Le 15 mai
Le 15 mai
Moi malade, qui explose
Il est à peine midi que je suis déjà devant le Café américain ou je dois retrouver l'aventurier. Je laisse ma carcasse se faire réchauffer par les maigres rayons du soleil qui pointe leur nez au travers des immeubles parisiens.
Depuis hier matin j'ai vraiment commencé mon nouveau traitement... pour le moment ça va, je ne suis pas plus intime avec la cuvette de mes toilettes que d'habitude. Je ne ressens rien de plus, tant mieux... j'en ai bien assez comme ça a supporté, pas besoin de plus et ma petite sœur qui en rajoute avec tous ces poissons...
Nos parents craquent déjà ! et d'un ou dix nouveaux bouquins par là, une excursion par ici... et forcement je suis fortement invité de partout. Pour ma part un bon poisson est un poisson finement découpé sur du riz savamment préparé...
Merde, voilà que j'ai faim maintenant ! mon regard se pose tout à fait naturellement sur l'étalage de petites douceurs aussi industrielles que sucrée qui me tendent les bras avec beaucoup de passion.
Dilemme du jour : cookies ou cookies ?
- À force de baver devant les tables comme ça on va se croire à Venise.
- Venise est bien plus romantique que Paris !
- Romantique ? Connerie ! sexy par contre...
Tout en levant les yeux au ciel je souris à Nikolas qui lui aussi se moque bien de moi. Il n'a pas vraiment changé, dans le fond je crois que même dans dix putains d'années l'aventurier restera l'aventurier. Grand, pas si beau, souriant, sécurisant.
- Bon on s'embrasse ou on s'roule une pelle ?
J'ai explosé de rire en le prenant dans mes bras, sans l'embrasser. Mine de rien j'aurais bien aimé, j'avais aimé cet unique échange à l'aéroport. J'ai juste l'impression de ne plus y avoir le droit. Plus maintenant.
Alien... Merde pense pas a ça Alice, tu dois faire l'amour avec les yeux a cet homme qui... pas mal le verso !
Je le suis quand il entre dans le shop, il n'est pas plus musclé ni plus grand, par contre ce petit jean lui fait un sacré beau petit cul !
- Alors ? Cookies ? Chocolat chaud ?
- Signature !
- Bien évidemment ! qu'il me répond tout en haussant les épaules comme ci je venais de dire la plus grosse des conneries. Dites-moi, vous avez des insectes grillés ?
Je pouffe et me détourne de lui pour nous trouver une place. En quelques pas je nous déniche une petite perle, une table pour deux avec des fauteuils qui donnent sur la rue. Parfait !
- Bon tu me racontes quoi de nouveau ? Le tien c'est celui-là, m'indique Nikolas en se posant à côté de moi une fois qu'il s'est fait servir.
Mon Alien s'est réveillé, il est gourmand, je vais crever et j'ai envie de pisser ?
- Je repars bientôt en vadrouille ! et toi ? Je lui dis finalement avec le meilleur sourire que j'ai en répertoire.
- Tu vas où ?
- En Polynésie du 22 mai jusqu'a fin juillet.
- Ba ça va ! tout en parlant il s'étend sur sa chaise et se met a regarder devant lui avec un fin sourire sur les lèvres.
- Et toi ?
- On verra quand j'y serai ! un délice pour les pupilles.
- Papilles, je le reprends automatiquement avant de le regarder de nouveau.
- Ouais aussi, qu'il me répond tout en regardant une nana qui passait par là tout en tapant a toute vitesse sur son portable.
Pas une pomme croquée à première vue. Quand nos regards se croisent on explose de rire, un bon vieux fou rire brouillant et libérateur. Un de ceux qui dérangent les chastes oreilles des passants.
- Sérieux t'a fait quoi depuis que t'es rentré ? t'as vraiment plus d'insectes ?!
- Mais non j'ai tout bouloté ! tu sais quoi, même la petite vieille me manque.
- Sauf ces poules. Une fois de plus on s'abime dans un nouveau rire en se regardant.
Ce petit quelque chose qui nous liait à l'autre bout du monde n'est plus. Paris et sa réalité fait son œuvre. Merci monde de merde.
On ne se sépare que plusieurs heures plus tard en se promettant de se revoir les prochains jours devant un magasin de nourriture exotique. Je le regarde partir adosser contre la rambarde de la bouche de métro, sa démarche sautillante me tire un dernier sourire. Dernier sourire qui s'évanouit quand je le vois faire une révérence aux deux jeunes femmes qu'il vient de croiser, elles gloussent et chuchotent je ne sais quoi. Moi j'ai à peine eu le droit à un vrai sourire. Un de ceux qui le rendent irrésistible. Rien.
Je me brise un peu plus. Enfin ce qu'il reste de moi quoi.
J'ai pas envie de rentrer, pas envie de faire « mine de » devant tout le monde. Plus envie de rien. Mes pas me traînent minablement en direction d'un autre café typiquement parisien, je commande un truc à boire et laisse le temps passer. Tous ces gens qui défilent devant moi sans même me remarquer, sans se remarquer les uns les autres...
Tout ce merdier me donne encore plus le cafard. Je me laisse me rendre sourde par le bordel ambiant, les gens, les klaxons, les véhicules... tout ça se mélange pour ne faire que du bruit, un bruit salvateur. Au bout d'un moment le bruit n'est plus suffisant. J'ai besoin de plus, de quelque chose qui me sature les oreilles et le crâne. Quelque chose qui m'empêche de réfléchir.
Je mets mes écouteurs et fais défiler les diverses musiques que j'ai sur mon portable. Je tombe rapidement sur Reserve de Starrysky.
Une fois, deux fois... dix fois de suite sans rien écouter d'autre.
« Mon esprit buté cherche à accepter » ouais moi aussi ! Le mien cherche à accepter ce qu'il me tombe sur le coin de la tronche ! mes doigts se perdent sans mes cheveux, le visage vers la table en inox pleine de miettes je sers les dents pour ne pas exploser !
La chanson parle d'acceptation, de recherche et de tout un tas de trucs, moi tout ce que j'entends c'est que le monde s'affadit, et qu'il cherche à quoi ça sert de rester ici-bas ?!
Il parle aussi de présence, qu'il la sent sans la voir ! moi cette salope je ne peux que la voir que sur une putain radio !
- Merde ! Je frappe avec le plat de ma main sur la table, quelques abrutis se retournent vers moi sans vraiment me voir. Bande de guignols ! eux aussi ! ces gros cons qui pensent tout savoir, tout voir ! Ignorant !
- Merde ! je grogne cette fois tout haut en me levant d'un bond.
J'enchaine les pas sans rien regarder autour de moi, moi non plus je n'sais pas où aller, moi aussi j'ai besoin d'entendre une voix pour la suivre ! Pour pas me noyer.
Pour pas crever avant l'heure !
Je me sens pleine, pleine d'une haine, d'une colère envers moi qui ne compte pas ! je suis aussi furieuse contre tout et le monde ! Pourquoi moi ? j'ai fait quoi ?! Pourquoi je suis la comme une grande et maigre conne à souffrir et à compter ses jours alors que l'autre là il n'en a rien à foutre !
Pourquoi !
Je finis par me retrouver sur un banc dans un parc je ne sais où. J'enchaine leur musique sans toujours les écouter, tout ce que j'entends c'est la mélodie ou l'instrumentale qui ne fait que nourrir tout ce qui a de plus laid en moi. Comme ci je n'étais plus que ça ! tout ce qu'il a de plus dégelasse sur cette maudite terre...
- Merde ! je beugle une nouvelle fois en me prenant la tête entre les mains, j'augmente le son pour couvrir la voix de mon toubib.
Putain d'esprit qui me la fait entendre encore et encore ! je ne veux plus ! je sais ! je suis malade ! Merci !
Je me lève comme une folle bondit contre le premier obstacle qui se dresse devant moi et le frappe encore et encore. Mes phalanges se couvrent vite de sang. Je ne ressens rien, je frappe. Encore, encore. Je crois même que je hurle comme une sauvage tout un tas d'insanité. Je beugle contre ce connard d'alien qui me pourrit la vie depuis toujours j'ai l'impression, je beugle contre cet abruti de Nikolas qui n'a même pas essayé de m'en rouler une ! je ne vaux même pas un coup d'œil, pas une blague, pas un tout petit regard à peine intéressé ! rien ! comme ci j'étais transparente ou pire ! Déjà morte !
Plus qu'un putain de cadavre qui marche !
Je ne sais pas combien de temps je déverse ma haine contre ce tronc sans reprendre mon souffle. Je ne ressens toujours aucune douleur, rien. Tout mon corps est anesthésié contrairement à mon esprit qui bouillonne de voix et de souvenirs toujours plus crades les uns que les autres ! Ils me hantent, me possèdent avec violence sans me laisser le moindre répit. Je revois aussi ces regards, ceux qui me font sentir déjà entre quatre putains de planches ! ils flinguent encore plus vite que la maladie...
Tout finit par retomber d'un coup comme une ampoule qui claque. D'un coup, comme ça, sans prévenir. Sans rien. Je me sens vide, épuisée, aveugle. Sourde. Je ne sais même pas s'il fait froid ou non, s'il pleut... rien. Plus rien.
Quand je me rends compte que je suis à genoux devant cet arbre, je suis à bout de souffle. Mes mains me soutiennent à peine, je m'adosse contre mon punching-ball avec du mal. La terre tourne de nouveau alors que moi je suis incapable de bouger, incapable de vivre en même temps que lui.
Les yeux fermés, la bouche grande ouverte a la recherche d'un filet d'air frais, je ne bouge plus. Il fait de plus en plus sombre, je ne vois plus d'ombre danser devant mes paupières fermées. La nuit commence sa longue journée de boulot. Je ressens à peine l'air frais qui chatouille timidement mes bras. Je ne suis plus qu'une approximation.
Quand j'entends de nouveau « Living on pure émotion », résonne avec peine.
- Ve ta faire foutre ! j'essaie de beugler tout en arrachant mes écouteurs de mes oreilles et en jetant mon portable et tout ce qui va avec loin de moi.
C'est-à-dire à 50 cm de moi.
Je me reconnecte au monde à ce moment-là.
- Merde... je souffle en voyant l'état de mes deux mains. Les jointures sont en sang. De la peau est arrachée et elles sont toutes rouges.
Je suis encore essoufflée. J'ai la tête qui tourne et je crois que je vais gerber. Je pleure aussi. Oui je pleure sans que je puisse empêcher mes larmes de couler. Je chiale comme une conne assise par terre au milieu de je ne sais où sans pouvoir m'arrêter.
Je me sens seule. Je suis seule.
Quand j'ouvre de nouveau les yeux, ma musique résonne de nouveau dans mes oreilles et je suis allongée sur le banc. L'écran de mon portable est cassé. Je pleure de nouveau tout en remettant ma musique au début.
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