Le 13 mai en milieu de journée.
Le 13 mai en milieu de journée.
Moi, médecin. Bref.
Bref, c'est tout ce que je suis foutu de penser depuis que j'ai mis la clé dans le contact ce matin. Ma petite citadine, qui me coute un bras chaque mois, n'était pas encore froide quand je l'ai redémarré. Faut dire que je suis rentré chez moi pas loin du petit matin et que quelques heures à peine après je reprenais déjà la route.
Loti m'a regardé d'un drôle d'air quand je lui ai expliqué que ça allait être Andrew qui allait s'occuper d'elle pendant quelques jours. Cette boule de poil mal léchée s'est même payé le luxe de soupirer en se retournant pour me snober, mais quand j'ai secoué sa boite de croquette, mademoiselle s'est mise à roucouler. Oui, roucouler.
Je fixe correctement mon portable sur son accroche de parebrise et valide mon itinéraire, chemin le plus rapide oui, péage oui j'men cogne, j'en profite pour envoyer un rapide message à mon père du genre « je décolle ». Il se lève toujours plus tôt que ma mère et pose moins de questions, pour preuve il me répond par un simple pouce en l'air. C'est un luxe dont j'ai besoin en ce moment.
- Bouge-la ta caisse clochard ! je me mets à râler tout seul derrière mon volant, quand l'abruti en question ne dépasse pas les 50 sur cette foutue pénétrante.
Bref, bref, bref.
Bref, pour ce con.
Bref, pour hier.
Bref, pour ne pas réfléchir et un gros bref de merde pour Alice !
- Putain !... Je grogne en frappant du plat de la main mon volant, j'en profite pour me frotter le visage avec une main, je suis fatigué.
Non.
Je ne suis pas fatigué, je suis usé. En colère. Frustré.
Je sais que ce genre de chose arrive tout le temps, je sais qu'on ne guérit jamais vraiment de cette merde récalcitrante, que les récidives sont nombreuses... mais, j'ai eu l'espoir que... je me suis même dis « peut être que... » Abrutis que je suis !
Merde, double merde de bref !
L'espoir... Le détachement. Je suis complètement à la masse. Depuis quand je me suis laissé glisser dans ce merdier ? je n'en sais franchement rien... si, depuis que j'ai demandé de prendre un dossier de couleur différente. Depuis ce jour-là avec son fichu vernis écaillé mauve à la con...
- Ton clignotant bordel !!
Tout en hurlant une fois de plus, je me rends compte que j'ai gardé la fenêtre ouverte et que mes voisins à l'arrêt eux aussi, me regardent les yeux ronds. Je soupire et remonte légèrement ma vitre.
J'aurais jamais du accepter tous les dossiers de mon prédécesseur... bordel même si j'avais eu le choix je les aurais pris. Pourquoi j'ai accepté ce poste dans cet hôpital ? Ba parce que c'était la seule place de dispo du con !
Pourquoi j'ai pris médecine ?... j'en sais rien, enfin si je sais : je voulais être médecin. J'y croyais et je voulais réaliser le fameux fantasme de l'infirmière ...
- Merde, je soupire une fois de plus à voix haute alors qu'il n'y a aucune raison de râler.
J'enchaine les heures de conduite sans m'arrêter, oui je sais on doit faire une pose toutes les deux heures et tout... Pas envie. Même quand ma vessie se rappelle douloureusement à moi. Je cède à une petite heure de chez mes parents. Dans l'ensemble la route a été fluide, sans trop de cons. Mais la verdure ne m'apaise pas comme d'habitude. Mon esprit ne décroche pas, il me fait tourner en rond encore et encore, si bien que je frôle plus d'une fois le 150...
Sur l'aire d'autoroute, j'en profite pour boire un café, engloutir trois pains au chocolat d'affilés et cheké mes mails. Rien. Pour une fois tant mieux. J'en ai plus assez en réserve pour lire un de ces mails, surtout qu'il ne sera pas comme d'habitude. Normale, je suis l'annonceur de mauvaise nouvelle. Le salop personnifier de l'histoire. Je me frotte une nouvelle fois le visage avec ma paume de main.
Je finis par remonter en voiture en trainant les pieds, mets le contact et allume enfin la radio. Jusqu'ici j'avais conduit sans aucun bruit.
Je reprends à peine la direction de la rocade que Johnny Cash résonne dans l'habitacle. Pas n'importe laquelle non plus. Hurt.
Merde.
Bref.
Je serre les dents, il faut que je les serre. Ses notes graves de guitare résonnent en moi, ça fait vibrer mon cœur. Ça se transforme en émotion. Une émotion dure et froide. Presque violente. Glaciale. Elle se mute elle-même en masse douloureuse qui se loge dans le fond de ma gorge. La voix profonde du chanteur fait trembler ma mâchoire.
- Putain... je renifle comme un môme en m'essuyant le nez du revers de ma manche.
Je suis en larme quand les dernières notes resonnent, au loin j'entends un présentateur quelconque parler, moi j'entends encore cette chanson. Je la sens vibrer en moi, atteindre mon cœur. Entourer mes sentiments refoulés et les exacerber.
Je vais exploser. J'ai mal. Je suis inutile.
Elle va mourir.
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