Le 1 mars.

Moi, malade.


Je tortille mon ordonnance dans tous les sens depuis maintenant un gros quart d'heure. Je me moque de ce à quoi elle va ressembler quand ce très cher Docteur daignera me recevoir.

Pas foutu d'être à l'heure une seule fois par mois ! C'est un monde quand même ça !

Il a au moins le mérite d'être plus jeune que le précédent, pour preuve c'est moi qui l'ai enterré à deux semaines de sa retraite. C'est vraiment ce qu'il s'appelle manquer de chance.

L'ex-vivant me suivait déjà depuis presque deux ans. On avait même fini par s'appeler par nos prénoms.

Quelle ironie vraiment.


Du coup, rien n'a vraiment changé, toujours la même salle d'attente, toujours les mêmes visages fatigués et malades et toujours ce même papier pour les ordonnances. Seul l'en-tête change « Docteur Apps Dorian diplômé de l'académie de médecine et des sciences de Bordeaux »

L'autre avait fait ses études quelque part dans l'Oise.

Les pleures aussi, quelque soit l'oncologue qui vous le dit, qu'importe sa mine ou ses mots, « vous êtes condamné » restera a jamais « vous êtes condamné ».

Je n'ai pas encore eu le droit à ce verdict. Dieu, vieux croûton sénile de mon cœur, préserve-moi.

Depuis que l'on m'a trouvé mon cancer du sein droit, j'ai juste le droit au discours très préparé avec un fond moralisateur qu'ils servent à chaque personne qui va s'en sortir.

Pourquoi moralisateur ? Par ce qu'ils ont le culot de nous dire comment et pourquoi il faut estimer notre chance et aimer la vie, on en ressort tous avec la très désagréable impression d'être un voleur et un profiteur.

Mais dans mon malheur, j'ai eu beaucoup de chance, l'alien qui me grignote la miche n'est pas très gourmand. Je ne m'en plein pas. Une simple chimio médicamenteuse lui fait la peau, du moins le tient en respect.

Au fait l'alien c'est bien mon cancer, lui et moi sommes devenus intimes, du coup on se donne des petits noms. Il est mon alien chéri d'amour et je suis son buffet gastronomique.

C'est charmant l'intimité non ?

En face de moi, une dame d'un âge mûr essaie de cacher le fait que ce ne sont pas ses vrais cheveux qui la démangent.

Effet secondaire sympathique des traitements, n'importe lequel.

Je ne connais personne qui assume pleinement le fait de perdre ses cheveux, ses sourcils, sa vue, sa vie... Ils forment un beau petit groupe bien soudé qui se complaît dans des fausses croyances.

Je m'efforce de ne pas faire partie de cette communauté, oui je suis malade non cela ne me définit pas. Oui, je suis mourante, mais pas plus que mon voisin. Un peu moins j'espère.


Le jour où j'ai su pour mon cancer j'ai été la seule à ne pas pleurer. Ma mère et ma sœur étaient effondrées seul mon père m'a dit qu'on allait trouver un bon docteur en me tenant la main.

Il ne m'a fait aucune promesse, il a juste énoncé des faits, car oui on a trouvé un bon doc', mais il est mort après m'avoir sauvé. Je me suis même dit que c'est moi qui la flingué, mon alien et moi on a dû l'épuiser.

Quand je dis que c'est ironique, je sais de quoi je parle, pour preuve c'est moi qui l'ai enterré. J'ai aussi fait un très beau discours à base de compassion d'amour et de tout un tas d'autres trucs, oui vraiment très jolie vous auriez dû m'entendre.


Une vraie œuvre d'art. Vraiment.

En tout cas, cela fait un an et demi que l'alien se tient calme, il ne disparaît pas vraiment, mais ne grandit pas non plus.

Mais tout ça, c'est le côté négatif de la chose, car oui il y a du bon dans tout ça.

Un tri s'est fait de lui-même dans mes amis et je dois avouer qu'il ne m'en reste pas énormément. Je n'ai jamais été aussi proche de mon père que depuis ce fameux jour. Il est devenu mon port d'attache.

Ce que j'aime le plus chez lui c'est qu'il ne me considère pas comme une mourante, du moins pas devant moi.

Un couple d'une bonne trentaine d'années se fait appeler, je peux dire sans soucis que c'est monsieur qui est malade et qu'il n'en a plus pour longtemps. Cela se voit, il ne fait plus que de traîner sa carcasse guettant les rares moments sans douleur.

J'espère que cet oncologue a un paquet de mouchoirs neuf. 

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