Chapitre 12 (suite)

Le bar improvisé se trouvait à l'opposé de la pièce, à l'abri des regards, offrant à Ezra un espace temporaire pour se ressaisir. Il se versa deux coupes de prosecco, ses gestes presque mécaniques, comme s'il espérait que la froideur pétillante de l'alcool suffirait à étouffer la frustration qui grondait en lui. Alors qu'il portait une coupe à ses lèvres, une présence familière s'installa à ses côtés.

Il tourna légèrement la tête et aperçut Charlie, adossée nonchalamment au mur, les bras croisés, un sourire malicieux éclairant son visage. Elle semblait savourer la scène comme on savoure un film dont on connaît déjà la fin.

— Tu es incorrigible, lança-t-elle, d'un ton faussement compatissant, ses yeux glissant vers Alix, toujours plongée dans sa conversation animée avec Swann. Détends-toi, mon vieux. On dirait que tu vas exploser. Tu fais une crise de jalousie pour rien.

Ezra serra les mâchoires, ses mains crispées autour des verres. Plus facile à dire qu'à faire. Il peinait à détourner le regard d'Alix et de Swann, leurs éclats de rire résonnant à ses oreilles comme un marteau sur une enclume.

—  Ce n'est pas pour rien, Charlie, répondit-il d'une voix basse et tendue. Pas pour rien du tout.

Il posa un des verres devant elle, son geste un peu trop brusque, mais Charlie, imperturbable, le prit. Elle sirota une gorgée, observant Ezra comme on regarde un funambule vaciller sur un fil. Elle n'avait aucune intention de le ménager, bien au contraire.

—  Si tu pouvais te voir... le taquina-t-elle, un éclat rieur dans les yeux. On dirait un gosse à qui on a volé son jouet préféré.

Un silence chargé s'installa entre eux, rythmé seulement par les basses feutrées de la musique en arrière-plan. Charlie, appuyée contre le mur, semblait parfaitement à l'aise dans ce moment inconfortable, étirant le malaise comme un chat joue avec une pelote de laine. Elle le fixait, savourant visiblement chaque seconde de ce petit drame intérieur qui se déroulait devant elle.

Ezra soupira discrètement, ses doigts tapotant nerveusement le bord de sa coupe. Que faisait-il là ? Coincé avec la plus grande enquiquineuse de la soirée, alors qu'Alix riait à gorge déployée avec un autre homme. La frustration montait, un mélange d'agacement et de jalousie qu'il peinait de plus en plus à cacher.

—  Sérieusement, reprit Charlie en brisant enfin le silence. Tu penses qu'Alix est à toi ? Newsflash, elle n'appartient à personne. Pas à Swann, et surtout pas à toi.

Cette remarque cinglante le fit relever la tête, son regard trouvant enfin celui de Charlie, qui le dévisageait avec une franchise désarmante. Ezra inspira profondément, cherchant une réplique cinglante, mais tout ce qu'il trouva fut un vide frustrant, reflet de son incapacité à gérer ses propres émotions.

—  Tu as raison, murmura-t-il finalement, d'une voix rauque et tendue. Elle n'appartient à personne... Mais c'est justement ça le problème. Je ne peux pas la voir aussi proche d'un autre homme alors que je tente de la séduire depuis des mois. Chaque sourire qu'elle lui offre, chaque éclat de rire... ça me dévore.

Il marqua une pause, le regard rivé sur le fond de son verre.

— Peut-être que je suis possessif, mais c'est parce qu'elle ne m'appartient pas que c'est aussi dur. Parce qu'elle peut décider à tout moment que mes efforts ne valent rien, que je ne vaux rien.

Charlie resta silencieuse un instant, surprise par cette confession. Bien qu'elle ne le montre pas, les paroles d'Ezra ne la laissèrent pas indifférente. Elle voyait les efforts, maladroits mais sincères, qu'il déployait depuis que ce drôle de défi avait commencé. Et, contre toute attente, elle en était venue à respecter cette détermination obstinée.

Un mouvement dans la pièce attira son attention. Ses sourcils se froncèrent légèrement lorsqu'elle aperçut Swann se pencher un peu trop près d'Alix, sa main effleurant ostensiblement son bras. Elle n'eut pas besoin de regarder Ezra pour savoir ce qu'il ressentait à cet instant. Le jeune homme s'était figé, son regard fixé sur la scène, et ses doigts se crispaient tellement sur son verre qu'elle s'attendait presque à le voir éclater en mille morceaux.

Charlie soupira intérieurement. Bon, il est temps d'agir avant qu'il perde complètement les pédales.

Elle vida d'un trait le prosecco qu'il venait de lui servir, posa la coupe sur le comptoir et se redressa, une étincelle de détermination dans les yeux.

—  Écoute-moi bien, Ezra, dit-elle en baissant la voix, son ton laissant peu de place à la discussion. Laisse-moi gérer ça. Je vais te montrer comment on retourne une situation sans même lever le petit doigt. Mais souviens-toi bien d'une chose : tu m'en devras une.

Sans attendre de réponse, Charlie se redressa, ajusta sa tenue d'un geste expert et s'élança vers le petit groupe avec une confiance naturelle. D'un mouvement fluide, elle attrapa le bras de Swann, son sourire éclatant et son ton léger masquant une détermination implacable.

—  Swann, viens voir, dit-elle avec une fausse innocence. Eva a mis des heures à installer ces décorations, il faut absolument que tu les voies.

Déstabilisé, Swann hésita un instant avant de se laisser entraîner, visiblement pris au dépourvu. Alix resta seule, l'air un peu surpris, son regard suivant le duo qui s'éloignaient. De loin, Ezra observait la scène avec soulagement. Le chaos intérieur qui l'avait envahi plus tôt semblait s'apaiser peu à peu. Il sentait un élan de reconnaissance envers Charlie, mais il se garda bien de l'exprimer. Après tout, elle n'aurait pas manqué de s'en vanter.

Lorsque le regard d'Alix se mit à le chercher dans la pièce, Ezra sentit une vague de chaleur lui monter au visage. L'opportunité tant attendue était enfin là. Inspirant profondément, il se dirigea vers elle, un verre de prosecco dans chaque main.

—  Alors, tu t'amuses ? lança-t-il en lui tendant un verre, son ton léger mais son regard ancré dans le sien. Au passage, j'aime beaucoup ton déguisement de Canary.

Un sourire illumina instantanément le visage d'Alix, et Ezra sut qu'il avait marqué un point. Ses yeux brillèrent de surprise et de satisfaction.

— Tu es la troisième personne à deviner mon costume ! s'exclama-t-elle, attrapant le verre qu'il lui tendait.
—  Pourtant, c'était évident, répondit-il avec un sourire en coin, la détaillant une nouvelle fois de la tête au pied.
—  Apparemment, pas pour tout le monde, rétorqua-t-elle en levant les yeux au ciel.

Ils éclatèrent de rire, un éclat sincère qui brisa la tension accumulée plus tôt dans la soirée. L'espace d'un instant, ils retrouvèrent leur complicité naturelle, comme si rien d'autre n'existait autour d'eux. Son rire fit disparaître les restes de frustration et de jalousie qui l'avaient paralysé.

Une musique entraînante retentit soudain dans la pièce, une mélodie qu'il connaissait et appréciait particulièrement. Saisissant l'occasion, Ezra se redressa, feignant des manières exagérées, et tendit une main vers elle.

—  Lady Canary, m'accorderiez-vous cette danse ? demanda-t-il avec un sérieux exagéré.

Alix haussa un sourcil, amusée par son jeu, et répliqua du tac au tac :

- Avec plaisir, Capitaine Sparrow.

Elle glissa sa main dans la sienne, et Ezra l'entraîna au centre de la pièce. Tandis qu'ils dansaient au rythme de la musique, leurs rires et leurs regards complices effacèrent le reste du monde. Plus de Swann, plus de doutes ni de tensions. Il n'y avait qu'eux, emportés dans une bulle qui leur appartenait.

De l'autre côté de la salle, Charlie rejoignit Eva et, dans un geste triomphant, elles se tapèrent dans la main.

— Bien joué, murmura Eva avec un sourire.

Charlie haussa les épaules, feignant l'indifférence.

— Je suis douée, c'est tout, rétorqua-t-elle, son regard pétillant tandis qu'elle observait Ezra et Alix, visiblement dans leur élément.

*

Il était près de deux heures du matin lorsque la fête toucha à sa fin. Fidèle à elle-même, Charlie ne perdit pas de temps à congédier les derniers invités, balayant la pièce d'un regard qui ne laissait aucune place à la discussion.

Quelques minutes plus tard, l'appartement était vide, les rires et les éclats de voix remplacés par un silence apaisant. C'est ainsi qu'Ezra et Alix se retrouvèrent dehors, devant l'immeuble du couple, encore vêtus de leurs costumes, un mélange de fatigue et de résignation se lisant sur leurs visages.

—  Je te ramène ? proposa-t-il en sortant ses clés de sa poche. Ma voiture est garée pas très loin.

Alix haussa un sourcil, hésitant un instant. Elle sembla réfléchir, son regard fixé dans le vide, avant de céder avec un léger sourire.

—  Pourquoi pas ? Je ne dirais pas non à un chauffeur gratuit. Sérieusement, je suis complètement K.O.

Ils se dirigèrent ensemble vers la voiture, leurs pas résonnant doucement sur le bitume dans l'air frais de la nuit. Ezra appuya sur le bouton de déverrouillage, et la lumière des phares illumina la rue déserte. Une fois à l'intérieur, Alix s'installa sur le siège passager, ajustant son costume avec soin, tandis qu'Ezra mettait la clé dans le contact.

— Alors, tu as passé une bonne soirée ? demanda-t-elle en attachant sa ceinture.

— Hein ? Qu'est-ce que tu veux dire par "au final" ? répliqua-t-il, feignant l'ignorance.

Alix le fixa, un éclat amusé dans le regard.

—  Disons que je t'ai vu en pleine crise intérieure quand Swann me parlait, lança-t-elle, sa voix teintée de provocation. Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure. Tu avais les mêmes mimiques que cette fois avec Matteo... Tu te rappelles de lui, non ?

Bien sûr qu'il se rappelait. Matteo, ce mec insupportablement charmant qui avait tenté de draguer Alix lors de la fête chez Mikaël. Rien que d'y penser, Ezra sentit une pointe de jalousie refaire surface, mais il roula des yeux, tentant de jouer la carte de l'indifférence.

—  C'est juste que... commença-t-il, hésitant. J'aime pas voir d'autres gars s'approcher de toi, c'est tout.

Alix éclata de rire, un rire sincère qui résonna dans l'habitacle, brisant le poids de la conversation.

—  Oh, donc c'est ça ? Monsieur est possessif, alors ? railla-t-elle, croisant les bras avec un sourire taquin.

Ezra serra légèrement le volant, rassemblant son courage. Puis, il tourna légèrement la tête vers elle, son regard sérieux contrastant avec son ton léger.

—  Possessif, peut-être... mais seulement parce que je t'aime.

Un silence tomba, profond et chargé de significations. Alix, prise au dépourvu, sentit son sourire s'effacer lentement. Elle tourna lentement la tête vers lui, son visage soudain grave, comme si les mots d'Ezra avaient touché une corde sensible.

—  Bah... pour l'instant ce n'est pas réciproque, admit-elle légèrement embarrassée.

— Ouais... je sais.

Le silence se fit plus lourd dans l'habitacle, comme si les mots venaient de soulever une barrière entre eux. Alix détourna le regard, fixant un point imaginaire à travers la fenêtre, tandis qu'Ezra gardait les yeux rivés sur la route, les mains crispées sur le volant. Les phares de la voiture traçaient une ligne lumineuse dans la nuit, éclairant par instants des fragments de paysage sans fin.

Pakkum

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