Le 11 mai.
Moi malade, qui s'installe dans l'avion.
On a tous passé la dernière nuit chez la vieille dame au nom imprononçable, autant dire qu'elle était tout à fait ravie de me revoir. Elle a passé son temps à me regarder du coin de l'œil. De mon côté, j'ai soigneusement évité la porte de la cuisine.
Forcement, l'aventurier s'est foutu de moi tout du long. Terry n'a pas tenu plus d'une heure avec nous, je crois qu'elle n'en pouvait plus de nous.
En faisant mes valises, je me rends compte qu'il me reste de quoi faire au moins deux piluliers, donc deux semaines de plus. L'envie de me perdre à l'aéroport juste avant le départ me fait sourire.
Mon esprit me renvoie à cette fameuse soirée ou nous avons vus les éléphants, en un sens j'ai l'impression que cela fait des siècles alors que ce n'était qu'il n'y a qu'une poignée de jour.
Quand la pluie s'est mise à tomber et que le troupeau s'est enfui dans la forêt, enfin enfuie, à juste fait demi-tour quoi. On s'est retrouvé sous un rideau de flotte démentiel. Il ne faisait pas froid, il n'y avait pas de vent non plus. Juste de l'eau à n'en plus pouvoir. En quelques minutes, j'étais comme les autres, trempée jusqu'aux os. Je crois que c'est le moment que j'ai le plus aimé du voyage !
Bien sûr, j'ai vu des choses incroyables ! Sublimes et désolantes au possible dans ce petit pays, mais ces petites vingt minutes ont été les plus belles depuis un long moment ! Je ne me suis jamais sentie aussi vivante qu'à ce moment-là.
Là, sous cette nuée d'eau isolante, mes vêtements et mes cheveux me collaient tant au corps que j'ai eu l'impression qu'ils ne faisaient plus qu'un avec ma peau.
Avec le dos de ma main j'essayais de m'éponger les yeux, j'ai vite abandonné de toute façon ça ne servait a rien. C'est en levant mon visage vers le ciel que je me suis rendu compte du vrai spectacle. Juste au-dessus de nous, un nuage si clair que l'on voyait le bleu du ciel à travers se déversait sans discontinuer sur nous. Le bruit de l'eau était si lourd, si intense que j'ai eu l'impression de vivre dans une bulle ! Une bulle hermétique aux ravages du temps, hermétique à tout.
Je me suis laissé aller à quelques larmes, je ne les aie pas sentis couler sur mes joues.
Honnêtement, je ne sais pas pourquoi j'ai pleuré. Dans le fond, je n'en avais pas vraiment envie, je ne me sens pas si triste que ça, peut-être un peu seul. Mais, pas au point de me laisser aller comme ça.
Je crois que j'ai été touché par la simplicité et la beauté du moment.
L'aventurier s'est rapproché de moi et sans vraiment savoir pourquoi, je l'ai laissé prendre ma main. Il n'y avait rien d'amoureux ou une quelconque promesse étrange, juste la beauté du moment. Juste ce moment et nous.
Le bruit des réacteurs de l'avion qui me fait revenir à la réalité. Je soupire en laissant ma tête se poser sur l'appuie-tête, je ne me rappelle plus de la sensation de sa paume contre la mienne ni de sa chaleur. Par contre, sa présence fait encore vibrer mon cœur. Il y a quelque chose de bien plus profond et fragile entre nous qu'une vulgaire histoire qui se pourrait être amoureuse. Je ne sais pas ce que c'est ni ce qu'elle représente vraiment, qui sait ? J'imagine peut-être des trucs. En tout cas, tout ce que je sais c'est que c'est unique et rassurant.
Dire que je ne le reverrais plus...
Étonnamment, je ne me sens pas triste, pas du tout. J'ai le sentiment d'avoir été jusqu'au bout de tout ce que je devais voir ou faire. C'est assez satisfaisant comme sentiment. Même si dans le fond, je sais qu'il va me manquer.
— R'garde ! L'aventurier me glisse son appareil photo sous mon nez sans que j'aie le temps de dire quoi que ce soit. Parce que forcément monsieur s'est débrouillé pour être à côté de moi.
J'aime.
Sous mes yeux, les photos du festival défilent, il me laisse à peine une minute avant de passer à une autre photo. Ça m'agace autant que ça me fait sourire.
On a été à ce festival juste hier, il ne m'a pas laissé une seule seconde soit dit au passage. Il ne l'a pas fait depuis le jour de la pluie d'ailleurs. Et même si je ne lui ai pas dit, je l'en remercie, car je ne me sentais pas de retourner dans ce temple avec ses gens qui croient dur comme fer que tout qu'on mérite toute la merde qu'on bouffe.
Ce festival est celui de la renaissance en français, en gros il est censé introduire les nouveaux moines bouddhistes dans le temple. Les mômes vont faire leur apprentissage là-bas, jusqu'à la fin de leur vie en somme.
On a vu une quinzaine de jeunes hommes venir vers nous drapés de bordeaux avec le crâne rasé. Ils ne devaient pas avoir atteint douze ans. Ça m'a fait mal au cœur, j'ai eu l'impression que leur vie s'arrêtait là. Pas de premier baisé, pas de match de foot avec les copains, pas... non rien de tout ça. C'est triste.
Le rituel s'est passé dans le plus grand silence, les mômes se sont mis les uns à côtés des autres devant les deux adultes. Ils se sont mis à poil et les adultes les ont douchés avec du lait de chèvre.
De ce que j'ai compris, cette douche sert à la fois à les bénir et à les laver de tous leurs péchés. Quel genre de péché peut avoir fait un enfant qui sait à peine pisser droit ? Cette question me travaille encore.
Décidément, on ne fait pas partie du même monde.
Je n'en garde ni un bon ni un mauvais souvenir. J'y ai juste assisté, voilà tout.
— Ouais, moi aussi j'ai pas été totalement fan, mais faut avouer que leur temple est assez beau. Rajoute Nikolas en reprenant son matériel dans ses mains.
— Bonjour, pour le repas vous désirez du poisson ou du poulet ? nous demande l'hôtesse de l'aire avec un charmant sourire, tout à fait professionnel.
Du genre « magne-toi de répondre tête de con j'en ai encore cinquante derrière toi et j'en ai déjà ras les talons ».
— Du poulet, on répond en cœur. On a assez mangé de poisson pour au moins dix vies !
Adieu sushis et autre douceur du genre ! Pour au moins une semaine... voir moins.
Il me donne un petit coup de coude et me montre un petit sachet planqué dans son sac à dos, sac à dos qu'il n'a pas quitté une seule fois depuis le début du séjour. Un sacré sourire fend mon visage quand je vois que lui aussi a son sachet d'insectes grillé par les soins de la vieille dame.
Comme deux gamins qui partagent un paquet de bonbons dans le plus grand secret après l'école, on sort nos provisions salées et on tape dedans comme des affamés.
J'en garde quand même une petite partie pour la faire goûter à ma famille. Je me marre déjà en imaginant leur tronche de dix pieds de long, comme la mienne la première fois en gros.
— Vous ne voulez pas plutôt des cacahuètes ou quelque chose du genre ? Nous demande le parfait inconnu qui est assis à côté de l'aventurier.
Quand à moi je suis collée au hublot. J'aime voir le ciel quand je voyage. J'aime être au-dessus du monde, je me sens inatteignable, intouchable. En sécurité.
— On goûte avant de dire qu'on n'aime pas, réplique Nikolas qui se penche un peu plus en avant pour lui tendre son paquet.
Pour en rajouter un peu, je lui tends mon parquet ouvert à mon tour avec le plus beau sourire que j'ai en réserve. Monsieur dégoûté tiré a quatre épingles tire une tronche épique avant de mettre ses écouteurs et de s'enfoncer dans son siège tout en marmonnant je ne sais quoi.
On se marre une nouvelle fois tout en se mettant devant un épisode de Netflix, ouais, le retour à la civilisation a du bon quand même. Puis il y a plus de dix heures de vol, faut bien s'occuper.
— Un peu gluant, mais appétissant ! Qu'on réplique pratiquement en même temps avec un gros verre blanc grillé dans la bouche pendant les annonces de sécurité faites par le personnel. On l'aspire comme une spaghetti avant d'en enfourner un autre.
Pour finir, on se retrouve devant un des films animés d'Asterix et Obelix. Celui ou deux grands méchants font un gâteau pour la reine Cléopâtre.
Pour ne pas changer, on se met à chanter toutes les chansons en cœur. Monsieur tiré à quatre épingles en a déjà marre de nous deux.
— Tu vas faire quoi en rentrant ?
— Je repars en voyage bientôt et toi ?
On en a pas rajouté plus, je fais mine d'être à fond dans le dessin animé. Je sens bien qu'il va me poser une question, LA question. Celle que je n'ai pas envie d'entendre, celle qui me donne l'illusion que je peux m'attacher à quelqu'un.
Si j'ai dit non au bel irlandais, ce sera non pour lui. Et pis ce genre de connerie amène à de plus grosses conneries encore.
Au bout d'une bonne heure, on finit chacun sur son écran.
— Tu regardes quoi ?
— Million Dollars Baby et toi ?
— J'me balade sur Netflix. Qu'il me répond en se penchant pour se rapprocher de moi. Tu as envie de pleurer ??
— Pourquoi je pleurerais ? je lui demande en le regardant rapidement. J'aime trop ce film pour en louper une miette même si je l'ai vue des millions de fois.
— C'est hyper triste ! elle meurt a la fin et tout !
— C'est la fin, je commence en mettant sur pause rapidement. Moi j'y vois de la magie, de la beauté. La nana, je continue en regardant sa mine déconfite, est persuadée qu'elle ne vaut rien, elle a été élevée avec cette idée. Pourtant, elle se donne à fond, elle ne lâche rien et au fond d'elle, elle sait qu'elle n'est pas une merde. Elle attend juste qu'on lui donne sa chance, et quand on lui donne elle se dévoile. Elle explose et devient la meilleure des meilleures.
Nikolas ne me répond pas, il se contente de me regarder avec son petit sourire en coin. Je lui tends une oreillette, qu'il saisit et on se met à regarder cette merveille dans le plus grand silence.
On ne touche pas à nos plats le temps du film, trop absorbé. Trop subjugué pour ma part.
— J'aime bien terreur.
Terreur est un des boxeurs du film, le jeune homme est niais il sait à peine faire ses lacets, mais son obstination est touchante. Il ne fait rien d'extraordinaire dans le film, il est juste là, il nous rappelle à sa façon, que même un idiot peut avoir un objectif.
— Moi aussi, je lui réponds en écoutant es dernières notes de pianos de la fin des crédits. Alors ? Je lui demande en me tournant de façon à être pratiquement face à lui.
— Elle en a une sacrée paire...
Je souffle un rire, parce qu'il a entièrement raison.
— Bon, c'est moi qui choisis le prochain film ! Je range ma tablette et le regarde comme une gosse.
— Ho attend ! il me faut une pause pipi !
— Les nanas... qu'il marmonne en se déplaçant pour me laisser passer, l'autre ne bouge pas du coup je le bouscule sans en avoir rien a secoué.
— Prépare ! je lui ordonne avec une fausse moue sévère en me retournant à peine.
Dans mon dos, je l'entends rire, je crois que je rie aussi en m'enfermant dans les toilettes.
Je profite de ces quelques minutes de solitude pour gober mes cachets. Un peu plus et je les aurais oubliés. Il me fait oublier certaines réalités. C'est effrayant.
— Aloooors ??
— Jurassic parck, qu'il me répond avec son air de ne pas y toucher.
Je me précipite à ma place avec un sourire de gamine, en embarquant les genoux de l'autre au passage, et me cale sur mon siège en sautillant sur place.
— Il te reste des sauterelles ?
Une seconde plus tard, le bruit d'un paquet en plastique que l'on froisse me parvient.
Petite NDA de fin, déjà merci de continuer a me suivre ;) ensuite si tu n'as pas vue ce fameux film Million Dollars Baby, sache qu'il est plus que tu te refasse ou fasse ta culture cinématographique !!! C'est une beauté incroyable ...
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