Chapitre 4 (suite)
Il traça un trait sur son bol avant d'entendre sa voix moqueuse briser le silence :
— Pour quelqu'un qui n'est pas à l'aise, je trouve que tu t'en sors plutôt bien.
Ezra haussa un sourcil et observa le désastre devant lui.
Les couleurs s'entremêlaient sans logique apparente, créant un mélange incertain entre improvisation et maladresse.
Ce n'était ni harmonieux, ni particulièrement élégant.
Il abandonna sa contemplation et releva les yeux vers Alix, qui l'observait du coin de l'œil, son expression difficile à décrypter.
— Sois honnête, ça casse pas trois pattes à un canard.
Elle prit une seconde pour analyser son travail, avant de lâcher avec une neutralité maîtrisée :
— D'accord, j'avoue que c'est... particulier.
Ezra plissa les yeux.
— Je ne sais pas si c'est un compliment ou une critique subtile.
La réaction d'Ezra eut l'effet d'un déclencheur.
Alix éclata de rire, un éclat sincère, franc, qui résonna dans l'atelier comme une note légère et insouciante.
Pour la première fois depuis le début de la soirée, elle semblait vraiment relâchée.
Il l'observa du coin de l'œil, surpris par la spontanéité de son amusement.
Elle trouvait que sa création le représentait à merveille : une explosion de couleurs vives, entremêlées avec maladresse, mais pleines d'énergie.
— Prends-le comme tu veux, souffla-t-elle en s'approchant légèrement, son visage à quelques centimètres du sien, son souffle effleurant sa joue.
Ezra se figea imperceptiblement.
— Mais au moins, tu t'es lancé, et c'est ça qui compte le plus.
Ses mots résonnèrent plus fort que prévu.
Un frisson discret lui traversa la nuque et, avant même qu'il puisse se contrôler, une chaleur diffuse monta le long de son cou.
Il cligna des yeux, tentant de reprendre contenance, mais l'espace semblait tout à coup plus restreint, plus intime.
Trop proche.
Les joues légèrement rosies, il détourna précipitamment le regard, fixant son bol comme s'il s'agissait de l'œuvre d'art la plus complexe qu'il ait jamais vue.
— Je crois que... Il racla sa gorge, cherchant une sortie de secours.
— Je ferai mieux de rester derrière l'objectif la prochaine fois.
Il lâcha un rire nerveux, utilisant l'auto-dérision comme une bouée de sauvetage.
Alix le fixa une seconde de plus, comme si elle captait parfaitement son malaise, puis elle haussa simplement les épaules avec un sourire en coin.
— Si ça t'évite d'être aussi dramatique avec un pinceau, c'est peut-être une bonne idée.
Un silence suspendu s'installa.
Alix, pourtant, ne semblait ni moqueuse, ni déçue.
Elle baissa les yeux vers le bol chaotique d'Ezra, ce mélange improbable de teintes éclatantes et de coups de pinceau hésitants.
Puis, d'un ton plus bas, presque pensif :
— Tu sais, parfois, le chaos peut être plus parlant qu'une image parfaite. C'est peut-être ce qui fait son charme, murmura-t-elle en cherchant son regard.
Ses mots eurent l'effet d'une décharge douce.
Ezra sentit une tension inexplicable monter en lui, un mélange d'inconfort et d'intrigue.
Il ne savait pas si elle parlait de son bol... ou de lui.
Pour masquer le tumulte intérieur qui l'envahissait, il attrapa son verre et but une longue gorgée de vin, fixant un point imaginaire sur la table, tentant de reprendre contenance.
Mais Alix, elle, n'avait pas bougé.
Elle s'était replongée dans sa création, concentrée, la pointe de la langue entre les dents dans un geste enfantin qui le fit sourire malgré lui.
Elle créait avec une aisance désarmante.
Là où ses couleurs à lui s'entrechoquaient, les siennes dansaient, fusionnaient avec justesse.
Même dans l'imperfection, elle trouvait un équilibre.
Elle trouvait du sens là où lui ne voyait que du chaos.
Et, sans vraiment comprendre pourquoi, Ezra sentit que ce moment-là, aussi simple soit-il, resterait gravé en lui.
*
Le temps sembla s'étirer dans l'atelier, rythmé par le léger brouhaha des conversations alentour.
Ezra jetait des coups d'œil furtifs à Alix, notant la façon dont elle était absorbée dans son œuvre, sans plus se soucier de lui.
Elle peignait avec une aisance déconcertante, comme si la céramique était un prolongement naturel de son expression.
Lui, en revanche, contemplait son propre bol avec un mélange de résignation et d'amusement.
— Je crois que c'est terminé, souffla-t-il, posant son pinceau avec précaution.
Alix releva un regard curieux vers son travail, puis, après un instant d'analyse, hocha la tête avec un sourire en coin.
— Ça a le mérite d'être... unique.
— Toujours pas sûr que ce soit un compliment.
Elle étouffa un rire avant de se lever pour se rincer les mains.
Ezra l'imita, profitant du bref instant où elle avait le dos tourné pour la regarder sans qu'elle ne le remarque.
Quelque chose chez elle l'intriguait toujours autant.
Et ce n'était pas juste son assurance ou sa créativité.
C'était cette façon de se détacher naturellement des attentes, de se mouvoir sans paraître préoccupée par l'image qu'elle renvoyait.
Lui, en revanche, avait passé toute la soirée à douter.
— On laisse nos œuvres sécher ici ? demanda-t-il en revenant à la table.
— Ouais, ils les émaillent et on pourra les récupérer dans une semaine, confirma Alix.
— Super.
Il observa son bol une dernière fois, se demandant si, dans une semaine, il le verrait toujours comme un échec.
Ou si, à force d'y repenser, il finirait par lui trouver du charme.
Lorsqu'ils quittèrent l'atelier, l'air extérieur était nettement plus frais que la chaleur moite de l'intérieur.
Alix remonta légèrement le col de sa veste, laissant échapper un soupir détendu.
Ezra, lui, se glissa les mains dans les poches, observant les alentours.
— C'était pas si terrible, hein ? lâcha-t-il en tournant légèrement la tête vers elle.
— J'ai vu pire.
— Et j'imagine que je dois m'estimer heureux que tu ne sois pas partie en me laissant seul avec mon désastre artistique ?
Alix eut une lueur amusée dans les yeux.
— Disons que t'as survécu.
Elle marqua une pause, comme si elle hésitait sur la suite.
Ezra attendit, mais elle ne dit rien de plus.
Peut-être parce que, maintenant que le rendez-vous touchait à sa fin, il se demandait comment elle allait le considérer.
Est-ce qu'il avait fait un pas en avant dans son plan de séduction ?
Ou bien était-il toujours à la même distance d'elle qu'avant ce soir ?
Ils marchèrent côte à côte, leurs pas se calquant naturellement l'un sur l'autre, comme s'ils avaient inconsciemment trouvé un rythme commun.
Le murmure lointain de la ville rythmait leur progression, les lumières tamisées des réverbères dessinant des ombres mouvantes sur le trottoir.
Le silence entre eux n'était ni lourd ni gênant.
Simplement là.
— Bon, c'est là que nos chemins se séparent.
Ezra hocha la tête, le regard glissant furtivement vers elle.
— Ouais.
Alix marqua une brève pause, puis souffla :
— Merci pour aujourd'hui.
Il tourna légèrement la tête vers elle, surpris par sa sincérité dépourvue de détours.
Ce n'était peut-être pas le rendez-vous parfait qu'il avait imaginé.
Pas l'expérience maîtrisée qu'il espérait.
Mais à cet instant, il comprit qu'il avait gagné quelque chose de plus précieux :
Un moment brut, honnête, où il avait entrevu un peu plus de celle qu'il aimait, au-delà des apparences et de son propre plan.
— Merci à toi, murmura-t-il à son tour, la voix étrangement douce.
Il baissa légèrement les yeux.
— D'avoir accepté... et d'avoir rendu ce moment spécial.
Les derniers mots s'échappèrent dans un souffle, à peine audibles, comme s'il n'osait pas les laisser résonner trop fort.
Alix ne répondit pas tout de suite.
Un courant d'air frais s'engouffra dans le tunnel du métro, soulevant doucement ses tresses, et il eut cette impulsion idiote de vouloir tendre la main pour en replacer une.
Mais déjà, le grondement métallique de la rame approchait, brisant la bulle fragile qui s'était formée autour d'eux.
— Bon... je vais y aller. C'était vraiment sympa.
Elle lui adressa un dernier sourire, chaleureux mais sans promesse.
Puis, sans un mot de plus, elle se détourna, déjà absorbée par l'écran de son téléphone, probablement à la recherche du meilleur itinéraire pour rentrer.
Ezra la regarda s'éloigner, immobile.
Un léger soupir lui échappa alors qu'il leva les yeux vers le ciel, observant les lumières diffuses de la ville se fondre dans la nuit.
Cette soirée n'était qu'un minuscule pas sur le chemin qu'il s'était promis d'emprunter.
Un début fragile, incertain.
Mais il n'avait pas dit son dernier mot.
Alors qu'il descendait lentement les marches du métro, une résolution nouvelle s'imposa à lui.
La prochaine fois, je ferai mieux. Je lui montrerai qui je suis vraiment.
Pakkum
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