Chapitre 3 :  Les règles du jeu

Ezra avait tout prévu.

Il avait minutieusement choisi ce café discret, à l'écart de leurs habitudes, un lieu où ils pourraient parler sans détours, sans risquer les interruptions d'un visage familier. Un endroit neutre, mais intime, propice aux conversations qui comptent.

Et pourtant, c'est lui qui arriva en retard.

Un quart d'heure.

Un quart d'heure de trop passé à tourner en rond, à peser chaque mot avant même qu'ils ne franchissent ses lèvres, à s'interroger sur l'opportunité de faire demi-tour.

Peut-être que c'est une mauvaise idée.

Peut-être qu'elle va se moquer de moi.

Peut-être que ça ne changera rien.

Mais il était venu quand même.

Quand il poussa enfin la porte du café, Alix était déjà là.

Installée à une table près de la fenêtre, bras croisés, regard dur, son visage fermé trahissant une méfiance évidente.

Elle n'avait pas encore touché à son café.

— T'es en retard, lâcha-t-elle froidement, sans même daigner lever la tasse à ses lèvres.

— Je sais. Désolé.

Aucune réponse.

Juste un soupir agacé, et ce regard appuyé qui lui intimait d'aller droit au but.

Alix tapota du bout des doigts sur la table, signe d'impatience.

— Ok. Pourquoi tu voulais me voir ?

Ezra s'humecta les lèvres, cherchant les bons mots.

Il ne pouvait pas tout gâcher.

Pas maintenant.

— Je veux te proposer un deal.

Alix haussa un sourcil, un mélange d'intrigue et de méfiance voilée dans son regard.

— Un deal ? Elle croisa les bras. Tu me vends quoi, un abonnement téléphonique ?

Ezra esquissa un sourire furtif.

— Non. Un défi. Un challenge, si tu préfères.

Elle ne détourna pas les yeux, toujours en alerte, comme si elle essayait d'anticiper son prochain mouvement.

— Continue.

Il inspira profondément, s'appuya légèrement contre la table.

— Donne-moi un an. Douze mois. Un rendez-vous par mois. C'est tout ce que je demande.

Alix cligna des yeux, surprise, avant de les plisser dans une expression plus dure.

— Attends... Tu veux dire qu'on se verrait une fois par mois... comme un couple ?

— Non, pas comme un couple, corrigea-t-il aussitôt. Juste... moi qui essaie de te prouver que ça peut marcher. Moi qui essaie de te séduire. Et toi qui décides, chaque mois, si tu veux continuer ou non.

Elle le scruta avec une intensité qui aurait pu le faire vaciller. Cherchant la faille.

Parce qu'il devait bien y en avoir une, non ?

— Ezra...

— Si au bout d'un an, tu ne ressens rien, je lâche l'affaire. Promis.

Un silence s'étira, plus dense que le café noir refroidissant dans sa tasse.

Elle détourna légèrement les yeux, son index tapotant nerveusement la céramique. Un tic qu'elle avait lorsqu'elle réfléchissait trop.

— Et si je veux arrêter avant ? demanda-t-elle d'une voix plus froide, plus tranchante.

— Tu peux. Il plongea son regard dans le sien, plus sérieux que jamais. À tout moment. Pas d'obligation, pas de pression. Juste... une chance.

Elle détestait cette intensité dans ses yeux.

Trop d'émotions. Trop d'espoir.

Ça la mettait mal à l'aise.

Alix mordilla l'intérieur de sa joue, hésitante. Douze rendez-vous. Un par mois. Une opportunité de lui prouver qu'il se trompait, que cette histoire n'avait aucun avenir.

Ou peut-être...

Une chance de se surprendre elle-même.

Elle releva les yeux vers lui.

— Un par mois, c'est bien ça ?

Ezra hocha la tête, retenant presque son souffle.

— Et je peux arrêter quand je veux ?

— Exactement.

Un silence.

Elle le fixa un instant de plus, pesant chaque mot, chaque possibilité. Puis, dans un soupir las, elle décroisa lentement les bras, comme si ce simple geste était une concession.

— Ok. Un rendez-vous par mois.

Le cœur d'Ezra rata un battement.

— Vraiment ?

— Ne pousse pas ta chance, Phạm.

Elle porta sa tasse à ses lèvres, savourant une dernière gorgée de café avant de la reposer avec nonchalance.

Pour elle, la conversation était close.

Pour Ezra, elle ne faisait que commencer.

Il avait réussi.

Un rendez-vous par mois. Une chance, aussi infime soit-elle, de prouver qu'ils pouvaient être plus que ce qu'ils avaient toujours été.

Mais il se força à ne pas sourire trop largement, à ne pas trahir son enthousiasme. Ne pas la brusquer. Ne pas lui donner l'impression qu'elle venait de faire une erreur.

— D'accord. Il hocha la tête, tâchant de garder un ton neutre. Tu es dispo jeudi prochain ?

Alix arqua un sourcil, intriguée.

— T'es pressé, dis-moi.

— Disons que j'ai déjà tout préparé pour notre premier rendez-vous.

Elle s'adossa contre sa chaise, bras croisés, un sourire en coin.

— Je préviens, Phạm. Si ton idée de rendez-vous, c'est une soirée Netflix & chill avec un bol de nouilles instantanées, je te jure que je stoppe ce pacte immédiatement.

— Ouch. Ezra posa une main sur son cœur, feignant l'offense. J'ai plus d'imagination que ça, Alix.

Elle le fixa, sceptique, comme si elle évaluait la crédibilité de cette promesse.

Puis, après une seconde de réflexion, elle haussa les épaules.

— Très bien. Surprends-moi.

Elle se leva, attrapant son sac avec une fluidité naturelle, et avant de quitter la table, elle lui lança un dernier regard en biais.

— Et ne sois pas en retard, la prochaine fois.

Sans attendre de réponse, elle tourna les talons et quitta le café.

Ezra resta figé quelques secondes, à la regarder s'éloigner à travers la vitre.

Il avait un rendez-vous avec Alix.

Un vrai.

Et il comptait bien le rendre inoubliable.

Un sourire satisfait effleura ses lèvres. Mais à peine eut-il le temps de savourer cette victoire que la voix du serveur le ramena brutalement à la réalité.

— Monsieur, voici l'addition. Vous souhaitez payer en espèces ou par carte ?

Ezra baissa les yeux vers l'addition posée devant lui.

Alix était partie sans payer.

Il soupira, secouant la tête avec un demi-sourire amusé.

— Bien sûr qu'elle ferait ça.

Il attrapa sa carte, amusé autant qu'exaspéré.

— Carte.

Un défi amoureux... et une note salée.

Ça commençait bien.

Et le compte à rebours venait de commencer.

Il avait 365 jours pour la séduire.