Chapitre 10

Chapitre 10 : Août

Confortablement installé dans un pouf rose poudré, Ezra savourait avec délectation le moelleux de l'assise, s'enfonçant un peu plus à chaque mouvement, comme s'il était enveloppé dans une étreinte douce et réconfortante. Ce n'était pas n'importe quel pouf : c'était celui que la propriétaire des lieux — en vacances avec sa famille — considérait presque comme un objet sacré, rarement prêté, encore moins utilisé.

Cette rare opportunité de s'y lover était un luxe qu'il ne prenait pas à la légère. Un sourire satisfait étira ses lèvres alors qu'il laissait échapper un soupir d'aise, bien décidé à profiter pleinement de ce privilège inattendu.

— Charlie te tuerait si elle te voyait, déclara Eva en entrant dans la pièce, une tasse de thé fumant à la main.

Ezra haussa les épaules, un sourire narquois aux lèvres.

— Justement, j'en profite pendant qu'elle n'est pas là. Tu ne trouves pas qu'il y a un truc presque... hypnotique dans ce pouf ? Bien rembourré, bien confortable... Ça te tente pas de l'essayer ?

Ce pouf, trônant fièrement dans le salon, était presque une extension de Charlie elle-même. Même Eva, qui partageait pourtant cet espace avec elle, peinait parfois à revendiquer son droit d'y poser ne serait-ce qu'un instant. Ce pouf, devenu un véritable symbole, semblait imprégné de l'aura de Charlie, comme s'il portait en lui une part de sa personnalité.

— Je te rappelle que je vis ici, Charlie n'a pas encore la folie de m'interdire d'y toucher.

—  Pas encore, hein ? Elle te l'a bien fait dans le passé pourtant.

Le sourire d'Eva vacilla, laissant transparaître une lueur de nostalgie dans son regard. La remarque, anodine en apparence, réveilla un écho du passé, suspendant l'échange dans un silence lourd, comme si une vieille histoire venait de refaire surface sans y être invitée.

Ezra, mal à l'aise devant cette tension inattendue, se racla la gorge pour rompre le moment.

— Euh... Au fait, elle t'a laissé quelque chose pour moi ? Un message, peut-être ?

Sans piper mots, Eva porta sa tasse à ses lèvres et sirota bruyamment, un geste délibéré qui trahissait son agacement. Elle releva ensuite un regard perçant vers son cousin.

— Sérieusement, Ezra ?

Il détourna le regard, visiblement pris de court.

— Écoute, je ne voulais pas...

— Non, Ezra, coupa-t-elle sèchement. Tu savais exactement ce que tu faisais en mentionnant ça.

L'atmosphère, déjà tendue, s'alourdit encore. Ezra, conscient d'avoir mis les pieds dans le plat, leva les mains en signe de capitulation.

— D'accord, c'était stupide. Je suis désolé, dit-il, un sourire penaud étirant ses lèvres.

Eva poussa un soupir avant de se laisser tomber sur le canapé, son regard toujours un peu dur mais prêt à passer à autre chose.

— Tu sais, parfois, tu devrais réfléchir avant de parler, lança-t-elle finalement, son ton moins accusateur mais toujours teinté de reproche.

— Je sais, admit-il, les épaules affaissées. Je ferai mieux... enfin, j'essaierai.

— Essaie vraiment, alors. Charlie ne serait pas aussi indulgente.

Ezra déglutit bruyamment, imaginant sans mal la réaction incendiaire de Charlie face à ses propos maladroits. Eva l'observa en silence avant de porter une nouvelle gorgée de son infusion à ses lèvres.

— Pour info, Charlie t'a dit de te débrouiller seul, lâcha-t-elle finalement, d'un ton neutre mais chargé de sous-entendus.

Voyant une opportunité de détourner la conversation, Ezra s'empressa de répondre :

— Connaissant cette vipère...

Il s'interrompit brusquement en croisant le regard perçant d'Eva, ses yeux brun foncé rétrécis en une expression qui mélangeait avertissement et exaspération. Il se racla la gorge et rectifia, sa voix plus prudente :

— Je veux dire, connaissant Charlie, je suis sûr que ce n'est pas exactement ce qu'elle a dit.

Déjà agacée par l'échange précédent, Eva posa sa tasse sur la table basse avec un claquement significatif. Elle planta son regard dans celui d'Ezra, comme pour le mettre en garde qu'il s'approchait dangereusement de la limite.

— T'as raison, répondit-elle finalement, son ton glacial. Ce qu'elle a dit, mot pour mot, c'est : « S'il veut vraiment séduire Alix, il devra apprendre à marcher sans béquilles. Je ne vais pas lui tenir la main toute sa vie. »

Ezra fronça les sourcils, piqué au vif. Ces cinq derniers mois, il s'était donné corps et âme pour rendre chaque rendez-vous avec Alix unique, parfois même au détriment de son propre travail. Jongler avec des deadlines impossibles, sacrifier ses soirées pour planifier chaque détail, et tout ça pour prouver à Alix qu'il était sérieux dans sa démarche. Et maintenant, Charlie osait insinuer qu'il s'appuyait trop sur elle ?

Bien sûr, il demandait des conseils. Mais n'était-ce pas leur arrangement depuis le début ? Charlie l'avait incité à relever ce défi absurde et à sortir de sa zone de confort. Pourquoi devrait-il changer une formule qui, selon lui, fonctionnait ?

— Attends... Elle pense vraiment que je ne fais pas d'efforts ? lâcha-t-il, incrédule, sa voix trahissant une indignation mal contenue.

— Disons qu'elle pense que tu pourrais en faire plus. Et pour être honnête, je suis d'accord avec elle, rétorqua calmement Eva, ses yeux plantés dans les siens, sans une once d'hésitation.

Ezra ouvrit la bouche, prêt à protester, mais aucun mot ne sortit. Il croisa les bras, visiblement contrarié, avant de soupirer et de passer une main dans ses cheveux, un tic nerveux qu'Eva connaissait trop bien.

— Tu ne vois pas tout ce que je fais déjà ? murmura-t-il, presque pour lui-même, comme si la reconnaissance qu'il cherchait n'existait nulle part.

Eva haussa un sourcil et repris calmement sa tasse où le liquide chaud se refroidissait.

— Alors ? Le prochain rendez-vous, tu comptes faire quoi ? demanda-t-elle d'un ton direct, ses yeux bruns scrutant chaque micro-expression de son cousin.

Ezra haussa les épaules, évitant son regard.

— J'en sais rien... avoua-t-il dans un marmonnement presque inaudible.

Eva poussa un soupir lourd, l'exaspération se lisant sur son visage. Son cousin, parfois, lui rappelait un adolescent en pleine crise existentielle. Elle reprit calmement sa tasse, mais son ton devint plus ferme :

— Écoute, Ezra, si tu veux qu'Alix ressente à quel point tu es investi, alors il va falloir que ça vienne de toi. Pas d'un plan dicté par Charlie ou par qui que ce soit d'autre.

Ezra resta silencieux, plongé dans une réflexion lourde. Sa mâchoire se serra, et son regard se perdit quelque part sur la table basse. Il ressemblait à un boxeur sonné par un uppercut inattendu, conscient qu'il devait se relever, mais encore incertain de la manière. Il fallait Ezra pour qu'il trouve ses propres réponses.

— Qu'est-ce que je dois faire ? finit-il par murmurer, la voix empreinte d'une hésitation inhabituelle.

Il inspira profondément avant de se lancer, presque suppliant :

— D'accord, je l'admets, je suis paumé. Mais aide-moi, Eva, juste pour cette fois ! Je te promets que je gérerai les prochains rendez-vous seul. Mais là... je suis coincé. S'il te plaît !

Eva haussa un sourcil, une lueur d'exaspération passant dans ses yeux. Il n'y avait qu'Ezra pour transformer une demande d'aide en un marchandage désespéré. Elle s'adossa contre le dossier du canapé, croisant les bras comme si elle pesait soigneusement le pour et le contre.

— Hm... proposa-lui un karaoké.

*

Devant le Madness, Ezra repensa aux mots d'Eva : "Le karaoké, c'est spontané, ça change de tes plans ultra-préparés. Il ne s'agit pas juste de chanter, c'est ce dévoiler, créer des moments drôle et authentique. C'est là que la complicité se construit". Malgré tout, une part de lui restait sceptique.

Il n'était pas sûr que ce genre de soirée soit vraiment son truc. Mais lorsqu'il croisa le regard pétillant d'Alix, il se dit que ce n'était pas une si mauvaise idée. Si ça la rendait heureuse, alors pourquoi pas ?

— On rentre ? Demanda Alix, impatiente.

Ezra hocha la tête et lui ouvrit la porte.

Bien loin des clichés néons et paillettes qu'il redoutait, l'accueil du karaoké où ils pénétrèrent était simple. L'endroit arborait une esthétique minimaliste. Les murs semblaient absorber chaque son, créant un silence feutré dans les couloirs.

Le jeune homme, se dirigeait vers le comptoir, accompagner de près d'Alix. Derrière le comptoir en bois brut, un employé les accueillit avec un sourire professionnel.

— Bonsoir, avez-vous une réservation ?

— Oui, au nom de Phạm Ezra, répondit-il en jetant un coup d'œil à Alix, qui arpentait déjà du regard le plan des boxes affiché sur le mur. »

Après une rapide vérification, l'employé leur tendit une clé magnétique.

—  Box 12, juste au bout du couloir. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, le bouton d'appel est à droite de l'écran. Amusez-vous bien !

Avec un petit hochement de tête, Ezra remercia l'employé et guida Alix vers leur box.

Lorsqu'ils entrèrent dans leur box, ils découvrirent une pièce cosy. Les murs rehaussés par des LED multicolores, changeaient en fonction des morceaux choisis. Une grande banquette rouge en forme de U entourait une table basse où reposaient deux micros, un écran tactile pour sélectionner les chansons, et une tablette contenant des playlists infinies.

La réservation leur offrait deux heures de promesses : des éclats de rires, des instants partagés hors du temps, et peut-être un nouveau souvenir précieux à chérir.

— Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas retrouvée rien que tous les deux.

— Hum, répondit-elle simplement, son ton léger, tout en saisissant le menu des chansons. Alors quelle chanson va-t-on massacrer en premier ? »

Elle fit défiler la liste sur la tablette, son index dansant sur l'écran tandis qu'elle chantonnait un air improvisé. Visiblement de bonne humeur, elle semblait absorbée par une tâche qu'elle prenait étonnamment au sérieux. Ses yeux plissés et sa mine concentrée donnaient l'impression qu'elle délibérait sur un choix d'une importance capitale.

— Alors, tu as trouvé une chanson que tu connais ? demanda-t-il en jetant un œil à l'écran.

Un sourire espiègle illumina le visage d'Alix tandis qu'elle se retournait vers lui, ses yeux brillants d'excitation.

— Oui ! Et prépare-toi bien car je compte tout donner.

Le mouvement les rapprocha davantage qu'il ne l'avait anticipé. Il était si proche qu'il pouvait sentir son souffle contre sa peau. Un parfum fruité avec une pointe florale émanait d'elle, lui tournant légèrement la tête. Ses yeux s'accrochèrent à ceux d'Alix, un éclair de désir les traversant. Plus qu'un souffle d'air, et il pourrait céder à l'envie de goûter ses lèvres. Juste quelques centimètres, rien de plus

— Par contre, ne viens pas te plaindre si tes oreilles saignent, lança Alix d'un ton faussement dramatique.

Sa remarque arracha Ezra à la bulle de désir dans laquelle il s'était plongé sans s'en rendre compte. Il recula légèrement, l'instant suspendu, et força un sourire. Pourtant, une pointe de culpabilité le rongeait. Était-ce vraiment mal de désirer Alix ? Il l'aimait, il n'y avait aucun doute là-dessus. Mais chaque fois qu'ils se retrouvaient aussi proches, il se retrouvait prisonnier d'un combat intérieur, tiraillé entre une envie brûlante et une retenue prudente.

Il inspira profondément pour se recentrer, chassant les pensées troublantes qui menaçaient de l'engloutir.

— Eh bien, dans ce cas, à toi l'honneur de commencer, diva, plaisanta-t-il en lui tendant un micro avec un sourire complice.

Alix choisit Woo de Rihanna, une chanson électrisante et pleine d'attitude. Elle se leva avec insouciance, attrapa le micro tendu et commença à chanter avec une assurance naturelle. Elle se balançait au rythme de la musique, la voix parfois légèrement hésitante mais toujours portée par une énergie communicative.

Son sourire éclatant, son rire léger, ses mouvements gracieux... Tout en elle semblait captivant. Ezra, assis sur la banquette, l'observait avec une fascination qu'il n'essayait même plus de dissimuler. Et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de se demander si le choix de la chanson n'était pas un peu plus qu'une coïncidence.

Woo Woo, woo, yeah
Woo, woo, yeah

Aw yeah, aw yeah, aw yeah

Il balaya rapidement cette idée. Peut-être qu'il se faisait des films. Il avait appris, au fil des mois, qu'Alix était impulsive, qu'elle vivait pleinement l'instant présent sans arrière-pensées. Mais à chaque note qu'elle laissait échapper, il sentait ses émotions enfler en lui comme une vague qu'il ne pouvait plus contenir.

Quand ce fut à son tour, il fit défiler le catalogue, en silence, cherchant une chanson en particulier. Lorsqu'il la trouva enfin, un petit sourire passa sur ses lèvres. Il opta pour No Love de Monsieur Nov, un morceau de R&B français qu'il écoutait en boucle ces derniers temps.

Les paroles, lourdes de sous-entendus, semblaient décrire mot pour mot la situation complexe qu'Ezra vivait avec Alix.

On s'était promis qu'on ne laisserait pas rentrer les sentiments
Ouais on s'est promis mais on se voit all day de lundi à dimanche
Babe on s'est promis
Babe mon petit coeur est faible
Peut-être que j'ai menti
Même si on s'est promis
Promis

Quand la première note résonna, Ezra s'immergea sans hésitation dans la chanson. Sa voix, légèrement rauque, s'accordait étrangement bien avec le ton langoureux et mélancolique du morceau. À chaque mot, à chaque phrase, il laissait filtrer un peu de ses émotions, exposant une sincérité désarmante.

Bien sûr, sa prestation n'était pas parfaite. Sa voix se brisa à quelques reprises, trahissant son manque d'expérience. Mais loin de se vexer, Ezra éclata de rire, emporté par l'absurdité de la situation, surtout lorsqu'il vit Alix éclater de rire à son tour.

Elle tapait doucement des mains en rythme, un sourire éclatant sur les lèvres, visiblement amusée par son « show ». Pourtant, à aucun moment, elle ne sembla relever la teneur des paroles ou les sous-entendus qui y étaient nichés.

De son côté, Ezra sentit un mélange étrange d'amusement et de soulagement. Peut-être qu'il se faisait des idées... ou peut-être qu'Alix refusait de voir ce qu'il essayait de lui dire entre les lignes. Quoi qu'il en soit, il se laissa emporter par cette énergie, profitant du moment pour ce qu'il était.

Il se surprit à penser qu'Eva avait peut-être raison. Ces moments spontané, empreints d'une douce folie, valaient bien plus que les rendez-vous soigneusement orchestrés.

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