Le 3 avril.
Moi, médecin en pleine paperasse.
Plusieurs tasses de café et une demi-crise de nerfs plus tard, j'ai enfin fini de remettre à jour tous mes dossiers ! Les papiers me gonflent, ils m'ont toujours gavé. Je sais qu'ils sont utiles, mais l'un n'empêche pas l'autre.
— Docteur ?
Mon ex plan cul me sort du « Docteur » à tout bout de champ depuis qu'on mit fin a notre relation non officielle, c'est fort ça non ?
— Votre calendrier de vacance et la liste des titulaires disponible pour vous remplacer pendant cette période. Je n'ai pas le temps de la remercier qu'elle tourne déjà les talons et claque la porte, c'est un miracle si rien ne se mange le sol. Je dois préciser qu'elle m'a plus jeté que donné lesdits papiers ?
— C'est qu'elle a la digestion mauvaise la blonde aux fausses miches !
Je ris en soupirant quand j'entends la fameuse « blonde aux fausses miches » s'étouffer avec je ne sais quoi, car il a laissé la porte ouverte et elle a tout entendu. Dans le fond je m'en moque.
— Grasse et finesse...
— C'est mon deuxième prénom tu ne savais pas ? J'ai une césarienne tout à l'heure, tu as le temps pour un beignet ?
— Toujours pour un beignet !
J'abandonne donc, sans aucune honte mes dossiers et sors avec mon collègue amateur de belles fesses lisses sinon rien ! En direction de la cafétéria. Quand on passe devant mon ex, elle me jette des regards noirs. En tout cas elle peut me reprocher tout ce qu'elle veut, mais je n'y suis pour rien si ma petite et très délicate Loti a, légèrement, bousillé son soutif.
Elle avait sûrement mal aux dents puisqu'après elle s'est attaquée à ses pompes.
— Tu sais ce qui est le plus triste dans tout ça ? Il me fait signe que non en s'enfournant son beignet et en lorgnant sur un autre, à la pomme, c'est que je dois me lever pour mon café !
— Dire que c'est moi qu'on traite de salop...
On continue de parler encore un moment avant de retourner chacun dans son service.
Avant ce soir je dois recevoir une mère et son fils envoyé par un confrère de la région parisienne.
Le patient, le jeune homme a été diagnostiqué il y a deux semaines. Il n'a que dix-sept ans. Il a un cancer des cordes vocales. C'est rare pour un patient aussi jeune sans antécédent de tabagisme. Il a d'abord été consulté pour une mauvaise bronchite d'après sa mère. Il avait déjà derrière lui un peu plus de dix jours de dysphagie et de dyspnée.
Difficulté liée à la déglutition et à la respiration.
Ce n'est pas de la faute a se mère, après tout qui aurait pu deviner qu'il allait lui arriver quelque chose comme ça ? À tout juste dix-sept ans...
Après plusieurs examens, mon confrère s'est rendu compte que toutes ses cellules cancéreuses étaient enroulées autour de ses cordes vocales. Elle s'y accroche comme la misère sur le monde, rien n'a pu détacher ses tentacules mortels, pas même un lourd traitement qui a pourtant déjà fait plusieurs fois ses preuves.
Voilà où j'interviens, je dois l'opérer pour les lui hotter. Oui sa voix. C'est ça ou la boîte en sapin de toute façon...
C'est moche, mais il a une autre chance de vivre vieux et jusqu'à preuve du contraire on peut continuer à vivre muet.
C'est une opération délicate, pas compliquée, mais délicate.
J'inspire un grand coup et regarde ma boîte mail. Rien. Pour ne pas changer.
Pour ne pas changer non plus, cette intervention ne sera qu'une demi-victoire, il va se réveiller vivant, mais il aura pour toujours ce douloureux rappel et une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Rien n'est jamais vraiment acquis sur cette bonne vieille terre pas même la vie. Au moins elle tourne à peu près rond.
— Docteur ?
— Oui, je range un peu le bazar que j'ai mis sur mon bureau, avant de la regarder pour l'interroger du regard, mes yeux se posent, brièvement sur son dossier. Le coloré, je ne réprime pas mon sourire.
— Les patients de votre confrère sont arrivés, je peux les faire entrer ?
— Bien sûr.
Elle a déjà commencé à faire demi-tour avant que je ne lui réponde. Il faut qu'elle se calme, rien à foutre de ce qu'elle pense de moi. Ici, on est au travail.
— Bonjour.
— Bonjour, je vous en pris asseyez-vous.
Madame Céllier et son fils, Lïam, s'assoient avec un sourire pincé pour elle et un regard meurtrier pour son fils.
C'est normal, je suis celui qui va l'opérer et comme je l'ai déjà dit, le cancer n'est pas palpable. Je suis leur cancer personnifié.
Je suis le fautif.
Je commence par vérifier avec eux toutes les informations sur son dossier, ce n'est agréable pour personne. Je les refous dedans de façon froide et presque mécanique. Là non plus, je n'ai pas le choix.
Pendant que je parle avec sa mère, une femme qui a récemment perdu du poids à en juger son jean qui ne tient sur ses hanches que grâce à une ceinture bien serrée, son fils s'obstine à regarder par la fenêtre.
La colère et le déni. Exactement comme pour le deuil il y a sept étapes à se manger pour se reconstruire. Ils se reconstruisent, outre la maladie ils ont tous cette force sans borne. C'est impressionnant.
Le choc.
Le déni.
La colère et le marchandage.
La tristesse.
La résignation.
L'acceptation.
La reconstruction.
Freud et tout un tas de gars, pas forcément vivant, ont écrit tout un tas de choses sur ces fameuses étapes. Au final, seul ceux qui l'on vécut peuvent parler.
Il y a plusieurs années, un de mes tout premier patient m'avait dit « ce n'est pas pour moi que j'ai peur, c'est plus ceux qui restent qui m'angoisse » avant de refuser son traitement et de partir de mon bureau aussi silencieux qu'un fantôme.
Il est mort une poignée de mois plus tard, sa famille m'avait soutenu qu'il n'avait jamais autant aimé la vie que dernièrement.
C'est une des raisons pour laquelle j'aime autant mon métier, même avec le statut de main droite de la faucheuse.
Il m'append la vie.
Le jeune tourne à peine la tête quand j'explique à sa mère les étapes de son opération.
Colère. Une colère glaciale.
— Jeune homme ? J'essaie de l'interpeller, vous avez des questions ?
Je le vois serrer les dents et j'entends les accoudoirs crisser sous ses poings qui se serrent de toutes ses forces.
— Pauv' con ! Sans que sa mère n'est le temps de répliquer, il se lève en faisant tomber son siège en arrière puis se casse en claquant la porte avec violence.
Sa mère, le rouge aux joues, s'excuse pour lui en se levant précipitamment pour ramasser la chaise.
Je me lève à mon tour pour l'aider et lui assurer que ce n'est rien. Que sa réaction est normale, qu'il doit être mort de trouille.
Quand elle part, une grosse heure plus tard, je suis épuisé.
— Docteur, n'oubliez pas de valider vos vacances.
La voix rêche de mon ex me fait monter dans les tours en moins de deux ! Là, c'est trop.
— Reste. On va parler toi et moi. Dépêche.
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