Chapitre 11 (suite)

Après leur épisode chaotique au rayon surgelés, ils poursuivirent leurs courses dans une ambiance légère et complice. Ezra, désormais pleinement concentré sur Alix, ne manquait pas une occasion de glisser une pique moqueuse, savourant les éclats de rire qu'il déclenchait à chaque fois. Alix, hilare, lui rendait bien la pareille, leurs plaisanteries fusant entre les rayons comme un jeu auquel aucun des deux ne voulait mettre fin.

Leurs sacs remplis de provisions, ils regagnèrent enfin leur demeure d'Étretat. Le soleil déclinant projetait des teintes dorées sur les falaises, enveloppant le paysage d'une lumière douce et réconfortante. La maison, imprégnée de cette chaleur familière, semblait elle aussi les inviter à prolonger cette parenthèse.

De retour dans la cuisine, ils préparèrent le dîner ensemble, dans une harmonie presque naturelle. Tandis qu'Alix ouvrait la bouteille de vin, Ezra enfournait les pizzas, jetant de temps à autre des regards malicieux dans sa direction.

— J'espère que tu as bien noté que je fais tout le travail ici, lança-t-il avec un faux air dramatique.

— Bien sûr, monsieur le chef étoilé, répondit-elle en levant son verre avec un sourire moqueur. Tu sais, tourner un bouton de four, c'est un vrai talent.

Les rires fusèrent, plus sincères et légers que jamais. Le vin aidant, les conversations s'étirèrent, passant des anecdotes farfelues d'Ezra au studio Hao — entre mannequins maladroits et shootings catastrophiques — aux histoires cocasses qu'Alix partageait sur son travail de pédiatre, décrivant avec tendresse les moments de spontanéité des enfants.

Chaque mot, chaque éclat de rire semblait effacer un peu plus la distance entre eux.

Puis, la soirée s'apaisa. Le calme s'installa progressivement, comme si le moment lui-même ne voulait pas être brusqué.

Alix, confortablement installée sur le canapé, ses pieds nichés sous un plaid, se tourna vers Ezra. Le crépitement doux du four encore chaud et la lumière tamisée rendaient l'instant encore plus intime.

— C'était une belle journée, murmura-t-elle, son sourire serein trahissant une sincérité rare.

Ezra hocha lentement la tête, son regard ancré dans le sien, capturant cet instant avec une intensité inhabituelle.

— Oui... vraiment. Et dans cette atmosphère paisible, il se surprit à penser que, pour la première fois depuis longtemps, tout lui semblait à sa place.

*

C'était leur dernier matin à Étretat. Alix se tenait déjà debout près de la baie vitrée, une tasse de café fumant entre les mains. Ses yeux fixés sur l'horizon, elle semblait suspendue entre deux mondes : celui du présent, baigné par la lumière douce de l'aube, et celui de ses pensées, plus lointain. Le silence qui régnait dans la pièce avait quelque chose de sacré, rythmé seulement par le murmure des vagues qui venaient mourir sur les rochers en contrebas. La mer, calme et infinie, se mêlait au ciel dans un dégradé de bleus apaisants, comme une toile vivante qui respirait la sérénité.

Ezra, encore ensommeillé, entra discrètement dans la pièce. Ses pas, à peine audibles sur le parquet, le menèrent à ses côtés. Il resta un instant immobile, la regardant en silence. Finalement, il tourna son regard vers l'océan, contemplant à son tour l'étendue bleue qui s'étirait à l'infini.

— C'est beau, hein ? murmura-t-il, sa voix encore rauque de sommeil, rompant doucement le silence.

Elle hocha la tête sans répondre tout de suite, comme si elle n'avait pas encore terminé son observation, comme si elle avait besoin de quelques secondes de plus pour profiter pleinement de la scène. Puis, lentement, elle tourna la tête vers lui. Ses yeux, empreints d'une mélancolie qu'il ne lui connaissait pas, rencontrèrent les siens.

— Oui... c'est apaisant. Mais en même temps, un peu triste, tu ne trouves pas ? murmura-t-elle. C'est notre dernier jour ici... Quand on est bien, le temps a cette étrange habitude de filer trop vite.

Ezra ne répondit pas immédiatement. Il se contenta de l'observer, ses traits baignés par la lumière du matin, et sentit un pincement au cœur. Elle avait raison. Ces moments fugaces, si précieux, semblaient toujours s'évanouir avant qu'on ne puisse vraiment les saisir.

Le reste de la matinée se passa dans un silence confortable. Ils s'affairaient à ranger leurs affaires, conscients que l'heure du départ approchait. Le cottage, si accueillant quelques jours plus tôt, paraissait maintenant étrangement vide, comme s'il sentait lui aussi que leur séjour touchait à sa fin.

Mais au lieu de se laisser envahir par la tristesse, ils choisirent de profiter pleinement des derniers instants. Une dernière promenade le long des falaises fut décidée à l'unanimité, une façon de graver dans leurs mémoires la beauté de ce lieu.

La plage, presque déserte, s'offrait à eux dans toute sa tranquillité. Leurs chaussures à la main, ils marchaient côte à côte sur le sable humide, leurs pas s'enfonçant légèrement à chaque avancée. Le vent marin caressait leur peau, soufflant une fraîcheur salée qui s'infiltrait dans leurs cheveux et fouettait doucement leurs visages.

Alix s'arrêta soudain, fermant les yeux pour inspirer profondément l'air pur. Un sourire satisfait illumina son visage, et elle resta ainsi un instant, comme pour se fondre complètement dans l'instant. Puis, ouvrant les yeux, elle se tourna vers Ezra.

— Ce lieu... il y a quelque chose de magique, tu ne trouves pas ? murmura-t-elle, sa voix presque emportée par le vent.

Ezra hocha la tête, absorbé par la vue qui s'étendait devant eux. Il s'assit lentement sur le sable frais, sortant son appareil photo avec précaution, comme si ce moment méritait une attention particulière. Il comprenait parfaitement ce qu'elle voulait dire. Ce lieu avait une énergie unique, une atmosphère suspendue, où tout semblait plus vivant et plus intense.

Il leva son objectif et captura l'instant : le bleu profond de l'océan, le ciel clair, et Alix, debout face à l'horizon. Mais ce n'était pas seulement le paysage qu'il cherchait à immortaliser — c'était ce mélange d'émerveillement et de sérénité qu'il lisait sur son visage.

— C'est... différent ici, murmura-t-il en abaissant son appareil, son regard se posant sur elle. On dirait que le temps s'arrête, que tout ralentit.

Ses traits étaient marqués par une concentration presque méditative, comme s'il tentait de dénouer un fil invisible dans son esprit. Alix, assise à ses côtés, l'observait en silence, intriguée. Elle se pencha légèrement vers lui, son visage illuminé d'une curiosité qu'elle ne cherchait pas à dissimuler. Finalement, ce fut elle qui rompit le silence, sa voix douce.

— Et toi, Ezra... comment tu perçois le temps ?

La question, inattendue, sembla le tirer brusquement de ses pensées. Il tourna la tête vers elle, surpris, ses sourcils se haussant légèrement.

Ezra détourna de nouveau les yeux, les fixant sur l'étendue bleutée de l'horizon. Il prit le temps de réfléchir, laissant la mer murmurer en arrière-plan, comme un écho à sa réflexion.

Puis, d'une voix plus basse, presque murmurée, il répondit :

— Le temps... Je crois qu'il ne se mesure pas vraiment.

Alix fronça légèrement les sourcils, curieuse.

Il poursuivit, son regard perdu vers l'étendue d'eau scintillante.

— Il y a ces moments, tu sais... où chaque seconde semble peser, s'éterniser, quand tu attends quelque chose, ou quand tu ressens un manque. Et puis, il y a l'inverse...

Il se tourna vers elle, plongeant cette fois son regard profondément dans le sien.

— Ces instants où tout s'accélère, où tu oublies de compter. Quand tu es là... c'est comme si le temps n'avait plus vraiment d'importance.

Elle resta silencieuse, décontenancée par l'intensité de ses mots.

— Avec toi, reprit-il plus doucement, j'ai juste envie que ça dure. Longtemps.

Le vent souffla plus fort, soulevant quelques mèches de ses cheveux, mais ni l'un ni l'autre ne sembla le remarquer.

Juste un instant suspendu. Infiniment fragile. Infiniment sincère.

*

Le silence régnait dans l'habitacle, seulement troublé par les riffs métalliques et les "RATATATA" effrénés de Babymetal, crachés par la playlist d'Alix. Le volume, à la limite du raisonnable, rythmait l'ambiance d'une étrange tension flottante.

Concentré sur la route, Ezra tapotait du bout des doigts sur le volant, hochant parfois la tête en rythme, plus par automatisme que par véritable enthousiasme. Alix, elle, restait silencieuse, la tête appuyée contre la vitre, les yeux perdus dans le défilement flou du paysage.

La Normandie s'effaçait peu à peu derrière eux, les falaises majestueuses laissant place à la grisaille familière de la capitale. Ce retour à Paris lui laissait un goût amer. Quitter cet havre de paix, cette parenthèse, était plus difficile qu'elle ne l'avait imaginé. Ici, dans cet espace clos, le contraste entre la sérénité du week-end et l'agitation urbaine qui les attendait semblait encore plus frappant.

Mais ce n'était pas seulement le lieu qu'elle regrettait.

Un soupir discret lui échappa, presque masqué par la musique.

Puis, dans un élan spontané, comme si elle refusait de laisser l'instant lui échapper, elle tourna légèrement la tête vers Ezra.

— Merci pour ce week-end, dit-elle doucement, sa voix tranchant avec l'énergie de la musique.

Il tourna brièvement la tête vers elle, surpris par son sérieux.

— Je me sens... vraiment bien ici. Avec toi.

Un battement de cœur.

Avant qu'il n'ait eu le temps de répondre, la voiture s'immobilisa devant son immeuble. Alix détacha sa ceinture et ouvrit la portière dans un geste fluide. Pourtant, elle hésita. Se retourna.

Un dernier regard. Un sourire, doux, sincère.

— À bientôt, Ezra.

Puis elle s'éloigna vers l'entrée de son appartement, le laissant seul avec ses pensées.

Ezra resta figé, les mains toujours crispées sur le volant, son esprit bourdonnant de tout ce qu'il aurait voulu répondre et qu'il n'avait pas su dire.

Mais étrangement, malgré ce silence, il se sentait... apaisé. Comme si, pour une fois, aucun mot n'était nécessaire.

Pakkum

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