Le 24 avril.

Moi, malade qui ne sent plus ses jambes.

À peine trois heures qu'elle avait dit Terry ce matin ! À peine trois heures ! mon œil ouais ! on en est a presque sept dont cinq de bouchon. À ce niveau-là, les Parisiens sont des petits joueurs du genre super frileux ! genre vraiment beaucoup ! Là, on est à l'arrêt depuis deux bonnes heures et celle d'avant on a très exactement fait quatre kilomètres...

« C'est pas mal ! » qu'a dit le conducteur dans un anglais parfait...

J'en ai ras les noix... et les sièges sont aussi épais qu'une feuille de papier, comme ceux de la salle d'attente !

C'est dans ce genre de moment que mon rembourrage me maque le plus après ma patience !

Je souris un peu en me souvenant que ce matin la vieille dame s'est cramponnée devant la porte de sa cuisine. Quand je suis passée devant elle, elle m'a regardé de travers tout en secouant sa petite tête toute ronde de droite à gauche comme une folle dingue.

Elle n'a pas aimé la petite course aux cocottes de la vieille à mon humble avis.

Ouais, bon ça va cinq minutes le sentimentalisme à la noix, j'ai mal au cul ! merde !

Le parc de Manas est à la frontière Bhoutanaise. D'où les « quelques » heures de bus, rien que d'y penser j'ai envie d'étrangler Terry... Je suis sûr qu'elle savait comment cette « balade » allait se passer. Elle est bien trop calme... étalée sur deux sièges avec une pile de magazines honteusement haute ! Puis elle me gave à fourrer sa main dans son sac plastique plein de cochonnerie à manger !

Je déplie une nouvelle fois le dépliant qu'elle nous a refilé ce matin en partant, après sa phrase arnaque. Dessus il est expliqué que ce parc national est à cheval entre le Bhoutan et l'état d'Assam en Inde. Il y a aussi quelques photos des cabanes dans les arbres dans lesquels on va dormir jusqu'à la fin de notre séjour, soit le 11 mai.

Franchement, ça à l'air génial, si on oubli le fait que je n'ai pas d'autre choix que de partager ma cabane avec l'aventurier. Youpi, on lève tous les bras et on fait un joli sourire pour la photo souvenir !

C'est de la merde en boîte. Juste de la grosse daube en boîte, pourtant j'ai vraiment tout essayé pour ne par dormir avec lui. Quand Terry m'a proposé de rester chez la vieille dame j'ai fini par me la fermer pendant que la vieille hurlait un « non !!!! » qui venait du fin fond de son cœur.

Charmant.

— Pause repas !!
— Elles sont longues tes trois heures ! Rétorque, un brin amer Nikolas qui a vraiment perdu de sa superbe. En gros il a une tronche de cul.
— Si peu... qu'elle lui répond en descendant pour prendre l'air avec un petit sourire que je rêve de lui faire bouffer avec une pelle.

Je ronchonne en me levant, car je sens tous les os de mon corps craquer, faut que je m'estime heureuse si je ne perds rien en court de route. J'en profite pour vérifier mon portable. Rien.

— Pause casse-croûte ? La rousse n'attend pas ma réponse, elle me tend un sac en plastique opaque en haussant un sourcil.
— Merci, je croasse en m'étirant comme je peux en plein milieu de l'autoroute.

Oui, l'autoroute. Normal. Tu fais ça a la maison tu termines en galette alors qu'ici y'a même un gars qui balade son lama.

Oui, un lama. Normal. C'est qu'il est fier en plus ce con, le lama pas le gars.

Je finis par rejoindre l'aventurier dans un genre d'aire d'autoroute, autoroute toute défoncée soit dit au passage. Comme l'aire d'ailleurs, quatre murs et une plaque de tôle en guise de toit.

Pourquoi pas.

— T'as quoi toi ?
— Un truc au poulet je dirais, je lui dis en sniffant dans mon sac. Et toi ?

— Là même je crois, tu crois que c'est comestible ?

On sort notre repas pratiquement en même temps, on se regarde et on tire la même tronche. Ouais, heureusement qu'on a faim. Pas loin de nous il y a le petit couple qui découvre aussi le repas. Eux aussi nous regardent, on soupire tous en même temps.

Ça a l'air bien bon...

Quelque chose de rare se produit, ça faisait bien des années que je n'avais pas ressenti ça. Autant dire que ça ne m'a pas du tout manqué ! Mes médicaments, qui sont dans ma poche, pèsent une tonne. Vraiment une tonne. J'ai l'impression que mon vêtement va se déchirer sous la pression de ma boîte en plastique.

En mettant ma main dedans, je me rends bien compte qu'il n'y a que mon pilulier du midi, cette impression est uniquement dans ma tête. Pourtant elle grossit, elle envahit tout mon corps. Je la sens grappiller tout mon espace peu à peu. Elle me mange le corps, s'enroule autour de lui comme une pieuvre aux tentacules pointus et meurtrières.

Je serre les dents et pries tout ce que je peux pour que personne ne se rendent compte qu'une nouvelle crise d'angoisse pointe le bout de son nez. Je dégaine mon portable et envoi un mail à ma mère, je suis dans un genre de brouillard épais et étouffant.

Je lui raconte tout et n'importe quoi, je rajoute quelques photos tout en omettant mon état d'esprit et les tentacules qui me détruisent les tripes. J'ai juste besoin qu'elle me dise que tout va bien de son côté, que papa râle à cause de la circulation et que ma petite sœur bûche comme une folle sur ses exams.

Une fois finis, je file dans les toilettes avec ma bouteille d'eau pour gober mes cachetons du milieu de journée. Je m'arrête net devant l'enfilade de miroirs, on va dire que ce sont des miroirs c'est plus simple comme ça. La nana du couple est là aussi et elle aussi a la main pleine de cachets de toutes les couleurs.

On se regarde sans parler, puis ça m'éclate en pleine tronche. Sa pâleur, ses cernes, ses pommettes et doigts saillants, leur bulle quasi impénétrable...

Elle est malade et du mauvais côté de la pente.

Je crois que je grimace un sourire et me force à m'approcher d'elle. Oui, je me force. C'est exactement comme quand on se retrouve face à un prédateur, notre instinct nous dicte de prendre nos jambes à notre cou. Mon instinct m'hurle de faire demie tour, que c'est un moment intime, que ça ne me regarde pas ! et surtout que j'aurais dû m'en rendre compte.

La pieuvre plante ses tentacules plus profondément en moi. Je me force à respirer le lus normalement possible pour ne pas me rouler en boule sur le sol en pleurant tout en manquant d'aire.

L'une à côté de l'autre, on se regarde à travers les miroirs ondulés et crades en face de nous. Elle a toujours ses cachets dans le creux de son poing, elle semble terrorisée. Je mets à mon tour mon traitement de fin de repas dans ma main, sous son regard. Je le referme et l'approche du sien.

— Tchin.
— Tchin.

On gobe le tout en même temps puis on avale une grosse gorgée d'eau. Ça sent l'experte !

Elle sort avant moi sans un mot, de toute façon il n'y a rien à dire. Ce qu'il vient de se passer en dit bien plus que tout le reste non ?

Je me sens un peu moins angoissée, je sais que les tentacules sont encore autour de moi, je les sens qui me caressent la peau. J'essaie de les ignorer, je me concentre sur ma respiration. Je dois le faire pour continuer à avancer.

— Bon ! Alice !! La voix de notre accompagnatrice me parvient, faut dire qu'elle sait avoir du coffre quand ça l'arrange. Je souffle, me rince le visage, tapote mon visage pour me redonner un peu de couleur et rejoins tout le monde avec un sourire de façade bien accroché sur mes traits. Mauvaise nouvelle, le moteur a pris chaud et une pièce a rendu l'âme...

— Sérieux ?
— Oui, Nikolas. Sérieux.
— Donc ?
— On va dormir dans le bus ce soir et demain matin un autre bus viendra nous chercher.

Pouasse quand tu nous tiens... la nana et moi on se jette un rapide coup d'œil, on sait que ça va être une nuit de merde.

L'aventurier et moi on se regarde à notre tour, puis nos regards se perdent vers le bus mort.

— TTT, intervient Terry en soupirant. Il y a des sacs de couchage dans le coffre et pour le repas ils servent de la nourriture jusqu'à minuit.

Pour le coup on se retourne tous vers les quatre pauvres murs qui tiennent debout dieu seul sait comment.

— Tu veux dire qu'il y a de la nourriture dedans ? Je lui demande avec une mine plus que dégoûtée.
— Oui... et tout en soupirant sa réponse tout le monde comprend que ça ne l'enchante pas plus que nous.

Il faut savoir une chose sur moi. Je déteste le camping et tout ce qui s'en rapproche ! Pas de prise électrique, pas de matelas, pas d'anti moustique, pas de couette et pas de CHIOTTES !

Voilà ! c'est dit ! je suis une bonne Française qui aime son confort et sa cuvette propre !

Manger chaud aussi, je déteste manger froid !

En parlant de repas, les gens de l'aire de repos nous ont cuisiné un genre de ragoût avec du mouton bouilli. Pour le coup j'ai eu l'impression d'être de retour en troisième en voyage scolaire en Angleterre devant un plat de mouton bouilli à la menthe.

La, pas besoin d'avoir un alien qui danse la salsa dans le corps pour avoir la nausée !

Tout en me mettant en pyjama dans les toilettes, je passe ma main sur ma petite vérole.

Mon sein me tire un peu. Je me passe du lait pour le corps dessus pour calmer mes démangeaisons.

Juste après j'enfile une seconde paire de chaussettes, je sens que je vais me les geler cette nuit.

On a tous mangé dans le bus, même le chauffeur a partagé notre repas. Lui aussi à trouver ça dégelasse. C'était sympa, il nous a raconté des tas d'anecdotes. Il en a vu de toutes les couleurs pendant ses voyages ! et d'après lui les Français ne sont pas si mal poli que ça, je n'ai pas caché mon étonnement. Il ne connaît pas ma voisine lui ! une vraie folle dingue accro a sa bouteille de vin ! du propre !

Au final on a ri un bon moment, le chauffeur sait faire aussi tout un tas d'imitations !

Puis ça a été la mission lit ! Une vraie galère, je n'ai pas réussi a trouvé une place plus ou moins acceptable !! Un peu partout dans le bus, il y avait tout un tas de soupirs très agacé !

En regardant par la fenêtre, je n'ai même pas été étonnée de voir des gens qui installaient leur tente.

J'ai fini par aller dans le fond du bus pour me coucher sur le sol juste au-dessus du moteur, histoire de glaner un peu de chaleur. Nikolas m'a rejoint juste après mon dernier gobage.

— Bon...
— Ouais...
— Bonne nuit ?
— Merci, toi aussi.
— Tu sais si tu as froid.
— La ferme ! je lui réponds en remuant mes pieds sur son visage.

Il couine, je me marre et on soupire en même temps. 

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