Néo Branette

"-Mais quelle idée aussi ils ont eu, on a eu que six heures de philo, je vois pas à quoi ça sert de faire un bac blanc dès maintenant..."

-T'inquiète je comprends pas plus que toi Lucas", réponds Adam. Je me contente de grogner tout en avalant lentement mes céréales. Avec notre premier bac blanc de philosophie, nos deux heures de sport avaient été décalées de quatorze heures à seize heures. Moi qui comptais avoir un samedi un peu tranquille à simplement retravailler mes cours de spécialités, je vais devoir attendre encore avant de pouvoir me reposer.

Une fois notre petit déjeuner avalé, nous nous levons tous les quatre, Lucas, Adam, Seamus et moi. Nous avons rapidement formé un groupe solide, et j'étais heureux de me sentir enfin à ma place dans un groupe d'amis.

Nous arrivons devant la salle 123, où quelques camarades nous attendent déjà. Notre quatuor se rapproche de deux filles, Clémence et Bianca. Nous discutons quelques instants jusqu'à ce que Madame d'Haussarat arrive, et ne nous fasse entrer dans la grande salle d'examen.

Cent tables individuelles y sont placées, c'est la plus grande salle du lycée, et au moment du baccalauréat nous sommes beaucoup à le passer ici.

L'épreuve commence et je soupire en voyant le sujet:

Sujet 1: le bonheur est-il affaire de raison?
Sujet 2: Vouloir la paix, est-ce vouloir la justice?
Sujet 3: Lévi-Strauss, La pensée sauvage , 1962

Pourquoi faut-il que le sujet porte sur des thèmes que nous n'avons pas encore abordé? J'espère ne pas avoir une trop mauvaise note, d'autant plus que nous avons été laissés à nous-mêmes pour comprendre la méthodologie. Nous avons bien fait une séance de révisions tous ensemble hier soir avant d'aller manger, mais quand je regarde mes amis je vois que nous pensons tous la même chose.

Je me décide pour le sujet deux, au moins nous avons un peu abordé la paix et la guerre en HGGSP, je saurais bien sortir quelques exemples.

*

*

*

Alors que je commence ma deuxième partie, une sirène retentit, nous faisant tous lever la tête. Nous nous regardons tous surpris, avant que le bruit ne se coupe.

"-Ceci est un exercice PPMS: explosion de matières dangereuses. Veuillez réagir en conséquence, Annonce la voix du proviseur en grésillant dans le micro.

-Oh merde c'est vrai qu'il y a ça, lance la professeur de philosophie. Elle n'est pas très pointilleuse sur le vocabulaire, et nous avons régulièrement droit à des cours... Animés.
Bon tant pis, ce n'est qu'un exercice, ils vont pas venir nous faire chier avec ça quand même. Continuez.

-Mais madame, tente Adam, ce genre d'exercice est obligatoire, peu importe les circonstances.

-Tout le monde sait très bien que votre classe y est parfaitement préparée et que vous respecterez tous les consignes en temps voulu, alors taisez-vous Monsieur Taourer ou je vous retirerai des points.

-On ne peut pas aller contre le règlement, lance Batiste en se levant.

-Vous voulez vous aussi des points en moins Monsieur Léry?

-Ils ont raison Madame, annonce à son tour notre délégué. Elle jette un regard à Nolann, qui se lève à son tour en hochant la tête. Voyant que de plus en plus de personnes se lèvent pour protester, je décide d'arrêter d'écrire à mon tour.

-Ce n'est pas parce que nous sommes en bac blanc que nous ne devons pas respecter les mesures de sécurité. Le vrai jour du bac si la situation se présente, on devra agir en conséquence. Autant se préparer maintenant, je dis en fixant notre professeur.

-Cela suffit! Il y en aura d'autres des entraînements de ce style! Vous n'êtes ni à votre premier ni à votre dernier. Maintenant rasseyez-vous tous.

-Et il y aura d'autres bacs blancs aussi, et bien plus que d'exercices PPMS, lâche Enola avec véhémence.

-Si vous ne vous rasseyiez pas immédiatement, je vous donnerai à tous quatre heures de colle samedi prochain pour refaire un devoir.

Nous nous jetons tous des regards. La perspective d'être collés ne nous enchante guère, mais nous ne pouvons abandonner maintenant. Nous restons alors silencieux, les deux pieds bien ancrés dans le sol.

-Bien, annonce Mme d'Haussarat fermement, vous l'aurez voulu. Je veux tous vous voir samedi prochain ici même après votre cours de sport." Elle se rassoit et nous fait signe de faire de même.

Soudain, une idée me passe par la tête sans que je ne puisse l'empêcher. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j'attrape violemment mon sac, et me dirige vers le bureau de la professeur. Je déchire sujet et copie devant elle, puis sort fièrement de la salle sans me retourner. J'entends peu à peu mes camardes suivre mon exemple, et bientôt nous sommes tous dans le foyer, abasourdis par ce qu'il vient de se passer.

"-Vous imaginez... Quatre heures de colle. Déjà une me semble impensable... Alors quatre, lâche tout doucement Adèle.

-Vous voulez rire? Je m'exclame. Vous n'y pensez pas sérieusement.

-Je ne suis pas spécialement amusée Néo, me répond la rousse, je n'ai jamais eu d'heures de colle et je suis prête à parier qu'aucun d'entre vous n'en a eu. Seul le silence lui répond, confirmant ses propos.

-Mais nous n'en aurons pas, je continue. Il n'est pas question qu'on y aille.

-Néo je pense que nous avons fait assez de grabuge comme ça en trois semaines, il vaudrait mieux que nous nous tenions un peu tranquilles quelques temps.

-Alors tout ce qu'on a fait n'aura servi à rien? Et on les laissera juste gagner? Encore? Comme ils le font depuis toujours avec la classe prépondérante. Nous savons tous que ce n'est pas normal pour des élèves de terminale d'être traités de la sorte. Il est hors de question que je me laisse faire comme ceux des années précédentes.

-Peut-être qu'il a raison, murmure Enola. Si nous cédons maintenant alors nous abandonnons toute résistance et nous leur laissons le champ libre pour faire de nous leurs pantins. Je suis d'accord avec Néo, poursuit-elle plus fort. Je ne me laisserai pas faire, ni aujourd'hui, ni aucun jour de cette année. Si on s'y met à trente-quatre on a peut-être une chance de faire bouger les choses. Chaque concession qu'il feront, même la plus petite, signifie en réalité beaucoup pour nous. On a le pouvoir de montrer à l'administration ce que signifie vraiment être dans la "classe des petits génies". Nous avons une occasion unique de faire évoluer notre situation et celles de années à venir. Nous ne pouvons pas l'ignorer. Qui est avec moi?"

Elle tend sa main devant elle et je la remercie d'un signe de tête. Je pose ma main sur la sienne et balaye la salle du regard. Le reste de la classe semble hésiter. Je me tourne vers mes amis, qui se décident finalement à me rejoindre. Comme si cet geste avait débloqué toutes les consciences, nous nous retrouvons bientôt à trente-quatre, les mains les unes sur les autres.

"-Ils ne pourront jamais faire un conseil de discipline pour trente-quatre élèves. Qu'avons-nous à perdre?

-Notre liberté? Hésite Bianca.

-Le semblant de liberté qu'ils daignent bien nous accorder tu veux dire. Et même s'ils le font, ils ne pourront jamais nous retirer ce qu'on a: le pouvoir d'être à trente-quatre. Quoique l'administration puisse décider, on le traversera ensemble. Il n'y a que comme ça que nous pourrons avancer. Ensemble.



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