ezra hocha la tête, lui tendant un verre de prosecco qu'elle accepta avec un sourire.
— Ouais... admit-il, sa voix plus douce qu'il ne l'aurait voulu. Je crois que j'avais oublié à quel point ce genre de moments pouvait être... apaisant.
Ils trinquèrent, et le tintement léger des verres sembla suspendre le temps. Autour d'eux, le vent agitait doucement les branches, créant un jeu d'ombres et de lumière sur l'endroit où ils s'étaient installés.
Ezra s'était donné du mal pour préparer ce pique-nique, mais les petits gémissements de plaisir qu'Alix laissait échapper à chaque bouchée effaçaient toute la fatigue des heures passées en cuisine.
Heureusement qu'Eva avait été là pour lui prêter main-forte — il aurait probablement déclenché un incendie sans elle.
Alix croqua dans son bánh mì, les yeux pétillants tandis que les saveurs épicées et parfumées explosaient en bouche.
— Waouh... c'est trop bon, souffla-t-elle, visiblement conquise.
Le panier débordait de món nhậu, ces petites tapas vietnamiennes conçues pour être partagées entre amis, souvent accompagnées d'un verre. À cet instant, elle ressemblait à une enfant découvrant des sucreries pour la première fois, émerveillée par chaque nouvelle saveur.
Sur la nappe soigneusement étendue, s'alignaient une gỏi đu đủ khô bò, cette salade de papaye verte et bœuf séché aux notes acidulées, des chips de crevettes croustillantes, des rouleaux de printemps frais, des cacahuètes grillées et des morceaux dorés de bánh bột chiên, ce gâteau de riz frit légèrement croustillant.
Un parfum enivrant flottait dans l'air, mêlant coriandre fraîche, sauce nuoc-mâm et une pointe de piment.
Alix s'empara d'une chips, la croqua distraitement, puis laissa son regard dériver vers l'étang au loin.
Le clapotis de l'eau rythmait le calme ambiant, apportant une sérénité nouvelle à l'instant.
— Ça change tellement des sorties en ville.
Elle parlait à mi-voix, comme si le décor imposait naturellement un ton plus doux.
— Ce côté tranquille... c'est apaisant, murmura-t-elle, presque rêveuse.
Ezra, observant son visage détendu, sentit un élan de satisfaction lui réchauffer la poitrine.
Ils étaient loin de l'agitation constante de la capitale, loin des bruits de klaxons, des rues bondées et des néons agressifs.
Ici, même les rires des enfants semblaient plus doux, absorbés par le feuillage dense du parc.
Il mordit dans son bánh mì, prenant une pause dramatique avant d'ajouter, d'un ton faussement sérieux :
— C'est exactement pour ça que je t'ai emmenée ici.
Il fit un geste vague vers les alentours.
— Pas de distractions, juste... la nature, le chant des oiseaux... et mes talents culinaires, évidemment.
Alix éclata d'un rire franc, secouant légèrement la tête.
— Tes talents culinaires ? Sérieusement ? On sait que t'as du talent derrière un objectif, mais en cuisine... j'ai des doutes.
Elle attrapa un morceau de bánh bột chiên, l'examina une seconde avant de le goûter, toujours méfiante.
Et pourtant...
Elle devait bien l'admettre : c'était délicieux.
Trop délicieux, même.
Ses papilles refusaient de croire qu'il avait pu réussir tout ça seul.
Elle plissa les yeux, suspicieuse.
— Bon, ok... Je vais être honnête. Eva a un peu supervisé. Donc, si quelque chose a un goût bizarre, c'est probablement de sa faute.
— Ah ! J'aurais dû m'en douter, répondit-elle, un sourire en coin. Mais franchement, tu t'es surpassé. Même si je continue de penser que tu as eu plus qu'un simple coup de main.
Ils continuèrent à grignoter, partageant les bouchées et les plaisanteries, leurs gestes et leurs mots s'accordant dans une fluidité naturelle. À un moment, alors qu'Alix se penchait pour attraper une clémentine, son regard dériva, l'espace d'un instant, vers Ezra.
— Dis... commença-t-elle en épluchant distraitement le fruit. Tu reçois de l'aide pour choisir tes rendez-vous ?
Ezra sursauta légèrement, la main suspendue à mi-chemin de son sandwich. Si facile à deviner ?
D'accord, il fallait être honnête : il ne connaissait pas grand-chose sur Alix. Non... il ne la connaissait pas encore, du moins pas comme il le souhaitait. Mais il apprenait, il essayait de la comprendre, de saisir ce qui pouvait la toucher. Et demander un coup de main n'avait rien de honteux, non ?
— Ouais, avoua-t-il finalement en haussant les épaules, mordant dans son bánh mì. Charlie m'a... hum... gentiment donné un coup de main.
Le nom sembla suspendre le temps. Alix s'arrêta net, laissant échapper la clémentine qui roula mollement sur la nappe.
— Charlie ?!
Le regard qu'elle lui lança était un mélange d'incrédulité et d'amusement.
— Charlie et toi, collaborant... ensemble ?
Ezra leva les yeux vers le ciel, inspirant profondément comme pour se donner du courage.
— Je t'ai promis que je ferais tout pour te séduire, Alix. Quitte à m'associer avec le diable... enfin, je veux dire, avec elle.
Détachant un quartier de clémentine, elle le porta à ses lèvres, savourant le fruit tout en contemplant l'étang au loin.
— J'avoue... je suis agréablement surprise, murmura-t-elle finalement. Et relax, mec, j'ai rien contre un peu d'aide extérieure. Je m'amuse bien. Et, tu as fait des efforts. Ça mérite des points.
Ezra hocha la tête, feignant un sérieux exagéré.
— Des points, hein ? Bien... Et je dois atteindre combien pour que tu deviennes ma petite amie ?
La remarque arracha un rire à Alix, mais son sourire s'estompa presque aussitôt. Elle haussa les épaules, portant son verre à ses lèvres pour masquer l'éclat d'incertitude qui venait de traverser son regard.
Elle-même n'avait pas vraiment la réponse à cette question.
En cet instant, elle savait seulement qu'elle ne ressentait pas de sentiments amoureux pour lui, même si sa compagnie n'était pas désagréable.
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