Le 21 mars.

Moi médecin, qui a du mal à garder les yeux ouverts.


Ce qui est bien quand on est un médecin que tout le monde connaît et apprécie, enfin je crois, c'est qu'un café bien chaud arrive comme par magie chaque matin sur mon bureau. Et avec celui-là pas besoin d'un s'il-vous plaît, c'est déjà gratuit, mais je dis un merci avec la porte ouverte par pure politesse. 

Je vois aussi une pile de dossiers, mes rendez-vous du jour. Je passe mon pouce dessus, pas un seul n'est d'une autre couleur que marron. Je sors mon portable tout en soufflant vraiment très bruyamment. 

Il y a une notification sur mon onglet « mail » je me précipite dessus comme la misère sur le monde.


De : Darty
À : Apps Dorian
Votre magasin est en fête ! 


Je n'ai pas lu la suite. Je l'ai supprimé. Maudite boîte mail, maudit magasin. Maudite soirée un peu trop arrosée ! Maudite elle !

— Docteur Apps ? Je regarde une infirmière de mon service passer sa tête blonde à travers mon bureau, elle continue en pensant que mon pseudo sourire était une invitation. Là aussi, il faudrait un « s'il vous plaît ». Votre premier rendez-vous est là, je peux le faire entrer ?

— Dans cinq minutes. Je lui réponds en regardant sur mon agenda de qui il s'agit. Que je prenne au moins le temps de sortir le bon dossier, on ne soigne pas de la même façon une prostate et un sein voyons ! 

Madame Warret, quarante et un an, cancer du foie en rémission depuis trois ans. Je regarde rapidement son traitement et ses derniers résultats, ils sont bons, mais commencent à dater un peu.

Cancer du foie... c'est moche. Surtout quand on ne boit pas ou que très peu. 

Quand la fameuse quadragénaire entre dans mon bureau, j'accroche un vrai sourire à mon visage. Elle n'y est pour rien si je n'ai pas énormément dormi et si je ne reçois pas le mail que je veux ! Je jette un rapide coup d'œil sur mon meuble sur ma droite, aussi rapide qu'un étudie qui regarde son portable en cours, pour voir le seul et unique dossier fuchsia qui s'y balade.

Pourquoi cette couleur ? Elle avait un vernis à peu près identique la première fois que je l'ai reçus... Je n'ai jamais dit que c'était une raison valable. 

— Bonjour, Madame Warret, comment allez-vous ?

— Un peu angoissé, mais ça va. Elle a une voix un peu grave, comme celle des fumeurs sauf c'est à cause de sa chimio.

— Pourquoi donc ? Je lui demande quand elle enlève son blouson et s'assoit. Elle me regarde et hausse les sourcils, oui je sais être ici l'angoisse comme tous mes patients sauf Alice... Elle, soit elle se moquait de moi soit elle me faisait très clairement comprendre qu'elle préférait être autre pars. Remarque-moi aussi, mon lit, par exemple, me paraît pas trop mal, mais mon canapé pourrait aussi bien faire l'affaire. 

La seconde personne que je vois est en phase terminale et a choisi le suicide assisté, pas en France bien sûr, non il s'en va en Suisse. C'est la dernière fois que je le vois d'après son dossier il s'en va demain et mets fin a sa vie dans une semaine.

Ce gars est jeune, bien trop pour tout ça, mais voilà à peine quarante ans il est fini, je ne sais même pas comment il fait pour tenir debout. Il force le respect. 

Quand je lui serre la main, je me fais la réflexion qu'il n'a pas cessé de sourire une seule fois. Je pense que pour lui la perspective de choisir sa mort est plus sympa que de subir sa vie. Je me mets à regretter l'éternel angoissé qu'est Madame Warret.
Au moins elle vivra.

Et cette fichue boîte mail qui ne se remplit que de pub ou de notification Face Book !


La journée se passe comme elle doit se passer, je m'efforce de ne pas envoyer sur les roses tous les gens que je croise. Je suis épuisé, mais on est vendredi et je termine plus tôt. J'entends d'ici mon lit m'appeler. Un doux chant aussi enivrant que celui des sirènes sur les marins.
Le côté létal en moins.

Chose non négligeable. 

Sur le parking je vois Andrew ouvrir sa portière.

— Ca va toi ? Il me demande en haussant le ton, car on n'est pas coté, de toute façon il parle toujours fort.

— Un peu naze et toi ? Je lui réponds en bâillant à m'en décrocher la mâchoire, au passage quelque chose craque, si quelqu'un trouve un bout d'os il sera gréé de me le ramener.

— J'ai appris pour ton patient, celui qui va s'euthanasier. Je pince les lèvres, car je n'aime pas ce mot, on n'est pas des animaux ! Enfin il n'y a rien de mal à mettre fin a la vie de notre compagnon de vie quand il n'en peu plus, c'est peut-être même le geste le plus humain que l'on puisse faire pour lui, mais on n'est pas des bêtes quand même ! 

— Oui il s'en va pour la Suisse bientôt.

— Ouais...
— Tu savais que c'est payant de mourir ? Je le coupe. Il paye sa tranquillité. 

— C'est le cas de le dire. Bon mon vieux ! Je ne sais pas toi, mais moi mon lit m'harcèle ! Il finit d'ouvrir sa portière et s'engouffre dans sa voiture. 

Je l'imite avec un peu moins d'enthousiasme.

Il va devoir payer pour ne plus souffrir... Dans quel monde vit-on ?   

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