Chapitre 2
Chapitre 2 : Les douze travaux d'Ezra
Assis autour d'une tasse de thé fumante, Ezra se confiait à sa cousine, déversant le flot chaotique des récents événements qui tourmentaient son esprit. Entre la prise de conscience brutale de ses sentiments pour Alix et le rejet glacial qu'il avait essuyé, il se sentait piégé dans une spirale de confusion et de frustrations. À vingt-huit ans, c'était la première fois qu'il faisait face à un tel ouragan émotionnel. Habituellement, tout semblait lui sourire.
— Je ne comprends pas pourquoi c'est différent avec elle, commença-t-il, sa voix teintée d'une sincérité rare.
Le jeune homme savait qu'il plaisait. Il n'était pas arrogant, mais il reconnaissait que son apparence, en partie amplifiée par l'engouement occidental pour la K-pop, lui avait souvent facilité les choses. Il n'était pas aveugle à ce mélange d'exotisme et de fascination parfois déplacée qui avait ouvert des portes et attiré des regards. Il en avait profité, sans s'en excuser.
Mais cette fois-ci, ni son charisme ni son charme naturel ne l'avaient sauvé. Il était démuni, confronté à quelque chose de bien plus grand : des sentiments qu'il ne pouvait ni ignorer ni maîtriser.
— Je ne sais pas comment gérer ça, lâcha-t-il, jouant distraitement avec sa tasse. D'habitude, tout vient naturellement. Les choses arrivent, je les saisis... et ça marche. Mais là, c'est différent. Ce rejet, il m'a pris de court. Et le pire, c'est que je ne sais même pas si c'est moi qui déconne complètement.
Eva posa sa tasse sur la table basse, croisant les jambes sous elle. Son regard attentif ne quittait pas son cousin, lisant dans ses hésitations et ses gestes une vulnérabilité qu'il cachait rarement.
Il ne se livrait que rarement sur ce genre de sujets, préférant d'habitude masquer ses doutes derrière une façade de nonchalance. Mais aujourd'hui, il semblait prêt à faire face à une réalité qu'il avait toujours évitée : l'amour, avec toute sa complexité et ses incertitudes.
— Ezra, tu ne t'es jamais vraiment battu pour quoi que ce soit dans ce domaine, non ? demanda-t-elle doucement.
Il haussa les épaules, un sourire amer effleurant ses lèvres.
— Pas vraiment, non. J'ai toujours pensé que si ça devenait trop compliqué, c'était que ça n'en valait pas la peine. Mais cette fois... cette fois, je ne peux pas juste laisser tomber.
Eva hocha la tête, approuvant silencieusement sa réflexion. Elle savait que son cousin avait toujours été celui qui brillait, celui qui captait l'attention sans effort. Mais aujourd'hui, il était confronté à une réalité où son charme naturel ne suffisait pas. Il fallait de l'effort, du courage, et surtout une remise en question.
Il s'enfonça un peu plus dans le canapé, fermant brièvement les yeux pour calmer le tourbillon de pensées qui s'agitait en lui. Le silence paisible du salon l'enveloppait, et il se sentait prêt à lâcher prise. Ce lieu avec son ambiance chaleureuse et apaisante, avait toujours été un refuge pour lui. Chaque détail de la pièce respirait le confort et la simplicité. La lumière tamisée qui filtrait par les rideaux dessinait des ombres douces sur les étagères pleines de livres, renforçant l'impression de sérénité.
Mais ce qui attirait inévitablement son attention, c'était le grand pouf rose poudré qui trônait près de la bibliothèque. Majestueux dans sa simplicité, il semblait presque l'inviter à venir s'y réfugier, à s'abandonner à sa douceur après une journée éreintante. Chaque fois qu'il posait les yeux dessus, il ressentait une envie irrésistible de s'y laisser tomber, comme pour échapper, ne serait-ce qu'un instant, au poids de ses pensées.
— Je n'arrive pas à croire ce que je m'apprête à faire, reprit-il en poussant un long soupir. Si je suis ici, ce n'est pas seulement pour te parler de ma situation avec Alix. Je suis venu chercher de l'aide auprès de Charlie.
— Oh ! s'étonna Eva, manquant de renverser le contenu de sa tasse sur ses genoux.
À cet instant, le cliquetis familier d'une clé tournant dans la serrure résonna, suivi de la porte d'entrée qui s'ouvrit et se referma avec un claquement discret. Des pas légers se firent entendre dans le couloir, se rapprochant peu à peu. Une jeune femme apparut bientôt, totalement absorbée par l'écran de son téléphone, ses sourcils froncés, probablement concentrée sur un message ou une rumeur juteuse.
Charlie, comme à son habitude, ne releva pas immédiatement la tête. Ezra la fixa, une expression mêlée d'appréhension et de résignation sur le visage, tandis qu'Eva observait la scène avec curiosité.
— En parlant du loup... murmura Ezra à mi-voix, se redressant légèrement sur le canapé.
— Eva, installe-toi, j'ai des ragots incroyables à te partager, lança Charlie sans lever les yeux de son écran. Nathalie, tu sais, la collègue insupportable ? Eh bien, on l'a surprise en train de copuler avec...
Elle s'arrêta net en apercevant Ezra, comme si sa présence venait de lui couper le souffle — ou plutôt de déclencher une montée de mépris immédiate. Son regard glissa lentement sur lui, calculé et pesant, avant qu'une grimace de dégoût ne se dessine sur ses traits. Elle ne chercha même pas à masquer son irritation, comme si c'était devenu une seconde nature.
— Mais qu'est-ce qu'il fait ici, celui-là ? s'exclama-t-elle avec un agacement non feint, ses bras croisés dans une posture défensive.
Charlie tourna ensuite la tête vers Eva, qui lui adressait un sourire innocent et éclatant, un sourire qu'elle savait parfaitement manipuler. Charlie plissa les yeux, sentant venir l'embrouille, son expression oscillant entre suspicion et exaspération.
— Ne crois pas que ton sourire angélique va marcher cette fois, grogna-t-elle, plus pour elle-même que pour sa petite amie.
Elle soupira profondément, abandonnant déjà le combat qu'elle pressentait inutile, et alla s'installer sur son trône personnel : le fameux pouf rose poudré, qu'elle avait décrété sien dès son arrivée dans cet appartement. Elle s'y affala avec une nonchalance étudiée, mais l'expression de son visage restait hostile, marquant clairement son mécontentement.
Ezra, qui était habitué à ses réactions, n'en fut pas moins agacé. Il poussa un soupir discret, conscient que cette tentative d'alliance risquait d'être plus compliquée qu'il ne l'avait imaginé.
Tout le monde dans leur entourage savait que, depuis toujours, entre Ezra et Charlie, le courant ne passait pas. Leurs échanges étaient l'équivalent d'une guerre froide moderne : chaque regard, chaque mot semblait soigneusement calibré pour contenir une provocation déguisée. Pas de confrontations ouvertes, non. Ils préféraient les attaques subtiles, là où les mots devenaient des armes et les silences, des champs de mines.
Le sourire forcé qu'affichait Ezra trahissait son inconfort. Il cherchait désespérément les mots pour briser la glace sans déclencher une nouvelle bataille.
De l'autre côte de la pièce, Charlie perchée sur son pouf rose poudré comme une reine prête à juger, le fixait avec froideur. Dans sa tête, une question tournait en boucle : pourquoi Eva avait-elle jugé bon de laisser lui, de toutes les personnes, entrer dans leur appartement? Ok, il était son cousin, mais cela justifiait-il de l'imposer ici, dans cet espace qu'elle considérait comme sacré ?
Ezra sentait le poids des regards hostiles de Charlie sur lui, comme une pression invisible mais constante, prête à l'écraser. L'envie de répondre avec une pique cinglante lui brûlait la langue. Mais il inspira profondément, tentant de ravaler sa fierté. Ce n'était pas le moment de se laisser emporter dans une dispute stérile. Alix passait avant tout, même avant son ego.
Avec un drapeau blanc mentalement levé, il prit une décision : tenter une approche directe. Charlie connaissait Alix mieux que quiconque ; elle était son atout le plus précieux, même si c'était un atout récalcitrant. Mais il était lucide : ce plan, bien que logique, était aussi risqué qu'une marche sur un fil tendu au-dessus d'un précipice.
Prenant une grande inspiration, Ezra leva les yeux vers Charlie. L'animosité dans son regard aurait suffi à glacer n'importe quelle tentative, mais Ezra se força à ignorer la barrière invisible qui les séparait.
— Charlie, écoute... dit-il finalement, avec un ton qu'il s'efforça de garder neutre. Je sais qu'on n'a jamais été les meilleurs amis, mais est-ce qu'on pourrait, juste pour aujourd'hui, faire une trêve ?
Charlie arqua un sourcil, sa curiosité mêlée à une pointe de sarcasme.
— Une trêve ? Pour quoi faire ? Tu veux m'avouer tes sentiments ou quoi ? rétorqua-t-elle d'une voix doucereusement moqueuse.
Ezra serra légèrement les dents, mais il se força à rester calme. Alix, se répéta-t-il comme un mantra silencieux. Toujours penser à Alix. Ignorer la provocation. Gérer l'humiliation. La victoire était plus importante que l'ego.
— Je sais que tu ne m'apprécies pas, et je ne te demande pas de changer d'avis, commença Ezra en passant une main nerveuse dans ses cheveux déjà en désordre. Si ça ne tenait qu'à moi, jamais je n'aurais imaginé devoir te demander ça. Mais... j'ai besoin de ton aide pour séduire Alix, lâcha-t-il finalement, comme si chaque mot pesait une tonne.
Un silence tendu s'installa dans la pièce. Eva, confortablement installée sur le canapé, regardait la scène avec l'intérêt d'un spectateur devant une téléréalité. Charlie, toujours ancrée dans son pouf, semblait suspendue entre l'agacement et la surprise. Voir Ezra faire preuve d'humilité, même forcée, était aussi rare qu'une éclipse solaire. Et ça la rendait curieuse, bien qu'elle ne voulait pas l'admettre.
Elle cligna des yeux, digérant ses mots, puis, lentement, s'installa encore plus confortablement dans son pouf.
— Alors, laisse-moi bien comprendre, dit-elle, sa voix saturée de sarcasme. Tu veux que moi je t'aide à séduire Alix ? C'est ça ?
Ezra hocha la tête, ses mâchoires légèrement serrées. Charlie posa une main sur son menton, feignant la réflexion, puis, avec un regard faussement compatissant, ajouta :
— Tu veux mon avis ? Laisse tomber. Parce que franchement, tu as l'air d'avoir déjà échoué avant même d'avoir commencé.
Le rire contenu dans sa voix fit grincer des dents Ezra, mais il ne répondit pas. Eva, sentant que la tension montait, décida d'intervenir, toujours la médiatrice dans leurs querelles sans fin.
— Charlie, arrête de jouer, dit-elle d'un ton plus ferme. Ezra est là pour demander ton aide. Alors, au lieu de jouer la carte de la méchante sorcière, tu pourrais lui donner un ou deux conseils, non ?
Charlie lui lança un regard boudeur, croisant les bras et s'enfonçant un peu plus dans son pouf. Elle détestait être mise dans cette position, mais savait qu'Eva jouait habilement sur son ego.
Ezra, de son côté, observait la scène avec une satisfaction contenue. Voir Charlie réduite au silence, même momentanément, était jouissif. Pourtant, il ne perdit pas de temps et reprit, ses mots plus posés mais toujours teintés d'urgence :
— Je suis sérieux. Récemment, j'ai compris ce que je ressens pour Alix, et je lui ai avoué... maladroitement, je l'admets. C'était à la fête de Mikaël. Elle m'a rejeté, bien sûr, mais elle m'a laissé une chance de la séduire. Je veux juste... faire ça correctement, tu comprends ? Et pour ça, il me faut ton aide. Juste cette fois.
Charlie pouffa légèrement, incapable de retenir un rire moqueur. L'image d'Ezra, d'habitude si sûr de lui, réduit à mendier son aide avait quelque chose d'infiniment satisfaisant.
— Une trêve, hein ? répéta-t-elle en jouant distraitement avec un coin du coussin posé sur son pouf. Tu veux une trêve dans notre relation... comment dire... inexistante, c'est ça ?
Ezra hocha la tête, son regard suppliant.
Charlie prit le temps de réfléchir. Aider Ezra signifiait se retrouver impliquée dans son projet, et donc, tolérer sa présence plus souvent. Mais l'idée de le voir ramper un peu plus devant elle était une tentation difficile à ignorer. Et puis, Eva, toujours si calme et bienveillante, la regardait avec cet air encourageant qui faisait fondre son agacement.
— Très bien, finit-elle par dire en levant les yeux au ciel.
— Merci, Charlie, répondit-il, sentant un poids quitter ses épaules.
— Garde tes remerciements, je ne fais pas ça par bonté d'âme, répliqua-t-elle sèchement. Je t'aiderai, mais à une condition : que ta réponse me satisfasse.
Elle plissa les yeux, le fixant avec une intensité qui mettait Ezra mal à l'aise. Elle le passait au crible, cherchant la moindre faille, le moindre signe d'hésitation. Elle était sceptique quant à son dévouement et à ses intentions envers Alix, son amie la plus proche.
Ezra sentit la tension monter. Tout reposait sur ce qu'il allait dire. Il prit une profonde inspiration, essayant de contenir l'agitation qui montait en lui.
— Alors, qu'est-ce qui te fait croire que tu aimes Alix ? demanda-t-elle, son ton plus sérieux qu'il ne l'avait jamais entendu. À part partager de temps en temps ton lit, qu'est-ce qui vous relie vraiment ? Qu'est-ce qui a changé pour toi aujourd'hui ?
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